閏年エンディング ~其ノ壱~

J’ai encore beaucoup de photographies à montrer avant la fin de l’année, même si elles ne sont pas toutes très intéressantes. Celles de ce billet sont plutôt dans la catégorie des photographies moyennement intéressantes, bien qu’elles aient tout de même un intérêt architectural pour la plupart d’entre elles. Je suis en fait déjà passé plusieurs fois à ces endroits et j’ai déjà montré ces bâtiments en photo auparavant, à part peut être la dernière maison appelée Sin Den, conçue par les architectes Klein Dytham. Ce dernier petit bâtiment était en fait la raison de mon déplacement car je le connaissais depuis très longtemps sans l’avoir vu et pris en photo. De mes souvenirs de photos vues sur Internet ou dans un magazine, la couleur noire des murs était beaucoup plus prononcée que dans son état actuel, ce qui fait un peu perdre au bâtiment un certain impact visuel. Alors que je regardais mon chemin sur la carte de mon smartphone, un homme qui devait avoir à peu près le même âge que moi, me demande, en anglais, si je cherche mon chemin. C’est assez rare à Tokyo qu’une personne prenne volontairement un peu de son temps pour essayer d’aider quelqu’un de perdu. Sauf que je n’étais pas perdu et je soupçonne que la personne voulait pratiquer son anglais. Il m’avait l’air ceci-dit tout à fait sympathique, mais j’étais un peu embêté pour lui fournir une explication claire sur ce que je recherchais. La scène se passant devant le bâtiment Sin Den, j’étais déjà arrivé à mon but. J’aurais dû lui dire que je recherchais de l’architecture remarquable, mais ce que j’avais devant moi n’était pas aussi remarquable que je le pensais.

Mes promenades architecturales m’amènent régulièrement dans des zones résidentielles où très peu de personnes circulent. J’ai toujours une petite appréhension lorsque je marche dans ce genre de quartiers purement résidentiels en dehors du centre de Tokyo, car je me dis que les résidents qui me voient peuvent se demander ce que je viens faire ici avec un appareil photo en bandoulière, d’autant plus que je regarde dans tous les sens, notamment les maisons individuelles pour y déceler leurs particularités (si elles en ont). Je ne suis pas certain qu’il y ait beaucoup de personnes marchant dans ces quartiers pour prendre des murs de béton en photo. C’est peut-être aussi pour éviter un éventuel questionnement sur ma démarche que je mets des écouteurs et de la musique lorsque je marche dans ces rues.

Et parce qu’il faut bien faire une petit pause de temps, je n’écoute pas Sheena Ringo ou Tokyo Jihen mais je reviens vers Burial, qui nous fait le plaisir immense de sortir un nouveau morceau de 12 minutes intitulé Chemz. Le morceau n’est pas ambient comme certains des précédents, mais il est tout autant polymorphe. On ne s’éloigne pas de l’ambiance typique de burial, avec atmosphère brumeuse et sample de voix qui se répète. Les sons de Burial me donne l’impression de rentrer dans un club underground londonien au troisième sous-sol (c’est mon imagination pure car je ne connais pas les clubs londoniens, d’autant plus ceux au troisième sous-sol) et ils fonctionnent toujours excellemment bien. Je pense que c’est un des morceaux que je préfère depuis le EP Rival Dealer de 2013, qui reste quand même son meilleur EP après l’album Untrue. La longueur bienvenue du morceau nous aide à accepter le fait qu’il ne sorte qu’un ou deux nouveaux titres par an. En fait, il y a bien un autre morceau annoncé avec Chemz, Dolphinz disponible en pré-commande, mais il ne sortira que le 28 Février 2021. Et comme une bonne surprise ne vient jamais seule, j’en ai aussi profité pour écouter les deux très beaux titres Her Revolution et His Rope nés de l’association de Burial, Four Tet et Thom Yorke. L’ambiance y est plus calme et méditative, avec des samples tournant doucement en boucle et la voix de Thom Yorke que je n’avais pas entendu depuis son album solo Anima. En ces temps relativement anxiogènes, il y a pour moi quelques chose de rassurant dans la voix de Thom Yorke, peut être parce que je l’écoute depuis plus de vingt cinq ans, avec l’album The Bends et surtout le morceau Creep de l’album d’avant que j’avais découvert dans le film Cyclo de Tran Anh Hung sorti également en 1995. Je n’ai pourtant pas suivi assidûment Radiohead car j’ai eu une période de décrochage après Hail to the Thief. Un peu comme pour Sheena Ringo et Tokyo Jihen, j’y suis revenu un peu plus tard pour rattraper les quelques albums que j’avais manqué et qui m’avaient paru à ce moment là comme étant des évidences. J’avais d’ailleurs parlé de Radiohead et SR dans un billet groupé, bien qu’ils n’aient pourtant pas grand chose en commun à part le fait que Sheena a repris Creep sur ses tous premiers concerts et qu’elle a une certaine admiration pour Radiohead.

