estival ’23 (4)

Nous n’avons passé que peu de temps dans le centre de Paris lors de ce séjour, mais passer devant le musée du Louvre et traverser le Palais Royal sont comme des étapes obligées. Devant le musée du Louvre, on distingue à peine un étrange cube couvert de miroirs. Ces murs de miroirs viennent dissimuler le chantier des nouveaux locaux de la Fondation Cartier sur le site de l’ancien Louvre des antiquaires. J’apprendrais plus tard que ce cube est la création de l’architecte Jean Nouvel. Un de nos objectifs pour cette journée était d’aller voir le nouveau musée de la Bourse de Commerce. Plus que les œuvres de la collection Pinault, c’était la transformation de l’espace intérieur par Tadao Ando que j’étais curieux de voir. Il a installé à l’intérieur du bâtiment historique rénové une parois circulaire de béton délimitant un nouvel espace. Je n’avais amené que ma lentille pancake 40mm, c’était donc difficile de montrer cet espace dans son ensemble sans un objectif grand-angle. Quelques autres photos sur mon compte Instagram donneront peut-être une meilleure représentation. Nous voulions également jeter un coup d’oeil à La Samaritaine près du Pont-Neuf. Elle a été en partie recouverte, sur la rue de Rivoli, par une paroi ondulée de verre conçue par SANAA. Et puis nous filons jusqu’à Notre Dame de Paris pour constater de l’avancement des travaux. Il y a foule autour de Notre Dame. Quelques panneaux placés autour des travaux nous expliquent les opérations en cours. Les anneaux olympiques sont déjà là sur la place de l’Hotel de Ville. Je reste assez dubitatif sur la manière dont ces jeux vont pouvoir s’organiser en plein milieu de Paris.

Hitachi Station par Kazuyo Sejima

L’idée nous est soudainement venue d’aller à Hitachi, petite ville côtière située dans la partie Nord de la préfecture d’Ibaraki. Comme son nom le laisse fortement penser, le groupe industriel Hitachi connu mondialement pour ses produits électriques, a vu le jour ici en 1910. La maison mère du groupe ne se trouve plus actuellement à Hitachi, mais de nombreuses usines y sont implantées faisant de cette ville un grand centre industriel. L’objectif de notre visite à Hitachi n’était pas de faire le tour des usines mais d’aller voir la station de trains JR et accessoirement l’océan placé juste en face. J’avais en tête depuis longtemps d’aller voir la gare d’Hitachi, mais l’occasion d’aller aussi loin dans la préfecture d’Ibaraki ne s’était pas présentée jusqu’à maintenant. Il fallait en fait provoquer cette occasion car on n’avait a priori pas d’autres raisons d’aller dans cette ville aussi loin de Tokyo. La gare a été conçue par Kazuyo Sejima (妹島和世) qui est en fait originaire de cette ville et a ouvert ses portes en 2011, l’année du grand tremblement de terre du Tohoku. J’imagine que les effets du tsunami qui s’en suivit ont été visible jusqu’à Hitachi.

