why not take all of me

Une grande affiche du manga Tokyo Revengers dans une des vitrines du grand magasin Seibu de Shibuya se mélange aux passants. Une Mercedes vintage fait des boucles dans le centre de Shibuya à la recherche d’un peu d’attention. Une tentative de la marque Celine de s’identifier à la culture du skateboard ne trompe certainement pas les initiés. Les hauteurs vertes de la terrasse haut perchée du building Tokyu Plaza à Harajuku nous attirent pour une pause ensoleillée quand on les regarde d’en-bas. La foule tokyoïte lève progressivement les masques du moins à l’extérieur tout en scrutant le regard des autres qui voudraient en faire autant. Une intervention de l’artiste Invader quelque part sur la rue Cat Street à Harajuku conclut ce billet sur une note fantastique qui caractériserait d’ailleurs très bien la haute qualité de ce blog. Je ne me désintéresse toujours pas des scènes de rue à Shibuya, en essayant même parfois me rapprocher de la foule. Cette foule mouvante est difficile à saisir mais autorise également plus facilement les tentatives de photographie.

J’écoute depuis quelques temps des albums des années 90 et du début des années 2000. Cette fois-ci, le premier album de POiSON GiRL FRiEND attire mon attention. Il s’intitule Melting Moment et est sorti en Mai 1992. Je suis en fait complètement absorbé voire fasciné par ce mini-album qui semble me contaminer à petite dose comme un poison lent (j’exagère juste un peu bien sûr). J’aime l’approche non conformiste des 6 morceaux qui composent cet album mélangeant des sonorités électroniques parfois proches du trip-hop avec des arrangements plus acoustiques, incluant des petits passages francophones et d’autres sonorités cosmiques étranges. La voix de Noriko Sekiguchi, qui se fait également appelée nOriKO, est très présente, parfois intime et chuchotante, transmettant une émotion pleine de mélancolie. Dans les paroles, elle évoque plusieurs fois des ruptures amoureuses, comme sur le deuxième morceau FACT 2 qui démarre par une phrase en français avec un accent charmant nous énonçant avec un brin d’insolence: « c’est fini mon amour ». nOriKO est née à Tokyo mais a passé des années de son enfance au Brésil. Elle y aurait appris le français dans une école francophone. Parmi les morceaux de ce mini-album, on trouve également une interprétation libre du morceau Quoi de Jane Birkin, complètement réimaginé et même difficile à reconnaître aux premiers abords sauf quand nOriKO y chante des paroles de la chanson originale à la manière de Jane Birkin. Je n’ai pas d’interêt particulier pour les artistes japonais s’inspirant de chansons françaises, mais ce morceau réinterprété est vraiment très beau et sa version incluant des éléments électroniques est très personnelle. Et je sais faire des exceptions, Sheena Ringo a bien chanté en français une reprise de la chanson Les feuilles mortes. À ce propos, j’ai eu la surprise de lire que Neko Saito (斎藤ネコ) joue du violon sur cet album de POiSON GiRL FRiEND, notamment sur le dernier morceau Melting Moment, qui reprend le titre de l’album. Ce dernier morceau est le plus déstructuré et également un des plus intéressants car il ne se révèle vraiment qu’après plusieurs écoutes. Les influences de POiSON GiRL FRiEND ne sont pas que francophones mais plus cosmopolites. Elle reprend également sur cet album un morceau très connu de la britannique Mary Hopkin intitulé Those Were The Days, sorti en 1968. Sur ce morceau très librement inspiré de cette chanson à succès, les arrangements électroniques se reprochent beaucoup du trip-hop mais avec des pointes proches de la musique EDM. Les paroles du morceau FACT 2 qui nous interrogent « Do you love me like you used to do?, I still love you more than everything » me rappellent à chaque fois des paroles, excellemment interprétées par Morrisey, sur le morceau de 1987 des Smiths Stop Me If You Think You’ve Heard This One Before qui nous disent d’une manière un peu insolente: « I still love you, oh, I still love you, Only slightly, only slightly less than I used to, my love ». On sait que nOriKO apprécie également la musique des Smiths, mais qu’elle soit inspirée par ce groupe sur ce morceau en particulier est ma pure interprétation. Le premier morceau long de 7 minutes, Hardly ever smile (without you), est certainement le plus emblématique de l’album. La partition de violon qui accentue régulièrement le morceau est superbe et s’accorde étonnamment bien avec la rythmique très marquée années 90 accompagnant sans discontinuer la totalité du morceau. La voix de nOriKO chantant en anglais a ce quelque chose d’à la fois très naturel et cinématographique d’art et d’essai qui lui donne un charme certain. Son nom d’artiste a également quelque chose de cinématographique, comme si elle était sortie d’un film d’espionnage d’une autre époque. Elle s’est apparemment inspirée du titre d’un album de Nick Currie, également appelé Momus. Cet album sorti en 1987 s’intitule The Poison Boyfriend. Cela encouragea Momus à proposer ses services pour l’album suivant de POiSON GiRL FRiEND intitulé Shyness sorti en Juillet 1993. Je ne connais pas l’oeuvre musicale de Momus mais je me souviens qu’il a écrit pour la chanteuse de style Shibuya-Kei Kahimi Karie, notamment le morceau Good Morning World qui avait eu beaucoup de succès à sa sortie en 1995. Je suivais même le blog de Momus lorsqu’il était basé pendant quelques années au Japon mais d’une manière très détachée car je n’avais pas particulièrement d’interêt pour le personnage. Je constatais seulement qu’un groupe d’artistes et de francophones/anglophones nipponophiles gravitaient autour de lui ce qui avait attiré inutilement ma curiosité.

