sakura overload (un fleuve urbain)

Les sakura étaient cette année comme une belle princesse qui se fait attendre à une réception (ou comme une rockeuse en kimono qui tarde à monter sur scène). Les cerisiers en fleurs se sont fait attendre en arrivant beaucoup plus tard que d’habitude, et en bouleversant par la même occasion l’organisation des diverses festivités ponctuelles accompagnant leur arrivée. La floraison est aussi imprévisible qu’éphémère et on nous avait assez répété à la télévision que ce week-end était le moment ou jamais pour apprécier les cerisiers en fleurs cette année. On sait que pluie et vent nous attendent la semaine prochaine, et il faudra être stratégique pour pouvoir profiter pleinement des paysages fleuris avant le point de non-retour. Cette présentation de la situation semble bien dramatique mais il n’en est rien. Cela fait 25 ans que je vois des cerisiers en fleurs tous les ans et l’effet de surprise s’est quelque peu estompé. Malgré cela, nous restons tout de même comme hébétés devant la beauté de ces cerisiers quand ils sont à leur pic de floraison. Je me demande bien quel effet addictif ces arbres parviennent à nous transmettre. On ne se lasse pas de les regarder et on éprouve à chaque fois le besoin renouvelé de partir à leur recherche, que ça soit dans l’environnement urbain proche de nous ou dans les campagnes aux alentours de la ville. Nous essayons en général de profiter des deux. Et les Sakura ne sont jamais aussi beaux que quand ils se réunissent pour former des toits ou des tunnels. L’avenue Meiji entre les carrefours de Tengenjibashi et de Shibuyabashi est trop large pour que les cerisiers de chaque coté se rejoignent pour former un tunnel mais l’endroit n’est en pas moins magnifique en cette période. Les cerisiers sont ensuite plus petits et moins fleuris entre Shibuyabashi, au niveau de la salle de concert Liquidroom que je montre en photo, et la station de Shibuya. L’avenue Meiji est souvent le premier endroit où je vais admirer les cerisiers en fleurs et naviguer cette rivière urbaine en voiture est à chaque fois une belle expérience.

Et pour accompagner la beauté parfois oppressante des cerisiers, je sélectionne quatre morceaux à tendance hip-hop plus ou moins marquée. Je n’avais jusqu’à maintenant jamais vraiment eu l’idée d’écouter la musique du groupe Kroi. Je pensais, pour je ne sais quelle raison, que leur style musical n’était pas pour moi. Je me rends compte que c’était une erreur en écoutant le single Hyper sur un EP du même nom sorti en Octobre 2023. Kroi est un groupe de Tokyo créant sa musique en fusionnant les genres, entre rock et hip-hop mais aussi Funk, Soul et R&B. L’idée du groupe est de créer une nouvelle musicalité en mélangeant tous ces styles musicaux et c’est en fait la signification de leur nom de groupe. Kroi vient du mot Kuroi (黒い), « noir » en japonais, qui est la couleur résultante lorsque toutes les couleurs sont mélangées. Kroi a été fondé en 2018 par Reo Uchida (内田怜央), au chant et guitare, et Yūki Hasebe (長谷部悠生), à la guitare, accompagnés de Masanori Seki (関将典) à la basse, Hidetomo Masuda (益田英知) à la batterie et Daiki Chiba (千葉大樹) aux claviers. Le morceau Hyper que j’écoute en ce moment correspond tout à fait à cet esprit de fusion musicale. Le tout début du morceau commence par une guitare très lourde et la voix sombre de Reo Uchida me rappellerait presque le grunge hardcore d’Alice in Chains, mais l’ambiance du morceau change très vite avec une voix rappée et un rythme extrêmement dynamique mélangeant même les cuivres. Ce melting-pot musical a une construction certes atypique mais montre une très grande maîtrise. Ce style aux apparences chaotiques n’est pas sans me rappeler l’approche stylistique du Millenium Parade de Daiki Tsuneta. Je ne soupçonnais pas que Kroi créait une musique aussi dense et maîtrisée. On reste ensuite dans les ambiances hip-hop avec le morceau Jibun no Kigen ha Jibun de Toru (自分の機嫌は自分で取る) d’ASOBOISM, sur son album YOLO sorti en Août 2023. ASOBOISM est compositrice, interprète et rappeuse originaire de Totsuka dans préfecture de Kanagawa. Je connaissais son nom depuis quelque temps car elle évolue dans les cercles du hip-hop féminin proche d’Akko Gorilla (あっこゴリラ) et de Valknee dont j’ai déjà parlé sur ce blog. Akko Gorilla participe d’ailleurs au morceau d’ASOBOISM que j’écoute en ce moment avec une autre rappeuse nommée CLR. J’aime beaucoup les nappes musicales enveloppantes et vaporeuses de ce morceau et la manière dont la voix rappée d’ASOBOISM et des deux invités viennent s’y intégrer d’une manière parfaitement fluide. C’est un superbe morceau qui a même un petit quelque chose de relaxant. Le morceau de Valknee, Not For Me, de son premier album Ordinary sorti le 10 Avril 2024, a en comparaison une trame musicale de synthétiseur beaucoup plus agressive. J’ai toujours aimé cette approche sans concession mélangée à la voix rap tout à fait atypique de Valknee, mais j’avais un peu perdu le fils ces dernières années. J’aime beaucoup ce morceau, même si je ne suis pas certain d’écouter tout l’album. De l’album, le morceau Loose est très particulier dans sa manière de forcer les fins de phrases, mais démontre qu’elle maîtrise extrêmement bien son flot. Elle n’intègre pas de coréen dans ses morceaux, ce qui est un peu dommage car j’adore quand elle le mélange avec le japonais, mais elle garde un certain accent de Kanagawa. DAOKO vient de sortir un nouveau single Tenshi ga Itayo (天使がいたよ) qui est assez génial, très rythmé et dense musicalement dans une ambiance de néons que j’adore. Ce morceau sera à priori sur son cinquième album Slash-&-Burn qu’elle vient d’annoncer et qui sortira le 22 Mai 2024, accompagné d’une petite tournée de deux dates à Osaka et Tokyo en Juin à laquelle j’aimerais bien assister, si le fan club (dont je ne fais pas partie) ne raffle pas toutes les places. Vue qu’elle n’a pas sorti de nouvel album depuis quatre ans, avec Anima, j’imagine qu’il n’y aura pas beaucoup de places disponibles. Ça fait en tout cas plaisir d’écouter ce genre de morceaux où DAOKO semble trouver parfaitement sa place, à mi-chemin entre la J-POP mainstream et une approche musicale beaucoup plus indépendante.

