just fly so far away to another place

Nous ne sommes pas sorti de Tokyo depuis plus d’un mois. Malgré les apparences, nous sommes toujours à Tokyo sur ces photographies, mais dans la partie Ouest au delà d’Hachiōji. Nous allons régulièrement dans cette région de Tokyo pour une raison familiale, et nous en profitons pour parcourir un peu les environs lorsqu’on le peut. En direction du village de Hinohara, nous nous arrêtons à Tokura situé à Akiruno. Un petit restaurant de soba avait attiré notre attention lors de recherches sur Internet et nous le trouvons sans trop de difficulté sur une petite route qui bifurque de la voie principale. Ce restaurant s’appelle Koharu Biyori (小春日和). Il doit avoir une bonne réputation car nous ne sommes pas les seuls à venir y manger. L’ambiance y est paisible et il faut prendre son temps car il y a seulement deux personnes tenant le restaurant, à la cuisine et au service. Je profite du temps d’attente un peu long pour faire un tour rapide des environs. Il n’y a personne en vue, même pas un chat. Seules quelques voitures passent de temps en temps mais le trafic est relativement limité. Le temps semble s’être arrêté ici. On se demande si la station service fonctionne toujours. De l’autre côté de la route, une grande distillerie de sake à ses portes fermées. Elle semble cependant encore active mais probablement fermée en cette journée de dimanche. Je ne suis pas un fanatique du calme absolu, mais sortir du centre de Tokyo pour être confronté au silence fait beaucoup de bien.

Mais revenons tout de même beaucoup plus près du centre ville, pendant une autre journée cette fois-ci pluvieuse. A Ikejiri dans l’arrondissement de Setagaya, se déroule actuellement une exposition que je ne voulais pas manquer sur le monde cinématographique du réalisateur Shunji Iwai (岩井俊二) dans la petite galerie nommée OFS Gallery. Cette exposition s’appelle Yentown Market (円都市場) et propose également un espace de vente avec quelques articles liés aux films de Shunji Iwai, comme des CDs, livres, t-shirts, posters. L’exposition et les objets de la boutique se concentraient principalement sur quelques films, à savoir Kyrie no Uta (キリエのうた), All about Lily Chou-Chou (リリイ シュシュのすべて), Love Letter (ラヴレター ) ou encore A Bride for Rip Van Winkle (リップヴァンウィンクルの花嫁). Le nom de cette exposition, Yentown Market, reprend en fait le nom du groupe Yentown Band créé par Takeshi Kobayashi (小林武史) et Shunji Iwai à l’occasion du film Swallowtail Butterfly (スワロウテイル) avec Chara au chant. Devant une série de posters grand format, on pouvait voir des tenues et accessoires utilisés dans le film Kyrie no Uta par Kyrie, jouée par AiNA The End (アイナ・ジ・エンド), et par Ikko, jouée par Suzu Hirose (広瀬すず). L’exposition montre également différents objets utilisés pour le film All about Lily Chou-Chou sorti en salles en 2001, dont le CD de l’album Erotic (エロティック) de la chanteuse Lily Chou-chou, sorti après un premier EP intitulé Jewel (ジュエル). Le CD de l’album Erotic, exposé à côté d’un CD Walkman Sony jaune, apparaît dans le film mais il est en fait fictionnel tout comme sa chanteuse. Il faut savoir que Shunji Iwai a développé tout un monde fictif autour de son film, et ce même avant la sortie du film. Une grande partie du film est ponctué par des messages tirés d’un forum internet de type BBS appelé Lilyholic consacré à la chanteuse Lily Chou-Chou. Ce forum administré dans le film par Yūichi Hasumi, interprété par Hayato Ichihara (市原隼人) existait en fait avant le film. Il a été créé par Shunji Iwai et continue même à exister maintenant, car des visiteurs continuent à y poster des messages. Ce forum brouille les pistes entre la fiction et le réel et il en est de même pour la musique. Dans le film, le second album de Lily Chou-Chou s’intitule Kokyū (呼吸). Cet album est bien sorti dans la réalité à la suite du film avec ce même titre mais les titres sont pour certains différents. Il y a donc deux albums intitulés Kokyū, un fictif sorti dans le film par la chanteuse Lily Chou-Chou et un autre bien réel sorti par le groupe Lily Chou-Chou. La musique de ce groupe qu’on peut écouter en partie dans le film est composée par Takeshi Kobayashi avec certains textes de Shunji Iwai. Salyu, de son vrai nom Ayako Mori (森綾子), qui n’avait pas encore fait ses débuts à la sortie du film, est la chanteuse du groupe. Outre l’album Kokyū, le groupe a sorti les singles Glide (グライド) et Kyōmei (Kūkyo na Ishi) (共鳴(空虚な石)) qu’on retrouve dans l’album, puis, presque dix années plus tard, en 2010, un nouveau single intitulé Ether (エーテル). A cette époque là, le guitariste Yukio Nagoshi a rejoint le groupe Lily Chou-Chou pour accompagner Takeshi Kobayashi et Salyu. Un concert a même lieu au Nakano Sun Plaza le 15 Décembre 2010. On peut voir ce concert en intégralité sur YouTube, mais sur une page non-officielle (je me demande s’il est sorti en DVD). Dans l’exposition, on peut voir des billets de concert, mais il ne s’agit pas du concert réel à Nakano Sun Plaza, mais celui fictif dans le film au Gymnase Olympique de Yoyogi. Sur une étagère de l’exposition, derrière le téléphone portable de type garakei de la collégienne Shiori Tsuda jouée par Yū Aoi (蒼井優) dont c’est le premier rôle, on peut voir par contre la couverture du single réel Kyōmei (Kūkyo na Ishi) du groupe.