in the blazing sun I saw you

Quand la fin de l’année approche, j’ai tendance à mélanger les photographies que je n’ai pas encore publiées sans forcément les réunir par thème. A ce moment de l’année, mon inspiration pour écrire diminue aussi. Il faut dire que le billet précédent m’a en quelque sorte vidé de toute envie d’écrire pour quelques jours au moins. Le mois de décembre est en général moins actif niveau écriture, mais je me rends compte que l’année dernière avait quand même été assez chargée pour ce qui est du nombre de billets publiés et de la longueur des textes sur chaque billet. Il faut que je fasse quelques efforts pour terminer l’année.

Sur ce billet, les premières photographies montrent le village Shonan Kokusai Mura sur les hauteurs de Hayama, dans la préfecture de Kanagawa. Il s’agit d’un village assez récent, sans histoire ni histoires, assez isolé en haut d’une colline. Certains bâtiments ont des formes assez futuristes, comme celui tout en courbe de la première photographie. Il y a aussi des maisons individuelles regroupées dans un quartier résidentiel dont le silence nous fait croire que personne n’y vit. On croise bien des personnes dans ce village mais leur nombre vis à vis de l’étendue des lieux donne un sentiment de vide qui m’a un peu dérangé. Je n’avais pas eu cette impression la dernière fois que nous y étions allés, peut être parce que c’était en plein été, au mois de juillet. Notre dernière visite au Shonan Kokusai Mura date d’il y a 15 ans. Lorsque l’on descend de la colline, on arrive au bord de l’océan et on redécouvre la plage de Zushi. Nous allons souvent à Hayama, mais très peu à Zushi. J’aime beaucoup Hayama, je pourrais, je pense, y vivre (et j’ai d’ailleurs rencontré récemment un français qui y vivait).

La photographie suivante nous ramène vers Tokyo, à Ariake. J’ai pris cette photo après avoir fait le tour du salon de l’automobile. Sur la large allée entre Tokyo Big Sight et la gare la plus proche, avait lieu un spectacle de danse en costumes. A l’arrière, on faisait flotter de grands drapeaux tout en longueur et sur le devant une rangée de photographes saisissait tous les mouvements de la chorégraphie. Plusieurs groupes de danseuses et danseurs se produisaient les uns après les autres, toujours en synchronisation parfaite. Il s’agissait peut être d’un concours.

Les deux photographies qui suivent ont été prises à Shinagawa et Nishi-Magome. A Shinagawa, je suis toujours tenté de prendre en photo l’espace ouvert derrière la gare, notamment la barrière d’immeubles coiffées d’affiches publicitaires. A Nishi-Magome où je vais pour la première fois, je suis attiré par les blocs blancs d’un petit immeuble au bord des voies de Shinkansen. Je ne me suis pas approché pour vérifier si cet immeuble était intéressant d’un point de vue architectural. Il était au moins intéressant visuellement dans son environnement. La dernière photographie de cette série hétéroclite nous ramène dans la préfecture de Kanagawa. Ce petit chat obèse se trouve dans les jardins intérieurs du restaurant japonais Kokonotsuido. C’est un excellent restaurant dont les salles sont posées comme des petits cabanons sur le flanc d’une colline boisée. Un chemin nous fait naviguer sur cette colline et il est bordé de ce genre de petites statues.

