laisser le béton

« Dis moi, tu connais Blockbusters? »
« Non, c’est quoi au juste? »
« C’est une émission de radio sur France Inter. Regardes, je te montre sur mon iPhone, il y a une appli qui permet d’y accéder facilement. Ça parle de culture pop des années 80 et 90. »
« Ah ouais, génial mais c’est en français, j’y comprends rien, laisses béton ».

J’écoute en ce moment assidûment le podcast Blockbusters de France Inter animé par Frédéric Sigrist, consacré à la culture pop de divers horizons. Cette émission me parle beaucoup car l’animateur a le même âge que moi et les thèmes qu’il sélectionne sont par conséquent très proches de ma propre culture pop. J’ai commencé à enchaîner les épisodes quand je me suis rendu compte en fouillant dans les archives qu’on y parlait du film Les Goonies (1985) réalisé par Richard Donner d’après une histoire écrite par Steven Spielberg. En écoutant cette émission, je me suis remémoré la première fois où j’ai vu le film, et ce souvenir reste encore très clair dans a mémoire. C’était une diffusion un vendredi soir sur Canal+ alors qu’un ami de la famille nous avait prêté son décodeur pendant ses vacances. Ma sœur et moi avions tellement aimé le film qu’on l’avait regardé dès le jour suivant pour une rediffusion. Une autre émission du podcast couvre la série Twin Peaks (1990-91). Je l’ai découvert bien après sa sortie alors que je vivais déjà à Tokyo. J’étais déjà amateur du cinéma de David Lynch après avoir été choqué par Lost Highway (1997) au cinéma, mais je n’ai acheté les DVDs des deux saisons de Twin Peaks que bien plus tard. Je me souviens avoir dévoré cette série avec Mari. On était tous les deux accrochés à l’ambiance si particulière de cette petite ville fictive de l’Etat de Washington. La troisième saison sortie beaucoup plus tard en 2017 était un autre choc. Cette émission Blockbusters m’a ensuite donné envie de revoir Lost Highway que j’ai en DVD à la maison. Une autre émission parle de la série culte Seinfeld (1989-1998), que l’on a découvert en France sur la chaîne Canal Jimmy disponible à l’époque par abonnement satellite. Canal Jimmy nous avait fait découvrir un grand nombre de séries américaines, car Friends (1994-2004) y passait également. Je me souviens également de la série Spin City (1997-2003) avec l’acteur Michael J.Fox en chef de cabinet du maire de New York. Mais Seinfeld avait vraiment un humour particulier où un épisode pouvait se construire sur un rien, comme par exemple un homme portant une cape en pleine rue. Blockbusters parle bien évidemment de manga et de films d’animation avec l’incontournable Neon Genesis Evangelion dont j’avais vu les épisodes lors de leur première diffusion en France sur Canal+ en 1998. Les manga et anime n’avaient pas encore la popularité actuelle. Dans Blockbusters, on nous parle également du manga sombre Gunnm de Yukito Kishiro que j’avais suivi dès le premier tome sorti chez Glenat en 1995. Je garde cette série de manga précieusement. C’est amusant de voir abordé dans ce podcast une bonne partie des films et séries qui ont marqué pour moi la deuxième partie des années 1980 et les années 1990. On y parle par exemple d’Arnold Schwarzenegger. J’ai eu ma période de films d’action basiques pendant mon adolescence que j’avais démarré avec Commando (1985), puis Predator (1987) bien avant Terminator 2 (1991), Total Recall (1990) et True Lies (1994). L’Arme Fatale (1987), bien entendu couvert dans ce podcast, avait également été marquant. J’avais commencé la série par le deuxième épisode (1989) vu sur Canal+, en adorant tout de suite l’ambiance mélangeant une noirceur certaine avec l’humour du buddy movie, le tout accompagné par un saxophone particulièrement marquant. On y parle beaucoup d’anime avec le monde de Rumiko Takahashi (Ranma 1/2, Ramu, entre autres) et bien sûr celui d’Hayao Miyazaki pour lequel une émission de 5h est consacrée ainsi qu’une autre sur les deux chefs d’oeuvres que sont Princesse Mononoke et Le voyage de Chihiro. Bon, il y a bien des sujets d’émissions plus récents qui ne me parlent pas du tout comme Taylor Swift, Aya Nakamura ou Orelsan, mais dans l’ensemble j’y trouve une correspondance assez bluffante avec ma propre culture pop. Le podcast évoque aussi souvent les jeux vidéos, mais c’est un domaine que je connais moins à part quand il s’agit de franchises historiques comme celles des jeux de combat Street Fighter ou Tekken, ou le fabuleux Prince of Persia qui avait été pour moi une révélation sur sa version Super Famicom (j’y jouais en version import japonais). Les musiques de ce jeu me restent encore maintenant gravées en tête tant j’y pu y jouer en répétant des dizaines et des dizaines de fois les mêmes mouvements. Le jeu était difficile mais extrêmement immersif. Je ne joue plus beaucoup aux jeux vidéos à part ceux emblématiques sur la Nintendo Switch (les derniers Zelda, Super Mario et Mario Kart), mais j’ai toujours regretté d’avoir loupé le coche de Nier Automata. Ce podcast me permet également de remplir quelques lacunes culturelles. Mais ce que j’apprécie particulièrement sur ce podcast est le ton de Frédéric Sigrist et de ses invités qui ne se veulent pas savants et démontrent une véritable passion pour leurs sujets. On n’essaie pas non plus de nous faire croire que la culture pop était mieux avant. La qualité de séries actuelles comme The Gentlemen de Guy Ritchie que je regarde en ce moment sur Netflix me fait dire que des nouvelles oeuvres cultes sont en train d’être diffusées en ce moment.

Outre le podcast ci-dessus, Nicolas me conseille également l’écoute du dernier single Bite you du jeune groupe muque, dont j’avais déjà parlé du single 456 sorti en Octobre 2023. Je n’avais pas vraiment poursuivi la découverte de la musique du groupe mais ce dernier morceau sorti le 26 Mars 2024 sur le label A.S.A.B. m’y ramène gentiment. Dès les premières cordes, on se laisse accrocher par le rythme du morceau, oscillant toujours entre l’approche rock et un beat pop très prononcé. Le groupe a cette capacité à créer des morceaux à la qualité pop immédiate, qui devraient les amener sur les ondes du mainstream un jour ou l’autre. D’autant plus que la voix d’Asakura est très affirmée et versatile, notamment dans un petit passage parlé au milieu du morceau qui fonctionne très bien.