On retrouve dans la conception de la gare d’Hitachi les éléments caractéristiques de l’architecture de Kazuyo Sejima, à savoir les immenses baies vitrées qui composent la totalité des murs de l’édifice. Cela donne un grand espace (3,568㎡) ouvert sur l’extérieur. L’activité à l’intérieur de la gare est donc visible depuis l’extérieur. Je suis toujours assez sceptique quant à cette transparence pour des résidences privées car les propriétaires finissent toujours par laisser les rideaux fermés en permanence, mais la transparence fonctionne très bien pour un bâtiment ouvert au public. Elle en devient même fonctionnelle. De la ville jusqu’à l’océan, le terrain forme plusieurs strates. L’entrée de la station est située au niveau de la ville et est accessible directement sans escaliers ou escalators depuis la rue et les parkings à voitures, bus ou taxis. La station est posée sur des piliers une strate plus bas, ce qui fait qu’elle est surélevée dans sa totalité pour rester au niveau de la ville. L’entrée de la station donne accès un long couloir de verre desservant deux principaux embranchements de la station, un premier donnant accès à la billetterie et aux quais de la ligne de train Joban et un deuxième embranchement plus petit contenant un café. Le long couloir est perpendiculaire à l’océan. L’océan au loin se révèle alors qu’on avance petit à petit à l’intérieur. Je montre ce couloir sur la deuxième photographie et la vue finale sur l’océan sur la troisième photographie. Plusieurs bancs appelés Flower sont placés devant cette grande baie vitrée donnant une vue imprenable sur l’océan. On trouve ces bancs en forme de trèfles à trois feuilles à plusieurs endroits dans la station et à l’extérieur. Ils ont été dessinés en 2001 par SANAA (Kazuyo Sejima et son collègue Ryūe Nishizawa), initialement pour la bibliothèque pour enfants de la médiathèque de Sendai conçue par l’architecte Toyo Ito. Il faut savoir que Kazuyo Sejima a fait ses débuts d’architecte dans l’agence de Toyo Ito en 1981 avant de fonder sa propre agence quelques années plus tard en 1987, puis SANAA avec Ryūe Nishizawa en 1995. Ces bancs Flower sont utilisés dans d’autres créations architecturales de SANAA comme le Rolex Learning Center en Suisse ouvert en 2010. La marque Vitra développa d’ailleurs un modèle produit en petites quantités pour les besoins de divers projets mais je ne suis pas certain que ce banc soit actuellement disponible à la vente. Je montre également un modèle placé à l’extérieur sur la septième photographie du billet.

L’architecture de Kazuyo Sejima devient impressionnante et, je dirais même sublime, au niveau du café situé dans le deuxième embranchement de la gare d’Hitachi. L’emplacement des piliers blancs fait qu’une partie du bloc de verre et d’acier portant le café vient se détacher dans le vide. L’ensemble donne une impression de légèreté et est d’une grande élégance. L’espace dessous la station est complètement ouvert et accessible depuis la station par des escalators et ascenseur. On peut s’y asseoir et regarder l’océan. Cet espace donne également accès à un deuxième petit parking automobile. Un large escalier de métal permet de descendre de la strate où se trouve la station jusqu’à l’océan. L’escalier permet les vues d’ensemble que je montre de la station sur les sixième et huitième photographies. L’impression de légèreté de l’ensemble se fait particulièrement sentir depuis ce point de vue, renforcé par son emplacement au bord d’une élévation naturelle du terrain au dessus du niveau de la mer. Le grand escalier que nous empruntons permet de connecter la station avec les quelques habitations placées au niveau de la mer, mais sert également de chemin d’évacuation pour ces habitants là en cas de tsunami. Je me demande si les habitations étaient beaucoup plus nombreuses au niveau de l’océan avant le tremblement de terre et le tsunami de Mars 2011.

Nous avons déjeuné dans le café, appelé Sea Birds Café, placé en face de l’océan. Il faut arriver un peu en avance car l’endroit est assez prisé. La météo était changeante mais nous avons échappé à la pluie lors de notre passage. C’est agréable de manger et de boire un café tout en regardant l’océan. Il faut juste faire abstraction de l’autoroute de béton placée les pieds dans l’eau au bord de l’océan. Cette voie rapide ne suit pas toute la côte mais passe juste devant la station avant de rentrer un peu plus tard dans les terres. On l’empruntera quand même volontairement sur le chemin du retour vers Tokyo pour admirer l’océan d’un côté et la station de l’autre. L’intérieur du café est vraiment très agréable car très lumineux. J’imagine qu’il peut être par contre difficile de rester longtemps à l’intérieur lors d’une journée fortement ensoleillée. On pourrait facilement s’endormir à l’intérieur si les fauteuils étaient plus confortables et le permettaient. J’étais d’ailleurs surpris de ne pas voir à l’intérieur du café les fameuses chaises de SANAA en forme d’oreilles de lapin. Nous reprendrons ensuite la route en essayant de passer au plus près de l’océan pour éviter les nombreuses usines Hitachi. Le bord de mer est en grande partie protégé par des murs de béton. On distingue difficilement les plages en roulant depuis la route longeant la côte. La pluie commence de toute façon à tomber et il faut donc penser au retour. Quelques autres photos de la gare d’Hitachi sont visibles sur mon compte Instagram.

