un éclat de vague pour nous repousser en arrière

Nous n’allons malheureusement pas aussi souvent qu’avant sur les plages du Shōnan, mais cet endroit aux bords de la plage de Shichirigahama m’attire toujours autant, surtout quand nous y allons le soir lorsque le soleil commence doucement à faiblir. A chaque fois que nous venons ici, le souvenir d’un été en 2019 me revient en tête. J’étais venu seul m’asseoir un long moment près des rochers de la pointe d’Inamuragasaki pour regarder les éclats de vagues qui veillent à délimiter leur territoire et l’île d’Enoshima au loin qui rivalise à l’horizon avec le Mont Fuji. Il y avait peu de baigneurs même si les températures extérieures étaient douces, même chaudes pour un mois d’automne. Les surfeurs étaient de sortie car les vagues étaient relativement fortes, mais ils semblaient plutôt regarder ces vagues défilées sans broncher. Regarder les vagues est hypnotisant. Nous reprenons la voiture avant que la nuit tombe. La route 134 qui nous rapproche d’Enoshima se faufile un chemin entre l’océan sur la gauche et la ligne de train Enoden. On roule doucement car nous ne sommes pas les seuls sur cette route à vouloir profiter du soleil se couchant sur Enoshima, mais nous bifurquons finalement au niveau de Koshigoe pour retourner dans les terres. Je garderais en tête ces images de vagues agitées que j’ai saisi en vidéo pendant une trentaine de secondes et publiées sur ma page Instagram.

Je n’avais pas réalisé au premier abord qu’Utena Kobayashi (小林うてな) avait participé à quelques morceaux du rappeur Kid Fresino sur son album de 2018 ài qíng. Je m’étais plongé dans cet album à l’époque car j’aimais particulièrement le morceau d’ouverture Coïncidence, pour sa vidéo dans la neige à Shinjuku mais aussi pour son utilisation de l’instrument Steel Pan. Il se trouve qu’Utena est spécialiste de cet instrument et jouait justement sur ce morceau. Je me lance maintenant dans l’écoute du dernier album d’Utena Kobayashi, intitulé 6 roads et sorti il y a quelques mois cette année. On n’y entend par contre que très peu de Steel Pan. Utena compose, chante et s’entoure d’un univers musical enveloppant. Son album ne se compose que de 7 morceaux pour 34 minutes au total, mais quelle richesse de sons et quelle atmosphère ! Les morceaux oscillent entre des ambiances New Age et électroniques, vers des sons transe même parfois sur un morceau comme Retsu (裂). Il y a à chaque fois plusieurs idées mélodiques par morceaux. Le quatrième morceau VATONSE en est un bon exemple. Les morceaux sont parfois sombres voire mystiques, mélangent les chœurs avec des percussions ressemblant à du taiko (le morceau Raiun (雷雲)). Mais il y a aussi une multitude de sonorités dissonantes électroniques qui donnent un ensemble excentrique. Le nom de certains morceaux faisant référence à des temples (Zhan-Ti-Sui Temple) ou montagnes (Mt. Teng-Tzu) aux ambiances asiatiques renforcent très certainement cette impression mystique. Cette musique est très inspirée, relativement non conventionnelle. Le premier morceau GONIA SE IIMIX donne bien le ton et le dernier morceau Iris nous achève en beauté. J’ai beaucoup de mal à décider quel morceau je préfère de l’album car ils ont tous une particularité tout en s’inscrivant dans un ensemble, un voyage de quelques dizaines de minutes loin de ce monde terrestre.

On peut également découvrir la musique d’Utena Kobayashi à travers le tout simplement magnifique Silver Garden Recital, en entier sur YouTube, reprenant quelques morceaux de 6 roads ainsi que d’autres très beaux morceaux (le morceau Rose est un bijou). Le récital se termine également sur Iris qui possède une puissance à taille céleste. Si ça ne suffit pas pour y jeter une oreille…

