à la recherche d’un reflet du ciel

Les trois premières photographies sont prises dans un quartier près de la station de Akabane dans l’arrondissement de Itabashi, tandis que les deux suivantes sont prises à Meguro. Les barres d’appartements Danchi (団地) sont nombreuses dans ce quartier de Itabashi tandis qu’on trouve plutôt une accumulation de petites maisons individuelles à Meguro. Certains, comme le photographe Cody Ellingham, trouvent une grande inspiration dans ces complexes uniformes Danchi mais aux formes parfois particulières. Je préfère personnellement les maisons individuelles, surtout celles qui sont cachées et qu’on n’aperçoit pas complètement de loin. J’aime scruter du regard une nouvelle rue et y découvrir au loin des formes inhabituelles qui m’interpellent. On se sent attirer vers elles, même si elles peuvent être parfois trompeuses. Une arête de béton au découpage particulier vue de loin ne donne pas une garantie que le bâtiment dans sa totalité sera intéressant ou novateur. Il faut s’approcher plus près et observer.

Après la maison à Meguro sur laquelle se reflète un ciel nuageux, on passe avec la photographie de feuille morte sur une série prise à Shibuya. Les septième et huitième photographies montrent le parc surélevé de Miyashita qui longe les lignes de trains entrant et sortant de la gare de Shibuya. Pendant l’état d’urgence pendant l’été, j’étais venu une ou deux fois marcher le soir dans ce parc et j’avais été surpris de voir la foule qui s’y trouvait comme si une partie de la jeunesse de Shibuya se retrouvait ici le soir, faute de pouvoir aller ailleurs. On pouvait voir cette jeunesse regroupée par petits groupes de deux à quatre personnes assis sur les bancs qui n’étaient étonnamment pas condamnés ou sur une partie de la pelouse. Tout le monde portait des masques dans une ambiance calme et disciplinée. En pleine journée par contre, il n’y avait presque personne assis sur les bancs du parc. Comme sur l’ancienne version du parc, il y a une zone réservée aux skateurs. Avec les récentes performances des skateurs et skateuses japonais aux Jeux Olympiques de Tokyo, j’imagine que cet endroit va être de plus en plus prisé. Et sur les deux dernières photos, des affiches, celle d’un nouvel album de Keisuke Kuwata et celle d’une publicité avec Kiko Mizuhara en tenue de science fiction. Shibuya 別世界.

J’ai déjà parlé de la musique d’Utena Kobayashi, notamment de son dernier album 6 roads que j’avais beaucoup aimé. J’écoute plus récemment trois EPs sortis à la suite à la fin de l’année 2020: Fenghuang, Darkest Era et Pylon. Chaque EP est composé de trois morceaux et je les écoute dans l’ordre de leur sortie. On se laisse envouter par la beauté délicate de cette musique (la harpe sur The Garden of Harps sur le deuxième EP), dans l’ensemble plus apaisée que sur l’album 6 roads, mais pas moins mystérieuse et mystique. Je ne sais pas exactement dans quelle langue Utena chante les différents morceaux sur ces trois EPs, mais je pense qu’il y a des mélanges. J’écoute ces trois EPs comme un album et ils tournent souvent sur ma playlist en ce moment. Les deux derniers morceaux du troisième EP, Pylon et Rose sont en quelque sorte la culmination de cette oeuvre. On est comme forcer à rester concentrer sur ce qu’on écoute. La musique d’Utena Kobayashi tend vers une forme de méditation que j’ai bien du mal à expliciter clairement.