Je ne sais plus par quel détour j’ai découvert l’excellent morceau Luv Myself de Kvi Baba avec AKLO & KEIJU, oscillant brillamment entre le hip-hop et la pop. En fait, depuis que j’ai écouté le morceau run away qu’AAAMYYY a chanté avec KEIJU lors de son concert Option C du 7 Mars 2024, j’ai l’envie de découvrir d’autres musiques sur lesquelles KEIJU intervient car j’aime beaucoup sa voix. Je ne connaissais pas le jeune rappeur et compositeur Kvi Baba originaire d’Osaka, qui mène ce morceau avec les deux autres rappeurs AKLO et KEIJU. Je ne connaissais AKLO qu’à travers le morceau RGTO, sur son album The Arrival de 2014, sur lequel il fait intervenir d’autres rappeurs: SALU, H.TEFLON et K DUB SHINE. La vidéo de ce morceau mentionne dans les remerciements T-Pablow et BAD HOP, et là s’ouvre une nouvelle porte vers un hip-hop japonais beaucoup plus badass (si vous me permettez l’expression).

BAD HOP est un collectif originaire du quartier d’Ikegami à Kawasaki et se compose de huit rappeurs: T-Pablow, YZERR, Tiji Jojo, Benjazzy, Yellow Pato, Bark, G-K.I.D et Vingo. J’écoute leur dernier album éponyme sorti en Février 2024 que je trouve excellent, notamment les deux morceaux Ikegami Boyz et Final Round. Je suis très loin d’être spécialiste du monde du hip-hop, mais je trouve que l’ambiance est proche du gangsta américain dans son approche musicale et dans les thèmes abordés. Le flot vocal et l’alternance des voix des rappeurs sont remarquables, par exemple, la manière mécanique par laquelle YZERR prononce les paroles « Knock out, Knock out, Knock out, Knock out床にKnock out » qui sonnent comme une série de coups de poing qui mettent à terre. Tous les morceaux ne sont pourtant pas tous sombres, comme Last Party Never EndSupercar2 mettant en avant la voix plus haut perchée de Toji Jojo qui apporte une alternative intéressante aux voix de tonalité plus grave de la plupart des autres membres du collectif. Du quartier industriel d’Ikegami à Kawasaki, la crew BAD HOP a gravi les échelons jusqu’au Tokyo Dome pour un concert le 19 Février 2024, qui est représenté par le premier morceau de l’album Tokyo Dome Cypher. BAD HOP a déjà sorti au moins cinq albums depuis 2014 et ce ne sont donc pas des nouveaux arrivants. Leur ascension jusqu’au Tokyo Dome démontre une popularité certaine auprès des amateurs de Hip-hop. A parmi les nombreuses collaborations de BAD HOP, j’y retrouve le nom de KEIJU sur certains morceaux. Une porte ouvre, je vais y entrer tranquillement sans faire de bruit.

just fly so far away to another place

Nous ne sommes pas sorti de Tokyo depuis plus d’un mois. Malgré les apparences, nous sommes toujours à Tokyo sur ces photographies, mais dans la partie Ouest au delà d’Hachiōji. Nous allons régulièrement dans cette région de Tokyo pour une raison familiale, et nous en profitons pour parcourir un peu les environs lorsqu’on le peut. En direction du village de Hinohara, nous nous arrêtons à Tokura situé à Akiruno. Un petit restaurant de soba avait attiré notre attention lors de recherches sur Internet et nous le trouvons sans trop de difficulté sur une petite route qui bifurque de la voie principale. Ce restaurant s’appelle Koharu Biyori (小春日和). Il doit avoir une bonne réputation car nous ne sommes pas les seuls à venir y manger. L’ambiance y est paisible et il faut prendre son temps car il y a seulement deux personnes tenant le restaurant, à la cuisine et au service. Je profite du temps d’attente un peu long pour faire un tour rapide des environs. Il n’y a personne en vue, même pas un chat. Seules quelques voitures passent de temps en temps mais le trafic est relativement limité. Le temps semble s’être arrêté ici. On se demande si la station service fonctionne toujours. De l’autre côté de la route, une grande distillerie de sake à ses portes fermées. Elle semble cependant encore active mais probablement fermée en cette journée de dimanche. Je ne suis pas un fanatique du calme absolu, mais sortir du centre de Tokyo pour être confronté au silence fait beaucoup de bien.

Mais revenons tout de même beaucoup plus près du centre ville, pendant une autre journée cette fois-ci pluvieuse. A Ikejiri dans l’arrondissement de Setagaya, se déroule actuellement une exposition que je ne voulais pas manquer sur le monde cinématographique du réalisateur Shunji Iwai (岩井俊二) dans la petite galerie nommée OFS Gallery. Cette exposition s’appelle Yentown Market (円都市場) et propose également un espace de vente avec quelques articles liés aux films de Shunji Iwai, comme des CDs, livres, t-shirts, posters. L’exposition et les objets de la boutique se concentraient principalement sur quelques films, à savoir Kyrie no Uta (キリエのうた), All about Lily Chou-Chou (リリイ シュシュのすべて), Love Letter (ラヴレター ) ou encore A Bride for Rip Van Winkle (リップヴァンウィンクルの花嫁). Le nom de cette exposition, Yentown Market, reprend en fait le nom du groupe Yentown Band créé par Takeshi Kobayashi (小林武史) et Shunji Iwai à l’occasion du film Swallowtail Butterfly (スワロウテイル) avec Chara au chant. Devant une série de posters grand format, on pouvait voir des tenues et accessoires utilisés dans le film Kyrie no Uta par Kyrie, jouée par AiNA The End (アイナ・ジ・エンド), et par Ikko, jouée par Suzu Hirose (広瀬すず). L’exposition montre également différents objets utilisés pour le film All about Lily Chou-Chou sorti en salles en 2001, dont le CD de l’album Erotic (エロティック) de la chanteuse Lily Chou-chou, sorti après un premier EP intitulé Jewel (ジュエル). Le CD de l’album Erotic, exposé à côté d’un CD Walkman Sony jaune, apparaît dans le film mais il est en fait fictionnel tout comme sa chanteuse. Il faut savoir que Shunji Iwai a développé tout un monde fictif autour de son film, et ce même avant la sortie du film. Une grande partie du film est ponctué par des messages tirés d’un forum internet de type BBS appelé Lilyholic consacré à la chanteuse Lily Chou-Chou. Ce forum administré dans le film par Yūichi Hasumi, interprété par Hayato Ichihara (市原隼人) existait en fait avant le film. Il a été créé par Shunji Iwai et continue même à exister maintenant, car des visiteurs continuent à y poster des messages. Ce forum brouille les pistes entre la fiction et le réel et il en est de même pour la musique. Dans le film, le second album de Lily Chou-Chou s’intitule Kokyū (呼吸). Cet album est bien sorti dans la réalité à la suite du film avec ce même titre mais les titres sont pour certains différents. Il y a donc deux albums intitulés Kokyū, un fictif sorti dans le film par la chanteuse Lily Chou-Chou et un autre bien réel sorti par le groupe Lily Chou-Chou. La musique de ce groupe qu’on peut écouter en partie dans le film est composée par Takeshi Kobayashi avec certains textes de Shunji Iwai. Salyu, de son vrai nom Ayako Mori (森綾子), qui n’avait pas encore fait ses débuts à la sortie du film, est la chanteuse du groupe. Outre l’album Kokyū, le groupe a sorti les singles Glide (グライド) et Kyōmei (Kūkyo na Ishi) (共鳴(空虚な石)) qu’on retrouve dans l’album, puis, presque dix années plus tard, en 2010, un nouveau single intitulé Ether (エーテル). A cette époque là, le guitariste Yukio Nagoshi a rejoint le groupe Lily Chou-Chou pour accompagner Takeshi Kobayashi et Salyu. Un concert a même lieu au Nakano Sun Plaza le 15 Décembre 2010. On peut voir ce concert en intégralité sur YouTube, mais sur une page non-officielle (je me demande s’il est sorti en DVD). Dans l’exposition, on peut voir des billets de concert, mais il ne s’agit pas du concert réel à Nakano Sun Plaza, mais celui fictif dans le film au Gymnase Olympique de Yoyogi. Sur une étagère de l’exposition, derrière le téléphone portable de type garakei de la collégienne Shiori Tsuda jouée par Yū Aoi (蒼井優) dont c’est le premier rôle, on peut voir par contre la couverture du single réel Kyōmei (Kūkyo na Ishi) du groupe.