Je n’ai pas écouté la musique de l’artiste britannique FKA Twigs (de son vrai nom Tahliah Debrett Barnett) depuis le morceau Water Me de son EP intitulé sobrement EP2, sorti en 2013. L’image digitale qui illustre son deuxième album Magdalene, sorti le 8 novembre 2019, est très étrange et m’a intrigué. Je me souviens avoir écouté l’introduction de chaque morceau sur iTunes le soir de sa sortie, avant de me coucher. J’avais tout de suite été impressionné par la force émotionnelle, dans sa voix notamment, de chacun des morceaux. Je me souviens également avoir été vérifier quelle était l’évaluation donnée par Pitchfork. Je ne suis pas toujours d’accord avec leurs avis, mais la note donnée à l’album m’a décidé à l’acheter dès le lendemain. Pourtant, je n’en ai pas parlé jusqu’à maintenant, car un peu comme l’album Anima de Thom Yorke, il faut être dans de bonnes conditions pour l’écouter, et ces bonnes conditions n’étaient pas toujours réunies ces derniers temps. Il s’avère que l’album est superbe et très prenant, même viscéral, en ce dès le premier morceau. Le sommet se situe au morceau Fallen Alien, qui a une force impressionnante. Du coup, je trouve les trois derniers morceaux qui le suivent un peu moins intéressant. Comme pour Anima, je pense que je reviendrais régulièrement vers cet album.

J’écoute aussi les quelques morceaux de Grimes qu’elle diffuse petit à petit avant la sortie complète de son album Miss Anthropocene en février 2020. Après le morceau Violence que j’aimais beaucoup et dont j’ai parlé sur un billet précédent, Grimes sort à la suite deux très beaux morceaux intitulés So heavy I fell through the earth et My name is dark. J’aime beaucoup l’ambiance sombre et éthérée des morceaux sortis jusqu’à maintenant. J’espère vraiment que le reste de l’album gardera cette unité de style et ne partira pas dans des envolées pop. L’ambiance est d’ailleurs assez différente de son album précédent Art Angels. Bien que j’avais beaucoup aimé Art Angels à l’époque, je préfère la direction qu’elle prend pour son nouvel album. En fait, l’approche artistique autodidacte de Claire Boucher (alias Grimes) est intéressante et même inspirante. Sans être forcément d’accord avec ce qu’elle dit, j’aime toujours lire ses interviews, assez excentriques et décalées parfois, comme cette interview récente de Grimes par Lana Del Rey et un podcast scientifique Sean Carroll’s Mindscape axé Intelligence Artificielle qui a généré quelques discussions et polémiques sur Twitter, comme rapporté ensuite sur Pitchfork. C’est d’ailleurs assez effrayant de voir comment certaines personnes réagissent au quart de tour sur Twitter sans sembler réfléchir aux mots employés. Il faut avoir la peau dure pour survivre aux salves de Twitter, et je comprends cette idée de Grimes de vouloir dissocier sa personnalité privée de celle publique d’artiste en utilisant un personnage avatar qui serait doté d’une intelligence artificielle (c’est le personnage que l’on voit sur les couvertures des morceaux, en images ci-dessus). L’avis scientifique du podcast ci-dessus est intéressant sur le sujet AI et corrige d’ailleurs les pensées parfois un peu trop fantaisistes de Grimes. Personnellement, j’ai été nourri par le manga Ghost in the Shell de Masamune Shirow quand j’étais plus jeune, donc ce type d’anticipation scientifique m’intéresse. Ces nouveaux morceaux de Grimes se combinent bien avec la musique de Yeule que j’écoute régulièrement depuis que j’ai découvert son album Serotonin II. Je ne peux m’empêcher de voir une influence de l’une (Grimes) sur l’autre (Yeule), pour l’ambiance sombre de leur musique et cette même idée de dissociation entre personne privée et personnalité artistique dotée d’une appellation spécifique. Yeule (de son vrai nom Nat Ćmiel) parle d’ailleurs souvent des multiples personnalités qui la caractérisent (des persona), dont celle digitale différente de sa personnalité privée. C’est un thème qui se rapproche de ce qu’évoque Grimes.

