wolves crying at the giant moon

Samedi dernier, je voulais profiter de la grande lune installée par l’artiste anglais Luke Jerram près de la gare de Shimo-Kitazawa avant qu’elle ne disparaisse. Mais c’est après être arrivé à pieds à Shimo-Kitazawa en fin de matinée que je me suis rendu compte que la lune n’était montée qu’à partir de 15h. Je suis donc revenu en vélo dans l’après-midi en gardant un œil sur le ciel car le typhon numéro 15 approche très rapidement. La pluie finit par tomber progressivement puis plus intensément par moments ce qui rend difficile un retour à vélo. Je ferais donc le long retour à pieds en tenant le vélo d’une main et le parapluie de l’autre. La difficulté supplémentaire de mon vélo est qu’il a un pédalier de type vélo de piste, c’est-à-dire qu’il est en permanence solidaire de la tour arrière. Quand on tient le vélo d’une main pour le faire rouler à côté de soi, il faut donc s’en écarter suffisamment pour ne pas se prendre des coups de pédales car le pédalier tourne au rythme du mouvement. Mais je ne regrette pas, malgré la pluie, d’avoir fait le déplacement jusqu’à cette lune qui apportait un brin de fantastique dans les rues de Shimo-Kitazawa. L’installation a apparemment été enlevée le Dimanche 25 Septembre. J’en montrais quelques photos supplémentaires sur mon compte Instagram la semaine dernière. J’aime beaucoup marcher jusqu’à Shimo-Kitazawa et notamment traverser le quartier de Yoyogi-Uehara que je connais assez bien sans jamais y avoir habité. J’ai dû en parcourir la plupart des rues. On y trouve par endroits des petits moments d’architecture remarquable. Shimo-Kitazawa reste beaucoup plus désordonné dans sa composition urbaine mais est malheureusement en voie de gentrification. Les alentours de la gare sont notamment en construction depuis plusieurs années et il y a fort à parier que la standardisation urbaine touche petit à petit les rues du centre. Au passage, je suis assez surpris par la longévité d’une grande illustration murale montrant des têtes de loups criant vers le ciel, ou peut-être plutôt vers la lune imaginaire qui est proche. Je vois très régulièrement sur les murs les mots « Tokyo is yours » écris à la va-vite. On sait peu de choses sur le ou les taggers écrivant ces messages dans les rues de Tokyo. Le message sur la photographie ci-dessus est écrit à l’entrée d’un escalier menant vers un sous-sol sombre et il est accompagné d’une petite flèche qui semble nous inviter à y pénétrer. Je me demande quel univers mystérieux se cache à cet endroit.

Je ne suis jamais allé dans les petites salles de concert de Shimo-Kitazawa (autant que je m’en souvienne) et il y en a pourtant plusieurs que je vois souvent mentionnées lorsque je parcours les fils Twitter de certains artistes et groupes indépendants. Tricot s’y était notamment produit en petit comité un peu plus tôt cette année en Avril (j’en parlais dans un billet précédent), avec pour objectif principal de faire un enregistrement en direct visible par les spectateurs à l’étranger, en compensation du retard de leur tournée européenne. Les mois ont passé et Tricot est actuellement en Europe pour de nombreuses dates de concerts. J’aime beaucoup suivre leur périple sur Instagram car Ikkyu et Hiromi montrent beaucoup de photos et de petits films. Après l’Angleterre, Tricot est passé à Paris pour un seul concert au Point Éphèmère et les reportages que j’ai reçu d’un amateur sur place (qui se reconnaîtra) indiquent que le concert était très bon avec un très bon accueil parisien. Je n’ai pu m’empêcher de capturer quelques photos du compte d’Ikkyu et de Tricot pour garder une trace de ce passage français.

Et pendant que Tricot tourne en Europe, Ikkyu Nakajima (中嶋イッキュウ) sort sous le nom de projet SUSU (好芻) un mini-album intitulé Gakkari. il s’agit d’une collaboration avec le musicien Kanji Yamamoto (山本幹宗). Le mini-album a une ambiance musicale très éloignée de la dynamique millimétrée du math-rock de Tricot. L’univers de Gakkari. est innocent et insouciant, dans des ambiances rêveuses. L’approche est très rafraîchissante. Je trouve cette approche comme détachée de la réalité. On y trouve parfois des petits moments musicaux orientaux et cet aspect un peu oriental donne à ce mini-album un côté un peu kitsch sans vraiment l’être. C’est un équilibre bien dosé qui tient par la voix un peu voilée mais parfaitement maîtrisée d’Ikkyu. J’aime en particulier les deux singles, Blue Boat qui démarre le mini-album et Night Market qui le conclut. Cet univers ne s’est révélé pour moi qu’après plusieurs écoutes, mais j’y ai tout de suite trouvé de l’intérêt.