Case par SANAA

Je m’étais décidé à parcourir à pied le quartier de Kamiyamachō sans pourtant avoir l’idée d’y trouver la résidence Case conçue par les architectes Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa du groupe SANAA. J’avais une vague idée qu’elle se trouvait dans un quartier résidentiel de Shibuya, donc je n’étais pas vraiment surpris de la trouver aux hasards des rues de Kamiyamachō. Ce quartier est plutôt huppé et on y trouve même l’immense demeure du ministre Asō gardée à son entrée par un poste de police. Le bâtiment est ancien et de style occidental. J’aurais aimé m’approcher pour le prendre en photo mais il semble loin, au bout d’une longue allée et derrière un parking. Le gardien à l’entrée me dissuade de toute façon de tenter la photo. On m’a demandé récemment d’effacer une photo que je venais de prendre et je n’avais pas tellement envie de retenter le coup ici. Cette fois-là était dans le quartier de Shirogane alors que je prenais en photo un grand bouddha doré posé sur le bâtiment blanc d’une secte religieuse. Après avoir pris ma photo, qui n’avait rien de réussie ni de remarquable d’ailleurs, un garde s’était soudainement précipité vers moi alors que je m’étais déjà éloigné de quelques dizaines de mètres. Le garde m’avait demandé d’effacer la photo que je venais de prendre sans donner d’explication très précise et, surpris par cette demande soudaine, je n’avais pas non plus cherché à en savoir plus. L’homme n’était ni antipathique ni impoli mais semblait simplement suivre une directive qu’on lui avait donné. Je ne me souviens pourtant pas avoir vu de signe d’interdiction de photographier sur ce bâtiment. Je ne me voyais donc pas renouveler cette expérience devant cette grande et vieille demeure à Kamiyamachō. La raison pour laquelle j’étais venu explorer ce quartier était de retrouver une autre demeure, moderne celle-ci, faite de béton et de plaques métalliques, dans laquelle nous avions été invités pour dîner il y a très longtemps par l’intermédiaire d’un ami commun. Le propriétaire qui nous avait accueilli n’habite plus dans cette grande maison depuis plusieurs années et je suis surpris de la voir inoccupée. De l‘extérieur, elle apparaît comme étant à l’abandon car la végétation a déjà pris d’assaut les façades et le jardin que je devine à travers les ouvertures rondes de la porte de métal ne semble pas être entretenu. J’imagine que cette maison est difficile à maintenir en l’état et onéreuse à détruire. On trouve quelques belles maisons individuelles en béton dans ce quartier. Je montrais deux d’entre elles dans un des billets précédents. Ces maisons étaient complètement fermées sur la rue mais montraient de superbes surfaces de béton.

