rouge comme le feu

Je mentirais si je disais que je n’avais pas fait le déplacement exprès pour aller voir ses affiches géantes de la compositrice et interprète a子 dans centre de Shibuya. On pouvait voir ces grandes affiches à plusieurs endroits à Center-Gai et près du parc Miyashita. Ce mode d’affichage n’est pas rare à Shibuya et je me souviens d’une campagne d’affichage pour l’agence Wack, mais qui allait cependant plus loin dans le mode guérilla. J’aime en tout cas le côté ludique d’essayer de découvrir toutes les affiches et de les prendre en photo dans leur environnement urbain. Cet affichage correspond à la sortie de son premier single intitulé Planet (惑星) sur un label majeur, IRORI Records sur Pony Canyon. J’avais déjà parlé de ce single dans un précédent billet et je pense d’ailleurs avoir évoqué sur ce blog tous ses nouveaux singles et EPs depuis ses débuts au fur et à mesure de leurs sorties. Ça fait en tout cas plaisir de la voir grimper les échelons. Des affiches sont également placées au niveau de l’ancien cinéma Rise, actuellement salle de concert WWW et WWW X où j’avais été la voir avec son groupe pour son premier Oneman Live. Cette photographie prise par la photographe YONNLIN est très réussie car elle donne une impression nuancée du visage de a子 entre apaisement et feu intérieur comme le rouge extravagant de sa chevelure.

Si je ne me trompe pas, AAAMYYY n’avait pas sorti de nouvelle musique en solo depuis le EP Echo Chamber sorti en Juillet 2022. Ça fait beaucoup de bien d’entendre à nouveau la voix légèrement voilée immédiatement reconnaissable d’AAAMYYY sur un nouveau single. Ce single s’intitule Savior. Il est sorti le 10 Février 2023 et est co-produit par Wataru Sugimoto (杉本亘) aka MONJOE. L’esprit du morceau est assez fidèle à ses précédents morceaux. Il est extrêmement bien produit ce qui donne une grande fluidité à son chant même si elle alterne constamment entre le japonais et l’anglais. Cette fluidité et la dynamique du flot parfaitement millimétré me plait vraiment beaucoup, d’autant plus que la voix d’AAAMYY qu’on a tendance à imaginer comme un peu nonchalante s’y accorde parfaitement. D’après l’affiche du concert Option C du 7 Mars 2024, on retrouvera MONJOE comme DJ/MP (MP pour Music Producer, j’imagine). Les invités confirmés seront assez nombreux. Je ne suis pas surpris de voir TENDRE sur l’affiche car il participe souvent aux morceaux d’AAAMYYY. Parmi les noms mentionnés, on trouve Shin Sakiura qui a arrangé plusieurs de ses morceaux, les rappeurs Ryohu et (sic)boy qui ont chantés en duo sur certains de ses morceaux, notamment le superbe Hail pour (sic)boy, KEIJU qui est également rappeur mais je ne connais pas de morceaux sur lequel il était en duo avec AAAMYYY. Je lui connais seulement une participation au morceau Link Up de Awich. Je lis sur l’affiche d’autres noms comme Shō Okamoto (オカモトショウ) du groupe OKAMOTO’S, Zata, entre autres. Je suis assez curieux et impatient d’entendre ce que ça va donner. Le morceau intitulé Fukashi Tentai (不可視天体) a été composé par DAOKO en utilisant le synthétiseur VOCALOID V AI Juon Teto (重音テト). Elle a en fait soumis ce morceau de manière anonyme et en tant que rookie sur la chaîne Nico Nico Dōga (ニコニコ動画) à l’occasion d’un événement Vocaloid appelé The VOCALOID Collection ~2024 Winter~. Le nom qu’elle a utilisé pour son compte est ▷△○◁○ et on peut assez facilement noter la correspondance avec son nom d’artiste. Elle a de toute façon vendu assez rapidement la mèche sur Twitter, ce qui a suscité un heureux étonnement de la communauté VOCALOID sur Nico Nico Dōga. Dans son message Twitter, elle précise qu’il s’agit de la première œuvre musicale qu’elle réalise entièrement par elle-même. Et ce morceau Vocaloid, qui a été également publié sur YouTube quelques jours plus tard, est une belle réussite. J’adore la trame électronique d’apparence irrégulière et la voix rappée de Daoko un peu différente que d’habitude, un peu plus masculine dirais-je. Elle pourrait très clairement réaliser un album entier dans cet esprit. Le groupe SUSU (好芻) est un des projets parallèles d’Ikkyu Nakajima (中島イッキュウ) avec Kanji Yamamoto (山本幹宗). J’avais déjà parlé du mini-album intitulé Gakkari sorti en Septembre 2022, et le duo a sorti quelques nouveaux morceaux dont le single Cacao (カカオ) que j’aime beaucoup. L’ambiance générale assez cool et rêveuse de ce nouveau single reste fidèle aux morceaux que l’on connaît du mini-album, mais assez éloigné des rythmes souvent endiablés de Tricot. La musique de Tricot me manque d’ailleurs un peu car elles n’ont pas sorti de nouveau morceau ou album depuis un bon petit moment. J’essaie en tout cas d’aller les voir une nouvelle fois en concert au mois de Mai, mais les places sont soumises à une loterie donc c’est pas gagné et ma première tentative a échoué. Le fait que la première partie soit le groupe PEDRO, dont je parle de temps en temps sur ces pages, doit rendre l’obtention des places plus compliqué. Pour terminer cette petite sélection, je reviens encore une fois vers le rock du groupe Haze mené par Katy Kashii (香椎かてぃ) avec le mini-album intitulé Noize sorti le 31 Octobre 2022. Deux morceaux y sont particulièrement accrocheurs: Hikikomori Rock (引きこもりロック) et Gyalgal (ギャルガル). Sur le Hikikomori Rock, Katy démarre par une invective Boku no Hikikomori ga Rock ni Naru (僕の引きこもりがロックになる), qui interpelle. J’aime beaucoup l’agressivité accompagnée par les guitares qui rythment le morceau, avec toujours la voix de Katy à la limite du brut et roulant par moments les « r ». Le Hikikomori du titre et des paroles démarrant le morceau, fait référence au syndrome extrême d’isolement de toutes relations sociales qui touche certains adolescents. Dans ce morceau, Katy semble signifier que le Hikikomori s’est transformé pour elle en énergie rock. Ce single a pour sûr beaucoup d’énergie à revendre. Le morceau Gyalgal (ギャルガル) fait participer tous les membres du groupe au chant. On ne peut pas dire qu’elles chantent toutes très bien, mais ça contribue à cet esprit rock qui se base plus sur l’énergie que sur la justesse du chant. Et encore une fois, cette énergie est particulièrement présente, notamment au moment du refrain qu’on attend avec une certaine impatience à chaque écoute.