あったかいね、半袖でいいかも

En photographies sur ce billet: les formes courbes de béton et de verre du building GUN-AN (軍庵) par Tadasu Ohe situé à Hiroo, celles plus angulaires d’un petit bâtiment de béton pour une agence publicitaire par Tadao Ando, un groupe de cyclistes dont un inhabituellement rétro passant en bas du grand cimetière d’Aoyama en direction du croisement de Nishi Azabu, la tôle angulaire aux airs de vaisseaux spatiaux du musée 21_21 Design Sight, toujours par Tadao Ando, posé dans le parc du complexe Tokyo Mid-Town, le tube métallique comme un grand vers survolant une partie de Nogizaka et des étranges visages derrière une vitrine d’Omotesando. Ces visages sont animés de mouvements robotiques et se trouvent à l’intérieur du vendeur de lunettes Gentle Monster dont je parlais avant son ouverture dans un billet récent. Il y a certains points de liaison entre les photographies de ce billet, que ça soit le béton brut, les surfaces métalliques ou les cyclistes qui traversent furtivement ces photographies. Plusieurs de ces photos évoquent une impression de futurisme qui se matérialise par la photographie finale de ces trois visages inquiétants.


AJICO a sorti le 13 Mars 2024 un nouvel EP de 6 titres intitulé Love no Genkei (ラヴの元型). C’est avec un plaisir non dissimulé qu’on accueille un nouvel épisode de leur aventure musicale. Le premier single reprenant le titre du EP frappe par sa coolitude maîtrisée entre les riffs merveilleusement accrocheurs de Kenichi Asai (浅井健一) à la guitare, l’omniprésente basse de TOKIE, la régularité impeccable de la batterie de Kyōichi Shiino (椎野恭一), et le chant particulièrement inspiré d’UA. Le morceau ne part pas dans les excès car le groupe semble très sûr de ce qu’ils veulent délivrer dans une maturité assumée. Par rapport à l’EP précédent Setsuzoku (接続) sorti en 2021 que j’évoquais à l’époque, il y a sur ce nouvel EP un meilleur équilibre entre les voix de UA et de Kenichi Asai. Le morceau d’ouverture Love No Genkei (ラヴの元型) est principalement chanté par UA mais Benji intervient dans les chœurs tandis que le deuxième morceau Attakaine (あったかいね) est principalement chanté par Benji avec UA dans les chœurs. Le cinquième morceau Kitty (キティ) est également interprété par Benji et sa décontraction cool y est remarquable. Ce morceau est un de mes préférés du EP. UA est beaucoup plus passionnée dans son chant, notamment sur le superbe Kotora ga Shuyaku ni Naranai (言葉が主役にならない), et sa voix est comme toujours très marquée. C’est le contraste entre les approches très différentes au chant de Kenichi Asai et de UA qui est un des grands intérêts du groupe. Et musicalement, c’est bien entendu très bien maîtrisé. C’est un EP que j’écoute très régulièrement ces dernières semaines, depuis sa sortie.

