Lucky Drops par Atelier Tekuto

Un indice m’avait révélé que cette maison très particulière nommée Lucky Drops par l’Atelier Tekuto (アトリエ・天工人) se trouvait quelque part le long de la rivière Tamagawa. La rivière étant longue et sinueuse, je ne me voyais pas la parcourir en entier dans toutes ses courbes sur GoogleMap pour trouver l’emplacement exact de cette maison. Un autre indice m’indique qu’elle se trouve dans l’arrondissement de Setagaya. Il m’aura fallu un troisième indice pour finalement la découvrir dans les environs de Futago-Tamagawa. En fait, une photo disponible sur le site web de l’architecte montrait une vue d’ensemble de la maison dans son environnement. On y devinait à peine la rivière Tamagawa mais la présence d’une usine de l’autre côté de la rive m’a permis de finalement découvrir son emplacement. Comme il s’agit d’une résidence privée, je ne permettrais pas de dévoiler son adresse. Je me dis quand même que l’on finit toujours par trouver ce que l’on cherche, parfois avec une petite aide extérieure. J’ai mis très longtemps à trouver cette maison. Il y a plusieurs années, j’avais trouvé quelque part sur internet des indices sur une adresse qui s’était avérée fausse. Je me souviens avoir fait le déplacement dans un quartier de Kamata et d’avoir fait des ronds dans ce quartier pour ne finalement rien trouver. J’avais pensé à cette époque que la maison avait été détruite, ce qui m’avait paru plutôt plausible vue son extrême petitesse que j’imaginais peu pratique pour y vivre. Les hasards d’Instagram m’ont rappelé que cette maison était bien toujours là, fièrement plantée sur un étroit terrain tout en longueur.

On la trouve dans une petite zone résidentielle longeant la rivière au bord d’un terrain vague. La maison est construite sur un terrain étroit tout en longueur qui prend une forme trapézoïdale faisant 3.26m de largeur au niveau de la façade principale et se réduisant à 0.79m sur la façade arrière. La maison est longue et fine, faisant 29.3m de longueur sur une surface totale de 21.96㎡. Lucky Drops prend également une forme de trapèze dont la hauteur au-dessus du sol diminue alors que l’on progresse de la façade à l’entrée jusqu’au fond du bâtiment. Notons que le design structurel de cette maison a fait intervenir Masahiro Ikeda dont je parle régulièrement sur ce blog. Il a déjà travaillé avec Yasuhiro Yamashita et l’Atelier Tekuto pour d’autres projets comme Penguin House à Itabashi. La forme conique de l’espace au sol est renfermé par une fine membrane translucide composée de panneaux en plastique renforcé de fibres, laissant passer la lumière naturelle. La surface habitable totale est d’environ 61㎡, incluant bien entendu un espace au sous-sol. La petitesse du terrain et les régulations de construction ont contraint de déplacer la majeure partie de l’espace habitable au sous-sol, tout en maximisant l’espace au sol en utilisant cette membrane fine comme murs. Les étages sont séparés de grilles de métal de couleur blanche laissant traverser la lumière. Les photos que l’on peut voir de l’intérieur (celles ci-dessus prises par le photographe Makoto Yoshida et visibles sur le site de l’architecte) donne bien cette impression d’un espace extrêmement réduit et j’ai beaucoup de mal à imaginer comment on peut y vivre confortablement. Le manque d’espace est évident car on voit sur les façades avant et arrière des monticules d’objets et de boîtes entassés. Il faut très certainement avoir à cœur de ne pas s’encombrer d’objets matériels pour pouvoir apprécier pleinement la vie dans un tel endroit. Il n’empêche que ce genre d’architecture conçu, bien entendu, en accord avec le client reste tout à fait fascinant. Je me pose quand même la question du terrain vague longeant la maison. Il est resté inoccupé depuis la construction de cette maison en 2005 et je me demande donc s’il est également, dans sa totalité, la propriété du couple habitant cette maison. Le terrain n’est pas spécialement aménagé et n’a pas l’air d’être utilisé. Ça me donne le sentiment que les propriétaires ont volontairement fait le choix de vivre dans un espace très réduit (les contraintes budgétaires jouant certainement). Les teintes blanchâtres que l’on peut voir sur les photos après construction (sur le site de l’architecte) ont dû progressivement jaunir, ce qui n’a rien de vraiment étonnant. Je me demande si les surfaces courbes extérieures n’ont pas plutôt été recouvertes d’un film de couleur jaune. Je ne suis en tout cas pas mécontent d’avoir enfin trouvé cette maison car j’aime beaucoup l’inventivité sans compromis de l’Atelier Tekuto. Cette inventivité fait ressembler son architecture à des œuvres d’art qui font le plaisir des amateurs photographes comme moi. Reflection of Mineral ou R・Torso・C sont d’autres bons exemples de l’art architectural de Yasuhiro Yamashita et de l’Atelier Tekuto.