just fly so far away to another place

Nous ne sommes pas sorti de Tokyo depuis plus d’un mois. Malgré les apparences, nous sommes toujours à Tokyo sur ces photographies, mais dans la partie Ouest au delà d’Hachiōji. Nous allons régulièrement dans cette région de Tokyo pour une raison familiale, et nous en profitons pour parcourir un peu les environs lorsqu’on le peut. En direction du village de Hinohara, nous nous arrêtons à Tokura situé à Akiruno. Un petit restaurant de soba avait attiré notre attention lors de recherches sur Internet et nous le trouvons sans trop de difficulté sur une petite route qui bifurque de la voie principale. Ce restaurant s’appelle Koharu Biyori (小春日和). Il doit avoir une bonne réputation car nous ne sommes pas les seuls à venir y manger. L’ambiance y est paisible et il faut prendre son temps car il y a seulement deux personnes tenant le restaurant, à la cuisine et au service. Je profite du temps d’attente un peu long pour faire un tour rapide des environs. Il n’y a personne en vue, même pas un chat. Seules quelques voitures passent de temps en temps mais le trafic est relativement limité. Le temps semble s’être arrêté ici. On se demande si la station service fonctionne toujours. De l’autre côté de la route, une grande distillerie de sake à ses portes fermées. Elle semble cependant encore active mais probablement fermée en cette journée de dimanche. Je ne suis pas un fanatique du calme absolu, mais sortir du centre de Tokyo pour être confronté au silence fait beaucoup de bien.

Mais revenons tout de même beaucoup plus près du centre ville, pendant une autre journée cette fois-ci pluvieuse. A Ikejiri dans l’arrondissement de Setagaya, se déroule actuellement une exposition que je ne voulais pas manquer sur le monde cinématographique du réalisateur Shunji Iwai (岩井俊二) dans la petite galerie nommée OFS Gallery. Cette exposition s’appelle Yentown Market (円都市場) et propose également un espace de vente avec quelques articles liés aux films de Shunji Iwai, comme des CDs, livres, t-shirts, posters. L’exposition et les objets de la boutique se concentraient principalement sur quelques films, à savoir Kyrie no Uta (キリエのうた), All about Lily Chou-Chou (リリイ シュシュのすべて), Love Letter (ラヴレター ) ou encore A Bride for Rip Van Winkle (リップヴァンウィンクルの花嫁). Le nom de cette exposition, Yentown Market, reprend en fait le nom du groupe Yentown Band créé par Takeshi Kobayashi (小林武史) et Shunji Iwai à l’occasion du film Swallowtail Butterfly (スワロウテイル) avec Chara au chant. Devant une série de posters grand format, on pouvait voir des tenues et accessoires utilisés dans le film Kyrie no Uta par Kyrie, jouée par AiNA The End (アイナ・ジ・エンド), et par Ikko, jouée par Suzu Hirose (広瀬すず). L’exposition montre également différents objets utilisés pour le film All about Lily Chou-Chou sorti en salles en 2001, dont le CD de l’album Erotic (エロティック) de la chanteuse Lily Chou-chou, sorti après un premier EP intitulé Jewel (ジュエル). Le CD de l’album Erotic, exposé à côté d’un CD Walkman Sony jaune, apparaît dans le film mais il est en fait fictionnel tout comme sa chanteuse. Il faut savoir que Shunji Iwai a développé tout un monde fictif autour de son film, et ce même avant la sortie du film. Une grande partie du film est ponctué par des messages tirés d’un forum internet de type BBS appelé Lilyholic consacré à la chanteuse Lily Chou-Chou. Ce forum administré dans le film par Yūichi Hasumi, interprété par Hayato Ichihara (市原隼人) existait en fait avant le film. Il a été créé par Shunji Iwai et continue même à exister maintenant, car des visiteurs continuent à y poster des messages. Ce forum brouille les pistes entre la fiction et le réel et il en est de même pour la musique. Dans le film, le second album de Lily Chou-Chou s’intitule Kokyū (呼吸). Cet album est bien sorti dans la réalité à la suite du film avec ce même titre mais les titres sont pour certains différents. Il y a donc deux albums intitulés Kokyū, un fictif sorti dans le film par la chanteuse Lily Chou-Chou et un autre bien réel sorti par le groupe Lily Chou-Chou. La musique de ce groupe qu’on peut écouter en partie dans le film est composée par Takeshi Kobayashi avec certains textes de Shunji Iwai. Salyu, de son vrai nom Ayako Mori (森綾子), qui n’avait pas encore fait ses débuts à la sortie du film, est la chanteuse du groupe. Outre l’album Kokyū, le groupe a sorti les singles Glide (グライド) et Kyōmei (Kūkyo na Ishi) (共鳴(空虚な石)) qu’on retrouve dans l’album, puis, presque dix années plus tard, en 2010, un nouveau single intitulé Ether (エーテル). A cette époque là, le guitariste Yukio Nagoshi a rejoint le groupe Lily Chou-Chou pour accompagner Takeshi Kobayashi et Salyu. Un concert a même lieu au Nakano Sun Plaza le 15 Décembre 2010. On peut voir ce concert en intégralité sur YouTube, mais sur une page non-officielle (je me demande s’il est sorti en DVD). Dans l’exposition, on peut voir des billets de concert, mais il ne s’agit pas du concert réel à Nakano Sun Plaza, mais celui fictif dans le film au Gymnase Olympique de Yoyogi. Sur une étagère de l’exposition, derrière le téléphone portable de type garakei de la collégienne Shiori Tsuda jouée par Yū Aoi (蒼井優) dont c’est le premier rôle, on peut voir par contre la couverture du single réel Kyōmei (Kūkyo na Ishi) du groupe.