Et pour continuer sur Tricot et partager une discussion que j’ai eu par messages interposés avec Nicolas, on se demandait la signification du surnom Motifour de la guitariste de Tricot. Son vrai nom est Motoko Kida (木田素子) mais se fait appeler Motifour Kida (キダ モティフォ). Une petite recherche sur le Wikipedia japonais m’a donné des bonnes pistes. Elle a apparemment pris son surnom du guitariste d’un groupe japonais appelé mudy on the Sakuban (mudy on the 昨晩). Le guitariste en question se fait appeler Watifour Mori (森 ワティフォ) et ce mot Watifour veut dire « Espoir » en langue africaine Swahili. On peut traduire Espoir en Kibō en japonais (希望). Motifour Kida aurait donc gardé le « Mo » de son vrai prénom Motoko et repris le « tifour » du nom de ce guitariste. A noter qu’un autre guitariste, Satoshi Takeuchi, d’un groupe japonais nommé Onigawara, a également appliqué la même technique en prenant le nom de Satifour Takeuchi. J’imagine qu’un lien se crée ainsi entre une communauté de guitaristes. Je me suis ensuite demandé si les kanji que Motifour Kida écrit sur ses deux mains lors des concerts ne seraient pas tirés de ce mot espoir Kibō 希望. Mais en fait non, ce sont les kanji 甲, qui signifie « dos de la main » et qu’on peut aussi comprendre comme « armure » ou « casque de protection » et 攻 qui veut dire « attaque ». L’utilisation de ces deux kanji en particulier reste bien mystérieuse. Motifour Kida dit simplement qu’il s’agit d’un porte-bonheur. Je ne sais pas si c’est commun pour les musiciens d’écrire de cette manière des kanji ou mots porte-bonheur sur leurs mains avant des représentations, mais le fait d’inscrire un kanji sur la main me rappelle forcément Sheena Ringo à ses débuts en concert (extrait du concert Senkō Ecstasy de 1999 sur la photo de droite). Elle inscrivait par exemple le kanji 主 qu’on peut traduire, je pense, en « Principal » ou « Maitre ». Tout comme Ikkyu, on sait que Motifour Kida appréciait Sheena Ringo ou des groupes comme Number Girl à ses débuts, mais je me demande si ses inscriptions sur les mains sont une influence directe. Il reste encore quelques mystères à élucider.

戦う 逃げ出したい 本当は

La chaleur estival qui approche les 40 degrés sur Tokyo est quasiment insupportable. Marcher dehors en pleine journée ressemble à une bataille (戦う) contre les éléments. On préférait s’échapper (逃げ出したい) dans des endroits plus frais mais on prend sur soi. Cette chaleur m’oblige en tout cas à abréger mes marches urbaines et, par conséquent, à moins prendre de photos en ce moment. Celles ci-dessus datent de la semaine dernière. Alors que je vais en général jusqu’à Shimokitazawa à pieds, j’ai préféré m’y rendre cette fois-ci en train depuis la gare de Shibuya pour revenir ensuite à pieds alors que le soleil commençait tranquillement à se coucher. On le remarque à la couleur de la lumière de certaines des photographies de ce billet. J’aime beaucoup cette ambiance de fin de journée. La vue sur la dernière photographie de ce billet a été un choc. Sur ce petit bout de mur grisâtre d’un pont ferroviaire près du magasin de disques Tower Records et près du parc Miyashita, on avait le plaisir d’apercevoir une mosaïque du petit robot Astro (Atom en japonais) d’Osamu Tezuka par l’artiste de rue français Invader. La mosaïque a été enlevée la semaine dernière sans aucune explication. Je ne pense pas qu’elle ait été volée, mais plutôt enlevée, car la zone de mur du pont où elle se trouvait a été repeinte. C’est extrêmement regrettable car cette mosaïque faisait partie du décor urbain de Shibuya. Elle était même devenue emblématique, à mon avis. C’est bien dommage car ce genre de symboles construisent l’histoire urbaine du lieu et les supprimer vient en quelque sorte effacer une petite partie de cette histoire. Ce qui m’étonne d’autant plus est que les graffitis assez grossiers dessinées sur le mur blanc juste à côté ont été laissés intacts. On en avait discuté dans les commentaires d’un billet précédent et j’étais pourtant persuadé que cette mosaïque ne disparaitrait pas (comme quoi…). J’espère qu’elle n’a été enlevée que temporairement pour repeindre le mur, mais j’ai beaucoup de doutes qu’il s’agisse seulement d’un simple nettoyage. On verra bien, mais Tokyo n’a de toute façon pas l’habitude de laisser vivre les choses trop longtemps. Le renouvellement perpétuel assure sa jeunesse éternelle comme un sérum de jouvence, que ça nous plaise ou pas. Elle se détruit pour se reconstruire sans cesse (東京破壊).