Je suis allé voir l’exposition MOMOPOLY (モモポリー), qui se déroulait du 17 au 24 Mars 2024 dans l’espace Spiral Garden à Aoyama, spécifiquement pour voir les photographies de Kotori Kawashima (川島小鳥) qu’on y montrait. J’avais déjà parlé de ce photographe dans mon billet au sujet de l’album Ne- Minna Daisuki Dayo (ねえみんな大好きだよ) de Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ), car la photographie de couverture est de ce photographe. Il s’agit d’une exposition couvrant plusieurs artistes et l’espace consacré aux photos de Kotori Kawashima était donc limité. On pouvait cependant voir quelques unes de ses très belles photographies dont certaines très connues de la série consacrée à la petite Mirai chan (未来ちゃん). Certaines des photographies montrées dans cette exposition ont été utilisées pour d’autres couvertures d’albums ou EPs de Ging Nang Boyz. Ses photographies se concentrent sur les portraits mais ceux-ci sont placées dans un environnement qui vient influencer les impressions que l’on a de ces visages. Il ne s’agit pas de simples portraits car ils nous racontent une histoire qu’on parvient à deviner comme si ces photographies étaient des éléments d’une vidéo.

laisser le béton

« Dis moi, tu connais Blockbusters? »
« Non, c’est quoi au juste? »
« C’est une émission de radio sur France Inter. Regardes, je te montre sur mon iPhone, il y a une appli qui permet d’y accéder facilement. Ça parle de culture pop des années 80 et 90. »
« Ah ouais, génial mais c’est en français, j’y comprends rien, laisses béton ».

