des images et des voix ancestrales

Je ne suis pas allé à la galerie d’art de Tokyo Opera City à Shinjuku depuis de très nombreuses années. Je ne sais pour quelle raison exacte j’avais envie d’y retourner mais j’attendais une exposition qui m’intéresserait et c’était celle de Rinko Kawauchi (川内倫子). Je connais les photographies de Rinko Kawauchi depuis plusieurs années, au moins depuis 2006, car je parlais rapidement de cette photographe dans un billet de Décembre cette année là. La première fois que nous sommes allés dans cette galerie était pour une exposition sur Jean Nouvel en Janvier 2004, qui a d’ailleurs peut-être déclenché mon intérêt progressif pour l’architecture. Avoir ces notes mémoires inscrites sur le blog est bien pratique. Pourvu que ça dure.

L’exposition s’intitule “M/E On this sphere Endlessly interlinking”, sachant que le M/E correspond à la fois au mot “Mother Earth” et “Me”. Elle se déroule du 8 Octobre au 18 Décembre 2022. C’est la première exposition en solo de Rinko Kawauchi depuis six ans. Il s’agit en fait de sa plus grande exposition dans un musée japonais. Cette exposition couvre dix années sur six séries photographiques, dont celle intitulée M/E commencée en 2019 et dont les photographies ont été prises à Hokkaido. Cette série occupe la partie centrale de la galerie dans un grand espace conçu par l’architecte Hideyuki Nakayama. Il crée au centre de cette pièce un passage ressemblant à une tente couverte de tissus légers quasiment transparents. Cette délicatesse correspond très bien aux photographies de Rinko Kawauchi, car ses photographies mélangent force et fragilité. J’ai toujours en tête, en pensant à ses photos, les rayons de lumière se diffusant dans le cadre jusqu’à brouiller notre vision. Dans ces séries, Rinko Kawauchi explore les relations entre l’humain et la terre. On retrouve également des photographies un peu plus anciennes comme celles de la série Ametsuchi capturant la tradition ancienne de brûler de manière contrôlée les terres à Aso dans la préfecture de Kumamoto. L’exposition inclut également quelques installations vidéo, dont une assez impressionnante et immersive avec deux projections sur des pans entiers de murs. Je m’imaginerais bien écouter à cet endroit la musique de la chanteuse originaire d’Hokkaido actuellement basée à Londres, Hatis Noit.

Je ne sais quel superlatif utilisé pour évoquer l’album Aura de Hatis Hoit (ハチスノイト), sorti en peu plus tôt cette année en Juin 2022. Il s’agit de son premier album mais j’ai déjà évoqué ici Hatis Noit car elle chantait sur le fabuleux album Il y a (イリヤ) de Mutyumu (夢中夢). Cet album Aura est très différent car il est purement basé sur sa voix. Il n’y a aucun instrument utilisé sur cet album mais la profondeur y est pourtant immense. Seul un morceau intitulé Inori (pour prière) utilise des prises de sons de l’océan dans la préfecture de Fukushima. La voix d’Hatis Noit est multiple et fait penser à des chants ancestraux, parfois inspirés par les voix bulgares jouant sur une certaine dissonance. Elle y mélange aussi sa voix tout en vibrato d’opéra qu’on lui connaissait déjà sur Mutyumu. Elle avait déjà une voix superbe sur l’album Il y a (イリヤ) mais c’est incomparable de profondeur sur ce nouvel album solo. Hatis Noit est originaire de Shiretoko à Hokkaido et on ressent sur cet album un lien fort avec la nature, sans forcément pouvoir le toucher vraiment du doigt. Son nom signifie, en langage Ainu peut-être, la tige de la fleur de lotus, faisant le lien entre la fleur représentant le monde des vivants et les racines du monde invisible des esprits. On trouve un côté mystique du monde de l’au-delà sur ces morceaux comme des incantations ou des chants religieux. Et ces morceaux sont étonnamment très mélodiques et on s’y accroche assez facilement dès la première écoute. Tous les morceaux sont fantastiques, mais le cinquième intitulé Jomon me donne à chaque fois des frissons dans le dos. En écoutant cette voix, on a soudainement besoin de grands espaces, et ça conditionne même mes trajets à pieds car j’ai envie d’écouter cette musique dans des espaces ouverts, plutôt que dans des petites rues étroites, à défaut de pouvoir l’écouter dans les fastes plaines ou les forêts montagneuses d’Hokkaido. Et je m’imagine tout d’un coup les pieds dans les herbes mi-hautes entouré d’un brouillard légèrement humide à écouter cette voix sortant de nul part. Alors oui, comme superlatifs, on peut dire que c’est superbe et fabuleux car la force de cette voix ne peut pas laisser indifférent. On peut trouver l’album sur Bandcamp où je l’ai acheté et une émission de France Musique, La chronique d’Aliette de Laleu, présente brièvement cet album.

室町ウォーク❾

Ces photographies prises dans le quartier de Muromachi à Nihonbashi datent un peu, mais sont de nouveau d’actualité en raison du début des Jeux Paralympiques de Tokyo 2020. Ces installations d’art contemporain inspirées par Tokyo 2020 et mises en place à l’occasion des Jeux Olympiques sont celles, regroupées sous le nom Olympic Agora, que je mentionnais dans un précédent billet. Nous n’avions pas eu le temps de les voir lors de notre première visite. La première photo montre une grande structure conçue par Makoto Tojiki évoquant un passage de relai. Sur la troisième photo, les sculptures de Xavier Veilhan intitulées The Audience montre des spectateurs aux couleurs des anneaux olympiques. La quatrième photo montre des photographies de Rinko Kawauchi posées dans un couloir en sous-sol. Ces photographies évoquent le tremblement de terre et le tsunami de 2011 et l’association des Jeux Olympiques de Tokyo avec ces zones impactées tentant de contribuer à l’exercice de reconstruction. Dans les couloirs en sous-sol, il y avait d’autres installations temporaires créées par des anciens athlètes internationaux et inspirées par Tokyo. J’en montre quelques exemples sur les deux dernières photos du billet. A vrai dire, ces installations n’avaient rien de vraiment transcendant et ne m’ont pas laissé d’émotion particulière.