La construction du nom de scène Lily Chou-Chou est très intéressante. Son véritable nom dans le film est Keiko Suzuki (鈴木圭子) et elle est née le 8 Décembre 1980, qui se trouve être le jour de l’assassinat de John Lennon. Cette information sur sa date de naissance est mentionné dans le film sur le forum BBS, mais je ne suis pas sûr que son véritable nom soit donné. Le 8 Décembre est également la date du concert anniversaire à Yoyogi que je mentionnais ci-dessus. On dit que les parents de Keiko Suzuki étaient amateurs de Claude Debussy et que c’est également son cas. Elle estime qu’il était la première personne à transformer l’Ether en musique (エーテルをはじめて音楽にした人). Ce concept d’Ether qui intervient beaucoup dans le film est assez mystique. Il représente une force musicale intrinsèque, invisible et omniprésente, qui relie ceux qui la saisissent. J’arrive à comprendre cette force inexplicable que la musique peut provoquer parfois en nous au point d’accaparer tous nos sens. Le nom Lily Chou-Chou est tiré de deux surnoms liés à Claude Debussy. Sa première épouse s’appelait Marie-Rosalie Texier et était surnommée Lilly. La fille de Debussy avec sa deuxième femme, Emma Bardac, s’appelait Claude-Emma Debussy, et était surnommée Chouchou. Debussy est d’ailleurs omniprésent dans le film à travers sa première Arabesque, composée en 1890, souvent jouée au piano par la collégienne Yōko Kuno interprétée par Ayumi Ito (伊藤歩). All about Lily Chou-Chou est un de ses films possédant leur propre monde qu’il est passionnant de découvrir, mais c’est surtout un film de sensations. Le morceau Arabesque (アラベスク) joué dès les premières images du film dans un champs d’herbes hautes dans la campagne d’Ashikaga est riche en émotions, nous ramenant à des moments passés de notre propre adolescence, ceux remplis de doutes et parfois de malaises. Ce morceau dont le titre seulement est inspiré par Debussy me bouleverse à chaque écoute mais je n’ai de cesse d’y revenir, comme s’il me permettait d’explorer une partie enfouie de moi-même. Cette musique mélancolique magnifiquement interprétée par Salyu dans un dialecte d’Okinawa pousse clairement à une forme d’introspection, comme peuvent l’être d’ailleurs certains morceaux d’Ichiko Aoba (青葉市子). Je pense en particulier à des morceaux comme Porcelain et Dawn in the Adan sur son album Adan no Kaze (アダンの風). Est ce qu’Ichiko Aoba possède l’Ether? Oui, sans aucun doute, même si cette question n’a peut-être pas beaucoup de sens. Shunji Iwai l’aura très certainement reconnu comme telle car ils se sont produits ensemble sur la scène de la salle de concert WWW à Shibuya pour les besoins d’une émission télévisée sur la chaîne musicale câblée Space Shower TV. Cette émission proposait un dialogue entre mémoire et création entre Ichiko Aoba et Shunji Iwai (青葉市子と岩井俊二、記憶と創作のダイアローグ). Shunji Iwai jouait du piano et Ichiko Aoba chantait et jouait de la guitare sur trois morceaux: Uwoaini (ウヲアイニ) composé par Shunji Iwai pour son film Hana and Alice (花とアリス), Adan no Shima no Tanjō-sai (アダンの島の誕生祭) composé par Ichiko Aoba sur son septième album Adan no Kaze (アダンの風) et Arabesque (アラベスク) écrit par Shunji Iwai et composé par Takeshi Kobayashi pour All about Lily Chou-chou. L’interprétation d’Arabesque est vraiment très belle, pas aussi prenante que la version originale chantée par Salyu, mais on en est tout proche. La sensibilité que dégage Ichiko Aoba dans son chant est tout à fait remarquable. L’émission comprend également une longue interview dans lequel Ichiko Aoba évoque sa découverte du film All about Lily Chou-chou à l’âge de 14 ans et l’influence qu’il a eu sur elle. L’album Adan no Kaze est également longuement évoqué, notamment l’influence des îles d’Okinawa. S’il devait y avoir un film intitulé Adan no Kaze, il aurait certainement été réalisé par Shunji Iwai. Pour revenir au concept de l’Ether, le film restait assez flou sur le cas de Sheena Ringo comme je le montrais sur des captures d’écran dans un billet évoquant le film. La question a été éludée récemment par un tweet de Shunji Iwai confirmant en anglais que « Ringo has the beautiful ether! » alors qu’on l’avait interpellé sur le sujet. Je me suis alors demandé quel album ou quel titre pouvait le mieux correspondre à ce concept d’Ether. J’ai d’abord pensé à des morceaux de l’album KSK, mais la réponse se trouve plutôt sur l’album précédent Shōso Strip (勝訴ストリップ) car on y trouve le morceau Benkai Debussy (弁解ドビュッシー, Excuse Debussy). Elle raconte dans le numéro 14 de son magazine RAT que ce titre lui est venu sur un coup de tête, alors qu’on lui demandait quel était son artiste préféré. Le fait de mentionner Claude Debussy comme artiste préféré a suscité des interrogations des gens autour d’elle. En conséquence de quoi elle s’est elle-même demandée s’il fallait une explication ou une excuse pour aimer Debussy. Le titre est dérivé de ce questionnement. Peut-être aime t’elle le morceau Arabesque de Claude Debussy? Ce point en commun avec la chanteuse Lily Chou-chou est en tout cas étonnant.