J’écoute en ce moment assidûment le podcast Blockbusters de France Inter animé par Frédéric Sigrist, consacré à la culture pop de divers horizons. Cette émission me parle beaucoup car l’animateur a le même âge que moi et les thèmes qu’il sélectionne sont par conséquent très proches de ma propre culture pop. J’ai commencé à enchaîner les épisodes quand je me suis rendu compte en fouillant dans les archives qu’on y parlait du film Les Goonies (1985) réalisé par Richard Donner d’après une histoire écrite par Steven Spielberg. En écoutant cette émission, je me suis remémoré la première fois où j’ai vu le film, et ce souvenir reste encore très clair dans a mémoire. C’était une diffusion un vendredi soir sur Canal+ alors qu’un ami de la famille nous avait prêté son décodeur pendant ses vacances. Ma sœur et moi avions tellement aimé le film qu’on l’avait regardé dès le jour suivant pour une rediffusion. Une autre émission du podcast couvre la série Twin Peaks (1990-91). Je l’ai découvert bien après sa sortie alors que je vivais déjà à Tokyo. J’étais déjà amateur du cinéma de David Lynch après avoir été choqué par Lost Highway (1997) au cinéma, mais je n’ai acheté les DVDs des deux saisons de Twin Peaks que bien plus tard. Je me souviens avoir dévoré cette série avec Mari. On était tous les deux accrochés à l’ambiance si particulière de cette petite ville fictive de l’Etat de Washington. La troisième saison sortie beaucoup plus tard en 2017 était un autre choc. Cette émission Blockbusters m’a ensuite donné envie de revoir Lost Highway que j’ai en DVD à la maison. Une autre émission parle de la série culte Seinfeld (1989-1998), que l’on a découvert en France sur la chaîne Canal Jimmy disponible à l’époque par abonnement satellite. Canal Jimmy nous avait fait découvrir un grand nombre de séries américaines, car Friends (1994-2004) y passait également. Je me souviens également de la série Spin City (1997-2003) avec l’acteur Michael J.Fox en chef de cabinet du maire de New York. Mais Seinfeld avait vraiment un humour particulier où un épisode pouvait se construire sur un rien, comme par exemple un homme portant une cape en pleine rue. Blockbusters parle bien évidemment de manga et de films d’animation avec l’incontournable Neon Genesis Evangelion dont j’avais vu les épisodes lors de leur première diffusion en France sur Canal+ en 1998. Les manga et anime n’avaient pas encore la popularité actuelle. Dans Blockbusters, on nous parle également du manga sombre Gunnm de Yukito Kishiro que j’avais suivi dès le premier tome sorti chez Glenat en 1995. Je garde cette série de manga précieusement. C’est amusant de voir abordé dans ce podcast une bonne partie des films et séries qui ont marqué pour moi la deuxième partie des années 1980 et les années 1990. On y parle par exemple d’Arnold Schwarzenegger. J’ai eu ma période de films d’action basiques pendant mon adolescence que j’avais démarré avec Commando (1985), puis Predator (1987) bien avant Terminator 2 (1991), Total Recall (1990) et True Lies (1994). L’Arme Fatale (1987), bien entendu couvert dans ce podcast, avait également été marquant. J’avais commencé la série par le deuxième épisode (1989) vu sur Canal+, en adorant tout de suite l’ambiance mélangeant une noirceur certaine avec l’humour du buddy movie, le tout accompagné par un saxophone particulièrement marquant. On y parle beaucoup d’anime avec le monde de Rumiko Takahashi (Ranma 1/2, Ramu, entre autres) et bien sûr celui d’Hayao Miyazaki pour lequel une émission de 5h est consacrée ainsi qu’une autre sur les deux chefs d’oeuvres que sont Princesse Mononoke et Le voyage de Chihiro. Bon, il y a bien des sujets d’émissions plus récents qui ne me parlent pas du tout comme Taylor Swift, Aya Nakamura ou Orelsan, mais dans l’ensemble j’y trouve une correspondance assez bluffante avec ma propre culture pop. Le podcast évoque aussi souvent les jeux vidéos, mais c’est un domaine que je connais moins à part quand il s’agit de franchises historiques comme celles des jeux de combat Street Fighter ou Tekken, ou le fabuleux Prince of Persia qui avait été pour moi une révélation sur sa version Super Famicom (j’y jouais en version import japonais). Les musiques de ce jeu me restent encore maintenant gravées en tête tant j’y pu y jouer en répétant des dizaines et des dizaines de fois les mêmes mouvements. Le jeu était difficile mais extrêmement immersif. Je ne joue plus beaucoup aux jeux vidéos à part ceux emblématiques sur la Nintendo Switch (les derniers Zelda, Super Mario et Mario Kart), mais j’ai toujours regretté d’avoir loupé le coche de Nier Automata. Ce podcast me permet également de remplir quelques lacunes culturelles. Mais ce que j’apprécie particulièrement sur ce podcast est le ton de Frédéric Sigrist et de ses invités qui ne se veulent pas savants et démontrent une véritable passion pour leurs sujets. On n’essaie pas non plus de nous faire croire que la culture pop était mieux avant. La qualité de séries actuelles comme The Gentlemen de Guy Ritchie que je regarde en ce moment sur Netflix me fait dire que des nouvelles oeuvres cultes sont en train d’être diffusées en ce moment.

Outre le podcast ci-dessus, Nicolas me conseille également l’écoute du dernier single Bite you du jeune groupe muque, dont j’avais déjà parlé du single 456 sorti en Octobre 2023. Je n’avais pas vraiment poursuivi la découverte de la musique du groupe mais ce dernier morceau sorti le 26 Mars 2024 sur le label A.S.A.B. m’y ramène gentiment. Dès les premières cordes, on se laisse accrocher par le rythme du morceau, oscillant toujours entre l’approche rock et un beat pop très prononcé. Le groupe a cette capacité à créer des morceaux à la qualité pop immédiate, qui devraient les amener sur les ondes du mainstream un jour ou l’autre. D’autant plus que la voix d’Asakura est très affirmée et versatile, notamment dans un petit passage parlé au milieu du morceau qui fonctionne très bien.

Je ne sais plus par quel détour j’ai découvert l’excellent morceau Luv Myself de Kvi Baba avec AKLO & KEIJU, oscillant brillamment entre le hip-hop et la pop. En fait, depuis que j’ai écouté le morceau run away qu’AAAMYYY a chanté avec KEIJU lors de son concert Option C du 7 Mars 2024, j’ai l’envie de découvrir d’autres musiques sur lesquelles KEIJU intervient car j’aime beaucoup sa voix. Je ne connaissais pas le jeune rappeur et compositeur Kvi Baba originaire d’Osaka, qui mène ce morceau avec les deux autres rappeurs AKLO et KEIJU. Je ne connaissais AKLO qu’à travers le morceau RGTO, sur son album The Arrival de 2014, sur lequel il fait intervenir d’autres rappeurs: SALU, H.TEFLON et K DUB SHINE. La vidéo de ce morceau mentionne dans les remerciements T-Pablow et BAD HOP, et là s’ouvre une nouvelle porte vers un hip-hop japonais beaucoup plus badass (si vous me permettez l’expression).