La construction du nom de scène Lily Chou-Chou est très intéressante. Son véritable nom dans le film est Keiko Suzuki (鈴木圭子) et elle est née le 8 Décembre 1980, qui se trouve être le jour de l’assassinat de John Lennon. Cette information sur sa date de naissance est mentionné dans le film sur le forum BBS, mais je ne suis pas sûr que son véritable nom soit donné. Le 8 Décembre est également la date du concert anniversaire à Yoyogi que je mentionnais ci-dessus. On dit que les parents de Keiko Suzuki étaient amateurs de Claude Debussy et que c’est également son cas. Elle estime qu’il était la première personne à transformer l’Ether en musique (エーテルをはじめて音楽にした人). Ce concept d’Ether qui intervient beaucoup dans le film est assez mystique. Il représente une force musicale intrinsèque, invisible et omniprésente, qui relie ceux qui la saisissent. J’arrive à comprendre cette force inexplicable que la musique peut provoquer parfois en nous au point d’accaparer tous nos sens. Le nom Lily Chou-Chou est tiré de deux surnoms liés à Claude Debussy. Sa première épouse s’appelait Marie-Rosalie Texier et était surnommée Lilly. La fille de Debussy avec sa deuxième femme, Emma Bardac, s’appelait Claude-Emma Debussy, et était surnommée Chouchou. Debussy est d’ailleurs omniprésent dans le film à travers sa première Arabesque, composée en 1890, souvent jouée au piano par la collégienne Yōko Kuno interprétée par Ayumi Ito (伊藤歩). All about Lily Chou-Chou est un de ses films possédant leur propre monde qu’il est passionnant de découvrir, mais c’est surtout un film de sensations. Le morceau Arabesque (アラベスク) joué dès les premières images du film dans un champs d’herbes hautes dans la campagne d’Ashikaga est riche en émotions, nous ramenant à des moments passés de notre propre adolescence, ceux remplis de doutes et parfois de malaises. Ce morceau dont le titre seulement est inspiré par Debussy me bouleverse à chaque écoute mais je n’ai de cesse d’y revenir, comme s’il me permettait d’explorer une partie enfouie de moi-même. Cette musique mélancolique magnifiquement interprétée par Salyu dans un dialecte d’Okinawa pousse clairement à une forme d’introspection, comme peuvent l’être d’ailleurs certains morceaux d’Ichiko Aoba (青葉市子). Je pense en particulier à des morceaux comme Porcelain et Dawn in the Adan sur son album Adan no Kaze (アダンの風). Est ce qu’Ichiko Aoba possède l’Ether? Oui, sans aucun doute, même si cette question n’a peut-être pas beaucoup de sens. Shunji Iwai l’aura très certainement reconnu comme telle car ils se sont produits ensemble sur la scène de la salle de concert WWW à Shibuya pour les besoins d’une émission télévisée sur la chaîne musicale câblée Space Shower TV. Cette émission proposait un dialogue entre mémoire et création entre Ichiko Aoba et Shunji Iwai (青葉市子と岩井俊二、記憶と創作のダイアローグ). Shunji Iwai jouait du piano et Ichiko Aoba chantait et jouait de la guitare sur trois morceaux: Uwoaini (ウヲアイニ) composé par Shunji Iwai pour son film Hana and Alice (花とアリス), Adan no Shima no Tanjō-sai (アダンの島の誕生祭) composé par Ichiko Aoba sur son septième album Adan no Kaze (アダンの風) et Arabesque (アラベスク) écrit par Shunji Iwai et composé par Takeshi Kobayashi pour All about Lily Chou-chou. L’interprétation d’Arabesque est vraiment très belle, pas aussi prenante que la version originale chantée par Salyu, mais on en est tout proche. La sensibilité que dégage Ichiko Aoba dans son chant est tout à fait remarquable. L’émission comprend également une longue interview dans lequel Ichiko Aoba évoque sa découverte du film All about Lily Chou-chou à l’âge de 14 ans et l’influence qu’il a eu sur elle. L’album Adan no Kaze est également longuement évoqué, notamment l’influence des îles d’Okinawa. S’il devait y avoir un film intitulé Adan no Kaze, il aurait certainement été réalisé par Shunji Iwai. Pour revenir au concept de l’Ether, le film restait assez flou sur le cas de Sheena Ringo comme je le montrais sur des captures d’écran dans un billet évoquant le film. La question a été éludée récemment par un tweet de Shunji Iwai confirmant en anglais que « Ringo has the beautiful ether! » alors qu’on l’avait interpellé sur le sujet. Je me suis alors demandé quel album ou quel titre pouvait le mieux correspondre à ce concept d’Ether. J’ai d’abord pensé à des morceaux de l’album KSK, mais la réponse se trouve plutôt sur l’album précédent Shōso Strip (勝訴ストリップ) car on y trouve le morceau Benkai Debussy (弁解ドビュッシー, Excuse Debussy). Elle raconte dans le numéro 14 de son magazine RAT que ce titre lui est venu sur un coup de tête, alors qu’on lui demandait quel était son artiste préféré. Le fait de mentionner Claude Debussy comme artiste préféré a suscité des interrogations des gens autour d’elle. En conséquence de quoi elle s’est elle-même demandée s’il fallait une explication ou une excuse pour aimer Debussy. Le titre est dérivé de ce questionnement. Peut-être aime t’elle le morceau Arabesque de Claude Debussy? Ce point en commun avec la chanteuse Lily Chou-chou est en tout cas étonnant.