Dans un style très différent, j’écoute également deux morceaux de l’artiste japano-britannique Rina Sawayama, notamment le morceau ultra-pop (pour moi) Cherry, qui est extrêmement addictif dès la première écoute. J’aime beaucoup la densité du morceau et il y a une certaine fluidité dans sa construction qui est implacable. Je connaissais en fait cet artiste depuis un petit moment mais je m’étais toujours dit qu’il ne devait pas s’agir d’un style musical que j’apprécierais. Mais je m’autorise parfois des diversions musicales, comme par exemple, les albums Everything is Love de The Carters (Jay Z et Beyonce), Thank U, Next d’Ariana Grande ou ANTI de Rihanna. Ce sont des albums que j’ai beaucoup écouté quand ils sont sortis, sans forcément en parler ici. Ces petits détours font du bien de temps en temps. Rina Sawayama n’a pas tout à fait la voix de Rihanna, d’Ariana Grande ou de Beyonce, mais cela reste je trouve un de ses atouts. Le registre du morceau STFU! (qui veut très aimablement dire « Shut the fuck up! »), que j’ai découvert avant Cherry, est très différent, mélangeant les moments pop avec l’agressivité rock des guitares. La vidéo du morceau vaut le détour, surtout pour son introduction et sa conclusion montrant Rina lors d’un dîner avec un homme de type hipster occidental blanc se montrant assez peu respectueux d’elle et de sa culture, jusqu’à ce qu’elle finisse par péter les plombs (et c’est à ce moment que toute l’agressivité des guitares se déclenche). La situation est exagérée et même caricaturale, mais j’imagine assez bien ce genre de personnages prétendant savoir tout sur tout et coupant la parole des autres à longueur de conversation pour imposer leurs propres discours. J’ai déjà rencontré ce genre de personnages, il y a longtemps, qui après seulement quelques mois de vie à Tokyo, avait déjà tout compris sur ce pays et sa culture, et pouvait déjà donner des lessons complètes sur ce que sont les japonais.

Pour rester chez les britanniques mais dans un autre style encore, j’écoute un nouveau morceau de Burial (de son vrai nom William Bevan), intitulé Old tape sur la compilation HyperSwim des deux labels Hyperdub et Adult Swim à l’occasion des 15 ans de ce dernier. Un peu comme pour Grimes, je me précipite tout de suite pour écouter les nouveaux morceaux de Burial, car ils arrivent de manière très parsemée. Burial n’a pas sorti de nouvel album depuis son deuxième, Untrue sorti en 2007. Untrue, album culte, et notamment son deuxième morceau Archangel, ont posés les bases musicales de Burial, un style immédiatement reconnaissable qu’il continue à développer sur ses nouveaux morceaux. Burial a sorti de nombreux excellent EPs, dont j’ai régulièrement parlé ici, et il vient de les regrouper sur une compilation appelée Tunes 2011 to 2019. Je ne vais pas l’acheter car je m’étais déjà procuré tous les EPs en CDs ou en digital au moment de leur sortie ou un peu après. Je me suis quand même créé une playlist sur iTunes pour répliquer l’agencement des morceaux de la compilation. Je ne l’ai pas encore écouté car elle dure en tout 2h et 30 mins, mais j’imagine que ce nouvel agencement doit apporter une nouvelle vie à ces morceaux. Le morceau Old Tape de la compilation HyperSwim poursuit également le style Burial. On retrouve les collages de voix R&B sur des sons qui crépitent de synthétiseurs analogiques. Par rapport aux derniers EPs de Burial, ce morceau s’éloigne de l’ambient pour revenir vers une musique plus rythmée. Depuis Untrue, je trouve que Burial perfectionne son style tout en conservant le même univers sombre et pluvieux comme l’Angleterre industrielle.