Magritte’s & UFO building

J’avais vu plusieurs fois sur Instagram la maison étrange de béton des deux premières photos, sans savoir où elle se trouvait. Je découvre récemment qu’elle se situe au coin d’une petite rue du quartier de Yotsuya Sakamachi. Le quartier est, comme son nom le laisse penser, plein de rues en pente. Il se trouve à proximité du quartier d’Arakichō dont j’avais déjà parlé il y a tout juste un an. Cette maison de béton ressemble à un champignon ou à un objet volant non-identifié. Je ne connais malheureusement pas l’architecte. Je me demande bien à quoi peut ressembler l’intérieur vu le peu d’ouvertures apparentes. Avant de partir à sa recherche à vélo, une petite recherche sur GoogleMap me fait la surprise de me dévoiler une autre maison intéressante que je connaissais pour l’avoir déjà vu dans des magazines d’architecture. Je la montre sur les photographies qui suivent celles de la maison champignon / UFO. Il s’agit de la maison individuelle nommée Magritte’s par Yasuhiro Yamashita de l’Atelier Tekuto. Ce n’est pas la première fois que je découvre par hasard une maison de l’Atelier Tekuto alors je recherchais autre chose (l’autre était Penguin House). En fait, j’ai découvert par hasard la plupart des maisons à l’architecture remarquable de l’Atelier Tekuto. Ce genre de signes m’intriguent forcément vraiment beaucoup. La maison Magritte’s se trouve à quelques mètres dans la même rue que la maison champignon de béton des deux premières photographies, mais on pourrait très facilement passer à côté si on ne fait pas attention.

D’apparence extérieure, la maison Magritte’s se compose de deux blocs de béton brut superposés l’un au dessus de l’autre et séparés par une étroite surface oblique de vitrage. Ces surfaces vitrées, faisant le tour du bâtiment, semblent être les seules ouvertures de la maison, si on exclut bien entendu la porte d’entrée. On a en fait l’impression que le bloc de béton supérieur est détaché du reste, comme s’il flottait légèrement. La rue étant étroite, il était malheureusement très difficile de montrer une vue d’ensemble du bâtiment. D’après le site de l’architecte, cette maison s’inspire d’une peinture du peintre surréaliste belge René Magritte. Cette peinture appelée Le château des Pyrénées (1959) montre un château posé sur un immense rocher s’envolant dans le ciel au dessus de l’océan. On retrouve cette impression de légèreté improbable dans la maison conçue par l’Atelier Tekuto à la demande du jeune couple, futur propriétaire de la maison. Les quelques photos ci-dessus sont empruntées au site web de l’architecte et donnent une bonne idée de l’agencement intérieur fait de béton brut. Magritte’s a été construite en Juin 2005 sur un tout petit espace de 26.15㎡, dans une zone résidentielle dense et une petite rue très étroite, comme je le mentionnais ci-dessus. Les photographies montrent un espace intérieur relativement bien éclairé par la ligne latérale de fenêtres obliques, mais je pense qu’en réalité il doit quand même rester assez sombre, même en pleine journée.

En regardant la peinture du château volant de Magritte qui a inspiré le concept visuel de cette maison, je pense au château dans le ciel de Laputa. Sur un billet de son blog, mahl me rappelle l’excellente série d’émissions radio de la série « Les chemins de la philosophie » sur France Culture, consacrée pour quelques épisodes aux films d’animation d’Hayao Miyazaki. Quelques épisodes avaient été diffusés en 2019 et m’avaient à l’époque donné envie de revoir Nausicaä. Cette série intitulée « Philosopher avec Miyazaki » a repris cette année en Février avec quelques épisodes dont un évoquant justement Laputa. On m’a souvent demandé si je m’étais inspiré de Laputa à l’époque où je montrais mes premières compositions urbano-végétales représentant des maisons ou immeubles avec des bases végétales prenant leur envol au dessus de la ville. Je ne m’étais pourtant pas consciemment inspiré des films de Miyazaki.