Tokyo Hakai (東京破壊) est le titre du deuxième album d’Aya Gloomy sorti il y a déjà un an, le 28 Avril 2021. Je connaissais déjà à peu près la moitié des morceaux de l’album pour les avoir écouté au fur et à mesure en single au moment de leur sortie (Start Again et Micro Creature) ou pour en avoir sélectionné quelques uns sur iTunes. Mais je n’avais bizarrement pas complété l’album en me procurant tous les morceaux. Ma pratique consistant à écouter les morceaux au compte-goutte me fait parfois oublier d’écouter un album en entier, si d’autres musiques viennent me distraire au même moment. Le dernier single intitulé Iro Iro d’Aya Gloomy, dont j’ai parlé récemment, me rappelle de manière soudaine et irrésistible vers cet album. J’aurais eu tord de ne pas m’y plonger une nouvelle fois dans sa totalité. Le monde d’Aya Gloomy est très particulier et unique car très personnel. En fait, j’adore sa manière de chanter et les sons électroniques qu’elle emploie sur ses morceaux. L’album s’intitule Tokyo Hakai qui veut dire Tokyo destruction et démarre avec un premier morceau intitulé 2020 (二〇二〇) qui répète ce titre d’album. Aya fait référence aux Jeux Olympiques de Tokyo en utilisant des extraits sonores de la conférence de presse pendant laquelle Tokyo a été sélectionné. C’est un thème récurrent car son premier album Riku no Kotō (陸の孤島) avait déjà un morceau intitulé 2020 / Tokyo Destruction. Celui-ci reprenait des sons similaires à ceux qu’on peut entendre sur la bande originale du film d’animation Akira. J’aimais beaucoup Riku no Kotō mais Tokyo Hakai est clairement plus abouti. L’ambiance pleine d’étrangeté est toujours très présente, car Aya nous rappelle qu’elle a pour aspiration de vivre dans l’espace mais reste malheureusement une forme vivante comme les autres coincée sur terre (私は宇宙に行くこともできない、地球にいる一つの生命体). On peut toujours lui souhaiter qu’elle arrive un jour à rejoindre les mondes intergalactiques mais on serait tout de même perdant si on n’était plus en mesure d’écouter ses nouveaux albums. Il y a fort à parier qu’elle reste accrochée sur terre pour quelque temps encore. L’ensemble de l’album est excellent et s’écoute préférablement dans son intégralité (ce que j’aurais dû faire depuis le début), mais les morceaux que j’aime par dessus tout en ce moment sont le cinquième morceau intitulé The Fight (dont je tire d’ailleurs le titre de ce billet) et le dixième Turn ☺︎ff. Je ne sais pas si je vais convaincre certains visiteurs d’écouter cet album, mais j’aurais au moins essayer.