BAD HOP est un collectif originaire du quartier d’Ikegami à Kawasaki et se compose de huit rappeurs: T-Pablow, YZERR, Tiji Jojo, Benjazzy, Yellow Pato, Bark, G-K.I.D et Vingo. J’écoute leur dernier album éponyme sorti en Février 2024 que je trouve excellent, notamment les deux morceaux Ikegami Boyz et Final Round. Je suis très loin d’être spécialiste du monde du hip-hop, mais je trouve que l’ambiance est proche du gangsta américain dans son approche musicale et dans les thèmes abordés. Le flot vocal et l’alternance des voix des rappeurs sont remarquables, par exemple, la manière mécanique par laquelle YZERR prononce les paroles « Knock out, Knock out, Knock out, Knock out床にKnock out » qui sonnent comme une série de coups de poing qui mettent à terre. Tous les morceaux ne sont pourtant pas tous sombres, comme Last Party Never EndSupercar2 mettant en avant la voix plus haut perchée de Toji Jojo qui apporte une alternative intéressante aux voix de tonalité plus grave de la plupart des autres membres du collectif. Du quartier industriel d’Ikegami à Kawasaki, la crew BAD HOP a gravi les échelons jusqu’au Tokyo Dome pour un concert le 19 Février 2024, qui est représenté par le premier morceau de l’album Tokyo Dome Cypher. BAD HOP a déjà sorti au moins cinq albums depuis 2014 et ce ne sont donc pas des nouveaux arrivants. Leur ascension jusqu’au Tokyo Dome démontre une popularité certaine auprès des amateurs de Hip-hop. A parmi les nombreuses collaborations de BAD HOP, j’y retrouve le nom de KEIJU sur certains morceaux. Une porte ouvre, je vais y entrer tranquillement sans faire de bruit.

君ならきっと大丈夫さ

L’étroit building de neuf étages sur les deux premières photographies se nomme Jimbochō SFI (神保町SFI) et se trouve comme son nom l’indique dans le quartier de Jimbochō. Il a été conçu par Nikken Sekkei en collaboration avec la société SEO Inc. établie en 1935 à Takaoka dans la préfecture de Toyama et spécialisée dans la fabrication de chaînes métalliques qui conduisent l’eau de pluie des toits vers un bassin au sol. On peut voir régulièrement ce genre de « rain chains » dans les temples ou dans certaines architectures plus modernes comme sur le Co-Op Kyosai Plaza, également conçu par Nikken Sekkei, à Kitasando. C’est un building que j’aime régulièrement prendre en photo. Sur le building Jimbochō SFI, SEO Inc. a conçu la façade très particulière composée d’une multitude de cylindres dans le but d’améliorer la performance environnementale du bâtiment. Cette façade dessinée pour conserver l’énergie se nomme Envi-lope01. Cette membrane ou enveloppe, posée au dessus de la surface du bâtiment se compose de cylindres de 180mm de diamètre de trois formats différents reliés entre eux sur une même ligne verticale par deux câbles métalliques permettant d’ajuster l’orientation des cylindres notamment dans les parties courbes du building. La profondeur des cylindres vient contrôler l’intensité lumineuse à laquelle est soumise le bâtiment en bloquant les champs lumineux obliques et en réduisant ainsi la température totale du building, tout en préservant sa ventilation frontale. J’ai pris ces quelques photographies à Jimbochō alors que j’espérais y voir courir les marathoniens de Tokyo pour le marathon du 3 Mars 2024. Je suis malheureusement arrivé un peu trop tard et la course était déjà terminée à cet endroit. J’ai donc marché à toute vitesse, sans rattraper les coureurs, jusqu’à la station de Tokyo pour y voir quelques athlètes terminer leur course. Je me dis tous les ans en regardant le marathon que je devrais me donner un an pour m’entrainer et participer à celui de l’année prochaine, mais une réflexion rapide me dit que je n’aurais jamais la volonté nécessaire pour ce genre de choses.