au premier jour d’une nouvelle décennie

L’émission annuelle musicale Kōhaku 紅白歌合戦 de la NHK du 31 décembre 2019 que l’on regarde à chaque fois comme une tradition ne m’a pas fait découvrir de groupes ou des morceaux que je ne connaissais pas. Cette année ressemblait plus à une compilation de la décennie, car beaucoup des artistes invités faisaient des medley de quelques uns de leurs morceaux les plus connus. Même Sheena Ringo, dont c’est la septième participation, n’a interprété que des moitiés de deux morceaux plus anciens, à savoir Jiyu-dom ジューダム et Jinsei ha yumei darake 人生は夢だらけ, notamment car ces deux morceaux apparaissent sur la compilation sortie en 2019. Le morceau que j’ai préféré de l’émission était celui de King Gnu, Hakujitsu 白日 qui sera présent sur leur prochain album Ceremony prévu pour le 15 janvier 2020. Le groupe est une des révélations de cette année et ce morceau Hakujitsu a eu beaucoup de succès. Nous écoutons d’ailleurs de temps en temps leur précédent album intitulé Sympa, dans la voiture pendant les trajets un peu plus longs que d’habitude. Un peu avant King Gnu dans l’émission, LiSA chantait le thème de l’anime Kimetsu no Yaiba (鬼滅の刃) que j’ai commencé à regarder sur Netflix car le petit est en train de lire le manga et que cette histoire de chasseur de démons m’intriguait. J’ai commencé à regarder les quatre ou cinq premiers épisodes de l’anime et bien que l’histoire de démons mangeurs d’Homme ne soit pas en elle-même très originale pour le moment, l’ambiance générale de l’anime et son univers graphique sont très beaux. Il s’agit de l’histoire d’un jeune chasseur de démons Tanjirō Kamado cherchant un antidote pour sauver sa petite sœur Nezuko, transformée en démon avec un morceau de bambou dans la mâchoire pour éviter qu’elle morde. L’histoire se passe dans les campagnes japonaises à l’ère Taisho et ces lieux sont remplis de folklore et de croyances fantastiques. Je n’avais pas regardé d’anime depuis très longtemps et je me suis laissé emporter par cette histoire et ce monde. Le manga est toujours en cours avec 18 volumes. Le morceau que chantait LiSA à Kōhaku intitulé Gurenge 紅蓮華 est en fait le thème d’ouverture de chaque épisode de l’anime. Il n’a rien de vraiment original. Je trouve qu’il ressemble à un morceau classique d’anime, il doit y avoir des codes spécifiques au genre, mais LiSA met beaucoup de ferveur dans son interprétation sur la scène de Kōhaku.

On n’a pas vu la soirée passer que minuit approche déjà. La nouvelle décennie n’est plus qu’à quelques minutes de nous lorsque nous regardons les images de la NHK montrant des temples et sanctuaires aux quatre coins du Japon. Année olympique oblige, on nous montre également des images du nouveau stade olympique de Kuma Kengo qui est maintenant achevé. Après s’être souhaité une bonne et heureuse année, nous allons comme d’habitude au sanctuaire du quartier. Un feu brûle devant le sanctuaire pour réchauffer les visiteurs de minuit comme nous. Le verre de amazake offert par le sanctuaire est le bienvenu. On le boit tranquillement en regardant les flammes dans la nuit. Il y a du monde autour de nous malgré le froid. J’hésite à rester un peu plus longtemps que d’habitude mais il se fait déjà tard.

Une surprise m’attendait en rentrant à la maison un peu avant 1h du matin après la visite du sanctuaire. Un email de Ringohan dans ma boîte aux lettres annonce la réformation de Tokyo Jihen à compter du 1er janvier 2020 avec un nouveau single Erabarezaru Kokumin (選ばれざる国民). Quel plaisir et surprise de voir Tokyo Jihen se réformer, surtout que leur nouveau morceau est excellent. On ne les avait pas entendu depuis 8 ans car leur dernier album Color Bars date de janvier 2012. On retrouve le style des derniers albums, avec ici une construction assez atypique sans véritable refrain mais avec mélange des voix. A la voix de Sheena Ringo, s’ajoutent celles de Ichiyo Izawa et Ukigumo. C’est un morceau à la fois élégant, sophistiqué et rafraîchissant comme sait si bien le faire le groupe, ce qui est de bonne augure pour l’album. En attendant l’album, le groupe annonce une tournée au Japon appelée ‘Live Tour 2020 News Flash’ à partir de 29 février. Ce morceau est le premier que j’écoute en cette nouvelle année et décennie. Il me donne envie de me replonger encore dans la discographie complète de Tokyo Jihen en réécoutant chaque album en ordre chronologique.

