Speaker et altérations urbaines

Cette bouche d’aération d’un bâtiment administratif à Shibuya me fait penser à un haut parleur. Je prends assez peu de photos en ce moment. Peu d’occasions se sont présentées au mois de juin, ainsi qu’une petite perte récurrente de motivation. La saison des pluies qui bat son plein n’arrange rien, bien que l’année dernière, j’avais bien profité de cette saison pour prendre des photos pendant les périodes d’accalmies. C’est en général pendant ces périodes là que je me remets à réfléchir au style de mes photos en me posant des questions: faire de la straight photography comme la grande majorité des photographes amateurs de la blogosphère japon, ou continuer les travaux de montages et compositions photographiques qui construisent un peu plus certainement mon identité. Au final, la réflexion est toujours un peu vaine et je continue mon sillon sans changements majeures. Quand même, j’ai dans l’idée dernièrement de construire des entités, des groupes de quelques photos agencées pour former une entité. Je m’étais essayé avec la petite série Polaris.

En parlant de montages photographiques, on trouve parfois par hasard sur internet des merveilles. Le travail de composition du photographe belge Filip Dujardin est vraiment impressionnant. Il invente des nouveaux visages urbains en créant des buildings improbables, défiant parfois la gravité. Il juxtapose des surfaces et éléments de buildings pour créer des structures complexes, difficiles à comprendre. J’aime beaucoup ce travail d’altération du paysage urbain. Je le pratique aussi à ma façon, sans pour autant atteindre ce résultat. On se prend parfois à rêver que ces bâtiments existent pour le plaisir du photographe.

On reste dans l’irréel avec l’artiste Nicolas Moulin, tout en se déplaçant à Paris, un Paris sans signe de vie, déserté où le rez de chaussée et premier étage des immeubles sont fermés par des plaques de béton. Nicolas Moulin vide la ville et donne à voir un paysage urbain angoissant. On s’interroge également en regardant ces images, on se demande ce qui a pu se produire dans ces lieux, pourquoi tous ces bâtiments ont ils perdus leur fonctions. Est ce que Paris s’est transformée de ville musée en musée-ville? Est ce que l’on prépare la ville à une course automobile intra-muros? Cette série de photographies retouchées sur ordinateur est disponible dans un recueil intitulé Vider Paris. En transposant à Tokyo, on peut penser aux photographies de Masataka Nakano sur le fameux Tokyo Nobody. Sauf que sur ce dernier, la légende dit qu’il n’y a pas de retouches par ordinateur.

Toujours par le même artiste, je découvre d’autres créations encore plus radicales, comme ces formes de bunkers se jetant dans la mer et en extension d’un paysage naturel. Il construit également en images des structures industrielles impossibles. Tout comme les images de Paris, ces constructions sont inquiétantes et fascinantes. Son dossier en pdf nous donne un tour d’horizon de ses créations. Pour revenir aux blocs de béton disproportionnés de ces montages, j’avais cette même envie d’altération de la ville et du paysage en commençant ma modeste série d’immeubles disproportionnés. Mais, j’avoue être vraiment impressionné par la force qui se dégage de ces blocs de béton.

Black lines on concrete and magnificent black

Les faces cachées des buildings, quand elles se révèlent parfois, quand les immeubles adjacents disparaissent. J’écris qu’il s’agit de lignes noires pour les tuyaux parallèles sur la façade de béton, mais il s’agit en fait d’une tuyauterie bleutée. La rambarde sur la terrasse est, elle, de couleur rouge vive. J’avais déjà utilisé cet immeuble pour une composition urbano-végétale en 2007. Ces tuyaux comme des veines irriguent le bloc de béton et le fait vivre.