何処にいてもデジャヴ

J’aurais pu évoquer les géométries urbaines dans le titre de ce billet mais je préfère utiliser, comme c’est souvent mon habitude, un extrait de paroles d’un morceau que j’aime beaucoup et que j’évoquerai un peu plus bas. J’ai déjà vu et montré sur ce blog les deux maisons individuelles atypiques sur les deux premières et deux dernières photographies de ce billet. Les personnes intéressées par l’architecture tokyoïte reconnaîtront donc très rapidement Reflection of Mineral de l’Atelier Tekuto, sur les deux premières photographies. La première et unique fois où je suis passé voir cette maison était en Avril 2014. La couleur était blanche à l’origine mais elle a été repeinte en gris clair. Ce n’est pas une mauvaise idée car dès 2014, la couleur blanche de la surface des murs se salissait avec des traces d’écoulements d’eau de pluie. La voiture des propriétaires a également changé, bien que la couleur soit à peu près la même. J’ai l’impression que, comme pour House NA de Sou Fujimoto et sa 2CV bleue, cette voiture orange fait partie entière de l’esthétique de la maison. On serait presque déçu de ne pas la voir stationnée devant. J’ai également montré les formes futuristes de Hironaka House, par l’architecte Ken Yokogawa, plus récemment dans un billet du mois d’Août 2021. Une pluie fine m’avait empêché de prendre des photographies correctes de cette maison l’année dernière, donc je me rattrape un peu sur les deux photographies ci-dessus prises récemment. Un livreur pressé et un homme marchant au pas de course me font le plaisir de s’incruster au dernier moment sur les photographies que je montre ci-dessus. Et entre ces deux maisons, j’y ajoute d’autres formes géométriques. Le building de béton à la forme biseautée avec une série de petits triangles placées sur la cage d’escalier extérieure s’appelle Felice Yoyogikōen (フェリーチェ代々木公園) par Takamatsu Corporation. Comme son nom l’indique presque, il se trouve a quelques dizaines de mètres de la gare de Yoyogi-Hachiman. La photo est prise depuis l’avenue Yamate. Je l’avais déjà pris en photo mais depuis le bas de la rue. L’impression depuis l’avenue Yamate est bien différente car le building semble difforme et perd un peu de son agressivité visuelle. La photographie qui suit est prise dans un tout autre lieu, quelque part entre Suidobashi et Ochanomizu, si mes souvenirs sont bons. Les formes géométriques composant la façade me font penser au visage d’un personnage. J’imagine que cette disposition de formes est volontaire.

Pour parler une nouvelle fois de mes découvertes musicales, j’alterne la musique de tricot (que j’écoute vraiment beaucoup en ce moment) avec quelques titres du nouvel album de Mondo Grosso intitulé Big World. Je n’ai pas exploré en entier cet album mais comme Shinichi Osawa (大沢伸一), qui est seul au commande de Mondo Grosso, invite des personnes différentes pour chaque morceau, je ne suis à priori pas certain de tout aimer. Osawa joue beaucoup avec les styles car les deux morceaux que je vais évoquer maintenant sont vraiment très différents l’un de l’autre d’un point de vue stylistique. La première des deux images ci-dessus provient de la vidéo du morceau In This World. On ne le voit pas sur la vidéo, mais les notes de piano sont jouées par un certain Ryuichi Sakamoto (坂本龍一) qu’on ne présente plus. Hikari Mitsushima (満島ひかり) chante sur ce morceau et danse même. La vidéo est très belle et je dirais même poétique avec un brin de fantastique. Les notes lentes et détachées du piano surprennent d’abord jusqu’à ce que la voix de Hikari Mitsushima prenne le relai. Le début du morceau est très dépouillé, mettant l’accent sur la combinaison du piano et de la voix. Des cordes viennent ensuite compléter l’ensemble et un rythme de basse électronique donne une dimension différente au morceau. Le beat électronique s’intensifie ensuite et devient très accrocheur. Cette combinaison de sons classiques, d’une voix détachée quasiment à capella et de rythmes électroniques est vraiment intéressante et réussie. Je ne soupçonnais pas que Hikari Mitsushima, qui est avant tout actrice, avait une aussi belle voix. Je n’ai pas vu beaucoup de films dans lesquelles elle jouait mais je me souviens très bien du film Love Exposure de Sion Sono. J’avais moyennement aimé le film car il était trop long et Sion Sono va parfois trop loin dans le grotesque, mais je me souviens par contre très bien du personnage de Yōko interprété par Hikari Mitsushima. Plus récemment, elle est excellente avec Ryuhei Matsuda (松田 龍平), fils de Yūsaku Matsuda (松田 優作), habillée en reine façon Marie Antoinette dans une série de publicités pour UQ Mobile. Les deux ne manquent pas d’humour. Pour revenir au morceau In This World, je le trouve très réussi et j’y trouve même une certaine grâce. Ce n’est pas la première fois que Hikari Mitsushima chante sur un morceau de Mondo Grosso, le précédent s’intitulait Labyrinth (ラビリンス). C’est également un très bon morceau, dont la vidéo a été tournée à Hong Kong, et un des morceaux de Mondo Grosso les plus vus sur YouTube. C’est le genre de morceaux qu’on peut écouter en boucle sans s’en lasser.