super massive concrete

Nous sommes toujours près du parc de Yoyogi sur les deux premières photographies, en fait juste à côté d’un des blocs de toilettes publiques, auparavant transparentes, conçues par Shigeru Ban. L’aspect lisse et massif du béton du nouveau building de l’agence de publicité Meiji Ad Agency, anciennement appelée Nitto et affiliée au groupe Meiji Holdings, m’impressionne beaucoup. J’aime cette idée de mettre en avant l’impact visuel de l’architecture, ce qui ravit forcément le photographe. Le problème est que ce bloc est tellement massif et positionné sur une petite rue, qu’il est difficile à prendre en photo dans son intégralité. Au dessus du socle impénétrable de béton, les étages se détachent franchement au point où on croirait qu’il s’agit d’un bâtiment différent posé derrière le socle. La forme des étages est également intéressante car ils sont posés sur une diagonale et leurs tailles croient lorsque l’on monte en hauteur. Le socle de béton ressemble à un bunker et reste très mystérieux car on n’arrive pas à deviner à quoi ressemble l’espace intérieur. Le petit bâtiment qui suit sur les troisième et quatrième photographies du billet est d’apparence moins massive mais met également en avant le béton qui le compose. Nous sommes ici à Komaba, à quelques dizaines de mètres du campus de l’Université de Tokyo. Cette maison individuelle est située à un croisement de deux rues en Y et, avec sa forme triangulaire, utilise pleinement l’espace disponible. J’aime beaucoup cette forme aiguë et agressive qui pointe comme une lame vers la rue. Dans les rues d’Ebisu, je découvre par hasard le bâtiment de la dernière photographie, qui prend un style plus léger et très différent des autres buildings que je montre sur ce billet. Il s’agit d’une école-workshop destinée aux jeunes architectes et appelée ITO Juku. Elle est affiliée au Toyo Ito Museum of Architecture à Imabari dans la préfecture d’Ehime à Shikoku. La façade avant se compose de portes coulissantes de bois et j’imagine qu’elles doivent s’ouvrir et laisser apparaître l’intérieur lorsque l’école est ouverte. J’y suis passé tôt le matin et tout était malheureusement fermé. Elle se trouve perdue dans un quartier résidentiel et certainement difficile à trouver sans avoir l’adresse. Je suis tombé dessus par hasard, comme souvent lorsqu’il s’agit de nouvelles découvertes architecturales.

Je vois dans l’architecture de béton, même massive comme dans les exemples ci-dessus, une beauté délicate et même poétique. Ça ne me dérange par exemple pas d’associer ce béton avec la musique très délicate et sensible d’Aoba Ichiko (青葉市子) que j’écoute en écrivant ces quelques lignes. Le nom d’Aoba Ichiko m’est familier depuis un moment, et je me suis toujours dit qu’il fallait que je tente une écoute un jour ou l’autre. Ce jour était il y a quelques jours, lorsque j’ai écouté pour la première fois son dernier album sorti l’année dernière Windswept Adan (アダンの風). Il y a un morceau en particulier, le troisième intitulé Porcelain, qui possède une beauté pénétrante. Certaines musiques, à des moments et des circonstances particulières, viennent résonner avec notre être intérieur et nous poussent à la méditation. Ce sont des moments où on baisse la garde et on se laisse tout simplement porter par le flot musical. Je me dis souvent, lorsque j’écoute ce type de morceaux, que je pourrais me contenter de n’écouter que ce morceau pendant un petit moment et faire abstraction de tout le reste. Le premier morceau, Prologue, nous plonge tout de suite dans l’ambiance de l’album, aux bords de l’océan à Okinawa. On entre dans son univers folk plutôt minimaliste, composé principalement de sa voix, d’une guitare classique et de sons naturels, sans avoir envie d’en sortir jusqu’aux dernières notes. On se laisse transporter vers les îles imaginaires du sud du Japon qu’elle évoque. Sa voix résonne parfois comme si elle chantait dans la pénombre d’un espace dépouillé. J’imagine un espace délimité par des murs de béton brut, laissant une ouverture rectangulaire sur un jardin au vert profond humidifié par une pluie fine. A travers son architecture, Tadao Ando nous a montré cette délicatesse du béton quand il conçoit ses bâtiments comme des cadres ouverts sur la nature environnante (les ouvertures donnant sur le vert du jardin de Koshino House) et quand habiter dans son architecture veut dire qu’il faut accepter la présence de l’environnement naturel (la pluie lorsqu’on traverse Row House). Toyo Ito nous a également montré la poésie de son béton lorsque ses formes viennent imiter les arbres zelkova bordant le boulevard d’Omotesando. J’aime imaginer la musique que j’écoute dans les espaces d’architecture que je vois en photographie. Lorsque je réécoute l’album Lavender Edition de Ai Aso, par exemple, je repense toujours à la maison House A de Ryue Nishizawa, car j’avais écrit le billet à son propos tout en écoutant cet album. Je me suis imaginé assis dans la lumière du matin à l’intérieur de la pièce principale de cette maison en train d’écouter cette musique paisible pour l’esprit. Cette situation imaginaire m’a laissé une forte impression et je m’en souviens encore maintenant à chaque écoute. Je pourrais raccrocher chaque morceau ou album que j’ai écouté à un lieu et parfois même à un moment de la journée. Lorsque j’écoute par exemple Sekidō o Koetara (赤道を越えた) de Sheena Ringo sur l’album Hi Izuru Tokoro, je ne suis plus au Japon mais transporté soudainement aux Sables d’Olonne, sur une portion de piste cyclable de la côte sauvage, au bord de l’océan et à côté du Puits d’Enfer. Le souvenir d’un lieu particulier associé à une écoute se révèle souvent bien plus tard, car j’écoute un album et des morceaux a de multiples reprises dans des lieux souvent différents mais il me reste souvent un seul lieu en tête. Est ce que je me souviendrais de Windswept Adan d’Aoba Ichiko comme la musique qui m’accompagnait Samedi matin sous la pluie au bord du cimetière d’Aoyama. Je le saurais peut être dans quelques mois.