Dans la petite boutique de la galerie OFS, j’achète en souvenir le livret du film Kyrie no Uta, contenant des interviews et de nombreuses photographies du film. En rentrant le soir, je me rends compte qu’AiNA a également dû y aller la même journée que moi car elle montrait des photos de la galerie sur sa storyline Instagram. L’exposition montre également quelques objets tirés du premier film de Shunji Iwai, Love Letter. Le film a eu beaucoup de succès à sa sortie en 1995 et ce succès s’est ensuite étendu en Asie. C’est un film que j’avais en tête de voir depuis un petit moment, mais je ne l’ai finalement vu que très récemment après mon passage à l’exposition. Il a été en grande partie tourné à Hokkaidō, dans la ville d’Otaru, et les images hivernales de terres enneigées y sont très belles tout comme l’histoire qui contient déjà certains thèmes récurrents du réalisateur comme la dualité de l’actrice principale. L’actrice Miho Nakayama y joue en effet deux rôles, celui de Hiroko Watanabe qui a perdu son fiancé dans un accident de montagne deux années auparavant et celui d’Itsuki Fujii qui a étrangement exactement le même nom et prénom que son fiancé disparu. L’histoire se construit sur une correspondance par lettres, comme sur un de ses films plus récents Last letter. Hiroko Watanabe envoie une première lettre à l’adresse d’enfance de son ancien fiancé en pensant qu’elle arriverait peut-être jusqu’au paradis, mais c’est la femme Itsuki Fujii qui la reçoit car elle habite dans la même ville et lui répond. Un lien d’amitié rempli d’interrogations se noue entre les deux femmes (qui, je le répète, sont toutes les deux interprétées par Miho Nakayama). On comprend assez rapidement que la femme Itsuki Fujii et l’ancien fiancé Itsuki Fujii étaient en fait dans la même classe de collège, et Hiroko essaie donc d’en savoir plus sur l’enfance de son ancien fiancé en posant de nombreuses questions à Itsuki Fujii dans ses lettres. Cette correspondance vient petit à petit creuser dans la mémoire d’Itsuki Fujii, et la frontière entre les histoires des deux femmes se rapprochent, accentuée par leur ressemblance physique troublante (car je le répète, elles sont jouées par la même actrice). L’histoire peut paraître assez embrouillante mais elle est racontée de manière simple et particulièrement émouvante. J’aime par dessus tout les moments de plénitude qui se dégagent de ce film, et des films de Shunji Iwai en général.

Écrire ce billet m’a poussé à réécouter plusieurs fois l’album Kokyū (呼吸) de Lily Chou-Chou. Sur la couverture de l’album, je me demande si c’est bien Salyu que l’on voit photographiée de dos dans les hautes herbes. Cette photographie de Kazuaki Kiriya (紀里谷和明) est superbe. J’aime aussi beaucoup la photographie de couverture de l’album-compilation Merkmal de Salyu. Cette photographie signée du photographe Kazunali Tajima (田島一成) me rappelle mes propres photographies jouant avec les nuages, notamment celle en page 69 de mon photobook In Shadows ou celle du billet intitulé Structure and Clouds. Les photographies du livret de Merkmal datant de 2008 sont antérieures aux miennes. Je ne connaissais pas cet album à l’époque où j’ai créé mes propres compositions photographiques, quelques années plus tard en 2011. J’ai en fait découvert cet album grâce à un billet récent de mahl sur son blog. De cet album, je connaissais déjà quelques morceaux car deux sont extraits de l’album Kokyū: Hōwa (飽和) et Glide (グライド). Elle reprend également en solo le morceau to U qui l’a fait connaître du grand public. C’est peut-être dû au fait qu’il s’agit d’une compilation, mais je trouve cet album inégal. Certains morceaux comme landmark et Yoru no Umi Tōi Deai ni (夜の海 遠い出会いに) sont absolument fabuleux, tout comme Dramatic Irony et I BELIEVE. Ces morceaux qui se suivent sur l’album forment un passage particulièrement poignant. Salyu y a une voix particulièrement expressive et la partie finale de I BELIEVE est particulièrement puissante. L’album est accompagné d’un DVD avec un concert plutôt intimiste au Motion Blue Yokohama (datant du 17 Septembre 2008) pendant lequel elle interprète les morceaux landmark et Yoru no Umi Tōi Deai ni avec une orchestration légèrement différente. On ne peut que rester immobile en écoutant cette voix monter progressivement en intensité. Une bonne moitié de l’album paraît plus fade par rapport à ces quelques morceaux dont l’intensité émotionnelle ne peut pas laisser indifférent. Le morceau to U en solo est par exemple beaucoup moins intéressant en solo sans la voix de Kazutoshi Sakurai. J’aime aussi beaucoup le morceau VALON-1, car elle semble chanter avec un ton de décalage sur la totalité du morceau. Takeshi Kobayashi compose les musiques de cet album, tout comme celles des précédents. C’est d’ailleurs Takeshi Kobayashi qui l’a découverte et qui lui a donné son nom de scène, qui serait apparemment une allusion au mot français « Salut ». Takeshi Kobayashi et Shunji Iwai commençaient à ce moment là l’écriture des morceaux de Lily Chou-chou. Pendant le concert de Lily Chou-chou le 15 Décembre 2010 à Nakano Sun Plaza, certains morceaux solo de Salyu étaient interprétés. Elle chante pendant ce concert là et sur le DVD de Merkmal une version différente, en anglais, du morceau Arabesque. Le concert du Nakano Sun Plaza termine avec le morceau Glide comme sur l’album Kokyū et la compilation Merkmal, sauf qu’elle ne chante que le début. Les paroles inscrites sur grand écran prennent ensuite le relais: just fly so far away to another place.