Dans la petite boutique de la galerie OFS, j’achète en souvenir le livret du film Kyrie no Uta, contenant des interviews et de nombreuses photographies du film. En rentrant le soir, je me rends compte qu’AiNA a également dû y aller la même journée que moi car elle montrait des photos de la galerie sur sa storyline Instagram. L’exposition montre également quelques objets tirés du premier film de Shunji Iwai, Love Letter. Le film a eu beaucoup de succès à sa sortie en 1995 et ce succès s’est ensuite étendu en Asie. C’est un film que j’avais en tête de voir depuis un petit moment, mais je ne l’ai finalement vu que très récemment après mon passage à l’exposition. Il a été en grande partie tourné à Hokkaidō, dans la ville d’Otaru, et les images hivernales de terres enneigées y sont très belles tout comme l’histoire qui contient déjà certains thèmes récurrents du réalisateur comme la dualité de l’actrice principale. L’actrice Miho Nakayama y joue en effet deux rôles, celui de Hiroko Watanabe qui a perdu son fiancé dans un accident de montagne deux années auparavant et celui d’Itsuki Fujii qui a étrangement exactement le même nom et prénom que son fiancé disparu. L’histoire se construit sur une correspondance par lettres, comme sur un de ses films plus récents Last letter. Hiroko Watanabe envoie une première lettre à l’adresse d’enfance de son ancien fiancé en pensant qu’elle arriverait peut-être jusqu’au paradis, mais c’est la femme Itsuki Fujii qui la reçoit car elle habite dans la même ville et lui répond. Un lien d’amitié rempli d’interrogations se noue entre les deux femmes (qui, je le répète, sont toutes les deux interprétées par Miho Nakayama). On comprend assez rapidement que la femme Itsuki Fujii et l’ancien fiancé Itsuki Fujii étaient en fait dans la même classe de collège, et Hiroko essaie donc d’en savoir plus sur l’enfance de son ancien fiancé en posant de nombreuses questions à Itsuki Fujii dans ses lettres. Cette correspondance vient petit à petit creuser dans la mémoire d’Itsuki Fujii, et la frontière entre les histoires des deux femmes se rapprochent, accentuée par leur ressemblance physique troublante (car je le répète, elles sont jouées par la même actrice). L’histoire peut paraître assez embrouillante mais elle est racontée de manière simple et particulièrement émouvante. J’aime par dessus tout les moments de plénitude qui se dégagent de ce film, et des films de Shunji Iwai en général.

Écrire ce billet m’a poussé à réécouter plusieurs fois l’album Kokyū (呼吸) de Lily Chou-Chou. Sur la couverture de l’album, je me demande si c’est bien Salyu que l’on voit photographiée de dos dans les hautes herbes. Cette photographie de Kazuaki Kiriya (紀里谷和明) est superbe. J’aime aussi beaucoup la photographie de couverture de l’album-compilation Merkmal de Salyu. Cette photographie signée du photographe Kazunali Tajima (田島一成) me rappelle mes propres photographies jouant avec les nuages, notamment celle en page 69 de mon photobook In Shadows ou celle du billet intitulé Structure and Clouds. Les photographies du livret de Merkmal datant de 2008 sont antérieures aux miennes. Je ne connaissais pas cet album à l’époque où j’ai créé mes propres compositions photographiques, quelques années plus tard en 2011. J’ai en fait découvert cet album grâce à un billet récent de mahl sur son blog. De cet album, je connaissais déjà quelques morceaux car deux sont extraits de l’album Kokyū: Hōwa (飽和) et Glide (グライド). Elle reprend également en solo le morceau to U qui l’a fait connaître du grand public. C’est peut-être dû au fait qu’il s’agit d’une compilation, mais je trouve cet album inégal. Certains morceaux comme landmark et Yoru no Umi Tōi Deai ni (夜の海 遠い出会いに) sont absolument fabuleux, tout comme Dramatic Irony et I BELIEVE. Ces morceaux qui se suivent sur l’album forment un passage particulièrement poignant. Salyu y a une voix particulièrement expressive et la partie finale de I BELIEVE est particulièrement puissante. L’album est accompagné d’un DVD avec un concert plutôt intimiste au Motion Blue Yokohama (datant du 17 Septembre 2008) pendant lequel elle interprète les morceaux landmark et Yoru no Umi Tōi Deai ni avec une orchestration légèrement différente. On ne peut que rester immobile en écoutant cette voix monter progressivement en intensité. Une bonne moitié de l’album paraît plus fade par rapport à ces quelques morceaux dont l’intensité émotionnelle ne peut pas laisser indifférent. Le morceau to U en solo est par exemple beaucoup moins intéressant en solo sans la voix de Kazutoshi Sakurai. J’aime aussi beaucoup le morceau VALON-1, car elle semble chanter avec un ton de décalage sur la totalité du morceau. Takeshi Kobayashi compose les musiques de cet album, tout comme celles des précédents. C’est d’ailleurs Takeshi Kobayashi qui l’a découverte et qui lui a donné son nom de scène, qui serait apparemment une allusion au mot français « Salut ». Takeshi Kobayashi et Shunji Iwai commençaient à ce moment là l’écriture des morceaux de Lily Chou-chou. Pendant le concert de Lily Chou-chou le 15 Décembre 2010 à Nakano Sun Plaza, certains morceaux solo de Salyu étaient interprétés. Elle chante pendant ce concert là et sur le DVD de Merkmal une version différente, en anglais, du morceau Arabesque. Le concert du Nakano Sun Plaza termine avec le morceau Glide comme sur l’album Kokyū et la compilation Merkmal, sauf qu’elle ne chante que le début. Les paroles inscrites sur grand écran prennent ensuite le relais: just fly so far away to another place.