○○○と言えば

Le building Tokyu de la station de Shibuya montre en ce moment sur sa façade une étrange photographie en noir et blanc d’un visage marqué du mot « wack » avec un sigle ressemblant à celui de MacDonald à l’envers. Il s’agit en fait d’une affiche promotionnelle pour l’agence Wack fondée par Junnosuke Watanabe spécialisée dans les idoles alternatives, notamment, dans les plus connues, BiS et le groupe sœur BiSH. On peut dire un peu sarcastiquement que la signification du nom en anglais de cette agence ainsi que l’utilisation d’un sigle proche de celui d’une chaîne de fast food donnent une bonne idée de la qualité générale de la production musicale de cette agence. Pour être tout à fait honnête, j’avais quand même apprécié un morceau du groupe BiSH l’année dernière, mais je constate tout de même que l’imagerie accompagnant les groupes n’est pas toujours du meilleur goût. J’aime par contre assez cette affiche géante dominant le carrefour de Shibuya, accompagnée d’un barcode nous amenant sur les pages du site internet de Wack. Les autres photographies du billet se déroulent également en plein centre de Shibuya au milieu de la foule qui traverse sans cesse le carrefour, dans un flot continu qui n’en finit pas de couler entre les deux rives.

Quand Burial sort un nouvel EP, je me précipite en général pour l’acheter sur iTunes ou Bandcamp, car je sais à quoi m’attendre. Je sais que l’ambiance y sera sombre et underground, assez désespérée mais surtout très forte émotionnellement. Le son est immédiatement reconnaissable, comme s’il était joué au troisième sous-sol d’un club mal éclairé. Cette musique est pleine d’aspérités. Les voix répétitives nous parlent ici d’un amour contrarié. Les paroles « I want you, why don’t you want me / You can’t lie, I see it in your eyes » se répètent sans cesse et constituent la trame principale du premier morceau intitulé Claustro. Le deuxième morceau State Forest revient vers l’ambient pur que l’on avait découvert pour la première fois sur le EP Subtemple / Beachfires. Ce morceau semble être la suite des morceaux précédents tant l’ambiance est ressemblante. Ce morceau ne se compose que de nappes sonores semblant prendre écho dans une bâtisse monumentale comme une cathédrale. Il n’y aucune percussion et de ce fait la construction du morceau reste très floue. Le premier morceau Claustro s’inscrit également directement dans la lignée des EPs précédents, ne serait ce que pour les craquements sonores et les incursions de voix délimitant les parties à l’intérieur d’un même morceau. Malgré cette grande continuité de style, Burial introduit tout de même des nouveautés au compte-gouttes, comme la partie finale de Claustro se transformant soudainement en euro-dance. En fait, Burial peut s’aventurer vers d’autres domaines musicaux, à la limite du démodé par moment, mais ces incursions sont toujours très mesurées et parfaitement intégrées à l’ensemble. De ce fait, ces changements inattendus de style ne font que renforcer la qualité d’ensemble du morceau. Les morceaux de Burial ressemblent un peu à des prises de sons directes dans les rues ou dans les clubs. C’est un peu comme s’il capturait ces sons tels qu’on les entend à différents endroits, pour ensuite les mélanger habilement pour constituer une ambiance hybride.