戦う 逃げ出したい 本当は

La chaleur estival qui approche les 40 degrés sur Tokyo est quasiment insupportable. Marcher dehors en pleine journée ressemble à une bataille (戦う) contre les éléments. On préférait s’échapper (逃げ出したい) dans des endroits plus frais mais on prend sur soi. Cette chaleur m’oblige en tout cas à abréger mes marches urbaines et, par conséquent, à moins prendre de photos en ce moment. Celles ci-dessus datent de la semaine dernière. Alors que je vais en général jusqu’à Shimokitazawa à pieds, j’ai préféré m’y rendre cette fois-ci en train depuis la gare de Shibuya pour revenir ensuite à pieds alors que le soleil commençait tranquillement à se coucher. On le remarque à la couleur de la lumière de certaines des photographies de ce billet. J’aime beaucoup cette ambiance de fin de journée. La vue sur la dernière photographie de ce billet a été un choc. Sur ce petit bout de mur grisâtre d’un pont ferroviaire près du magasin de disques Tower Records et près du parc Miyashita, on avait le plaisir d’apercevoir une mosaïque du petit robot Astro (Atom en japonais) d’Osamu Tezuka par l’artiste de rue français Invader. La mosaïque a été enlevée la semaine dernière sans aucune explication. Je ne pense pas qu’elle ait été volée, mais plutôt enlevée, car la zone de mur du pont où elle se trouvait a été repeinte. C’est extrêmement regrettable car cette mosaïque faisait partie du décor urbain de Shibuya. Elle était même devenue emblématique, à mon avis. C’est bien dommage car ce genre de symboles construisent l’histoire urbaine du lieu et les supprimer vient en quelque sorte effacer une petite partie de cette histoire. Ce qui m’étonne d’autant plus est que les graffitis assez grossiers dessinées sur le mur blanc juste à côté ont été laissés intacts. On en avait discuté dans les commentaires d’un billet précédent et j’étais pourtant persuadé que cette mosaïque ne disparaitrait pas (comme quoi…). J’espère qu’elle n’a été enlevée que temporairement pour repeindre le mur, mais j’ai beaucoup de doutes qu’il s’agisse seulement d’un simple nettoyage. On verra bien, mais Tokyo n’a de toute façon pas l’habitude de laisser vivre les choses trop longtemps. Le renouvellement perpétuel assure sa jeunesse éternelle comme un sérum de jouvence, que ça nous plaise ou pas. Elle se détruit pour se reconstruire sans cesse (東京破壊).