come back to life in the countryside

En cette journée ensoleillée de Samedi, je marche pendant plus d’une heure et demi jusqu’à la branche de Tokyo du temple Toyokawa Inari (豊川稲荷東京別院) située à Akasaka-Mitsuke. Nous avions visité il y a trois ans déjà le temple principal qui se trouve dans la ville de Toyokawa à l’Est de la préfecture d’Aichi. La branche de Tokyo est beaucoup plus petite que l’immense ‘maison-mère‘ à Toyokawa, mais elle n’en reste pas moins dense, mélangeant les symboles du bouddhisme auquel le temple se rattache et d’autres provenant du shintoïsme comme ces nombreuses représentations du dieu renard Inari. Il s’agissait d’une journée faste et les personnes qui savaient étaient présentes en nombre dans l’enceinte du temple. Il fallait même attendre une trentaine de minutes pour se voir écrire sur son carnet le sceau goshuin du temple. Il fallait également attendre une bonne demi-heure pour pouvoir acheter des Inarizushi (昔ながらいなり寿司) à emporter dans le petit magasin datant de l’ère Meiji, à l’intérieur même de l’enceinte du temple. C’était donc la ‘mission’ du jour qui m’a pris un peu plus de temps que la matinée comme initialement prévu. J’aime en tout ce genre de missions qui me permettent au passage de prendre en photo mon environnement et de le restituer ici.

Le film Cache-cache pastoral (田園に死す) de Shūji Terayama (寺山修司), sorti en 1974, m’a tellement fasciné que je l’ai regardé plusieurs fois et je ne peux m’empêcher de garder en mémoire sur cette page plusieurs images extraites du film. Shūji Terayama (寺山修司) était un poète, écrivain, dramaturge et réalisateur japonais d’avant-garde, provocateur et expérimental. Originaire de la préfecture d’Aomori, il la quittera à l’âge de 29 ans pour Tokyo. Il mourra jeune à l’âge de 47 ans en Mai 1983, mais a laissé derrière lui une œuvre importante dont plus de deux cents livres et une vingtaine de films, dont Cache-cache pastoral. Je suis depuis longtemps intrigué par ce film ou plutôt par sa bande originale composée par le musicien et compositeur de musiques de film J. A. Seazer (J・A・シーザー). On voit également son nom orthographié en Julious Arnest Caesar, mais il s’agit bien entendu d’un nom d’emprunt. Le véritable nom de J. A. Seazer est en fait Takaaki Terahara (寺原孝明). Il collabore avec Shūji Terayama sur de nombreux films jusqu’à la mort de ce dernier. Ce nom des plus étranges m’a d’abord intrigué d’autant plus que je l’ai souvent vu dans les rayons des différents magasins Disk Union de Tokyo, car il est situé juste après Sheena Ringo dans l’ordre de classement alphabétique (à la syllabe シ). J’avais en fait déjà mentionné le nom de J. A. Seazer alors que j’évoquais la vidéo du morceau Ogre du groupe Black Boboi, composé par Utena Kobayashi (小林うてな), Julia Shortreed et Ermhoi. Le danseur nommé Yuta Takahashi (髙橋優太) que l’on voit dans cette vidéo fait en fait partie d’une troupe appelée Engeki-Jikkenshitsu ◎ Ban’yū Inryoku (演劇実験室◎万有引力) qui est dirigée par J. A. Seazer. Il a désormais 75 ans et semble toujours actif au sein de cette troupe. L’ambiance musicale reprenant de nombreux éléments du folklore japonais est une partie intégrante de la force d’évocation et du magnétisme du film de Shūji Terayama. L’histoire de Cache-cache pastoral est de premier abord relativement simple. On nous raconte l’histoire d’un jeune garçon tombant amoureux de sa voisine plus âgée que lui et décidant de partir loin avec elle en laissant sa mère seule derrière lui. Le décor est celui d’un village d’une campagne japonaise semblant très retirée des villes. Mais les choses étranges et imprévisibles sont nombreuses, et ceci dès le tout début du film. Le jeune garçon, comme une grande majorité des personnages du film, a le visage grimé de couleur blanche comme dans le théâtre kabuki. A l’intérieur de la maison familiale sombre dans laquelle le jeune garçon vit avec sa mère, l’horloge est détraquée et sonne toutes les secondes, comme pour représenter l’impatience du jeune garçon d’entrer à l’âge adulte. En dehors du village, se dresse une montagne terrifiante, aride et volcanique, qui est le domaine des exclus. Une femme vêtue d’un yukata rouge y vit. Après la naissance de son bébé, elle descend au village pour le montrer avec fierté à ses habitants. Mais ce nouveau né semble déjà mort né et il est vite considéré comme démoniaque par des sorcières vêtues de noir semblant porter une sagesse ancestrale. Un cirque très étrange est installé près du village. On y devine une débauche et ce domaine de l’interdit attire bien sûr le jeune homme malgré lui. Les liens entre ces scènes, qui à la fois nous attirent et nous repoussent, sont assez flous, comme peuvent l’être des souvenirs qui nous reviennent par morceaux. Chaque plan du film constitue un décor onirique qui est accentué par les tons et couleurs appliqués à la pellicule. Ces images sont belles et fascinantes, souvent difficiles à comprendre. Et soudain le film s’arrête. On comprend qu’on assiste en fait à la projection d’un film en cours de création. Le réalisateur y raconte son histoire lorsqu’il était jeune garçon, mais ses souvenirs sont embellis et il doute de la réalité qu’il met en image. Commence alors un dialogue entre le réalisateur et lui-même lorsqu’il était le jeune garçon de son film. On les voit ensemble sur scène et le réalisateur vient confronter sa mémoire à son moi enfant. Le film reste certes difficile à expliquer, mais outre la réflexion sur le temps et la mémoire, il s’agit surtout d’un film expérience dont la beauté conceptuelle et les sensations ne peuvent pas laisser indifférent. Et écouter la bande originale de J. A. Seazer est un bon moyen de continuer cette expérience.