Lorsque l’on voit pour la première fois la résidence Case de SANAA, on pense d’abord que le bâtiment est en cours de construction ou de rénovation car il est complètement recouvert sur toutes les façades par une grille d’aluminium. Cette surface donne l’avantage de diminuer le vis-à-vis lorsque l’on regarde la résidence en diagonale, mais ce vis-à-vis reste pratiquement intact lorsqu’on regarde la façade de face. On se rend très vite compte qu’il s’agit d’un design novateur plutôt qu’une couverture temporaire, mais l’effet de surprise initial reste très prégnant. Il s’agit d’une résidence composée de 6 appartements, appelées « Case » dont les entrées sont toutes situées à l’extérieur sur les deux façades donnant sur la rue. Il n’y a pas d’entrée principale ou de hall d’entrée dans cette résidence, ce qui fait que chaque appartement de type maisonnette est indépendant bien qu’ils soient tous concentrés dans un grand bloc de béton. Le promoteur est Mori Building et il présentait cette résidence construite en 2013 comme une villa en centre ville située dans un quartier calme, celui de Kamiyamachō, tout en étant proche des boutiques et restaurants du centre de Shibuya. Nous sommes en effet tout proche du centre de Shibuya. Lorsque l’on emprunte les petites rues au delà du complexe Bunkamura, on tombe très rapidement dans les rues très calmes des quartiers résidentiels de Shōtō et de Kamiyamachō. Le contraste est saisissant mais est très loin d’être rare dans Tokyo. J’ai cependant toujours l’impression qu’il y a une frontière invisible au niveau de Bunkamura entre le désordre urbain bruyant et bouillonnant du centre de Shibuya (Dōgenzaka, Udagawachō) et la tranquillité vide de ces quartiers résidentiels là (Shōtō, Kamiyamachō). Case se trouve au cœur de cette tranquillité sur la même rue que la résidence du ministre dont je parlais un peu plus haut, à quelques dizaines de mètres seulement.

Derrière le rideau métallique, la résidence est faite de béton aux murs courbes. Il y a un sous-sol, le rez-de-chaussée où se trouvent les entrées de toutes les unités et deux autres étages. Sur les 6 unités, 5 étaient éligibles à la vente et elles ont toutes l’air d’être occupées si on en juge aux noms affichés devant les portes. Depuis l’extérieur, il est très difficile de deviner l’activité intérieure et il s’agit là d’un concept très différent de ce dont SANAA nous avait habitué. Leurs réalisations architecturales emblématiques jouent plutôt sur l’ouverture vers l’extérieur avec des grandes baies vitrées chez Sejima (par exemple, Shakujii Apartments) et des espaces ouverts distribués en petits blocs chez Nishizawa (par exemple, Moriyama House). Sur Case, les espaces ouverts sont plutôt des terrasses intérieures comme on peut le voir grâce à une vue du ciel sur Google Maps. Comme on peut le voir sur les quelques schémas de deux unités (E et F) et les quelques photos ci-dessus, la plupart des murs intérieurs sont courbes et j’ai lu que le plafond est également en pente sur certaines pièces. Cela doit donné un espace intérieur à la fois unique et assez peu pratique pour l’aménagement intérieur. Chaque unité s’étend sur plusieurs étages. L’unité E par exemple utilise trois étages: le rez-de-chaussée avec une entrée donnant directement sur un escalier, le living-dining avec chambre au deuxième étage et la chambre principale avec une vaste terrasse avec jardin au troisième et dernier étage. En faisant le tour du bâtiment, on devine les formes courbes délimitant les espaces de jardin, mais c’est bien la vue du ciel qui nous donne une meilleure idée de l’agencement général des unités. Elle permet de comprendre la géométrie de l’espace dans sa totalité et la manière dont les lignes courbes viennent découper cet espace. Les ouvertures vers la rue sont assez peu nombreuses et ont parfois des formes très intéressantes, comme celles arrondies qui donnent un aspect futuriste à l’ensemble. Les surfaces de béton sont superbes mais sont bien entendu cachées par la robe d’acier qui les recouvre. Le concept est extrêmement intéressant, comme toujours chez Sejima et Nishizawa, mais je me demande si l’esthétique résultante est élégante ou pas. C’est comme si les architectes avaient volontairement voulu cacher des regards extérieurs la beauté de leur bâtiment. On retrouve le même genre de revêtement métallique sur la librairie Nakamachi Terrace par Kazuyo Sejima à Kodaira. Les formes visibles à l’extérieur y sont par contre plus dynamiques comme peuvent l’être celles du musée Hokusai à Sumida également conçu par Kazuyo Sejima, et les parois métalliques recouvrent un ensemble de baies vitrées plutôt que des surfaces de béton. C’est d’ailleurs intéressant de voir comment les idées se mélangent et se complètent dans l’oeuvre des deux architectes de SANAA. On arrive assez bien à voir leur cheminement lorsqu’on découvre leurs œuvres architecturales les unes après les autres. J’en ai déjà vu un certain nombre à Tokyo. Même si je les regarde toujours d’un œil critique, j’aime comment cette architecture vient bousculer nos conceptions préétablies de ce à quoi doit ressembler l’espace habitable.