Sur cet album Big World de Mondo Grosso, j’aime aussi beaucoup le morceau intitulé Stranger chanté par Asuka Saitō (齋藤飛鳥) du groupe Nogizaka46 (乃木坂46). L’ambiance musicale est dans l’esprit rock shoegazing, très différent de l’autre morceau. La voix d’Asuka Saitō n’est par contre pas effacée et est même très présente. En écoutant ce morceau, je me dis une nouvelle fois que c’est une bonne idée de faire évoluer les idoles dans le style rock shoegazing, comme le fait par exemple assez brillamment le groupe RAY, dont j’avais déjà parlé à l’occasion de la sortie de leur premier album Pink. Il faudrait que je fouille un peu plus dans discographie plus ancienne de Mondo Grosso, car je sais qu’on y trouve des morceaux avec UA et AiNA que je n’ai pas écouté avec assez d’attention. Cette « découverte » de Shinichi Osawa me ramène vers l’émission d’interview Wow Music de J-Wave visible sur YouTube. Lorsqu’elle était hôte de l’émission, AiNA The End a interviewé Shinichi Osawa. Elle le considérait comme un professeur, très bavard de surcroît. Osawa a également été hôte de cette émission radio et nous a fait le plaisir d’interviewer Seiko Ōmori. J’ai un avis mitigé sur la musique de Seiko Ōmori même si j’aime beaucoup son album Tokyo Black Hole. Il s’agit par contre d’une artiste qui compte sur la scène indépendante japonaise et qui influence des artistes plus jeunes (enfin, elle n’a, elle-même qu’une trentaine d’années).

Penguin House par Atelier Tekuto

Il m’arrive parfois de trouver des maisons individuelles à l’architecture remarquable déjà vues dans des magazines ou livres d’architecture alors que je marche au hasard des rues de Tokyo. On me fait également parfois part de maisons intéressantes par email (je l’évoquerais peut-être plus tard). Il est beaucoup plus fréquent que je trouve ce genre d’architecture dont on n’a pas l’adresse en faisant des recherches à partir d’éléments de l’environnement urbain présent sur les photographies que l’on peut voir dans ces magazines ou livres d’architecture, ou sur internet, pour ensuite continuer ma recherche en utilisant GoogleMap. Cette phase de recherche peut durer très longtemps, des années même, lorsqu’on n’a que très peu d’information sous la main. Ça fait aussi partie du plaisir de la recherche et de l’immense satisfaction lorsqu’on finit par trouver. Je recherche par exemple la maison individuelle On the cherry blossom par l’architecte Junichi Sampei (A.L.X.) depuis très longtemps sans l’avoir trouvé. Je la recherche virtuellement sur GoogleMap dans les rues de l’immense arrondissement de Itabashi, cette seule indication de lieu étant mentionnée en Japonais sur le site de l’architecte. Je n’ai pas encore trouvé On the cherry blossom, mais mes recherches m’ont fait découvrir une autre maison remarquable déjà vue dans les livres d’architecture, Penguin House de l’Atelier Tekuto. Il est très rare et même complètement improbable de trouver ce genre de maisons par hasard sur GoogleMap, surtout dans des arrondissements immenses à la périphérie du centre de Tokyo, d’où ma grande surprise lorsque ses formes distinctives se sont révélées sous mes yeux. J’étais d’autant plus content de trouver une nouvelle œuvre architecturale de l’Atelier Tekuto, qui fait de bien belles choses comme par exemple la petite maison R・Torso・C que j’ai déjà découvert par hasard dans un recoin du quartier de Ebisu.