Cache-cache pastoral (田園に死す) est basé sur une collection de poèmes écrits par Shūji Terayama et contient des éléments autobiographiques sur son enfance. Le village du film se trouve au pied du Mont Osore (恐山) dans la péninsule de Shimokita, dans le préfecture d’Aomori où Terayama est né. Le temple Bodaiji (菩提寺) situé sur cette montagne est d’ailleurs représenté plusieurs fois dans des scènes du film (comme sur l’image extraite ci-dessus). On dit dans le film que la montagne est terrifiante. C’est un qualificatif que l’on donne au Mont Osore (la montagne de la peur) en raison de son terrain volcanique inhospitalier et la forte odeur de soufre qui pénètre l’air. On dit que le Mont Osore est une entrée vers l’autre monde, car son environnement ressemble aux descriptions qui sont faites dans les textes bouddhistes, avec une rivière, Sanzu no Kawa (三途の川), qui doit être traversée par les esprits défunts. Cette rivière est similaire à la rivière Stix dans la mythologie grecque. Pendant un festival annuel au mois de Juillet, ceux qui ont perdu des proches peuvent tenter de communiquer avec les défunts à travers des médiums, des femmes aveugles que l’on appelle Itako. Dans le film Cache-cache pastoral, on voit le jeune garçon tenter de dialoguer avec son père défunt par l’intermédiaire d’une femme Itako sur le Mont Osore. Shūji Terayama a lui-même perdu son père alors qu’il était jeune, à l’âge de 10 ans. Son père est mort en 1945 en Indonésie lors de la Guerre du Pacifique. On reconnait ainsi des correspondances autobiographiques lors de certaines scènes. Le Mont Osore à Aomori est un des hauts lieux du Bouddhisme japonais tout comme le Mont Koya (高野山) dans la préfecture de Wakayama près de Nara et le Mont Hiei (比叡山) dans la préfecture de Shiga. Je garde un souvenir particulier du Mont Hiei perdu dans une brume légère. Lire sur le Mont Osore me donne maintenant très envie de le découvrir, même s’il est très loin de Tokyo.

Terminons avec quelques liens internet pour voir le film Cache-cache pastoral, avec une version japonaise et une autre avec sous-titres anglais. On peut écouter les musiques du film par J. A. Seazer sur une page YouTube. En explorant un peu la discographie de J. A. Seazer, je découvre une couverture illustrée qui m’est tout de suite familière. Un coffret de plusieurs CDs et DVD intitulé Shintokumaru (身毒丸) prend comme couverture une illustration de Takato Yamamoto (山本タカト) prenant le même nom. Elle est visible dans le livre Japonesthétique que j’ai justement récemment acheté. Ce rapprochement inattendu est pour moi très intriguant. J’en parlerais très certainement de ce livre d’illustrations dans un prochain billet.

sonatine pour l’inconnu

Je me demande parfois s’il faut mieux montrer les choses ou seulement les suggérer. Sur une photographie, il peut se passer une multitude de choses que l’on ignore bien qu’on les voit. Que se passe t’il derrière les zones d’une photographie que l’on cache volontairement? Il s’y passe de nombreuses choses ou un néant absolu. Les choses que l’on voit nous laisse souvent imaginer les choses que l’on ne voit pas. Les choses que l’on ne voit pas semblent forcément plus interessantes que celles que l’on voit, mais qu’en est il réellement? La petite musique de l’inconnu nous attire inexorablement même si j’essaie parfois de l’ignorer. L’espace inconnu devant moi est vaste et sans limites apparentes. Je le parcours pendant de nombreuses années que je préférerais ne pas compter et j’essaierais toujours de montrer ici ce que je suis en mesure d’y découvrir.

J’ai fait quelques séances récentes de rattrapage des derniers films de Quentin Dupieux. J’ai visionné trois de ses derniers films à la suite, suivant les conseils de ma petite sœur. On se conseille en fait mutuellement les films du réalisateur car on a le même goût pour l’absurde en cinéma, et on aime en parler après par messages intercalés. Et Quentin Dupieux est un spécialiste de cet absurde qui nous fait souvent rire ou nous interroge. Depuis que j’ai vu son film Réalité en 2015, son univers bizarre me passionne. J’avais beaucoup aimé ses films suivants, Au poste ! et Le Daim, et je découvre maintenant Mandibules qui atteint d’autres sommets dans l’absurde. C’est toujours difficile d’être en mesure de raconter l’histoire des films de Quentin Dupieux sans trop en dévoiler et donc gâcher les effets de surprise. Il ne faut pas se laisser décourager par les affiches des films qui sont en général volontairement kitsch. Savoir que le film Mandibules, sorti en 2020, raconte l’histoire de deux demeurés, prenant la vie comme elle vient, se mettre en tête de dresser une mouche géante trouvée dans un coffre de voiture, peut laisser interrogateur. On se demande où Quentin Dupieux va trouver toutes ces idées et ses idées sont à chaque fois servies par un jeu d’acteur et d’actrice exceptionnel. Grégoire Ludig (Manu / Fred) et David Marsais (Jean-Gab) sont excellents de naturel dans leurs rôles de simple d’esprit et Adèle Exarchopoulos (Agnès) est assez prodigieuse. L’histoire d’Incroyable mais vrai, son film suivant sorti en 2022, tourne autour d’une maison possédant un pouvoir très particulier que l’on découvre au fur et à mesure du film. Là encore, le jeu d’Alain Chabat, Léa Drucker, Benoît Magimel et Anaïs Demoustier est excellent. Le film nous amène à des réflexions. Je le trouve un peu moins passionnant que Mandibules, mais ça n’enlève rien au fait qu’on est scotché devant son écran dans l’impossibilité de prédire quelle direction le film va prendre. Son dernier film Yannick, sorti en 2023, est très différent, prenant une direction plus réaliste et s’échappant de l’imaginaire absurde. Le film est porté magistralement par Raphaël Quenard jouant le rôle de Yannick, se levant dans une salle de théâtre pour se plaindre du jeu des acteurs. Ce personnage est à la fois effrayant et touchant, et on ne sait plus comment l’entrevoir au fur et à mesure que le film avance dans son histoire en huis-clos. Il faut noter que les films de Quentin Dupieux sont toujours très courts, environ une heure, et se regardent donc comme des petits épisodes nous faisant divaguer dans un univers décalé, le temps de quelques instants avant de revenir dans notre monde réel décidément bien normal.

Me rendre compte que D.A.N. avait composé et arrangé un des morceaux que je préfère de Daoko m’a donné l’envie irrésistible de revenir vers la musique du groupe. Je ne connaissais en fait que leur superbe dernier album NO MOON, sorti en Octobre 2021, que j’aime régulièrement écouter en partie ou en intégralité. Alors que je cherchais au Disk Union de Shin-Ochanomizu l’album anima de Daoko, je trouve à la place à la syllabe た, le deuxième album de D.A.N. intitulé Sonatine et sorti en Juillet 2018. Depuis que j’ai découvert NO MOON, j’ai hésité à continuer l’écoute de leur musique sur d’autres albums car j’avais une fausse perception que les deux albums précédents du groupe ne pouvaient pas être aussi bons que leur dernier. Sonatine n’atteint certes pas tout à fait le niveau de maturité de NO MOON, mais il est clairement dans la même veine. La voix de Daigo Sakuragi est magnifique de sensibilité, presque divine par moment, et les compositions musicales oscillent avec perfection entre des ambiances flottantes et d’autres beaucoup plus rythmées. J’aime particulièrement quand la musique de D.A.N. joue sur la longueur comme sur Sundance ou Borderland. Il y a plusieurs interludes purement instrumentaux plus ou moins longs avec des scènes atmosphériques qui me rappellent un peu celles qu’on peut entendre sur certains morceaux de Burial. L’ambiance y est par contre moins sombre. Le morceau Pendulum est un des plus aboutis de l’album, et compte avec le suivant Replica, parmi ceux que je préfère de l’album. Dans son ensemble, cet album est moins marquant que NO MOON mais possède une beauté diffuse qui nous accroche sans forcer le trait, car l’émotion qui s’en dégage est palpable.