Shakujii Apartment par SANAA

J’ai déjà découvert, par hasard ou volontairement, un grand nombre de buildings et de maisons individuelles conçus par Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, soit individuellement ou ensemble au sein du groupe SANAA, sans pour autant avoir créer une liste facilement consultable de ce que j’ai pu voir jusqu’à maintenant. Comme je le mentionnais dans les commentaires d’un billet précédent, ce blog est une forêt inextricable ramifiée sur 17 années de contenus organisés seulement de manière chronologique. Un novice arrivant à la lisière de cette forêt y réfléchira sans doute à deux fois avant de s’y enfoncer. Pourtant, cette approche plutôt déroutante et opaque me convient assez bien pour ce blog, car j’aime l’idée que l’on puisse découvrir les choses de fil en aiguille à mesure de son intérêt, plutôt que tout d’un bloc de façon organisée. Si on comparait cette démarche à de l’architecture, elle serait à l’exact opposé de l’extrême transparence de SANAA. Cette approche sans concession de l’architecture m’intéresse beaucoup et me pousse à la découverte progressive des créations architecturales de SANAA.

Cette fois-ci, je pars sur les traces d’un ensemble d’appartements dénommé Shakujii Apartment. L’adresse est facilement trouvable sur Internet. Ce petit ensemble se trouve à côté d’une rivière, la rivière Shakujii, et assez proche d’un grand parc, le parc de Shakujii, qui sous certains aspects me rappelle un peu le parc de Inokashira. Le parc Shakujii est desservi par une station du même nom sur la ligne Seibu-Ikebukuro, que j’emprunterais seulement au retour. A l’aller, j’emprunte une ligne parallèle à celle-ci, la ligne Seibu-Shinjuku, qui m’amène à la station Kami Igusa. Depuis cette station, il faut marcher une bonne dizaine de minutes dans une zone résidentielle, en se perdant un peu en court de route, pour finalement découvrir Shakujii Apartment au détour d’une rue. La zone résidentielle dans laquelle se trouve Shakujii Apartment est des plus classiques comme dans toutes les banlieues lambda autour de Tokyo, sans personne dans les rues.

Le style de Shakujii Apartment contraste fortement avec le reste des maisons individuelles de deux ou trois étages du quartier. Il s’agit d’un immeuble de taille basse tout en longueur, composé de huit unités d’habitation de tailles variables. Les unités sont construites en structures d’acier et sont couvertes dans leur quasi-totalité de vitrages. Elles sont composées de trois étages avec un rez-de-chaussée à moitié en sous-sol, et ne sont pas positionnées en alignement sur le terrain. Leurs dispositions sur le terrain laisse d’ailleurs place à des espaces verts qui sont parfois utilisés comme allées pour circuler ou comme petits jardins. Cette disposition semblant aléatoire me fait tout de suite penser à la disposition des blocs habitables de Moriyama House de Ryue Nishizawa à Kamata. Certains blocs de Shakujii Apartment sont surmontés d’une terrasse, d’autres sont utilisés au rez-de-chaussée comme place de parking couverte. Les configurations de chacune des unités sont toutes différentes en taille et en organisation. Les unités sont accessibles depuis un petit escalier menant à l’étage. Comme on peut le comprendre sur les diagrammes des étages, trois unités sont composées de deux blocs tandis que les cinq autres sont faites d’un seul bloc. L’apparence générale de l’ensemble est très agréable car ce petit labyrinthe de ruelles vertes est bien entretenu et la blancheur des surfaces et des piliers ne semble pas avoir été trop affectée par les 9 années d’existence du bâtiment (il date de 2011).