代々木・あの日

Le grand tremblement de terre du Tōhoku a eu lieu il y a 10 ans aujourd’hui. Pendant qu’on regarde l’émission musicale à la télévision Ongaku no Hi 3.11 (音楽の日3.11) qui est diffusée une fois par an depuis la catastrophe, des souvenirs de cette journée me reviennent. Je me souviens avoir écrit quelques semaines après ces événements et avoir mis cinq ans pour publier ce billet que je relis ce soir pour me souvenir.

Je marche moins ces dernières semaines car je préfère me déplacer à vélo. Le vélo me permet d’aller un peu plus loin que mes promenades habituelles aux endroits que je finis par avoir épuisés en terme photographique, bien que ça ne soit jamais vraiment le cas. Le vélo me permet aussi de reprendre contact avec les sons de la rue car je ne mets bien entendu pas les écouteurs en roulant. J’utilise toujours mon fixie (vélo à une seule vitesse) et je ne le regrette pas pour le contrôle qu’il apporte. J’en ai tellement pris l’habitude que je ne sais pas si je reviendrais un jour vers un vélo à changement de vitesses. Je roule cette fois-ci vers le quartier de Yoyogi Uehara, de l’autre côté du parc par rapport à la gare de Harajuku. Je cherche volontairement les petites rues étroites et je suis plutôt servi dans ce quartier lorsque je tombe par hasard sur la ruelle très étroite de la dernière photographie ci-dessus qui longe la voie ferrée. Elle passe derrière les immeubles et nous laisse croiser les trains de temps en temps. On croirait un de ces espaces oubliés par l’urbanisme et qui existent seulement pour les habitués du quartier. On trouve régulièrement ce genre d’espaces pour piétons dans Tokyo. Il s’agit parfois d’espaces conservés en l’état après qu’une petite ligne de train ait été enlevée ou des zones autrefois empruntées par un cours d’eau. Juste à côté du nouveau building Felice Yoyogikoen par Takamatsu Corporation au design incisif avec des formes de flèches pointant vers le ciel, on trouve une indication de rivière. Un petit tunnel passant sous l’avenue Yamanote indique la présence d’une rivière qui passait autrefois dans le quartier pour rejoindre la rivière Udagawa puis la rivière de Shibuya. Cette rivière appelée Kōhonegawa (河骨川) est désormais enfouie depuis 1964. Elle a inspiré une chanson très connue appelée Haru no Ogawa (春の小川) et c’est ce nom qui est inscrit sur le petit tunnel dessous l’avenue sur la deuxième photographie de ce billet. Toujours dans le même quartier, en roulant à vélo, mes yeux s’arrêtent soudainement sur une affiche qui m’est familière. Je reconnais l’affiche du film Violent Cop de Takeshi Kitano, ou en japonais Sono otoko, kyōbō ni tsuki (その男、凶暴につき). Il s’agit de son premier film sorti en 1989. Je me souviens l’avoir vu il y a longtemps, je pense que c’était avant que je vienne habiter à Tokyo. L’envie me vient de le revoir. Hanabi et Sonatine restent mes films préférés de Kitano, mais j’aime aussi beaucoup celui-ci. L’ambiance est similaire car Kitano joue toujours un personnage d’apparence froide et peu bavard, mais avec quelques pointes d’humour passagères qu’on remarque à peine. Il joue ici le rôle d’un inspecteur de police aux méthodes qui nous ferait plutôt penser à celles d’un yakuza. Comme toujours, son personnage est difficile à cerner et le film se déroule lentement. Cette lenteur n’a pour moi rien de gênant et c’est même au contraire un des points d’interêt du film. Cette affiche se trouvait sur la devanture d’une boutique de vêtements vintage appelée Hōkago no Omoide (放課後の思い出). Je lui suis reconnaissant de m’avoir donné l’envie de revoir ce film. Tout près du grand parc de Yoyogi, je retrouve les fameuses toilettes publiques conçues par Shigeru Ban. Comme je le mentionnais auparavant, ces toilettes sont composées de verre transparent devenant opaque lorsqu’on ferme la porte des toilettes. Le système n’est malheureusement déjà plus actif car les vitrages sont désormais opaques en permanence. Je pense que ce système a été mal compris par les usagers et a suscité beaucoup d’inquiétudes. C’est un bon exemple de design très intéressant mais raté. Pour les avoir utilisé, je trouve que la serrure de la porte n’était pas assez mise en évidence, petite et mal placée. C’est bien dommage car ce genre de mésaventures freinera certainement d’autres tentatives d’apporter des innovations dans l’espace public.