Penguin House par l’architecte Yasuhiro Yamashita de l’Atelier Tekuto est une toute petite maison placée à un croisement de deux routes tellement étroites qu’elles pourraient être piétonnes. Il s’agit d’une zone résidentielle plutôt agréable aux premiers abords, se trouvant à proximité d’un sanctuaire entouré de verdure. Une des routes mène d’ailleurs à ce sanctuaire et est bordée de grands arbres. Elle a été construite il y a presque 20 ans, en Avril 2002, mais reste impeccable. Elle a très peu perdu de sa blancheur initiale. Cette maison à la structure en acier se dresse sur un tout petit espace de 50.99㎡ mais n’en occupe que 30.80㎡ pour une surface totale habitable de 83.56㎡. Elle a été conçue pour un couple de jeunes musiciens qui souhaitaient à la fois y installer un studio de musique et un espace pour y vivre. La maison se compose de trois étages. Comme on peut le voir sur les quatre petites photos prises par Takeshi Taira extraites du site de l’architecte, le studio se trouve au rez-de-chaussée tandis que les espaces de vie se trouvent aux étages. Le deuxième étage regroupe la chambre et la salle de bain et le troisième étage le living-room. La particularité de cette maison est bien étendue la forme unique des ouvertures donnant sur le rez-de-chaussée et le premier étage. Elles sont découpées dans les coins de la maison et prennent la forme courbe des murs incurvés posés les uns sur les autres. Cette forme courbe est née d’un souci d’optimiser l’espace habitable tout en respectant les régulations de construction, notamment celles régulant la hauteur des constructions aux bords des rues. Le nom de Penguin House viendrait de cette forme incurvée, comme le dos d’un pingouin peut-être. L’espace servant de living-room en haut de la maison est beaucoup plus éclairé que le reste de la maison car entouré de grands vitrages. Cet espace juste au dessus des toitures des maisons environnantes et donnant sur une rangée verte semble particulièrement agréable. Je trouve que cette maison arrive bien à ajuster le vis-à-vis extérieur en fonction de la fonction des pièces. Le deuxième étage contenant la chambre et la salle de bain est un espace plus intime que le reste de la maison et a donc les ouvertures les plus étroites. Le studio au rez-de-chaussée destiné à la création musicale est certainement moins privé d’où des ouvertures plus grandes. Ces ouvertures ont tout de même une taille contrôlée qui apporte, j’imagine, une isolation nécessaire pour se concentrer sur la création. Le dernier étage ayant peu de vis-à-vis est par conséquent très ouvert sur l’extérieur. Construire à Tokyo pour un architecte doit être un vrai casse-tête mais pousse en même temps à imaginer ce genre de formes remarquables, qu’on découvre comme des petits trésors au hasard des rues. Cette petites maisons urbaines sont en effet des petits trésors à la délicatesse toute japonaise. Il faut également noter que l’ingénieur en structure Masahiro Ikeda intervient sur le design structurel de cette maison. Je me rends compte que je mentionne son nom assez régulièrement car les structures qu’il invente sont particulièrement innovantes, pour exemples White Base, Natural Ellipse et ∆ (Delta) qui sont parmi les maisons tokyoïtes que je préfère.

capsules urbaines

Je recherche beaucoup en ce moment à faire contraster le décor urbain avec les couleurs de la végétation qui s’en dégagent soudainement, sans prévenir. Sur cette série photographique, le rouge végétal l’emporte haut la main sur le reste du paysage urbain, même la maison individuelle futuriste R・Torso・C de l’Atelier Tekuto sur la première photographie a du mal à rivaliser avec la force de cette couleur rouge. En insérant une photographie de la rivière de Shibuya, je m’amuse ensuite à soumettre ces formes et couleurs végétales à la rudesse grise du béton. L’architecture aux formes lisses et angles nets des première et dernière photographies agissent comme à cadre destiné à contenir et à amortir cet extrait de ville. Dans mon esprit, j’aime régulièrement concevoir mes billets comme des petites capsules urbaines suivant une logique définie de composition. Ces capsules s’apparenteraient à des salles d’un ensemble architectural beaucoup plus vaste, lui même représentant une réalité parallèle à celle de la Ville. Lire le manga Blame! de Tsutomu Nihei me fait réfléchir à ma vision de la Ville.