Everything has to change Everything is gone

Il me restait quelques photographies prises en Décembre que je n’avais pas encore publiées dans un billet. Nous sommes ici dans le nouveau complexe Azabudai Hills de Mori Building, prenant la forme d’une mini-ville à l’intérieur de la grande ville. Suivant les modèles de ses grandes sœurs Ark Hills à Tameike Sanno, Atago Hills ou encore Toranomon Hills, ce nouvel ensemble urbain a d’abord fait table-rase de tous les bâtiments précédents (Everything has to change Everything is gone) pour créer un tout nouvel ensemble urbain composé de bureaux, de résidences, de magasins et d’espaces verts. Mori Building a convoqué des architectes étrangers, en particulier les américains Pelli Clarke & Partners qui ont dessiné les trois grandes tours du complexe. L’agence a également conçu les tours d’Atago Green Hills et la Mori Tower d’ARK Hills Sengokuyama dont le style général arrondi s’est propagé sur les tours d’Azabudai Hills. Tous les parties publiques et les immeubles de basse hauteur du complexe contenant les résidences ont été conçus par Heatherwick Studio dirigé par l’anglais Thomas Heatherwick. Les créations récentes du designer à New York, le parc surélevé de Little Island et le Vessel, sont particulièrement intéressantes et novatrices. Une exposition des créations de Thomas Heatherwick s’était d’ailleurs tenue au Mori Art Museum du 17 Mars au 4 Juin 2023. Je me souviens m’être posé la question d’y aller, mais j’avais été en quelque sorte dérangé par le fait que cette exposition ressemblait à une promotion publicitaire des nouvelles résidences d’Azabudai Hills. J’avais finalement renoncé à payer les 2,000 yens du billet d’entrée. Parmi les autres architectes ayant participé à ce projet, on trouve le nom de Sou Fujimoto pour le design des parties commerciales. Marcher dans les espaces résidentiels en forme de collines est très agréable. Cet espace innovant devient même par moments ludique. Le sanctuaire Nishikubo Hachiman (西久保八幡神社) est situé à proximité d’Azabudai Hills, au bord de la grande avenue Sakurada. Le grand temple noir Reiyūkai shakaden (霊友会釈迦殿) apparaît juste derrière et sa présence ne s’accorde pas du tout avec le complexe Azabudai Hills. Mori Building fait table rase pour normaliser l’environnement urbain à sa manière, mais il restera heureusement des ’anomalies’ qui continueront à faire ressembler Tokyo à un grand ’bazar’ inextricable.

L’émission télévisée Matsuko no Shiranai Sekai (マツコの知らない世界) de cette semaine consacrée à la musique Kayōkyoku (歌謡曲) de l’ère Shōwa (昭和) avec JUJU comme invitée m’a donné une envie irrésistible d’ēcouter le chant de Momoe Yamaguchi (山口百恵). Depuis le morceau Yokosuka Story (横須賀ストーリー), je garde en tête d’écouter d’autres de ses morceaux, mais je me décide enfin maintenant. Il est certes difficile de choisir par où démarrer parmi ses 22 albums studio sortis pendant sa carrière musicale relativement courte de huit ans, entre 1972 et 1980. Je choisis l’album A face in a Vision (ア・フェイス・イン・ア・ビジョン) sorti en 1979, notamment pour la superbe photographie de couverture prise par le photographe Kishin Shinoyama (篠山紀信), qui a quitté ce monde récemment au tout début de cette année 2024. Cette photographie de Momoe Yamaguchi a été prise en 1978 alors qu’elle avait 19 ans et fait partie d’une séance photo diffusée dans un magazine de l’époque intitulé GORO sous le nom Voyage jusqu’au bout de la nuit (夜の果ての旅). Un petit détail intéressant est qu’une des photographies de cette séance a été prise devant le NOA Building, construit quatre ans auparavant, situé au croisement Iikura juste à côté de l’actuel Azabudai Hills. En regardant cette photo de couverture de l’album, je ne peux m’empêcher d’y voir Sheena Ringo. Je suis en fait persuadé depuis longtemps d’une influence ou d’un point commun, mais il ne s’agit certainement que d’une impression obsédante, car je n’ai jamais vu d’écrit mentionnant un éventuel rapprochement. En fait si, mais à l’inverse de ce que j’imaginais, car un des fils de Momoe Yamaguchi a révélé qu’elle chantait le morceau Gibs de Sheena Ringo lors de karaoke en famille. Momoe Yamaguchi est née à Tokyo, à Ebisu pour être très précis, en 1959 et a commencé sa carrière musicale très tôt, à l’âge de treize ans en 1972. Elle se retira définitivement très tôt en 1980 alors qu’elle n’avait que 21 ans pour épouser l’acteur Tomokazu Miura (三浦友和) avec qui elle a tourné dans de nombreux films. Ils ont deux fils qui sont tous les deux acteurs. Le fait qu’elle ait arrêté sa carrière soudainement au sommet de sa gloire ajoute très certainement à son aura, et nombreux sont ceux qui espèrent un retour sur scène. Un autre point commun entre Momoe et Ringo est qu’elles ont été prises en photo par Kishin Shinoyama et apparaissent dans son photobook compilation intitulé Idol 1970-2000 (アイドル 1970-2000). J’aurais un peu de mal à imaginer Sheena Ringo comme une idole, mais Momoe Yamaguchi est par contre bien considérée comme une idole de l’ère Shōwa, si ça veut vraiment dire quelque chose.