harmony through incoherence

Revenons une fois de plus, si vous le voulez bien, sur les cerisiers bordant la rivière de Meguro. Ceux qui en ont déjà marre de voir des cerisiers en fleurs devront prendre leur mal en patience car il me reste encore quelques séries de photographies à montrer. Mais si peu, car la période de floraison a été une des plus courtes que j’ai pu voir à Tokyo. Il y a de nombreux endroits que nous aurions voulu voir cette année, faute d’y avoir été l’année dernière, mais le temps nous a manqué. Sur les bords de la rivière de Meguro, j’aime beaucoup la manière par laquelle la continuité des cerisiers vient apporter une unité d’ensemble à la désorganisation intrinsèque du paysage urbain tokyoïte. On peut se poser par exemple la question de la présence d’un bâtiment en forme de château médiéval au milieu d’autres buildings plus classiques. Les cerisiers qui forment sa base éphémère viennent en quelque sorte relier ce bâtiment atypique avec le reste des immeubles posés le long de la rivière. Ce n’est pas le seul immeuble en forme de château kitsch à Tokyo. A mes débuts à Tokyo, j’habitais à proximité d’une autre forteresse similaire à Akasaka. Ces faux châteaux datent tous les deux de 1973 et sont des hôtels à l’heure. Le compte Instagram de JapanPropertyCentral nous donne un petit historique en photo de ces deux hôtels: le Meguro Emperor et le Chantilly Akasaka. On aperçoit le Meguro Emperor sur les deuxième, quatrième et sixième photographies de ce billet. Sur la première photographie, la tour d’appartements Nakameguro Atlas Tower, située à proximité de la station, se démarque franchement avec ses 45 étages. Sur la même photo, on aperçoit également les filets verts d’un centre d’entrainement au golf. Il a la particularité d’être situé au dessus d’un parking pour taxi, dans une utilisation optimale de l’espace disponible. J’en avais déjà parlé dans un billet précédent car il est référencé dans le petit livre jaune Made in Tokyo de Junzo Kuroda, Yoshiharu Tsukamoto et Momoyo Kaijima. Sur la deuxième photographie, le Meguro Emperor fait pratiquement face à un autre hôtel, beaucoup plus prestigieux, le Meguro Gajoen. L’intérieur de l’hôtel mélangeant les styles et l’hotel historique juste à côté valent vraiment le détour.

Le premier album New Long Leg du groupe londonien Dry Cleaning signé sur 4AD est une superbe découverte. J’ai entendu le morceau Strong feelings pour la première fois à la radio, sur J-Wave ou InterFm et j’ai tout de suite été attiré par cette musique rock qui m’a un peu rappelé Sonic Youth, notamment les morceaux chantés par Kim Gordon. Une des particularités de Dry Cleaning est que la chanteuse Florence Shaw ne chante pas mais parle. Elle parle d’un ton British détaché de choses diverses parfois humoristiques, parfois ancrées dans le quotidien, parfois incohérentes car sorties de leur contexte, parfois assez sarcastiques. Ces paroles sont en général synchronisées avec la musique mais elle s’autorise parfois des écarts comme par exemple sur le premier morceau Scratchcard Lanyard. Les morceaux sont extrêmement intéressants musicalement, avec des airs assez sombres mais accrocheurs, et écouter ces morceaux en lisant les paroles est, je dirais, extrêmement satisfaisant. C’est même souvent un régal, notamment lorsque les paroles sont interrogatives, par exemple: “Would you choose a dentist with a messy back garden like that?” sur le sixième morceau New Long Leg, ou quand les paroles ressemblent à des choses vécues, par exemple “Never talk about your ex, never, never, never, never, never slag them off because then they know, then they know” sur le quatième morceau Leafy. Je disais que le son des guitares me rappelle un peu Sonic Youth. La voix de Florence Shaw ne ressemble pas à celle de Kim Gordon, mais on sent une influence. Je me demande d’ailleurs si le nom du groupe Dry Cleaning ne serait pas inspiré du nom de l’album Washing Machine de Sonic Youth (un même concept proche du quotidien). Le morceau titre de cet album, chanté et parlé par Kim Gordon, est d’ailleurs un de mes préférés de l’album. Tous les morceaux de New Long Leg sont excellents, sans qu’il y en ait vraiment un qui se détache car ils suivent tous le même concept, sauf peut être le dernier morceau plus expérimental. Un morceau comme Her Hippo, au milieu de l’album, est quand même un marqueur qui nous convainc définitivement de la beauté rock de cet album. Difficile de trouver d’autres superlatifs donc je vais m’arrêter là. Je suis moins assidûment les avis de Pitchfork ces derniers mois (ou années) mais ils sont également emballés par l’album. On peut également y trouver une interview du groupe pour comprendre un peu mieux leur origine.

DOUBLEBLIND par OCTOBER

La meilleure chose qui puisse arriver lors d’une promenade au hasard des rues de Tokyo est de trouver soudainement une maison individuelle qu’on a déjà vu dans des magazines ou livres d’architecture. C’est encore mieux quand elles ont un aspect brutaliste en béton et des formes inhabituelles. En marchant dans le quartier de Meguro, dans des rues que je ne connaissais pas en direction approximative de Sangenjaya, j’aperçois soudainement, dans une petite rue perpendiculaire, une avancée de béton tout à fait particulière. On pouvait deviner tout de suite que cette maison était atypique. Il suffisait de s’en approcher pour constater ses drôles de formes à l’oblique et ses vitrages quasi-opaques colorés de vert. Je reconnais rapidement Doubleblind, une maison individuelle en béton renforcé dessiné par les architectes Tomomasa Ueda et Yoko Nakagawa de l’atelier October. Doubleblind faisait partie de la longue liste des maisons que je recherchais et je suis donc très content de la découvrir de cette manière tout à fait par hasard. October est un nom étrange pour un atelier d’architectes. Il s’agit d’après leur site web du mois de naissance de Tomomasa Ueda et d’une référence à un magazine culturel américain qu’il apprécie.