Il y a quelques mois de cela, on m’a contacté pour me demander si une de mes photographies pouvait être utilisée pour le numéro 29 du magazine Gradhiva publié par le musée du Quai Branly. Il s’agit en fait d’une composition photographique que j’avais créé il y a plusieurs années représentant une figure féminine dont le visage était caché pour une structure de nuages. Il s’agit de la deuxième photographie sur le billet Structure and clouds publié en avril 2011. J’ai bien volontiers accepté d’autoriser ma photographie à être publiée sur une des pages du magazine, et j’ai demandé, comme à chaque fois qu’on me demande une photographie pour une publication, de m’envoyer un exemplaire du numéro en question, ce à quoi on m’a répondu positivement. Le numéro 29 intitulé Estrangemental de cette revue d’anthropologie et d’histoire des arts est sorti à la fin du mois de mai et depuis, je surveille ma boîte aux lettres. Mais la revue n’arrive toujours dans notre boîte aux lettres. La revue s’est peut être perdue en route? Du moins, elle ne s’est pas perdue en route pour un artiste japonais ayant lui aussi contribué à la revue en fournissant quelques photographies de sa création. Il fournit certes beaucoup plus de photographies que moi, donc je me dis qu’il a peut être reçu son exemplaire en priorité. Toujours est-il que, pour chaque publication de mes photographies dans le passé sur d’autres magazines ou livres, on m’a toujours systématiquement envoyé un exemplaire. Est ce que le musée du Quai Branly n’est pas en mesure de bien gérer la distribution pour les contributeurs au magazine ? Je décide donc de recontacter la personne qui m’avait fait la demande de la photographie et on m’indique qu’il y a certainement eu un problème car d’autres artistes au Japon ont reçu leurs exemplaires. J’avais en effet noté ce problème. Une semaine plus tard, ne voyant toujours rien arriver dans ma boîte aux lettres, je recontacte la personne, sans réponse de sa part après plusieurs jours. Je ne suis étonnamment pas surpris et c’est bien dommage car j’ai quand même fait l’effort de fournir gracieusement dans un court délai une de mes photographies qui apparaîtra au final dans un magazine payant (20 Euros pour la version papier et 4 Euros par article). Si par le plus grand des hasards, quelqu’un allait faire un tour du côté du musée du Quai Branly, je serais très curieux qu’on m’envoie une photographie des pages où se trouve la photographie en question, histoire de voir ce que ça donne dans le magazine. Ceci étant dit, j’espère que je me trompe et je ne désespère pas de recevoir un exemplaire chez moi dans les jours qui viennent. Mon espoir s’amenuise pourtant de jour en jour.

Comme je n’aime pas beaucoup terminer un billet sur une note négative, je voudrais mentionner le morceau Killer Tune Kills Me du groupe japonais Kirinji avec en invitée au chant YonYon. L’ambiance y est très clairement neo City Pop (le genre City Pop étant populaire au Japon dans les années 80), avec comme particularité la présence de cette chanteuse YonYon qui doit être coréenne vu les quelques paroles chantées dans cette langue et les passages en japonais avec un léger accent. J’adore tout simplement ce morceau, je pense que ça doit être dû à certaines sonorités musicales qui m’attirent dans ce morceau. Toujours est-il que je l’écoute en boucle et j’ai toujours un peu de mal à arrêter de l’écouter. Je ne suis pas fan de City Pop, loin de là, mais certains morceaux opèrent chez moi comme un phénomène d’addiction. Je me demande si j’y vois là une nostalgie inconsciente. Bien que le morceau vient tout juste de sortir, je dois y trouver une certaine familiarité.

concrete & futuristic temple

Parfois je me demande pourquoi, à travers certains bâtiments comme celui-ci, Tokyo tient tellement à rester fidèle aux clichés et idées reçues qu’on lui donne de ville futuriste. Il ne s’agit bien sûr que de l’un des nombreux aspects de cette ville qui ressemble beaucoup plus à un village en d’autres lieux, mais trouver aux hasards des rues de Shinjuku cet immense vaisseau spatial blanchâtre me rappelle tout ce qu’il y a de passionnant dans les promenades urbaines tokyoïtes.