Je commence donc par l’écoute de l’album A face in a Vision (1979) et, ressentant comme un besoin d’en écouter plus, je continue ensuite rapidement par l’album Dramatic sorti (1978). Je ne connaissais aucun morceau de ces deux albums à part celui intitulé Playback Part2 (プレイバック Part2) qui conclut Dramatic car il s’agit d’un de ses titres les plus emblématiques. Je ne me doutais pas, à priori, que je trouverais un intérêt dans cette musique kayōkyoku. Les morceaux kayōkyoku ont leurs propres codes stylistiques très marqués faisant ressembler chaque composition à des petites pièces de théâtre avec une introduction qui dresse un décor, des arrangements qui fonctionnent comme des coups de théâtre, des orchestrations poussant parfois exagérément à l’émotion, des guitares atmosphériques faisant voyagé vers des horizons loin du Japon. On ne parle pas de musique Enka, mais les limites sont proches notamment dans la tension du chant. Mais voilà, Momoe Yamaguchi sublime le tout par sa voix. La tension et la force vocale de sa voix sur le morceau très théâtral Santa Maria no Atsui Kaze (サンタマリアの熱い風), notamment lorsqu’elle chante les mots 明日は知らない (Je ne sais ce que sera demain) me fascinent. J’adore l’ambiance du deuxième morceau de Dramatic intitulé Maboroshi he Yōkoso (幻へようこそ) et la voix très mature et un brin provocante de Momoe Yamaguchi. Au passage le titre de ce morceau me rappelle le titre d’un morceau que Tokyo Jihen écrira 33 ans plus tard, Tengoku he Yōkoso (天国へようこそ) sur l’album Discovery. L’album Dramatic contient également un morceau intitulé Zettai Zetsumei (絶体絶命), titre également utilisé sur un morceau de Tokyo Jihen sur l’album Sports. En la regardant chanter ce morceau Zettai Setsumei dans une vidéo tres certainement tirée d’une émission télévisée, on se dit qu’elle a une présence scénique hypnotisante. De l’album A face in a Vision, le dernier morceau Yoru he (夜へ) est très certainement mon préféré. La manière par laquelle elle chante une répétition de mots avec une grande retenue et des variations subtiles me donne à chaque fois des frissons: Shura Shura Ashura Shura (修羅 修羅 阿修羅 修羅). Ces paroles me rappellent qu’il faudrait que je fasse une liste de tous les morceaux que je connais qui font référence au Dieu destructeur Ashura. Sur le même album, le morceau Omoide no Mirage (思い出のミラージュ) est également remarquable, notamment le passage qui se conclut par les phrases suivantes qu’elle chante en anglais « Everything has to change Everything is gone » (que je reprends habillement comme titre de billet). Le premier morceau de l’album A face in a Vision, Mahoganī Morning (マホガニー・モーニング), compte également parmi les morceaux que je préfère pour son ambiance atmosphérique flottante. J’ai toujours une préférence envers ce genre de morceaux émotionnellement chargés, mais ce ne sont pas les seuls de l’album. Le morceau Silent Beauty (美・サイレント) était un des singles de cet album. Il est à la fois remarquable et très marqué Shōwa. Comme beaucoup de morceaux de ces albums, il faut avoir une oreille attentive et ouverte à ce style de musique. C’est clairement un grand écart par rapport à ce que j’écoute d’habitude, mais il s’agit d’une musique de genre au style très marqué et je suis très sensible à cela. Je ne vais très certainement pas me mettre à écouter prochainement d’autres chanteurs et chanteuses de Kayōkyoku, car ma seule envie pour l’instant est d’écouter chanter Momoe Yamaguchi.

come back to life in the countryside

En cette journée ensoleillée de Samedi, je marche pendant plus d’une heure et demi jusqu’à la branche de Tokyo du temple Toyokawa Inari (豊川稲荷東京別院) située à Akasaka-Mitsuke. Nous avions visité il y a trois ans déjà le temple principal qui se trouve dans la ville de Toyokawa à l’Est de la préfecture d’Aichi. La branche de Tokyo est beaucoup plus petite que l’immense ‘maison-mère‘ à Toyokawa, mais elle n’en reste pas moins dense, mélangeant les symboles du bouddhisme auquel le temple se rattache et d’autres provenant du shintoïsme comme ces nombreuses représentations du dieu renard Inari. Il s’agissait d’une journée faste et les personnes qui savaient étaient présentes en nombre dans l’enceinte du temple. Il fallait même attendre une trentaine de minutes pour se voir écrire sur son carnet le sceau goshuin du temple. Il fallait également attendre une bonne demi-heure pour pouvoir acheter des Inarizushi (昔ながらいなり寿司) à emporter dans le petit magasin datant de l’ère Meiji, à l’intérieur même de l’enceinte du temple. C’était donc la ‘mission’ du jour qui m’a pris un peu plus de temps que la matinée comme initialement prévu. J’aime en tout ce genre de missions qui me permettent au passage de prendre en photo mon environnement et de le restituer ici.