Je ne sais pas si c’est dû à la chaleur estivale mais j’ai beaucoup moins de motivation pour écrire sur ce blog en ce moment et je me force un peu. J’ai en fait beaucoup plus de photos à montrer que de textes à écrire et je comprends maintenant pourquoi j’avais fait une série photographique avec très peu de textes l’année dernière. Il y aurait pourtant des sujets sur lesquels écrire comme cette cérémonie d’ouverture des Jeux Paralympiques, le jeu riche en émotions de la petite Yui Wago de 13 ans ou l’intervention improbable du guitariste Tomoyasu Hotei pendant une longue partie du spectacle, jouant l’air de Kill Bill, entre autres, à l’intérieur d’un camion Dekotora. Nous regardons pas mal d’épreuves paralympiques le soir, notamment le wheelchair basketball qui m’impressionne beaucoup et qui est très intéressant à suivre. Tout comme j’avais adoré voir les jeux de passes de Rui Machida dans l’équipe de basket féminine pendant les Jeux Olympiques, je suis maintenant impressionné par ceux de Renshi Chokai dans l’équipe masculine paralympique. Il y a même quelque chose d’artistique dans ses mouvements en chaise roulante.

Côté musique, je reviens vers Spool avec leur nouveau morceau Samenai (さめない) qu’on peut trouver sur Bandcamp (entre autres plateformes). Je me rends compte par la même occasion que je n’ai pas encore écouté leur deuxième album Cyan/Amber sorti en Décembre 2020, même si je connais déjà les singles dont j’avais déjà parlé il y a quelque temps. J’aime beaucoup ce nouveau morceau Samenai car il a une composition particulière et les premiers sons de voix ne nous laissent pas forcément présager de la manière dont il va se développer. On y retrouve cette même mélancolie dans la voix d’Ayumi Kobayashi mais sa manière de chanter nous laisse penser qu’elle le fait en souriant. Le riff de guitare final doit forcément être un clin d’oeil au morceau Today de Smashing Pumpkins sur Siamese Dream, tant il lui ressemble. Du coup, je me mets à réécouter les anciens albums des Smashing Pumpkins en particulier le monstre Mellon Collie and The Infinite Sadness de 1995, album trop long et excessif que j’avais pourtant énormément écouté quand j’étais adolescent. Je préfère quand même de très loin Siamese Dream, qui est un des chef-d’oeuvres absolus du rock alternatif américain des années 90.

sur la montagne de Daikan (1)

Comme le titre du billet l’indique, nous sommes ici à Daikanyama, mais aussi à Naka Meguro, en contre-bas de cette montagne qui ressemble plutôt à une colline urbaine. Je vais assez souvent dans ces quartiers car on habite pas très loin d’ici, mais aussi parce que Zoa y a quelques activités extra-scolaires. Bien que je connaisse assez bien ces rues, je me surprends parfois moi-même à découvrir des passages que je n’avais jamais emprunté. Par exemple, un escalier couvert de dessins de formes courbes nous amène vers un tunnel que je connaissais pas sous la rue de Komazawa. Un des murs du tunnel est dessiné d’une fresque d’un cerisier en fleurs. Sur la photographie ci-dessus, le passage de quelques personnes en mouvement me donne l’impression que les fleurs vont soudainement se détacher et s’envoler dans un mouvement similaire.

Une des grandes qualités des espaces à Tokyo, ce sont les dénivelés, les collines et terrains en pente qui rendent l’espace urbain intéressant pour le promeneur. L’irrégularité des terrains évite la monotonie du paysage urbain, quand l’architexture doit s’adapter à un environnement qui ne lui est parfois que peu propice.

À Daikanyama, je passe par l’ensemble Hillside Terrace conçu par étapes sur plusieurs décennies par l’architecte Fumihiko Maki. Il y a un petit espace d’exposition dans un des bâtiments les plus anciens de l’ensemble nous montrant une salle de classe d’une autre époque, avec des chaises prenant leur envol. Alors que la nuit commence à tomber doucement, je passe ensuite un peu de temps au Hillside Forum, de l’autre côté de la rue Kyu-yamate. On y montre une autre exposition, de plusieurs photographes sélectionnés pour le prix Pictet. Je connaissais quelques uns des photographes comme Michael Wolf et sa série Tokyo Compression montrant des passagers du métro tokyoïte comprimés contre les vitrages des portes automatiques. On y voit également deux photographies en grand format de Rinko Kawauchi, notamment une colline prenant feu d’une manière apparemment contrôlée avec un bel effet de symétrie. Finalement, le travail de collage de photographies de Shohei Nishino est très intéressant. Il construit des paysages urbains imaginaires à partir de collages de photographies de buildings et autres décors urbains, formant une nouvelle réalité de la ville. Un fait intéressant de cette exposition est qu’elle mélangeait la photographie pure et le montage photographique.

Mon passage à Daikanyama se termine dans la nuit. J’aime en ce moment prendre en photographie les devantures éclairées des boutiques. Ci-dessus, il s’agit de celle de la Maison Kitsune.