Par rapport aux photos que j’avais vu dans des magazines ou sur internet, la surface du béton de Doubleblind a subi les intempéries et mériterait un bon nettoyage. Sa construction s’est achevée en 2005 et les impuretés du béton doivent être le résultat de 15 années de vie sur les terres relativement humides de Tokyo. Entre la saison des pluies, la lourdeur humide de l’été et les typhons en automne, on peut comprendre que les surfaces soient mises à dure épreuve. Comme souvent à Tokyo, les maisons sont construites sur des espaces réduits et le challenge de l’architecte est à chaque fois d’optimiser l’espace habitable. Le site ici fait 60m2 et a une forme triangulaire donnant sur deux rues parallèles. Les régulations du site permettent un ratio habitable de 80%. La maison de trois étages sans sous-sol fait un total de presque 118m2. Les quelques photos ci-dessus provenant du site web des architectes, donne une bonne idée de l’espace intérieur, très spacieux avec une grande pièce centrale et relativement lumineux grâce à la grande baie vitrée au deuxième étage. On est portant situé dans une rue étroite assez typique des quartiers résidentiels de la métropole. Le design intérieur est particulièrement futuriste est les angles aigus qui le composent suivent l’esprit visuel de l’extérieur. Des architectes d’October, je connaissais déjà la maison individuelle EdgeYard aperçue plusieurs fois dans un recoin de Shibuya-Ku. J’aimerais découvrir Subdivision qui se trouve quelque part à Machida mais je n’ai pour l’instant aucune indication sur sa localisation précise.

citrus + sakura

La maison Sakura que je montrais dans un billet précédent me rappelle aux cerisiers en fleurs que je n’ai pas beaucoup photographié cette année. Nous nous sommes contentés d’aller les voir confinés dans la voiture, ou à pieds près de chez nous. Les quelques photographies ci-dessus datant du mois de mars doivent être à peu près les seuls que j’ai pris. Nous avions remarqué l’année dernière que la rue Kamurozaka était presque complètement ombragée par des cerisiers. Cela formait un tunnel vert très agréable à parcourir et on s’était dit qu’on reviendrait au moment des cerisiers en fleurs. Nous n’avons malheureusement pas parcouru la rue Kamurozaka à pieds comme prévu, mais en voiture, doucement pour profiter de l’ambiance. Au milieu du tunnel de cerisiers, on s’est tout de même arrêter quelques instants au bord de la route comme d’autres personnes pour admirer le paysage.

Citrus du groupe rock new yorkais, à tendance shoegaze, Asobi Seksu est un de ces albums que je ne connaissais jusqu’à présent que par petits morceaux. Et encore une fois, c’était une erreur de ma part d’attendre si longtemps (l’album est sorti en 2006) tant cet album est excellent. Les deux morceaux que je connais depuis longtemps, à savoir le troisième New Years et le quatrième Thursday, sont les meilleurs morceaux de l’album mais tous les autres restent très bons. Je réécoute en fait très souvent Thursday. Je pense que ça doit être le chef d’oeuvre du groupe, que ça soit pour l’introduction fait de sons lointains, le ton de voix changeant de Yuki Chikudate sous la réverbération, l’interlude de guitare au milieu, le final à deux voix avec James Hanna et l’intensité générale qui se dégage du morceau du début à la fin. Yuki Chikudate est originaire d’Okinawa mais elle a émigré avec ses parents en Californie lorsqu’elle était enfant pour ensuite partir vivre à New York. Elle alterne les paroles en japonais et en anglais en fonction des morceaux, mais maintient une même ambiance générale même si la langue varie. J’aime beaucoup les variations de tonalités qu’elle emploie dans un même morceau entre des voix plus basses et d’autres aiguës qui me me feraient penser à un chant d’oiseau (avec un peu d’imagination). Sur un morceau comme Strings, elle monte tellement dans les tons qu’on a l’impression qu’elle se noie elle-même dans sa propre voix. J’aime beaucoup ce sentiment d’être dépassé par sa propre création. Certains morceaux comme Pink Cloud Tracing Paper, seul morceau interprété par James Hanna, me rappelle beaucoup Sonic Youth pour ses saillies de guitares. Je pense qu’il y aurait pu y avoir plus d’équilibre entre les morceaux interprétés par Hanna et Chikudate, un peu comme Kevin Shields et Bilinda Butcher sur les albums de My Bloody Valentine. D’autres morceaux comme Red Sea finissent par se noyer dans des mers de bruits sans concessions. Il y a aussi des moments plus pop et d’une manière générale la voix de Chikudate reste très lumineuse ce qui change un peu des morceaux classiques du shoegaze et qui fait la particularité stylistique de Asobu Seksu. En vérifiant rapidement, cet album se trouve bien dans la liste de Pitchfork des 50 meilleurs albums de shoegaze de tous les temps. À la 37ème place, je l’aurais mis plus haut dans le classement, enfin si les classements ou les notes qu’on donne à un album veulent dire quelque chose. Tous les avis musicaux restent tellement subjectifs que je me demande même si c’est utile ou nécessaire que j’écrive à ce sujet sur ce blog, à part pour la satisfaction personnelle d’avoir fait dégager par écrit l’émotion qui s’en dégageait, pour une relecture ultérieure. Ceci étant dit, ça reste également une satisfaction personnelle quand j’ai pu faire découvrir une nouvelle musique à quelqu’un.