Dans les commentaires d’un billet précédent intitulé ‘walk as you mean to go on’, Nicolas me conseille la lecture du manga Blame! (ブラム!) de Tsutomu Nihei. Je ne connaissais pas ce manga de science fiction dont le premier épisode date de 1998, mais j’avais par contre vu de cet auteur l’anime Knights of Sidonia que j’avais beaucoup aimé à l’époque. Knights of Sidonia ressemble un peu à Neon Genesis Evangelion car, de manière similaire, des formes extraterrestres attaquent inlassablement une communauté qui essaie tant bien que mal de se défendre. Ce que j’aimais par dessus tout dans Knights of Sidonia, c’était la représentation très inspirée d’une ville verticale intégrée à un vaisseau spatial. On retrouve cette même complexité urbaine sur le manga Blame!, sauf que la représentation de la ville y est beaucoup plus chaotique.

Dans Blame!, Tsutomu Nihei nous montre un monde ultra-futuriste où les technologies cyberpunk se mélangent à d’immenses constructions de béton et de métal sombres et cauchemardesques. Un personnage solitaire, Killy, dont on ne sait que peu de choses, évolue entre les différents niveaux de cette gigantesque ville verticale. La ville est composée de strates séparées par des megastructures quasi indestructibles jouant le rôle de système d’isolation entre les différents niveaux de la ville. La ville que l’on parcourt dans Blame! prend ses fondations sur Terre et a ensuite grandi sans contrôle humain sur des dizaines de milliers de kilomètres pendant plus d’un millénaire. La ville est progressivement construite par des machines automatiques appelées bâtisseurs qui l’étendent à l’infini jusqu’à l’emballement et le chaos. L’univers de cette ville est sombre et crasseux, souvent vertigineux le long des longues parois donnant sur le vide, et viscéral quand les tubes de toute sorte s’entremêlent comme s’ils se connectaient à des organes. La ville est labyrinthique tout comme l’histoire qui y est relatée. On se perd dans ces lieux en suivant les traces de Killy comme on se perd dans l’histoire qui est particulièrement et volontairement complexe à comprendre. Le manga n’est pas facile d’accès du fait du nombre restreint de dialogues et d’explications sur les événements qui viennent interrompre le parcours des personnages. Cela pourrait avoir un aspect un peu frustrant, mais on apprend vite en parcourant les pages du manga qu’il s’agit ici plutôt de s’imprégner de l’ambiance des lieux et de vivre cette lecture comme une expérience. Il est difficile d’avoir des explications rationnelles à tout ce qui surgit, se transforme, disparaît soudainement pour réapparaître plus tard dans d’autres lieux. Pour sûr, ce manga ne s’adresse pas à tous, mais, en ce qui me concerne, j’ai tout de suite été impressionné par les détails et la spatialité de cette architecture gigantesque. D’une certaine manière, je suis même rassuré de savoir que Tsutomu Nihei a fait des études d’architecture avant de devenir mangaka, tant il maîtrise la conception des espaces.

L’univers post-apocalyptique de cette ville est mystérieux et on apprend sa genèse que par bribes d’informations très incomplètes. Killy, aidé dans son parcours par une scientifique appelée Cibo (ou Shibo), recherche des humains porteurs du terminal génétique. On apprend que les humains avaient autrefois contrôle sur l’évolution de cette ville en s’y connectant à travers ces terminaux génétiques, mais qu’une contamination leur à fait perdre ce contrôle, laissant la ville en proie aux machines bâtisseuses inarrêtables et aux créatures cybernétiques appelées Sauvegardes (ou Contre-Mesures ou Safeguards selon les traductions). Killy et Cibo ont pour objectif de rendre à l’humain cette capacité de se connecter avec la ville, afin d’en arrêter son expansion folle, de stopper les actions destructrices des Sauvegardes et de redonner à cette ville un fonctionnement normal. Le périple de Killy et Cibo est ponctué de nombreux combats contre ces Sauvegardes qui cherchent inlassablement à exterminer les humains. Killy est humain mais possède des capacités cybernétiques et une arme très puissante, un Émetteur de Rayon Gravitationnel (Gravitational Beam Emitter), dotée d’une technologie rare et donc convoitée. Cette arme est un de ses plus précieux alliés contre les Sauvegardes et autres créatures hostiles car ses effets sont dévastateurs.