Ce bloc de béton futuriste aux courbes si élégantes et aux ouvertures elliptiques est un temple bouddhiste de la branche Jōdō Shinshū, considérée comme largement pratiquée au Japon. Il s’agit du Shinjuku Rurikoin Byakurengedo 新宿瑠璃光院白蓮華堂, conçu en 2014 par Kiyoshi-Sei Takeyama du groupe Amorphe. On leur doit également le magnifique et brutaliste TERRAZZA sur Killer Street à Aoyama. Le temple ne se situe pas très loin de la sortie Sud de la station JR de Shinjuku, mais il est bien caché, encastré entre des immeubles de grandes tailles. Malgré sa taille imposante, on ne l’aperçoit qu’au dernier moment lorsqu’on débouche sur la petite rue le desservant. La rue est étroite et il n’est donc pas facile de prendre assez de recul pour le saisir en photo dans son intégralité. Il n’est en fait pas si difficile que ça à trouver car son emplacement est indiqué par une grande pancarte un peu avant les gratte-ciels de Nishi Shinjuku sur la route Kōshū Kaidō, la grande artère qui passe devant la sortie Sud de la gare de Shinjuku.

Une des particularités de cette structure courbe est sa base au sol étroite par rapport au reste du building. Le bâtiment pourrait même faire penser à un réceptacle comme un vase d’autant plus que le toit est ouvert et couvert de végétation, comme pour beaucoup d’immeubles récents à Tokyo. L’immense monolithe semble s’élever au dessus du sol, flotter au dessus du contexte urbain alentour. La structure crée très certainement un espace de calme et de sérénité dans un environnement à l’écart des bruits et de la précipitation de la rue. En contrepartie, l’espace étant assez hermétique et peu ouvert sur l’extérieur, il est beaucoup plus difficile d’y accéder si on le compare à la multitude des temples bouddhistes au Japon. L’espace au sol est par contre plus transparent avec surface vitrée pour ne pas complètement rebuter le futur croyant qui se présenterait pour la première fois devant ce temple.

Alors que j’écris ces lignes vendredi tard le soir dans la pénombre, j’écoute la musique atmosphérique de Burial, le dernier EP intitulé Subtemple et j’y vois une certaine correspondance avec l’architecture sur laquelle j’écris. Les deux morceaux du EP sont assez différents de la musique que Burial a créé sur les albums et EPs précédents, car il n’y a pas d’éléments rythmiques. On retrouve bien sûr cette ambiance sombre et cinématographique particulière et si magnifique de la musique de cet artiste, mais il joue ici encore plus sur les textures pour créer une ambiance. C’est un peu déroutant au début pour l’amateur de Burial que je suis, mais particulièrement réussi sur le deuxième morceau Beachfires. En écoutant ces nappes sonores, on se croirait entrer dans un temple en pleine méditation, d’où le lien que j’y vois avec l’architecture bouddhiste ci-dessus. J’aurais envie de savoir quelle influence a amené William Bevan (aka Burial) vers ces sons sur ce morceau, mais je ressens quelque chose d’asiatique à certains moments, comme une vague sonorité qui s’évapore assez vite dans le reste de la noirceur des lieux et des voix diluées dans la pénombre. Bien sûr, le temple de béton ci-dessus brille de sa blancheur immaculée, mais j’imagine son intérieur rempli d’obscurité et de mystère.

Cela fait plusieurs semaines que je me suis mis à écouter une série de EPs de cet artiste expérimental et dubstep anglais Burial, tous ceux que je n’avais pas encore écouté. Il y a clairement un son caractéristique de Burial, bien qu’il évolue également de morceaux en morceaux. Cette musique est souvent faite d’un mélange de sons électroniques parfois sourds et de lignes de basse puissantes sur des sons qui crépitent. Ce n’est pas vraiment la musique qui s’accorde le mieux avec Tokyo, trop de lumières et de néons. Elle ressemble plutôt aux backstreets New-yorkaises ou aux villes post industrielles anglaises, du moins l’image que j’en ai. C’est une musique qui accompagne la nuit et ses halos de lumière diffuse.

La musique de Burial est complexe, elle change souvent de direction en cours de route, parfois mélangeant des moments de calme avant une tempête de sons, sur lequel des bribes de voix souvent féminines et modifiées de manière électronique viennent se superposer. Les incursions de voix, les soupirs sont nombreux dans les morceaux. Les nappes musicales y montent puis se calment. On se croirait dans des scènes de films où les personnages doivent fuir ou se cacher. Ce n’est pas un milieu accueillant ou confortable, et l’on ressent à travers cette musique une tentation de l’interdit et du danger. Les bruits de scanner de police viennent parfois entrecouper les morceaux et contribuent à cette impression.