Mais, l’architecture de Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa a comme toujours le défaut de ses qualités. La transparence, la légèreté et la très grande délicatesse du bâti sont les points communs de l’architecture du groupe, mais l’espace qui est créé est-il réellement habitable à la manière dont les architectes l’ont conçu? Les façades de verre sur les trois étages me rappellent le bloc d’Apartment I conçu par Kumiko Inui à Hiroo, et comme c’est le cas pour Apartment I, les rideaux étaient tous refermés quand j’y suis passé. Les japonais n’ont à priori pas une nature exhibitionniste et j’imagine que ces rideaux sont fermés en permanence à longueur de journée. Il y a un fort vis-à-vis avec les autres maisons individuelles autour car les rues sont assez étroites dans ce quartier résidentiel tout à fait ordinaire. La situation aurait peut être été différente si la résidence avait été placée en bord d’un grand espace vert ou au bord de la rivière Shakujii à quelques mètres de là. Ce type de transparence me semble plus adapté pour un espace commercial plutôt que pour un espace habitable. Le problème se remarque aussi au niveau des terrasses et du vis-à-vis entre les unités elles-mêmes. Les habitants se protègent en ajoutant des toiles assez disgracieuses (ou du moins qui ne correspondent pas à l’esprit initial du bâtiment). Cette résidence de SANAA est dans son concept très intéressante mais, à mon avis, ne remplit pas complètement sa fonction primaire. Il manque une distance pour permettre à cet espace ouvert sur l’extérieur de bien fonctionner. Je ne suis d’ailleurs pas certain que l’ensemble de la résidence soit occupée. Seulement deux unités montraient des signes clairs d’occupation (des plantes sur la terrasse, une voiture stationnée, un vélo posé au bord d’un mur, et ces toiles accrochées en hauteur). C’était difficile de juger de l’occupation de l’ensemble car j’y suis passé en semaine plutôt que le week-end. L’environnement autour de Shakujii Apartment est très agréable par la présence du grand parc tout en longueur occupé en grand partie par un étang.

House in a plum grove par Kazuyo Sejima

Cela faisait longtemps que je n’avais pas pris le temps d’aller à la recherche d’architecture tokyoïte. Je découvre bien entendu beaucoup d’architecture intéressante au hasard de mes promenades du week-end, mais dans le cas présent, j’avais fait le déplacement exprès pour aller voir une maison emblématique conçue par l’architecte Kazuyo Sejima, du groupe SANAA. Il s’agit, comme le titre du billet l’indique, de House in a plum grove, construite de 2001 à 2003 dans la banlieue résidentielle de Setagaya. Cette maison est faite d’un bloc blanc de plan trapézoïdal, installé au coin d’une rue étroite sur une surface réduite d’un peu plus de 90 m2 sur laquelle se trouvent des pruniers. Le couple avec enfant, commanditaire de la maison, était à la recherche d’une maison qui serait avant tout un refuge pour l’esprit, en restant d’une grande simplicité, sans être tape-à-l’œil. L’endroit devait aussi permettre d’admirer la floraison des quelques pruniers du jardin une fois la saison venue.

L’image en haut à gauche est extraite de la vidéo « House in a Plum Grove » par Lynette Neo. Une maquette de la maison est recomposée sous nos yeux étage par étage, pour donner une meilleure idée de l’agencement intérieur. Les deux plans en bas à droite viennent du site Archiscapes, tandis que les trois photos intérieures à l’époque de sa création proviennent d’un autre article de blog.