Le premier jour de l’année n’est pas très mouvementé. Comme tous les ans, une bonne partie de la journée se passe à table devant les Oseichi pour le déjeuner, tout en regardant distraitement les émissions spéciales à la télévision, principalement des émissions humoristiques en direct animées par des comédiens confirmés ou en devenir. Mais il faut bien faire notre première sortie au sanctuaire ou au temple avant leur fermeture vers 16h. Nous allons d’abord au sanctuaire du quartier puis nous marchons une bonne heure jusqu’au temple Kencho-ji de Kamakura. Je le connais moins que le temple Engakuji à Kita Kamakura bien qu’ils soient assez proches l’un de l’autre. Kencho-ji est un des grands temples zen de Kamakura et un des plus anciens monastères d’entrainement zen du Japon. Sa construction date de 1253 sous l’ère Kenchō d’où il prend d’ailleurs son nom. La composition de Kencho-ji variera avec le temps car certains des bâtiments du temple seront détruits par des incendies. Dès notre entrée dans l’enceinte, on est face à face avec l’immensité de la porte principale appelé Sanmon et datant de 1754. On peut entrer dans plusieurs grands halls dont le Butsuden, contenant une grande statue de Bouddha. Il fut déplacé du temple Zozo-ji à Tokyo jusqu’à Kamakura en 1647. Le hall suivant, le Hatto datant de 1814, est impressionnant pour sa peinture de dragon au plafond appelée Unryu-zu. C’est en fait une peinture récente datant de 2003 par Koizumi Junsaku, créée à l’occasion du 750ème anniversaire de Kencho-ji. Une autre porte appelée Karamon, plus petite mais luxueuse car couverte de dorures, renferme le jardin intérieur du hall principal du temple. Ce hall nommé Hojo était autrefois la résidence du responsable religieux des lieux, mais s’est depuis transformé pour accueillir les services religieux pour les fidèles. On peut également visiter l’intérieur en retirant nos chaussures. Il n’y a pas de services pendant notre visite et on découvre donc le hall principal couvert de tatami entièrement vide. Au fond de la vaste pièce, on peut y voir un grand dessin de dragon. On appelle également ce hall le Ryuo-den, le hall du Roi Dragon. Un espace de cette pièce est réservé aux visiteurs pour exercer le Zazen. Un homme qui était assis à cet endroit me conseille de m’y asseoir également quelques instants, en m’indiquant la position assise adéquate. Je n’ose pas refuser car l’homme prend de son temps pour m’expliquer l’assise à prendre. Je m’assois donc seul pendant quelques instants devant le Roi Dragon. J’apprécie ces instants dans la lumière jaune du soir, mais on m’attend un peu plus loin à l’autre bout du bâtiment, donc aucune possibilité d’approcher une possible plénitude zen en si peu de temps. Il m’effleure l’idée d’y revenir seul un jour pour m’asseoir ici pendant des heures, mais je sais déjà que cette idée ne se concrétisera probablement jamais. Le soleil commence déjà à se coucher un peu après 16h. Nous rentrerons à pieds comme à l’aller. Cette longue marche aura été utile pour se nettoyer le corps du sake bu pendant le long déjeuner, et la visite du Kencho-ji nous aura chargé en énergie pour cette nouvelle année.

un instant de Kamakura ②

Notre promenade à Kamakura nous amène ensuite jusqu’au sanctuaire de Kamakura-Gū. On y accède par une grande place qui sert de parking, après avoir traversé une porte torii. On y célèbre des mariages. Un couple mixte en kimonos, ainsi que plusieurs convives en costumes, sortaient d’un restaurant japonais tout près de Kamakura-Gū. Le mariage devait très certainement se dérouler dans ce sanctuaire. Nous nous promenons dans ce quartier de Kamakura car nous voulions voir la tombe de Minamoto no Yoritomo, fondateur et premier shogun de l’ère de Kamakura, qui s’étend de l’année 1185 à 1333. La date de 1192 (ii Kuni) est souvent donnée comme commencement de l’ère de Kamakura, mais elle est disputée. Près de la tombe de Minamoto no Yoritomo, un vieil homme guide volontaire donne des explications sur ce lieu. Zoa lui pose des questions historiques mais le vieil homme feint de ne pas répondre sous prétexte ce n’est pas dans les livres d’histoire d’école primaire. Sur le chemin du retour, nous repassons par le grand sanctuaire de Kamakura Tsurugaoka Hachimangu. C’est la période de l’année où l’on fête le Shichi-Go-San 七五三, une célébration pour les filles aux âges de 3 et 7 ans et les garçons de 5 ans. Beaucoup d’enfants sont donc habillés en kimonos pour cette cérémonie au sanctuaire.