Le film Cache-cache pastoral (田園に死す) de Shūji Terayama (寺山修司), sorti en 1974, m’a tellement fasciné que je l’ai regardé plusieurs fois et je ne peux m’empêcher de garder en mémoire sur cette page plusieurs images extraites du film. Shūji Terayama (寺山修司) était un poète, écrivain, dramaturge et réalisateur japonais d’avant-garde, provocateur et expérimental. Originaire de la préfecture d’Aomori, il la quittera à l’âge de 29 ans pour Tokyo. Il mourra jeune à l’âge de 47 ans en Mai 1983, mais a laissé derrière lui une œuvre importante dont plus de deux cents livres et une vingtaine de films, dont Cache-cache pastoral. Je suis depuis longtemps intrigué par ce film ou plutôt par sa bande originale composée par le musicien et compositeur de musiques de film J. A. Seazer (J・A・シーザー). On voit également son nom orthographié en Julious Arnest Caesar, mais il s’agit bien entendu d’un nom d’emprunt. Le véritable nom de J. A. Seazer est en fait Takaaki Terahara (寺原孝明). Il collabore avec Shūji Terayama sur de nombreux films jusqu’à la mort de ce dernier. Ce nom des plus étranges m’a d’abord intrigué d’autant plus que je l’ai souvent vu dans les rayons des différents magasins Disk Union de Tokyo, car il est situé juste après Sheena Ringo dans l’ordre de classement alphabétique (à la syllabe シ). J’avais en fait déjà mentionné le nom de J. A. Seazer alors que j’évoquais la vidéo du morceau Ogre du groupe Black Boboi, composé par Utena Kobayashi (小林うてな), Julia Shortreed et Ermhoi. Le danseur nommé Yuta Takahashi (髙橋優太) que l’on voit dans cette vidéo fait en fait partie d’une troupe appelée Engeki-Jikkenshitsu ◎ Ban’yū Inryoku (演劇実験室◎万有引力) qui est dirigée par J. A. Seazer. Il a désormais 75 ans et semble toujours actif au sein de cette troupe. L’ambiance musicale reprenant de nombreux éléments du folklore japonais est une partie intégrante de la force d’évocation et du magnétisme du film de Shūji Terayama. L’histoire de Cache-cache pastoral est de premier abord relativement simple. On nous raconte l’histoire d’un jeune garçon tombant amoureux de sa voisine plus âgée que lui et décidant de partir loin avec elle en laissant sa mère seule derrière lui. Le décor est celui d’un village d’une campagne japonaise semblant très retirée des villes. Mais les choses étranges et imprévisibles sont nombreuses, et ceci dès le tout début du film. Le jeune garçon, comme une grande majorité des personnages du film, a le visage grimé de couleur blanche comme dans le théâtre kabuki. A l’intérieur de la maison familiale sombre dans laquelle le jeune garçon vit avec sa mère, l’horloge est détraquée et sonne toutes les secondes, comme pour représenter l’impatience du jeune garçon d’entrer à l’âge adulte. En dehors du village, se dresse une montagne terrifiante, aride et volcanique, qui est le domaine des exclus. Une femme vêtue d’un yukata rouge y vit. Après la naissance de son bébé, elle descend au village pour le montrer avec fierté à ses habitants. Mais ce nouveau né semble déjà mort né et il est vite considéré comme démoniaque par des sorcières vêtues de noir semblant porter une sagesse ancestrale. Un cirque très étrange est installé près du village. On y devine une débauche et ce domaine de l’interdit attire bien sûr le jeune homme malgré lui. Les liens entre ces scènes, qui à la fois nous attirent et nous repoussent, sont assez flous, comme peuvent l’être des souvenirs qui nous reviennent par morceaux. Chaque plan du film constitue un décor onirique qui est accentué par les tons et couleurs appliqués à la pellicule. Ces images sont belles et fascinantes, souvent difficiles à comprendre. Et soudain le film s’arrête. On comprend qu’on assiste en fait à la projection d’un film en cours de création. Le réalisateur y raconte son histoire lorsqu’il était jeune garçon, mais ses souvenirs sont embellis et il doute de la réalité qu’il met en image. Commence alors un dialogue entre le réalisateur et lui-même lorsqu’il était le jeune garçon de son film. On les voit ensemble sur scène et le réalisateur vient confronter sa mémoire à son moi enfant. Le film reste certes difficile à expliquer, mais outre la réflexion sur le temps et la mémoire, il s’agit surtout d’un film expérience dont la beauté conceptuelle et les sensations ne peuvent pas laisser indifférent. Et écouter la bande originale de J. A. Seazer est un bon moyen de continuer cette expérience.

Cache-cache pastoral (田園に死す) est basé sur une collection de poèmes écrits par Shūji Terayama et contient des éléments autobiographiques sur son enfance. Le village du film se trouve au pied du Mont Osore (恐山) dans la péninsule de Shimokita, dans le préfecture d’Aomori où Terayama est né. Le temple Bodaiji (菩提寺) situé sur cette montagne est d’ailleurs représenté plusieurs fois dans des scènes du film (comme sur l’image extraite ci-dessus). On dit dans le film que la montagne est terrifiante. C’est un qualificatif que l’on donne au Mont Osore (la montagne de la peur) en raison de son terrain volcanique inhospitalier et la forte odeur de soufre qui pénètre l’air. On dit que le Mont Osore est une entrée vers l’autre monde, car son environnement ressemble aux descriptions qui sont faites dans les textes bouddhistes, avec une rivière, Sanzu no Kawa (三途の川), qui doit être traversée par les esprits défunts. Cette rivière est similaire à la rivière Stix dans la mythologie grecque. Pendant un festival annuel au mois de Juillet, ceux qui ont perdu des proches peuvent tenter de communiquer avec les défunts à travers des médiums, des femmes aveugles que l’on appelle Itako. Dans le film Cache-cache pastoral, on voit le jeune garçon tenter de dialoguer avec son père défunt par l’intermédiaire d’une femme Itako sur le Mont Osore. Shūji Terayama a lui-même perdu son père alors qu’il était jeune, à l’âge de 10 ans. Son père est mort en 1945 en Indonésie lors de la Guerre du Pacifique. On reconnait ainsi des correspondances autobiographiques lors de certaines scènes. Le Mont Osore à Aomori est un des hauts lieux du Bouddhisme japonais tout comme le Mont Koya (高野山) dans la préfecture de Wakayama près de Nara et le Mont Hiei (比叡山) dans la préfecture de Shiga. Je garde un souvenir particulier du Mont Hiei perdu dans une brume légère. Lire sur le Mont Osore me donne maintenant très envie de le découvrir, même s’il est très loin de Tokyo.

Terminons avec quelques liens internet pour voir le film Cache-cache pastoral, avec une version japonaise et une autre avec sous-titres anglais. On peut écouter les musiques du film par J. A. Seazer sur une page YouTube. En explorant un peu la discographie de J. A. Seazer, je découvre une couverture illustrée qui m’est tout de suite familière. Un coffret de plusieurs CDs et DVD intitulé Shintokumaru (身毒丸) prend comme couverture une illustration de Takato Yamamoto (山本タカト) prenant le même nom. Elle est visible dans le livre Japonesthétique que j’ai justement récemment acheté. Ce rapprochement inattendu est pour moi très intriguant. J’en parlerais très certainement de ce livre d’illustrations dans un prochain billet.

敷石に立つ僕と太陽の光の間には何もない

Ces photographies sont prises pour la plupart dans le grand sanctuaire Meiji Jingū et datent des premières semaines du mois de Janvier. Le goshuin du sanctuaire vient s’ajouter à la collection et je vais déjà bientôt terminer mon deuxième carnet. Je scannerais certainement mes deux carnets une fois le deuxième terminé. Une fois toutes les pages remplies, cela donne un bel objet avec des signatures de sanctuaires et temples parfois éloignés, à Nagano ou à Yamagata par exemple. Il faudrait presque l’avoir tout le temps avec soi, ce que je ne fais malheureusement pas assez souvent. Les dragons, signes de cette nouvelle année, étaient de sortie à Meiji Jingū, dont certains sculptés dans la glace pour une exposition en plein air dans la grande allée menant au centre du sanctuaire.