Dans ces mondes obscures, vivent des tribus plus ou moins étranges ou hostiles qui viendront croiser le chemin de Killy. Dans les premiers volumes de l’histoire, il traversera le village des electro-pêcheurs (ou électro-harponneurs), un regroupement humain vivant retranché et précairement dans une partie de la ville et ne sachant que peu de choses sur leur histoire ou leur environnement. Ils ont connaissance de légendes sur un monde ancien mais peu de certitudes. Les nombreuses rencontres que fait Killy sur son parcours n’aident en fait pas beaucoup le lecteur à comprendre l’origine de cette ville, et viennent même complexifier l’ensemble. Une autre forme vivante appelée Silicié (ou Créature de Silicium) vient plus tard empêcher la progression de Killy et Cibo dans leur recherche. Ce sont des cyborgs de couleur noire aux formes étranges parfois grotesques et élancées, luttant d’abord pour leur survie en détruisant toute forme humaine. Un peu plus loin encore, un personnage aux allures féminines appelé Sanakan, représentante haut placée des troupes de Sauvegardes possédant également un Émetteur de Rayon Gravitationnel, essaiera aussi de leur barrer la route. D’autres personnages comme l’intelligence artificielle Mensab (ou Main-serv) et son gardien Seu, ou l’ancien Sauvegarde spécial reconverti Dhomochevsky et son compagnon Iko, essaieront plutôt de les aider dans leur quête d’un porteur de terminal génétique. L’histoire se complexifie encore quand on nous indique que ce terminal permet de se connecter à une Résosphère (ou Netsphere) qui semble être un monde parallèle à la réalité basique où le temps et l’espace fonctionnent différemment.

Il faut s’accrocher entre tous ces concepts mais on apprend vite à lâcher prise et à se laisser entrainer dans cet univers plutôt que d’essayer d’en comprendre les moindres détails. Et cet univers est fabuleux, que ça soit pour l’aspect grandiose et le détail extrême des lieux, que pour la qualité graphique et l’élégance des personnages que l’on y croise. En fait, cette densité nous fait penser que ce monde est beaucoup plus vaste et réfléchi que ce que l’auteur nous montre dans les pages du Manga. De nombreux termes font référence au monde digital et informatique comme le nom des personnages Mensab (Main-Serv autrement dit ’Serveur Principal’) ou Seu (software de l’IBM AS/400), le Silicium qu’on retrouve dans les composants électroniques, la Résosphère comme représentation du cyberspace, les Contre-Mesures qui essaient d’éliminer les humains contaminés comme des virus informatiques, les règles d’accès à la Résosphère qui ressemblent à une gestion d’accès d’un système d’exploitation informatique. La frontière entre le monde très physique de cette ville titanesque et le monde digital où des entités se téléportent devient de plus en plus flou au fur et à mesure qu’on avance dans l’histoire. En fait, la densité de ce monde et les références au monde digital (par exemple, les intelligences artificielles) ne sont pas si éloignées que ça des mondes de Masamune Shirow sur Ghost in the Shell. L’ambiance graphique est cependant plus proche de celle de H.R. Giger dont Tsutomu Nihei dit être influencé. Intéressante coïncidence, Je suis justement en train de revoir tous les films Alien suite au billet que je mentionnais plus haut, et j’ai déjà vu les quatre premiers de la série. Me reste à revoir les films plus récents de la série Prometheus. Tsutomu Nihei revendique également un attrait pour la bande dessinée franco-belge d’auteurs comme Enki Bilal ou Moebius. Je sens que je vais bientôt ressortir de ma bibliothèque la trilogie Nikopol et le gros volume de l’Incal.

Suite à la lecture des six volumes du manga Blame!, je regarde le film d’animation éponyme réalisé par Hiroyuki Seshita sur Netflix. Le film est graphiquement très fidèle mais ne va pas aussi loin que le manga dans la représentation de la grandeur des espaces. L’histoire reste beaucoup plus abordable que le manga car elle se limite au deuxième volume quand Killy rencontre Zuru et le village des electro-pêcheurs, et qu’il tente avec Cibo une connexion à la Résosphère à travers un terminal synthétique récupéré dans l’ancienne entreprise Toha Heavy Industries. On ne retrouve pas non plus dans le film d’animation la folie graphique que l’on peut voir dans le manga, notamment dans le dessin de certains personnages. Mais, le film est tout de même très beau visuellement et constitue un complément intéressant et même instructif sur l’univers du manga.