Sans complexe, je vais passer ci-dessous à une oeuvre photographique. Je n’instaure pas de hiérarchie dans mes billets, c’est à dire que j’aime de temps en temps présenter ce que j’aime sans vraiment me soucier de la notoriété de l’auteur (dont je ne suis pas toujours conscient parfois). J’avais été surpris par une remarque alors que j’avais juxtaposé une photo prise par un blogger et une photographie de photographe reconnu. Le blogger était surpris d’être associé, par proximité, à cet autre photographe. C’était il y quelques années mais j’ai toujours gardé cette remarque en tête. De la même façon, je ne m’impose pas de contraintes à montrer sur un même billet, une de mes photos suivie de celles d’un livre photographique magnifique. Sans pour autant essayer d’établir une comparaison, bien entendu.

La première fois, j’étais intrigué lorsque j’ai aperçu et feuilleté ce livre La deuxième fois, la fascination a commencé à prendre et le désir de l’acheter s’est fait irrésistible il y a quelques jours dans une librairie de Roppongi (Aoyama Book center pour ne pas nommer).

Dazaifu Tenmangu est un sanctaire paisible près de Fukuoka. Il fut construit en l’an 905 en mémoire de Michizane Sugawara, un homme de lettres et officiel de haut rang de l’Empereur à l’époque Heian, en exile à Dazaifu. Le sanctuaire possède un musée d’objets anciens et une petite galerie à l’intérieur. La volonté du jeune prêtre shintô du sanctuaire, Nobuhiro Nishitakatsuji, de conjuguer présent et passé l’a conduit à mettre un place un programme d’art contemporain dans cette petite galerie. Il commissionna ainsi la photographe Maiko Haruki. Elle passa 2 semaines dans le sanctuaire et ses environs boisées à prendre une série de photos présentées ensuite dans la galerie sous le nom Unify. C’était en 2007. Cette série de photographies est disponible depuis quelques années dans un recueil, Dazaifu, distribué par la galerie Taro Nasu. Maiko Haruki recevra des mains de l’architecte Toyo Ito le prix du jury au Mori Art Museum de Roppongi, lors de l’exposition collective Roppongi Crossing 2007. En guise de préface, Toyo Ito écrit:

白い闇、黒い闇、春木麻衣子の闇は世界を柔らかく包んで溶かし去る、甘美で深い闇。。。

J’avoue que c’est difficile à traduire mais Toyo Ito nous parle de la représentation de l’obscurité que nous donne Maiko Haruki, une obscurité claire et sombre, qui fait fondre le monde dans une douce enveloppe, une obscurité profonde et douce.

Il se dégage des photographies de ce recueil une beauté indéfinissable et une grande poésie. Il se compose de plusieurs parties, autour du sanctuaire principal Honden, dans les espaces boisés et rocailleux aux alentours ou encore lors de processions. Toutes les photos s’articulent autour de surfaces sombres voire complètement noires, parfois inquiétantes mais toujours à la fois puissantes et fragiles, une ligne floue faisant la séparation entre ces surfaces sombres et celles claires d’un ciel bleuté nuageux. Cette ligne floue et fondante, l’enveloppe, attire l’oeil en premier lieu. On s’aventure ensuite dans les surfaces sombres. Ces surfaces noires et profondes sont réellement fascinantes et apparaissent sur beaucoup de photos comme des masses omniprésentes qui couvrent pratiquement tout l’espace mais laissent parfois un peu de place à des détails fragiles: des branchages qui s’échappent, des détails et motifs du sanctuaire, une présence humaine dont on devine les corps.

Sur un thème différent, mais également basé sur un concept unique fort, je rapproche Dazaifu d’un autre livre de photographies qui m’a aussi beaucoup touché, Nami de Syoin Kajii, moine bouddhiste et photographe sur l’île de Sadogashima.

Légèrement oblique

Ce n’est pas facile à montrer en photo, ou plutôt cette photo ne le montre pas bien, mais ce bâtiment et son jumeau juste à côté à Daikanyama sont légèrement obliques. Cela donne un bloc de béton à la forme assez étrange, que l’on a un peu de mal à appréhender. Je ne connais pas l’architecte mais seulement la marque locataire GDC. Ce petit ensemble se trouve juste en face de l’ancien emplacement de la boutique Alexandre Herchcovitch par l’architecte Arthur Casas. Cette boîte à surface changeante (tantôt lames de rasoir, tantôt surface verte et jaune) a en effet disparu, remplacée par un bâtiment blanc quelconque. Espérons une vie un peu plus longue pour les cubes légèrement obliques de Daikanyama.