un instant de Kamakura ①

Une promenade à Kamakura un week-end passé nous amène devant le Tsurugaoka Museum, initialement conçu par Junzo Sakakura en 1951 et récemment rénové. Nous continuons ensuite jusqu’au sanctuaire Egara Tenjin. Le sanctuaire est légèrement surélevé et entouré d’une forêt. On y accède par une allée couverte de deux arbres dont les troncs se croisent comme des épées. L’endroit est très paisible pour une promenade du dimanche.

from the shore to the city

When all the ghosts are quiet, when everything is blue. J’ai parfois l’impression d’un long monologue qu’on aurait même plus envie de faire taire. On voyage sur ce billet dans le temps et l’espace entre les plages de Kamakura, la station de train monorail de Ofuna, la zone d’arrêt autoroutier Hanyu à la mode Edo sur l’autoroute de Tohoku, un arbre à l’oblique près de la station de Gokurakuji, une étrange maison inhabitée à Kichijoji et le petit poste de police au milieu du parc de Ueno. Autant de photographies prises à différents moments ces derniers mois, que je n’ai pas réussi à placer ailleurs et que je réunis ici entre les côtes du Pacifique et les recoins de la ville. Le monologue devrait sans doute être plus court et impersonnel, mais après tant d’années je n’arrive toujours pas à trouver la formule qui convient.

En alternance avec des albums ou des morceaux récents, j’écoute des albums plus anciens que j’avais parfois manqué à l’époque de leurs sorties dans les années 90. C’est le cas de l’album Ten, le premier album de Pearl Jam. Je ne connaissais jusqu’à maintenant que l’album Vs. sorti l’année suivant Ten en 1993. C’était la pleine période grunge. Nirvana sortait cette année là son meilleur album In Utero. Après avoir écouté Pixies presque exclusivement, je m’étais passionné comme beaucoup pour Nevermind, sorti en 1991, et par extension j’avais cherché à découvrir d’autres groupes de cette mouvance Grunge comme Pearl Jam ou Alice In Chains (l’album Dirt en particulier). Pour Pearl Jam, je m’étais arrêté à l’album Vs. Bien que j’aimais beaucoup cet album, je retrouvais pas chez Eddie Vedder et Pearl Jam, l’émotion brut que pouvait provoquer le chant de Kurt Cobain et musique de Nirvana. En écoutant l’album Ten maintenant, je me dis que j’aurais quand même dû l’écouter à l’époque. Même sentiment en écoutant l’album I.A.B.F. du groupe français Les Thugs sorti en 1991. J’aurais dû connaître un peu mieux ce groupe car ils sont originaires d’Angers, mais à cette époque je n’y faisais pas encore mes études. On ne décèle pas la douceur angevine dans la musique du groupe. Ils chantent en anglais et les guitares ont toute la puissance du grunge, et vont même vers les territoires punk sur certains morceaux (des atomes crochus avec Jello Biafra et les Dead Kennedys). Le morceau le plus marquant de cet album est I love you so, plus proche du shoegazing avec ces voix un peu effacées. Je suis étonné par la qualité de cet album mais il faut dire que le groupe a fait les premières parties de groupes importants comme Nirvana ou Noir Désir, en plus de leurs propres tournées bien entendu. Je pense que je connais le nom du groupe en raison de leur association à ces autres groupes plus majeurs que j’écoutais à l’époque. J’écoute aussi soudainement l’album The Lonesome Crowded West de Modest Mouse sorti un peu plus tard en 1997. On le trouve souvent dans les listes des meilleurs albums de rock indépendant des années 90. Je ne sais pour quelle raison je ne me suis jamais lancé dans l’écoute de cet album, peut être le nom du groupe ne m’inspirait pas beaucoup. Et pourtant, c’est une musique qu’il faut écouter pour ce sentiment d’instabilité qui ponctue les morceaux. Difficile de deviner sur quel pied va danser le groupe. Les changements de rythme sont nombreux. Les éclats dans le chant semblent imprévisibles. Ces morceaux n’ont pas une construction ordinaire et on apprécie cette liberté et ce son définitivement indé. Cet album est un régal et mérite bien sa notation de 10/10 sur Pitchfork. Cette même année 1997, Elliot Smith sort son troisième album Either/or que j’écoute ensuite pour calmer un peu les esprits. 1997 était apparemment une grande année pour le rock indé, car Either/or est tout aussi fabuleux. Le quatrième morceau à la guitare acoustique Between The Bars ne peut pas laisser indifférent. A chaque fois que je commence l’écoute de cet album, j’ai hâte d’arriver a ce quatrième morceau. Mais sur tous les morceaux, la voix et les mots sous-pesés de Smith sont d’une émotion palpable jusqu’à notre for intérieur.