Le EP Rival Dealer sorti en 2013 est certainement une de ses œuvres les plus puissantes émotionnellement. La musique synthétique sur Come down to us est belle à pleurer, comme cette voix asexuée qui se superpose comme une complainte. Ce morceau change d’ailleurs complètement d’esprit en cours de route et c’est déroutant à la première écoute. Cela rend ce morceau très fort en même temps. Dans ces morceaux polymorphes, chacun des sons et des silences semblent sous-pesés. La force et la tonalité des voix est comme contenue. C’est une musique très urbaine, une évocation de la ville en termes sensibles. C’est aussi ce que j’essaie de faire, tant bien que mal, avec mes photographies et mots.

crushed cities

Marcher sur les fissures des plaques tectoniques. Contrer les bourrasques de vent des typhons. Les typhons s’enchaînent sans répit. Le numéro 21 s’appelait Lan et celui qui nous a frappé le week-end passé s’appelait Saola. Dans ces cas là, on reste à l’intérieur en attendant que ça passe.

La musique électronique de Clark sur cet album Death Peak que je mentionnais dans un billet précédent continue à m’inspirer visuellement avec ces trois compositions de photographies. La musique de Death Peak, comme souvent chez Clark, est parfois volontairement dissonante (« Butterfly Prowler »), mais d’une manière assez subtile. Elle peut également mélanger dans un même morceau des voix fragiles avec un son brut comme de la tôle qui se froisse (« Hoova », « Un U.K. »). On ressent comme une sensation de beauté fragile dans un monde hostile, surtout quand le rythme s’accélère soudainement. En écoutant la musique de Clark, l’envie me vient régulièrement de réécouter le morceau « Future Daniel » sur l’album plus ancien Totems Flare, surtout la deuxième partie lorsque le rythme est saisi d’une urgence qui conduit la machine à dérailler au final. Cette musique m’inspire la deconstruction de l’image comme sur les trois compositions ci-dessus.

Notre route part vers l’infini. Chaque pas nous éloigne un peu plus. Le monde disparaît sous nos pieds. S’arrêter nous ferait disparaître. L’étrangeté de ce son nous attire. Il envahit les méandres du cerveau. L’écouter nous entraine dans une boucle à l’écart du monde et du temps. Il nous faut pourtant reprendre la route. Inlassablement. Inexorablement.

La boucle cette fois-ci est celle d’Aphex Twin sur le long album de plus de 2 heures intitulé Selected Ambient Works Volume II. Je peux difficilement m’accorder deux heures d’affilée dans une journée le soir pour écouter l’album en entier tout en développant ce qui apparaîtra sur Made in Tokyo. Mais quand je l’écoute, les morceaux de cet album qui rebouchent sans cesse sur eux même se font en même temps oublier et omniprésents.

De Burial, je ne connaissais que le morceau « Archangel », et deux autres morceaux du EP Street Halo, mais un article sur Pitchfork me rappelle qu’il faut que j’explore un peu plus cette musique dubstep. L’atmosphère de l’album Untrue est sombre et inquiétante. Les voix semblent sortir d’un espace vaporeux et fantomatique. C’est une musique faite pour la nuit. Elle ressemble à la traversée d’une cité post-industrielle. On la traverserait en voiture, doucement en transperçant des nappes nuageuses. Samedi soir dernier, alors que je suis seul dans la voiture, j’écoute cet album en montant le son un peu plus haut que d’habitude, pour l’ambiance. Mais il n’y a pas d’atmosphère nuageuse sur Shibuya ce soir là, plutôt une pluie intense dans les rues. En me noyant quelques instants seulement dans la foule de Shibuya au croisement, j’en retire ces deux photographies ci-dessus à l’atmosphère fantômatique.