A Aoyama, la forme du bâtiment blanc ci-dessus me ferait penser à un paquebot sur le départ, si la verdure ne commençait pas à s’étendre et prendre prise pour rattacher le navire au port.

Je suis depuis quelques temps avec beaucoup d’intérêt les photographies d’architecture au Japon de Wakiiii. Son compte flickr commence à bien s’étoffer et ne se concentre pas seulement sur Tokyo. Il montre à travers des photos à la composition toujours assez classique ou formelle, beaucoup de bâtiments de toutes époques à travers le Japon. Et il y a beaucoup de choses intéressantes, que je n’aurais peut être jamais l’occasion de voir, à moins de faire un voyage architecturale à travers le Japon. Wakiiii nous montre notamment des bâtiments d’Antonin Raymond, architecte tchèque installé au Japon pendant de nombreuses années: Divine Word Seminary in Nanzan University à Nagoya ou encore le Gunma music center. Il y a un certain nombre de constructions plus anciennes comme la Villa impériale Katsura à Kyoto, que je souhaitais vivement visiter lors de notre passage à Kyoto il y a de cela quelques années. Malheureusement, il faut réserver longtemps à l’avance pour pouvoir visiter cette merveille. La pagode Aizu Sazaedo à Aizu Wakamatsu (également en photo ci-dessus à gauche) est vraiment particulière et unique avec ce colimaçon extérieur. L’architecture naturelle de Terunobu Fujimori est toute aussi particulière, en photos avec le Lamune Onsen ou la maison-cabanne Takasugi-an. Et il y a beaucoup d’autres belles choses sur les photos de Wakiiii, comme le Kagawa Prefecture Gynasium de Kenzo Tange (ci-dessus en haut), la pyramide renversée de Inter-University Seminar House par Takamasa Yoshizaka (ci-dessus en bas) ou encore le petit sanctuaire conçu par le photographe Hiroshi Sugimoto Go’o Shrine. A visiter en intégralité

Timberize Tokyo (en +)

En complément bref au billet présentant l’exposition Timberize Tokyo au Spiral, cette autre structure très intéressante en bois avec des charpentes qu’on imagine en carton renforcé à la manière de Shigeru Ban (je ne suis pas certain de la composition).

Au mois d’août de l’année dernière pour la série Made in Tokyo 8, j’avais découvert un peu par hasard à Aoyama ce bâtiment de verre et de plaquettes de bois verticales que j’avais trouvé dans le style de Kengo Kuma. En fait, je ne m’étais pas trompé (je suis assez content de moi, je l’avoue) car il s’agit bien d’une création de Kengo Kuma. Il s’agit de wood/berg, une maison individuelle de 1422m2, vraiment impressionnante. On voit quelques photos de l’intérieur sur le site de l’architecte (et deux ci-dessus).

Je suis d’un peu loin le blog BLDGBLOG en ce moment, mais j’ai été attiré par cette utopie aquatique Flooded London 2030, en imaginant ce que cela donnerait à Tokyo. Il s’agit d’un travail d’étudiant de Anthony Lau, imaginant une ville flottante sur la Tamise en 2030, en aménageant en habitations hybrides des anciennes plateformes pétrolières ou des anciens paquebots. Les éléments d’habitation s’interconnectent pour former un réseau au dessus de l’eau. Anthony Lau estime que l’expansion de l’urbanisation et les effets du réchauffement climatique sur la montée des eaux contraindra l’Homme à investir les espaces au dessus de l’eau. Il indique que cette stratégie serait également adaptée à des îles nations comme les Maldives menacés de disparition. Les photos des maquettes présentées sur le compte Flickr de Bldgblog sont particulièrement intéressantes et détaillées. Ce travail de recyclage extrême est à voir en format large, en imaginant un déplacement sur la baie de Tokyo… pourquoi pas.