Tokyo Hakai (東京破壊) est le titre du deuxième album d’Aya Gloomy sorti il y a déjà un an, le 28 Avril 2021. Je connaissais déjà à peu près la moitié des morceaux de l’album pour les avoir écouté au fur et à mesure en single au moment de leur sortie (Start Again et Micro Creature) ou pour en avoir sélectionné quelques uns sur iTunes. Mais je n’avais bizarrement pas complété l’album en me procurant tous les morceaux. Ma pratique consistant à écouter les morceaux au compte-goutte me fait parfois oublier d’écouter un album en entier, si d’autres musiques viennent me distraire au même moment. Le dernier single intitulé Iro Iro d’Aya Gloomy, dont j’ai parlé récemment, me rappelle de manière soudaine et irrésistible vers cet album. J’aurais eu tord de ne pas m’y plonger une nouvelle fois dans sa totalité. Le monde d’Aya Gloomy est très particulier et unique car très personnel. En fait, j’adore sa manière de chanter et les sons électroniques qu’elle emploie sur ses morceaux. L’album s’intitule Tokyo Hakai qui veut dire Tokyo destruction et démarre avec un premier morceau intitulé 2020 (二〇二〇) qui répète ce titre d’album. Aya fait référence aux Jeux Olympiques de Tokyo en utilisant des extraits sonores de la conférence de presse pendant laquelle Tokyo a été sélectionné. C’est un thème récurrent car son premier album Riku no Kotō (陸の孤島) avait déjà un morceau intitulé 2020 / Tokyo Destruction. Celui-ci reprenait des sons similaires à ceux qu’on peut entendre sur la bande originale du film d’animation Akira. J’aimais beaucoup Riku no Kotō mais Tokyo Hakai est clairement plus abouti. L’ambiance pleine d’étrangeté est toujours très présente, car Aya nous rappelle qu’elle a pour aspiration de vivre dans l’espace mais reste malheureusement une forme vivante comme les autres coincée sur terre (私は宇宙に行くこともできない、地球にいる一つの生命体). On peut toujours lui souhaiter qu’elle arrive un jour à rejoindre les mondes intergalactiques mais on serait tout de même perdant si on n’était plus en mesure d’écouter ses nouveaux albums. Il y a fort à parier qu’elle reste accrochée sur terre pour quelque temps encore. L’ensemble de l’album est excellent et s’écoute préférablement dans son intégralité (ce que j’aurais dû faire depuis le début), mais les morceaux que j’aime par dessus tout en ce moment sont le cinquième morceau intitulé The Fight (dont je tire d’ailleurs le titre de ce billet) et le dixième Turn ☺︎ff. Je ne sais pas si je vais convaincre certains visiteurs d’écouter cet album, mais j’aurais au moins essayer.

un Fuji rouge au bord de la rivière

Ce billet avec cette sélection de photos est le dernier que j’avais gardé dans mes brouillons depuis plus d’un mois. J’ai pris beaucoup de photos ces deux derniers week-ends mais elles sont encore précieusement conservées sur la carte mémoire de l’appareil photo sans les avoir transférées vers l’ordinateur. J’en oublierais presque ce que j’ai pris et les endroits où je suis allé. Comme sur une pellicule de film argentique, on oublie ce qu’on a pris en photo lorsqu’on la fait développer des mois après, et la surprise est d’autant plus grande. Ceci me rappelle que j’ai justement une pellicule en cours depuis de nombreux mois, peut-être même plus d’un an, et je n’ai strictement aucun souvenir de son contenu. Une idée aurait été de prendre toutes ces photos et ne les développer au fur et à mesure que 20 ans après. L’impact visuel que l’on doit éprouver en découvrant ses propres photographies 20 ans après les avoir prises doit être surprenant, si on compare à l’impact de voir une photographie d’un lieu qu’on vient juste de traverser la journée même. Faire reposer des photographies dans un billet en brouillon pendant plus d’un mois a l’intérêt de se laisser le temps nécessaire pour se questionner sur la qualité des photos que l’on veut montrer. Je l’ai déjà mentionné auparavant mais l’interêt que je peux trouver dans certaines photos que je montre n’est certainement considéré que par moi-même, et tant mieux si d’autres y trouvent également un intérêt ou, au mieux, une certaine poésie.

Il y avait initialement quelques photographies supplémentaires sur ce billet, mais j’en ai retiré plusieurs pour ne conserver que celles ci-dessus prises principalement le long de la rivière Meguro, mais également à Udagawachō à Shibuya. La première photographie est prise près de la grande jonction Ikejiri-Ōhashi. On aperçoit les portions d’autoroutes en hauteur juste avant leur plongée dans l’énorme jonction. Ces portions d’autoroutes se superposant passent au dessus de la grande route 246 qui elle-même traverse la rivière Meguro. Cette accumulation de voies superposées rend cet endroit visuellement intéressant, mais j’aime en fait surtout l’insecte vert dessiné sous le pont au niveau de la rivière. On le devine à peine, car il n’est pas immédiatement visible depuis la rue. A quelques mètres de cet insecte, deux engins mécaniques sont installés dans la rivière. J’imagine qu’ils sont utilisés pour nettoyer la rivière, mais on peut se demander comment ils ont été déplacés à cet endroit là. On ne le voit pas sur la photographie, mais deux grues sont disposées juste à côté. Un peu plus loin, plus près de Naka Meguro, je retrouve la mosaïque du Mont Fuji rouge de Invader s’inspirant directement du Gaifū kaisei (凱風快晴) de Katsushika Hokusai. La dernière photographie nous fait revenir à Shibuya dans le quartier de Udagawachō. Quand je passe dans ce quartier, je jette systématiquement un œil au magasin de disques Manhattan Records, car un des murs du building est toujours décoré d’un graph élaboré, et celui-ci change régulièrement. Il y a trois ans, on pouvait y voir un avion de chasse à tête de requin. Cette fois-ci, il s’agit d’un grapheur venant lui-même dessiner sur ce mur.