J’écoute en ce moment quelques morceaux de rock indé du groupe Yonige (よにげ) dont j’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog. Yonige est originaire d’Osaka et a été formé par Arisa Ushimaru (牛丸ありさ), qui chante et est guitariste, et par Gokkin (ごっきん) qui joue de la basse et assure les chœurs. Le groupe se compose actuellement de quatre membres. De leur nouvel album Empire sorti en Janvier 2024, j’écoute trois morceaux dont deux possèdent déjà une vidéo officielle: Kamisama to Boku (神様と僕) et walk walk. Le troisième morceau que j’écoute est le premier de l’album: Super Express. Le rock de Yonige est sans artifice avec un brin de mélancolie, mais n’exclut pas un certain humour retranscri à travers les vidéos. Les vidéos accompagnant Kamisama to Boku et walk walk sont en fait liées. La première pour Kamisama to Boku démarre par la mise en scène d’une réunion avec le manager du groupe qui leur demande de faire plus énergique et entrainant pour pouvoir espérer attirer les foules et avoir un gros succès. On ressent que le monologue interminable du manager est insupportable pour le groupe, mais tous acquiescent sans rien dire en attendant que ça passe. On leur confie un sous-fifre incompétent qui sera en charge de la vidéo du nouveau morceau. Le budget étant limité, le groupe se retrouve à tout faire par eux même, porter les instruments jusqu’au lieu de tournage improvisé, puis se filmer ensuite soi-même. A ce moment là démarre la vidéo de walk walk, avec pleins de petits désagréments qui compliquent la vie du groupe. Malgré tout cela, tout le monde reste serein. On retrouve en quelque sorte cette sérénité dans la musique de Yonige, mais les morceaux sont pourtant très accrocheurs. Arisa Ushimaru n’hésite pas a poussé sa voix et les guitares sont très présentes. J’adore ce son rock indé qu’elles maitrisent extrêmement bien sans pourtant révolutionner le genre, mais le rock indé n’entend pas apporter des révolutions, simplement faire des bons morceaux et c’est bien suffisant.

Yonige et leur dernier album Empire étaient d’ailleurs mis en avant au Tsutaya de Daikanyama, aux rayons musiques à l’étage d’un des trois bâtiments du grand magasin multimédia. On y vend d’ailleurs de moins en moins de CDs, toujours au profit des vinyles. Je devrais passer plus régulièrement devant ces panneaux d’affichage, pour voir quelles sont les recommandations du moment. Je me souviens y avoir vu afficher une présentation de l’album Windswept Adan (アダンの風) d’Aoba Ichiko (青葉市子), bien avant que je l’écoute pour la première fois (rien que le fait d’évoquer cet album me donne envie d’écouter le morceau Porcelain). Les affichages du Tsutaya montre la vidéo de Kamisama to Boku (神様と僕), dont est extrait la vidéo ci-dessus, et les dates de la tournée du groupe. Je ne connais pas encore assez bien la musique de Yonige pour être tenté de les voir live, mais un morceau comme walk walk doit certainement très bien donner en concert.

Toujours dans le même Tsutaya de Daikanyama, j’ai l’impression que l’espace consacré aux expositions artistiques a augmenté progressivement au fur et à mesure des années, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. L’exposition ILLUSTRATION 2024, qui avait lieu du 23 Février au 17 Mars 2024 commémorait le dixième anniversaire de la série de livres ILLUSTRATION, qui est un catalogue annuel représentant l’état actuel de l’illustration au Japon. A cette occasion, étaient exposées quelques illustrations de sept artistes sélectionnés présents dans la dernière édition du livre ILLUSTRATION. Il s’agissait d’une toute petite exposition mais j’ai eu le plaisir d’y voir deux illustrations de NAKAKI PANTZ (ナカキパンツ), les deux visages féminins ci-dessus. Son style graphique est immédiatement reconnaissable. Je vois qu’elle continue à dessiner les pochettes pour les musiciens de MAISONDes et, dernièrement, on peut également voir ses illustrations sur une publicité Nissin Cup Noodles. Nissin s’est associé depuis longtemps avec des artistes graphiques de renom ou en devenir. Une des campagnes les plus connues était celle intitulé Freedom par Katsuhiro Ōtomo. Ces publicités sont assez souvent décalées et j’avais déjà évoqué tout cela dans un billet précédent. Parmi les sept artistes présentés, on trouve également l’illustratrice AKI AKANE (秋赤音) que j’avais déjà évoqué ici pour avoir vu une de ses expositions chez le libraire Komiyama Tokyo à Jimbochō. En repassant d’ailleurs par Jimbochō, je suis monté aux étages de cette librairie et j’ai constaté qu’on y montrait toujours des illustrations d’AKI AKANE. J’ai hésité à acheter son livre d’illustrations, car je ne pense pas apprécier la totalité de ses dessins, mais l’approche très pop de l’illustration montrée sur la photo de droite ci-dessus est vraiment magnifique. J’aime aussi beaucoup son approche graphique sur l’illustration de gauche, utilisant des ossements comme ornements vestimentaires.