De Sakanaction (サカナクション), je connais déjà un certain nombre de morceaux piochés sur différents albums mais je n’avais jusqu’à maintenant jamais écouté un album en entier. Les hasards des découvertes dans les magasins Disk Union m’amènent cette fois-ci vers l’album Night Fishing. Il s’agit du deuxième album du groupe sorti le 23 Janvier 2008. Je suis d’abord assez surpris de l’approche à la fois électronique et indie rock de l’album. Pour l’électronique, la trame du quatrième morceau Ame ha Kimagure (雨は気まぐれ) me plait beaucoup, surtout dans la manière par laquelle elle vient s’accorder avec le morceau suivant purement instrumental électronique Malaysia 32 (マレーシア32). On ne devinerait à priori pas sans le savoir qu’il s’agit d’un morceau de Sakanaction. Dans les morceaux plus indie rock, la mélancolie du morceau Uneri (うねり) me parle beaucoup. On n’est parfois pas très loin de morceaux que pourrait composer et chanter Quruli, dix années auparavant. Des morceaux comme Sample (サンプル) et surtout Night Fishing is Good (ナイトフィッシングイズグッド) sont beaucoup plus fidèles aux compositions que je connaissais du groupe. Le troisième morceau Night Fishing is Good est même d’ailleurs l’archétype de la musique future du groupe, du moins ce que j’en connais. La composition polymorphe du morceau est vraiment brillante. L’intervention inattendue des chœurs à la mode Queen peuvent surprendre le néophyte mais ce n’était pas vraiment mon cas, connaissant déjà un morceau comme Bach no Senritsu wo Yoru ni Kiita Sei Desu (『バッハの旋律を夜に聴いたせいです。』) sur l’album Documentaly, dont la composition m’avait par contre surpris et intrigué à la première écoute, il y a plusieurs années de cela. Le dernier morceau Amsfish (アムスフィッシ) compte également parmi les très beaux morceaux de cet album, notamment pour sa charge émotive croissante. Je trouve que certains morceaux arrivent mieux que d’autres à s’associer dans la mémoire à des lieux parcourus. Je me souviens très bien avoir écouté pour la première fois ce morceau en parcourant de nouveau le grand parc central de Nishi-Shinjuku. Je me pose même la question si certaines musiques ont des forces d’évocation spatiales plus prononcées que d’autres. En fait, il ne s’agit pas vraiment du seul album de Sakanaction que j’ai écouté en entier, car il y a également celui intitulé 834.194 sorti en 2019. Je l’écoute souvent dans la voiture avec le compte Spotify du fiston, mais je ne l’ai pas encore acheté. J’en reparlerais certainement un peu plus tard.

Parler dans les commentaires d’un billet récent des livres d’illustrations d’Hisashi Eguchi (江口寿史), en particulier de celui intitulé RECORD: 1992-2020, m’a rappelé que je n’avais pas encore parlé ici de l’album de Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ) qui utilise justement cette même illustration de Hisashi Higuchi comme couverture d’album. Le livre d’illustrations RECORD, comme son nom l’indique, regroupe les illustrations utilisées pour les couvertures d’albums de différents artistes et celle de l’album de Ging Nang Boyz est une des plus emblématiques. L’album s’intitule Kimi to Boku no Daisanji Sekai Taisenteki Renai Kakumei (君と僕の第三次世界大戦的恋愛革命) qu’on pourrait traduire par Toi et moi et la révolution amoureuse de la Troisième Guerre mondiale. Ce titre à rallonge traduit à mon avis assez bien la démesure rock de cet album. Tout comme l’excellent album Nee Minna Daisuki Dayo (ねえみんな大好きだよ) dont j’ai déjà parlé précédemment, cet album commence par des premiers morceaux de punk rock bruyant et immature. On y trouve une énergie adolescente débordante sonnant comme du live et une urgence de tous les moments. Les quatre premiers morceaux sont particulièrement bordéliques. On se demande un peu où on va au début mais le deuxième morceau SKOOL KILL me séduit rapidement, et cette approche sonore et vocale sans compromis me plait déjà beaucoup. Il ne faut pas en abuser bien sûr, mais ce type de sons fait beaucoup de bien de temps en temps. Le leader du groupe, Kazunobu Mineta (峯田和伸), est le principal chanteur sur tous les morceaux mais il se fait souvent accompagner par les autres membres du groupe dans les chœurs qui crient plus qu’ils ne chantent. Cela donne parfois un son assez sauvage qui n’a pas grand chose à voir avec l’apparente sérénité de l’illustration de la couverture. Enfin si, les morceaux de Ging Nang Boyz transcrivent une certaine immaturité masculine de la jeunesse (le seishun qui est un thème central) qui vient contraster avec une figure féminine idyllique. Les premiers morceaux sont vraiment axés punk rock et la suite de l’album se tourne progressivement vers une approche plus pop-rock mais avec toujours une énergie débordante et des guitares agressives très présentes. Dans l’ensemble, l’album est quand même beaucoup plus punk que Nee Minna Daisuki Dayo. Il y a tout de même quelques morceaux apaisés comme le dixième morceau Hyōryū kyōshitsu (漂流教室). Je suis particulièrement satisfait de retrouver un duo avec YUKI sur le huitième morceau Kakenukete Seishun (駆け抜けて性春). Sur l’album Nee Minna Daisuki Dayo, ils chantaient ensemble sur Koi ha Eien (恋は永遠). Cet album n’est très certainement pas pour toutes les oreilles, mais est pour sûr emblématique dans le genre. L’album se termine par un morceau intitulé Tokyo (東京) qui je pourrais rajouter dans la playlist de morceaux exclusivement intitulés Tokyo que J’avais commencé il y a quelques temps. Les artistes provenant des provinces (Mineta vient de Yamagata) écrivent souvent des morceaux prenant la capitale pour titre et sujet. Le style musical de Ging Nang Boyz est extrêmement différent de celui de l’album ci-dessus de Sakanaction, mais j’aime tout de même faire ce genre de grand écart. D’une certaine manière, ces deux groupes composent et écrivent leur musique distinctive sans compromis, et c’est ce qui me plait tout particulièrement.