La maison est perdue dans une zone résidentielle tranquille à une dizaine de minutes de la station la plus proche. Je trouve assez facilement car j’avais l’adresse. La maison apparaît à un coin de rue et le blanc immaculé me tape tout de suite à l’oeil. On remarque tout de suite que ce n’est pas une habitation comme les autres. La petite maison blanche, malgré quelques grandes baies vitrées, semble être un bloc hermétique. La porte d’entrée est tellement intégrée dans la façade lisse de la maison qu’on a du mal à déceler sa présence. Les fenêtres toutes carrés aux emplacements semblant aléatoires ne donnent pas d’indications claires sur la disposition intérieure des pièces. La maison est en fait composée de 17 pièces sur les 77.68m2 de surface au sol et sur trois étages intérieurs. Une partie du troisième étage est ouvert sur l’extérieur faisant office de terrasse et de pièce pour prendre le thé. Les pièces sont de tailles et de hauteurs de plafonds très diverses, placées autour d’un escalier en colimaçon au centre de la maison. Les murs du bloc blanc immaculé sont faits de panneaux de feuilles d’acier de quelques centimètres seulement, assez fines pour maximiser l’espace habitable. Les murs intérieurs entre deux pièces sont découpées sans fenêtres, ce qui donne une vue permanente sur les autres pièces et laisse passer l’air dans les espaces. Les pièces ne sont pas complètement fermées les unes par rapport aux autres et permettent une certaine transparence au sein de la famille vivant à l’intérieur de la maison. L’espace est en même temps assez peu exposé à l’extérieur car les ouvertures sont assez peu nombreuses.

On reconnaît des similitudes dans les formes et l’esthétique de House in a plum grove avec d’autres œuvres architecturales de Ryue Nishizawa, son associé au sein du groupe SANAA, notamment Moriyama House construite pendant la même période. Bien que pour Moriyama House, la maison soit éclatée en de multiples blocs placées dans le jardin, chaque unité habitable suit cette même esthétique du bloc blanc lisse et propre avec ouvertures fusionnant parfaitement avec les pans de murs et à l’emplacement imprévisible. Par rapport aux images que j’avais pu voir de House in a plum grove dans les magazines d’architecture, la végétation autour de la maison a bien poussé, ce qui amoindrit un peu l’impact du blanc de la structure. Ceci étant dit, le passage des années n’a pas vraiment attaqué les surfaces qui restent blanches et propres. Il faut juste faire abstraction de ces affreuses affiches d’élection jaunes et rouges posées sur un des murs. Un détail intéressant est la végétation placée sur le toit, donnant l’impression que tout le troisième étage est ouvert sur l’extérieur.

Après cette découverte de House in a plum grove à Setagaya, je reprends la route vers Shibuya en me rappelant d’une autre maison conçue par SANAA dans le quartier de Shōtō, quartier résidentiel au bord de Shibuya. Je pars donc à la recherche de M House. L’adresse que j’avais noté quelque part dans les notes de mon iPhone doit me permettre de la retrouver facilement. En chemin, je découvre, ou ré-découvre plutôt, des bâtiments intéressants et même une maison aux allures de forteresse très intriguante. J’y reviendrais dans un prochain billet. Mais, je tourne et vire dans le quartier sans trouver de traces de M House. Je recherche quelques photographies sur Internet pour me remettre en tête la forme exacte du bâtiment, au cas où je serais passé devant sans le remarquer. Je me rends assez vite compte que M House à été rasée, complètement détruite. En comparant avec des photographies vues sur Internet, je reconnais les maisons alentours, mais le terrain que je vois devant moi, celui de la photographie ci-dessus, est vide. J’ai un peu de mal à réaliser qu’un bâtiment relativement récent (datant de 1996/1997) dessiné par des architectes récompensés du prix Pritzker, puisse disparaître aussi rapidement. L’architecture à Tokyo reste avant tout éphémère.