Pour terminer en musique, je reviens vers celle d’Ano (あの) que j’avais déjà évoqué il y a plusieurs mois. J’avais beaucoup aimé son premier single Delete, en solo car elle a désormais quitté son groupe d’idoles alternatives. Les deux nouveaux morceaux Peek-a-boo et Sweetside Suicide sont très différents l’un de l’autre. Le premier est plutôt orienté vers des sons électroniques abrasifs tandis que le deuxième est plutôt orienté rock alternatif. Il faut être en mesure d’accepter la voix particulière d’Ano mais c’est justement ce décalage entre sa voix d’idole un peu décalée et les sonorités plutôt agressives de la composition musicale qui rend ces morceaux intéressants. Ano est un personnage très bizarre et je ne doute pas de son authenticité, ce qui fait que ces morceaux fonctionnent très bien. Il y a pour moi quelque chose de très japonais dans cette approche musicale, ce qui en deviendrait même conceptuel sans pourtant évacuer toute forme d’émotions à l’écoute de cette musique. La partition rock sur Sweetside Suicide est très réussie. Les paroles chantées par Ano, tout comme la vidéo réalisée par Kyotaro Hayashi, qui a également réalisée la vidéo de Kinmokusei (金木犀) de AiNA The End, ont un côté anxiogène certain. YouTube donne d’ailleurs un avertissement avant qu’on puisse regarder la vidéo. J’entends régulièrement le terme menhera (メンヘラ) évoqué pour des artistes telles que Ano. Menhera est le diminutif de Mental Health et se réfère à des personnes atteintes ou susceptibles de souffrir d’une difficulté mentale, mais ce terme est très imprécis et ambiguë. En musique, je pense plutôt qu’il fait référence à des artistes évoquant dans leurs chansons les difficultés de vivre une vie normale. Je n’aime de toute façon pas beaucoup ce terme très caricatural. En repensant à la vidéo et à son réalisateur, je suis un peu plus attentif ces derniers temps aux réalisateurs de vidéos musicales, depuis une discussion sur un billet précédent. Je n’ai jamais vraiment regardé qui étaient les réalisateurs des vidéos des morceaux que j’aime, mais les commentaires de ce billet m’ont donné l’idée de regarder d’un peu plus près de ce côté là, car des liens stylistiques peuvent se faire. Le fait que des groupes ou artistes différents choisissent un même réalisateur de vidéo peut indiquer une aspiration artistique similaire, et me permettre de faire de nouvelles découvertes musicales. Dans les commentaires de ce billet, on évoquait également le groupe Millenium Parade de Daiki Tsuneta, dont je parlerais certainement un peu plus tard comme je suis en cours de découverte de leur premier album.