ゆく年くる年

La fin d’année est toujours l’occasion de regarder les statistiques de Made in Tokyo. Le nombre de visites cette année a été bien supérieur à l’année dernière. Avec plus de 19000 visites sur l’année entière, soit environ 50 visites par jour, le blog retrouve un niveau similaire à celui de 2016. Ce n’est pourtant pas dû à un nombre croisant de billets publiés car j’en ai écrit environ 130 cette année par rapport aux 155 de l’année dernière et aux 166 de 2021. Si on compare à l’année 2016, je n’écrivais à l’époque que 35 billets par an pour un total d’environ 13000 mots. J’écris dix fois plus cette année avec plus de 127000 mots sur la totalité des billets. Je me répète beaucoup ceci étant dit, les visiteurs réguliers l’auront peut-être remarqué. Made in Tokyo compte en tout 2336 billets, depuis sa création en 2003, et il fêtait cette année ses vingt ans. Il y a en tout 4943 commentaires, qui doivent tout de même inclure mes réponses. Je me demande par quelle magie WordPress arrive à gérer autant de billets et de commentaires, et je m’attends à ce que la machine casse un jour ou l’autre. Je prierais sans doute demain au sanctuaire pour que ça n’arrive pas. Atteindre les 5000 commentaires sera peut-être le déclencheur d’un détraquage de la machine, donc je conseille aux visiteurs de ne pas trop commenter.

La deuxième photographie du billet a été prise à Azabudai Hills, le tout nouveau complexe de Mori Building. Nous y sommes allés le soir pour voir le marché de Noël, mais il fallait s’inscrire à l’avance et il y avait foule. Azabudai Hills n’est en fait pas complètement ouvert et notre petit tour a été plus court que prévu. Je voulais également voir les installations appelées « Hello Again » consacrées aux capsules de la tour Nakagin de Kisho Kurokawa au Department Store Ginza6. Une capsule était posée à l’entrée du grand magasin. On pouvait voir l’intérieur à travers le hublot. Deux chaises étaient disposées à l’intérieur avec une série de disques vinyles de musique de Noël. Je me demande si Merry Christmas Mr Lawrence de Ryuichi Sakamoto, que l’on aperçoit à l’intérieur, se qualifie bien comme une musique de Noël. Sur le toit de Ginza6, une patinoire était installée temporairement avec une étrange installation inspirée par la tour Nakagin. Cette installation assez kitsch ressemblait à un vulgaire assemblage en carton et ne valait pas le déplacement. En voyant ces démonstrations d’appréciation et d’admiration envers la tour Nakagin, je me dis qu’il aurait été préférable d’essayer de la conserver en la renforçant ou en remplaçant la structure de base en enlevant les capsules, pour les rénover et les replacer ensuite. La tour aurait pu par exemple devenir un magnifique et emblématique espace de galeries d’art. Le Japon a parfois un peu de mal à reconnaître ses propres trésors.

J’étais très agréablement surpris de voir des œuvres de Shigeki Matsuyama (松山しげき) présentées dans la galerie d’art Foam Contemporary liée au magasin Tsutaya présent au même étage. J’avais vu les portraits de sa série Portrait of Dazzle dans la petite galerie Night Out à Shibuya, et on retrouvait quelques uns de ces portraits dans la galerie de Ginza6. Cette exposition intitulée Is this human being? (これは人間ですか?) s’y déroulait du 9 au 26 Décembre 2023. Le titre de cette exposition est inspiré par les questions que l’on peut voir régulièrement sur les sites web pour confirmer qu’on est bien une personne réelle et pas un robot BOT qui agit comme un être humain. Une des thématiques de cette exposition est de questionner la manière dont on appréhende les technologies de l’information, notamment la propagation des fausses nouvelles. L’oeuvre que je montre sur la photo de droite fait partie d’une nouvelle série intitulée Clipping qui vient s’inscrire dans ce thème des BOT. L’inspiration de cette œuvre a été construite par Shigeki Matsuyama à partir d’une conversation avec l’OpenAI ChatGPT en l’interrogeant comme point de départ sur le thème des fausses nouvelles qui peuvent influencer des événements politiques et sociaux. En évoquant les peintures montrant des scènes historiques à portée politique ou sociale, ChatGPT évoque quelques exemples comme la peinture El tres de mayo de 1808 en Madrid (1814) du peintre espagnol Francisco de Goya. De fil en aiguille et après consultations itératives de ChatGPT, Matsuyama décide d’utiliser une partie de cette œuvre de Francisco de Goya en se concentrant uniquement sur le peloton d’exécution. Cette fusillade représentant les horreurs de la guerre trace en quelque sorte un parallèle à la guerre moderne de l’information. La retransmission écrite complète de la discussion de l’artiste avec ChatGPT était disponible sur papier, ce qui m’a permis d’y revenir avec beaucoup d’interêt à tête reposée.