Sur la liste shoegaze de Pitchfork, on trouve bien entendu en tête la ‘sainte trinité’ que sont Loveless (1991) de My Bloody Valentine, Souvlaki (1993) de Slowdive et Nowhere (1990) de Ride. C’est d’ailleurs après avoir écouté Souvlaki et la compilation Catch the Breeze de Slowdive que j’ai eu envie de reprendre ma série Du songe à la lumière sur l’histoire de Kei en écrivant un cinquième épisode. Le poignant morceau Dagger en particulier qui conclut Souvlaki m’a fait ouvrir mon petit carnet noir pour commencer à écrire. « I thought I heard you whisper, it happens all the time ». Je n’avais pas écrit sur l’histoire de Kei depuis presque six mois. L’inspiration et l’envie me viennent en général subitement et je ne me force pas à écrire cette histoire de manière régulière ou quand les conditions ne se présentent pas. Un peu comme pour le dessin, c’est un exercise sans prétention mais qui me fait beaucoup de bien quand je parviens à m’y mettre. Parfois je me dis que j’aimerais écrire ce blog entièrement comme une fiction.

swirl in the white evening sun

Je ne m’étais pas promené dans le quartier de Meguro depuis quelques temps et l’occasion s’est présentée un samedi dans la soirée. Les journées se faisant plus longues, j’ai le temps d’aller prendre des photographies dans les rues de Meguro avant que le soleil ne se couche. Il faut que je marche dans un quartier que je n’ai pas encore exploré. Je me dirige vers la rue Komazawa que je connais très bien en voiture, mais pas à pieds. Je marche presque trois heures, ce qui fera un total de plus de 17,000 pas dans la journée. D’une manière générale, j’essaie de marcher plus de 10,000 pas par jour.

Comme toujours dans les quartiers résidentiels de Tokyo, il n’y presque personne dans les rues. Ce quasi-vide des rues me donne toujours une impression étrange vu la densité des habitations dans ces zones résidentielles, même lorsque l’on s’éloigne des stations de trains. Il faisait un peu plus de 30 degrés ce soir là et on transpirait facilement dès qu’on marchait quelques mètres seulement. On se croirait déjà en plein été, mais la météo est extrêmement changeante, et la saison des pluies va commencer très bientôt. Je passe volontairement cette série de photographies en noir et blanc pour tenter d’absorber la chaleur des rues, et parce que le noir et blanc va si bien aux fleurs ajisai qui apparaissent un peu partout dans Tokyo, et notamment sur cette rue Komazawa.

Image extraite de la video du morceau Pristine de Snail Mail. A voir également, une autre vidéo intitulée Heat Wave sur le même album Lush.

La musique de l’album Lush de Snail Mail que j’écoute en marchant me rend mélancolique. Je pense que comme beaucoup je la découvre à travers l’excellente revue critique que lui accorde Pitchfork. Snail Mail est le nom du groupe de Lindsey Jordan. Elle a seulement 18 ans. Cet album sorti il y a quelques jours est vraiment superbe, émotionnellement très fort. On ne se lasse pas d’écouter les dix morceaux de rock indé du disque, qui ne sont pas spécialement rénovateurs du genre, mais le renouvellent avec une grande fraîcheur qui fait beaucoup de bien à écouter encore et encore. En fait, la musique de Snail Mail n’est pas très éloignée du rock indépendant qui se pratiquait au début des années 1990, ce qui donne à cet album un côté un peu familier, et nostalgique pour moi. La série en noir et blanc de rues vides m’est en quelque sorte inspirée de cette musique. Comme vous l’aurez certainement remarqué, je fais beaucoup de rapprochement entre photographie et musique ces derniers temps, car la musique alternative qu’elle soit rock ou électronique a toujours été un des moteurs de mon inspiration.