gentle monster & artificial vampire

Les deux premières photographies de ce billet sont prises dans le parc central de Nishi-Shinjuku. Les plus attentifs auront remarqué que j’ai déjà pris et montré exactement la même photographie de la ligne de ciel de Nishi-Shinjuku depuis le parc. J’aime m’asseoir à cet endroit du parc sur un des longs bancs de bois posés sur le béton formant des escaliers. C’était un Samedi juste avant le marathon de Tokyo du Dimanche et des préparatifs étaient déjà en cours. Je le mentionnais déjà dans un billet précédent mais je me suis assis à cet endroit pendant environ une heure pour écouter pour la première fois en entier l’album 0 d’Ichiko Aoba. Un pigeon m’a accompagné pendant toute la durée de l’écoute en me regardant par moment l’air de rien. Il était intéressé par le scone anglais que je grignotais en buvant tranquillement mon café trop chaud. Comme on dit en japonais, j’ai une langue de chat (猫舌) et je préfère attendre un peu avant de boire chaud.

La troisième photographie est une affiche publicitaire pour une marque de lunettes design appelée Gentle Monster. Je prends cette photo car ce nom étrange associé à l’actrice Nana Komatsu (小松菜奈) m’intrigue beaucoup. J’ai également eu envie de prendre cette photographie car je voulais mentionner ici le film The Last 10 years (余命10年) du réalisateur Michihito Fujii (藤井道人) dans lequel Nana Komatsu est l’actrice principale. Elle joue le rôle d’une jeune fille de 20 ans, Matsuri Takabayashi, atteinte d’une maladie incurable ne lui laissant que dix années à vivre. Le film est basé sur une histoire vraie. Matsuri accepte son sort non sans difficultés et essaie volontairement de ne pas trop s’accrocher aux personnes qui l’entourent, sauf bien sûr à sa famille dont elle est proche. Sa grande sœur est jouée par la toujours merveilleuse Haru Kuroki (黒木華). Mais la rencontre de Kazuto Manabe, joué par Kentaro Sakaguchi (坂口健太郎), lors d’une réunion d’anciens élèves vient perturber sa vie. Kazuto a des tendances suicidaires et Matsuri, qui va pourtant bientôt mourir, jouera un rôle important pour lui redonner le goût à la vie. Il s’agit d’une histoire d’amour, en grande partie platonique, mais elle m’a beaucoup touché. Je suis sensible à ce genre d’histoire quand elles sont magnifiquement jouées comme c’est le cas ici, avec beaucoup de retenue et de nuances. Il y a bien quelques effets de scénario nous poussant à avoir les larmes aux yeux, mais je ne refuse pas à être entraîné malgré moi par un film vers ce genre de terrains sensibles.

J’aime bien de temps en temps jeter une oreille à la musique de Cö Shu Nie car j’y découvre régulièrement des petites merveilles. Cette fois-ci, cette petite merveille est un nouveau morceau sorti le 13 Mars 2024 intitulé Artificial Vampire. Dès la première écoute, j’ai été attiré par une petite phrase interrogative des paroles nous demandant à répétions « Gokigen ikaga? Chōshi ha dou? » (ご機嫌いかが?調子はどう?) qui est deux façons de demander comment quelqu’un va. Le rythme assez ludique par lequel Miku Nakamura (中村未来) prononce ces paroles me plait tout de suite beaucoup, et la composition musicale aux apparences faussement simples se révèle en fait subtilement variante toute en restant naturellement fluide. Cö Shu Nie nous habitue à une construction atypique de ces morceaux qui se ressent moins directement sur Artificial Vampire, mais n’en reste pas moins présente. Le morceau Burn The Fire est en comparaison beaucoup plus déconstruit et pour l’occasion beaucoup plus agressif dans son approche rock. Ce single est sorti il y a quelques mois, en Novembre 2023. La vidéo est assez étrange avec ses faux masques à oxygène et ses drôles de créatures drapées. Le groupe est enfermé dans des sous-sols sombres mais l’ambiance n’est pourtant pas anxiogène car le son rock qu’il dégage et la voix affirmée de Miku l’emportent sur tout ce qui les entourent. Comme pour Artificial Vampire, la vidéo de Burn The Fire a été réalisée par Kaz Skellington, qui est un rapper et vidéographe basé à Tokyo. Dans les paroles du single Artificial Vampire, Miku nous chante que même si elle nous mord, on ne s’en rendra pas compte (噛みついても気づかないものね), ce que j’imagine être une disposition tout à fait idéale pour un vampire. Ceci me donne une bonne transition avec l’art graphique qui suit.