Je regarde beaucoup de films et drama japonais sur Netflix en ce moment, et j’ai particulièrement aimé Brush Up Life (ブラッシュアップライフ) qui était en fait d’abord diffusé sur la chaîne Nippon TV au début de cette année, du 8 Janvier au 12 Mars 2023 (et en rediffusion il y a quelques jours). Le comédien Bakarhythm (バカリズム), Hidetomo Masuno (升野英知) de son vrai nom, a écrit le scénario de cette histoire où l’actrice Sakura Ando (安藤サクラ) joue le rôle principal, entourée de Kaho (夏帆), Haruka Kinami (木南晴夏) et Haru Kuroki (黒木華), entre autres. Sakura Ando joue le rôle d’Asami Kondo (surnommée Ah-chin), une employée de bureau dans la ville de Kumagaya à Saitama, entourée de ses amies proches qu’elle a connu à l’école, Natsuki Kadokura (Nacchi) jouée par Kaho et Miho Yonekawa (Miipon) jouée par Haruka Kinami. Elle mène une vie tout à fait ordinaire qui semble lui satisfaire, jusqu’à un accident. Elle se fait reverser par un camion après une réunion avec ses amies, et on la voit ensuite juste après sa mort dans une salle toute blanche dans laquelle se trouve seulement une réception où se tient un homme (joué par Bakarhythm). Asami comprend alors qu’elle vient de mourir et l’homme de la réception lui fait part de ce qu’elle va devenir dans sa prochaine vie. Elle devra se réincarner en fourmilier géant, mais comme ce choix ne semble pas lui convenir, elle a également la possibilité de revivre la vie qu’elle vient de mener, et ce dès sa naissance. Toute la comédie de la situation démarre à ce moment, car elle garde en mémoire toute sa vie précédente. J’aime beaucoup l’actrice Sakura Ando et c’était une des raisons qui m’ont poussé à me lancer dans ce drama, en plus du fait de savoir que l’humour parfois surréaliste de Bakarhythm serait de la partie. J’aime beaucoup le naturel avec lequel se déroulent les situations, notamment les discussions entre les trois amies, et les enchevêtrements progressifs du scénario qui sont très bien amenés. J’étais même assez chagriné de me séparer des personnages à la fin de le série. Dans les drama, j’ai aussi regardé 30 Made ni to Urusakute (30までにとうるさくて) qui suit un groupe d’amies célibataires ayant 29 ans et qui subissent la pression du mariage qu’elles se donnent à elles-mêmes. Je connaissais deux des actrices: Hirona Yamazaki (山崎紘菜) et surtout Honami Satō (さとうほなみ) qui est le personnage principal de cette histoire. Honami Satō prend aussi le nom de Hona Ikoka (ほな・いこか) lorsqu’elle joue de la batterie dans le groupe Gesu no Kiwami Otome (ゲスの極み乙女) d’Enon Kawatani (川谷 絵音) ou dans le groupe éphémère Elopers de Sheena Ringo. La série aborde de nombreux sujets actuels comme l’égalité homme-femme au travail ou la diversité des identités sexuelles, d’une manière naturelle et sans forcer le trait. J’avoue que l’émotion m’a pris à plusieurs moments. J’ai aussi beaucoup aimé le film Ano Ko ha Kizoku (あのこは貴族), traduit en anglais en Aristocrats, réalisé par Yukiko Sode (岨手由貴子) et sorti en 2021. Le thème de départ du film est un peu similaire à la série mentionnée précédemment dans le sens où la protagoniste principale de l’histoire, Hanako interprétée par Mugi Kadowaki (門脇麦) a presque 30 ans et est toujours célibataire. Sa famille riche, d’une noblesse traditionnelle, cherche à la marier au plus vite. Sa famille lui arrange des rencontres avec des prétendants du même milieu social. Alors qu’elle pense avoir trouver l’homme de sa vie, Koichiro interprété par Kengo Kora (高良健吾), une deuxième femme entre en scène. Miki, interprétée par Kiko Mizuhara (水原希子), est d’une toute autre classe sociale, née d’une famille modeste de province. Elle est hôtesse et entretient une relation des plus ambiguës avec Koichiro qu’elle connaît depuis l’université. Le film montre ces milieux qui se croisent mais ne se mélangent pas, mais Hanako est un peu différente du milieu dans lequel elle vit et voudra rencontrer Miki. Je trouve l’interprétation de Mugi Kadowaki brillante, pleine de retenue et de nuances. Dans un style tout à fait différent, j’ai aussi apprécié le film Saigo Made Iku (最後まで行く) réalisé par Michihito Fujii (藤井 道人) et sorti en salle en Mai 2023. Il s’agit en fait de la version japonaise d’un film policier coréen intitulé Hard Day, sorti en 2014 et réalisé par Kim Seong-hoon. Yūji Kudō (工藤祐司) est un commissaire de police corrompu, interprété par Junichi Okada (岡田准一), acteur et membre du groupe V6, qui se trouve impliqué dans un accident alors qu’il se rend aux funérailles de sa mère. Il renverse un piéton qui s’avère être un criminel recherché par un collègue policier interprété par Gō Ayano (綾野剛). Le film se concentre sur la confrontation des deux hommes sur fond de corruption mafieuse. L’histoire est bien montée et l’atmosphère sombre est prenante. J’étais en fait curieux de voir le jeu des acteurs et je pense que Junichi Okada est meilleur acteur que chanteur, comme ses interventions télévisées me le laissaient présager. Malgré la noirceur, il y a tout de même un certain sens comique qu’Okada transmet assez naturellement. Il faut dire que les emmerdes s’accumulent tout d’un coup sur lui et il faut une imagination et un sang froid certain pour s’en sortir. En listant cette petite sélection, je me dis que je ne regardes pas assez de films et il faudra y remédier pour l’année qui démarre bientôt même si c’est au détriment du blog.

Je ne pouvais pas terminer ce billet sans une sélection musicale des morceaux que j’écoute en ce moment en boucle dans ma playlist. Le morceau Stateless de Gotch, accompagné par YonYon, au chant est une très agréable surprise. Le véritable nom de Gotch est Masafumi Gotoh et c’est le chanteur et guitariste du groupe Asian Kung-fu Generation, qu’on appelle également Ajikan (アジカン) en version courte. J’aime beaucoup leur albums Sol-fa (ソルファ) de 2004 et Fanclub (ファンクラブ) de 2006, mais je n’ai pas encore prolongé la découverte des autres albums du groupe. Il y avait également un single (触れたい 確かめたい) qu’Ajikan avait interprété en collaboration avec Moeka Shiotsuka dont j’avais déjà parlé ici. Le single solo Stateless a un rythme plus cool que ce que produit en général le groupe. Il y a une ambiance tranquille et des ondes positives dans la vidéo tournée à Jakarta en Indonésie, qui font plaisir à voir et à entendre.

Je n’ai pas encore acheté l’album Replica de Vaundy mais on l’écoute souvent dans la voiture sur Spotify grâce au compte du fiston. Les talents de composition musicale de Vaundy ne sont plus à démontrer et le nombre de singles qu’on trouve dans ce nouvel album est très important. Le dernier single en date s’intitule Carnival (カーニバル) et on peut le compter dans les meilleurs morceaux de cet album. La voix de Vaundy dans le refrain du morceau est assez exceptionnelle et vraiment marquante. Carnival sert en fait de thème musical à la série sur NetFlix Mitaraika Enjō suru (御手洗家、炎上する) avec Mei Nagano (永野芽郁), que j’ai justement commencé à regarder sans pour l’instant être très convaincu. La vidéo qui accompagne le morceau n’est apparemment pas directement liée à la série Netflix, mais c’est bien Mei Nagano que l’on voit dans cette vidéo.