Dans le billet précédent, je mentionnais le livre de photographies éponyme de Mika Ninagawa sorti en Octobre 2010. Au moment de l’écriture de ce billet, j’avais recherché si ce livre était disponible sur Mercari et avait trouvé une version à un très bon prix. Je l’ai reçu le lendemain. La rapidité de réception dépend de celle de l’envoyeur mais on atteint dans ce cas là une rapidité digne d’Amazon. J’avais même reçu le photobook avant d’avoir fini l’écriture de mon billet. Ce livre est un sacré pavé de 352 pages, avec en préface une interview de Mika Ninagawa avec Daido Moriyama. Ce livre n’était en fait pas publié au Japon et il est en anglais, mais je l’avais quand même vu en librairie comme je le mentionnais dans mon billet précédent. Il s’agit en quelque sorte d’une rétrospective du travail photographique de Ninagawa, mélangeant photographies de fleurs et portraits de personnalités, comme Chiaki Kuriyama ou Anna Tsuchiya (qui jouait le rôle principal dans Sakuran, le premier film de la photographe), entre beaucoup d’autres. L’impression papier met bien en valeur les couleurs extra vives des photographies de Mika Ninagawa. Parmi les personnalités photographiées, je mentionnais dans le billet précédent une photo de Sheena Ringo (椎名林檎), que je montre ci-dessus. Elle est accompagnée sur cette photo par les acteurs Shun Oguri (小栗旬), Lily Franky (リリーフランキー) et Kenichi Matsuyama (松山ケンイチ). Cette photo est tirée d’une série montrée dans le livre magazine (mook) sorti en Novembre 2006, Kaze to Rock to United Arrows (風とロックとユナイテッドアローズ). Il s’agissait apparemment d’une collaboration avec la marque de vêtements United Arrows. Je n’avais pas acheté de livres de photographies depuis longtemps et ça m’ouvre l’esprit de le voir posé sur la petite table du salon et de le feuilleter progressivement tous les soirs.

overshadowedscapes (2)

Le nouvel immeuble du Department Store PARCO à Shibuya est toujours en construction et, pendant ce temps là, les barrières blanches entourant la zone de construction se sont parées d’une nouvelle série d’illustrations du manga culte Akira. Ces séries d’illustrations originales posées sur ces murs éphémères sont le résultat de l’association de l’auteur original de Akira, Katsuhiro Ōtomo, et de Kosuke Kawamura. Comme on peut le voir sur sa page Tumblr ou sur son compte Instagram, Kawamura crée des collages formant souvent des montages hétéroclites comme des visages déshumanisés mélangeant des formes mécaniques. Ces montages sont très particuliers et révèlent une beauté étrange. Dans la même rue, mais un peu plus bas, au niveau de l’église Tokyo Yamate, se trouvait une mosaïque représentant un chat manukineko créée par Invader. Elle a malheureusement soudainement disparu. Le fait que les marques des pièces de la mosaïque restent visible me fait penser qu’elle a été volée plutôt que « nettoyée » par les propriétaires de l’immeuble où elle avait été collée. Ça ne serait pas le première fois que j’entends parler de vol des créations de rue de Invader. Celle-ci était très facilement accessible. C’est moins le cas pour le Astro de Tezuka car il est heureusement difficile d’accès sous une voie ferrée à quelques dizaines de mètres de là. C’est bien dommage de voir disparaître ces mosaïques car elles font partie à part entière du paysage urbain.

les prémices du cerisier en fleur

Les photographies de ce billet se passent dans trois endroits différents, les quatre premières dans le parc Inokashira près de Kichijoji, les trois suivantes au bord de la rivière Meguro à Naka-Meguro et la dernière à Shinjuku devant la sortie Sud près du Department Store Lumine. Elles datent d’il y a plus d’une semaine et les cerisiers commençaient tout juste a fleurir. La floraison n’avait en fait pas vraiment commencé à Inokashira et c’était bien dommage car nous aurions été extrêmement bien placé à l’étage du restaurent japonais appelé Sublime, avec vue sur l’étang et les cerisiers. On retiendra au moins une bonne adresse. A Naka-Meguro, il n’y avait pas encore la foule qui se pressera à petits pas la semaine d’après pour la pleine floraison mankai le long des deux rives. Au hasard des rues, je découvre ce lutteur sumo dessiné en bas d’un immeuble et une représentation par l’artiste de rue Invader du Mont Fuji rouge de Katsushika Hokusai, appelé en japonais Gaifū kaisei 凱風快晴, une des 36 vues du Mont Fuji. Je connais pourtant bien le quartier, mais je n’avais jamais remarqué cette mosaïque à cet endroit. Quelques photographies de la pleine floraison des cerisiers vont suivre dans les prochains billets.