L’art graphique de Takato Yamamoto (山本タカト) est tout à fait fascinant. J’avais déjà mentionné brièvement dans un billet précédent la découverte de cet artiste illustrateur et j’avais ensuite rapidement commandé son livre d’illustrations intitulé Japonesthéthique, aux Editions Treville, qui est une sorte de rétrospective de son œuvre. Les illustrations y sont magnifiques, souvent tintées d’une pointe d’épouvante. Elles n’en restent pas moins delicates et sensibles. Les personnages sont souvent androgynes et ont le regard distant, difficile à saisir, car ils sont déjà d’un autre monde. On leur devine à la fois une grande sensibilité et une force incontrôlable. On y trouve beaucoup de vampires, de présences fantomatique sorties de légendes et croyances ancestrales, de crânes squelettiques qui ne semblent pourtant pas être effrayants pour les figures humaines qu’ils côtoient. Le style graphique de Takato Yamamoto combine des éléments japonais d’ukyo-e, avec du symbolisme gothique et des influences de l’art européen, en particulier du mouvement Esthétisme européen du 19ème siècle. Son style combinant tous ces éléments prend le nom d’Esthétisme Heisei (Heisei Aestheticism), pour indiquer un mélange d’influence européenne avec une version moderne de l’art traditionnel japonais. Il y a quelque de tout à fait remarquable dans cette approche graphique, une finesse exquise qui nous attire vers ces images alors qu’on ne voudrait pas les voir. Le 23 Février 2024, je suis allé voir la petite exposition intitulée Dreaming Skull de Takato Yamamoto qui se déroulait dans la galerie d’art Span Art à Kyobashi. Cette exposition démarrait ce jour là et s’est terminée le 10 Mars 2024. On pouvait y voir quelques unes de ses œuvres et un coin de la galerie vendait des livres d’illustrations et des cartes postales. Je n’ai pu m’empêcher d’acheter un autre livre, celui intitulé Coffin of a Chimera (キマイラの柩), dans une nouvelle édition à la couverture noire, signée par l’artiste. Le style de cet ouvrage est dans le même esprit tout à fait unique de Japonesthétique, sauf que je le trouve plus viscéral. Les chimères du titre ont des visages humains qui se mélangent à des ossatures distordues. On nous laisse voir les entrailles des chimères, ce qui pourrait nous repousser le regard, mais l’approche esthétisante de Takato Yamamoto rend ses monstres aux formes indéfinies tout à fait séduisantes. L’art de Takato Yamamoto repose sur un équilibre subtil entre beauté esthétique et représentation effrayante qui peut parfois paraître repoussante. Cette dualité est tout à fait fascinante et donne envie d’explorer un peu plus ce monde emprunt de romantisme gothique. Lors de la petite exposition à Kyobashi, je n’étais d’ailleurs pas vraiment surpris d’y voir parmi les visiteurs une proportion féminine importante.

Pour continuer ce billet sur une atmosphère gothique, écoutons maintenant le morceau SACRIFICE d’Atsushi Sakurai (櫻井敦司). Sakurai était le chanteur et parolier du groupe Buck-Tick jusqu’à son dernier souffle le 19 Octobre 2023. Ce titre est extrait de son unique album solo Ai no Wakusei (愛の惑星) sorti en 2004, mais je ne le découvre que maintenant car il n’a été publié sur YouTube avec sa vidéo que récemment, en Décembre 2023, deux mois après sa mort soudaine d’une hémorragie cérébrale. Je n’ai pas encore terminé d’écouter la discographie entière de Buck-Tick mais j’y reviens régulièrement quand l’envie me prend. Ce morceau n’est pas fondamentalement différent de ceux de Buck-Tick car la voix de Sakurai est tellement remarquable qu’on a beaucoup de mal à la dissocier du groupe. Il n’empêche que ce morceau est très bon et aurait très bien pu figurer comme single sur un album de Buck-Tick. Il s’agit en tout cas d’une belle découverte inattendue. L’émission musicale du Dimanche soir KanJam a diffusé il y a plusieurs semaines un épisode consacré exclusivement à Buck-Tick mais les membres restants n’étaient sans grande surprise pas présents. Il en ressortait que le groupe, à travers la voix du guitariste et compositeur Hisashi Imai (今井 寿), n’a pas l’intention d’arrêter ses activités. C’est pour moi une surprise car j’ai un peu de mal à imaginer le groupe sans la figure charismatique d’Atsushi Sakurai. Et pour faire le lien avec le thème qui sert de fils rouge à ce billet, je n’aurais pas beaucoup de difficulté à imaginer Atsushi Sakurai en vampire car il avait la noirceur profonde qui convient à ce genre de personnage.

Et au final, je vous laisse deviner qui est le gentle monster du titre de ce billet. Je pense personnellement au pigeon de la deuxième photo pour la pression psychologique qu’il a exercé sur moi pour que je lui cède quelques miettes de ma pâtisserie anglaise.