La construction du nom de scène Lily Chou-Chou est très intéressante. Son véritable nom dans le film est Keiko Suzuki (鈴木圭子) et elle est née le 8 Décembre 1980, qui se trouve être le jour de l’assassinat de John Lennon. Cette information sur sa date de naissance est mentionné dans le film sur le forum BBS, mais je ne suis pas sûr que son véritable nom soit donné. Le 8 Décembre est également la date du concert anniversaire à Yoyogi que je mentionnais ci-dessus. On dit que les parents de Keiko Suzuki étaient amateurs de Claude Debussy et que c’est également son cas. Elle estime qu’il était la première personne à transformer l’Ether en musique (エーテルをはじめて音楽にした人). Ce concept d’Ether qui intervient beaucoup dans le film est assez mystique. Il représente une force musicale intrinsèque, invisible et omniprésente, qui relie ceux qui la saisissent. J’arrive à comprendre cette force inexplicable que la musique peut provoquer parfois en nous au point d’accaparer tous nos sens. Le nom Lily Chou-Chou est tiré de deux surnoms liés à Claude Debussy. Sa première épouse s’appelait Marie-Rosalie Texier et était surnommée Lilly. La fille de Debussy avec sa deuxième femme, Emma Bardac, s’appelait Claude-Emma Debussy, et était surnommée Chouchou. Debussy est d’ailleurs omniprésent dans le film à travers sa première Arabesque, composée en 1890, souvent jouée au piano par la collégienne Yōko Kuno interprétée par Ayumi Ito (伊藤歩). All about Lily Chou-Chou est un de ses films possédant leur propre monde qu’il est passionnant de découvrir, mais c’est surtout un film de sensations. Le morceau Arabesque (アラベスク) joué dès les premières images du film dans un champs d’herbes hautes dans la campagne d’Ashikaga est riche en émotions, nous ramenant à des moments passés de notre propre adolescence, ceux remplis de doutes et parfois de malaises. Ce morceau dont le titre seulement est inspiré par Debussy me bouleverse à chaque écoute mais je n’ai de cesse d’y revenir, comme s’il me permettait d’explorer une partie enfouie de moi-même. Cette musique mélancolique magnifiquement interprétée par Salyu dans un dialecte d’Okinawa pousse clairement à une forme d’introspection, comme peuvent l’être d’ailleurs certains morceaux d’Ichiko Aoba (青葉市子). Je pense en particulier à des morceaux comme Porcelain et Dawn in the Adan sur son album Adan no Kaze (アダンの風). Est ce qu’Ichiko Aoba possède l’Ether? Oui, sans aucun doute, même si cette question n’a peut-être pas beaucoup de sens. Shunji Iwai l’aura très certainement reconnu comme telle car ils se sont produits ensemble sur la scène de la salle de concert WWW à Shibuya pour les besoins d’une émission télévisée sur la chaîne musicale câblée Space Shower TV. Cette émission proposait un dialogue entre mémoire et création entre Ichiko Aoba et Shunji Iwai (青葉市子と岩井俊二、記憶と創作のダイアローグ). Shunji Iwai jouait du piano et Ichiko Aoba chantait et jouait de la guitare sur trois morceaux: Uwoaini (ウヲアイニ) composé par Shunji Iwai pour son film Hana and Alice (花とアリス), Adan no Shima no Tanjō-sai (アダンの島の誕生祭) composé par Ichiko Aoba sur son septième album Adan no Kaze (アダンの風) et Arabesque (アラベスク) écrit par Shunji Iwai et composé par Takeshi Kobayashi pour All about Lily Chou-chou. L’interprétation d’Arabesque est vraiment très belle, pas aussi prenante que la version originale chantée par Salyu, mais on en est tout proche. La sensibilité que dégage Ichiko Aoba dans son chant est tout à fait remarquable. L’émission comprend également une longue interview dans lequel Ichiko Aoba évoque sa découverte du film All about Lily Chou-chou à l’âge de 14 ans et l’influence qu’il a eu sur elle. L’album Adan no Kaze est également longuement évoqué, notamment l’influence des îles d’Okinawa. S’il devait y avoir un film intitulé Adan no Kaze, il aurait certainement été réalisé par Shunji Iwai. Pour revenir au concept de l’Ether, le film restait assez flou sur le cas de Sheena Ringo comme je le montrais sur des captures d’écran dans un billet évoquant le film. La question a été éludée récemment par un tweet de Shunji Iwai confirmant en anglais que « Ringo has the beautiful ether! » alors qu’on l’avait interpellé sur le sujet. Je me suis alors demandé quel album ou quel titre pouvait le mieux correspondre à ce concept d’Ether. J’ai d’abord pensé à des morceaux de l’album KSK, mais la réponse se trouve plutôt sur l’album précédent Shōso Strip (勝訴ストリップ) car on y trouve le morceau Benkai Debussy (弁解ドビュッシー, Excuse Debussy). Elle raconte dans le numéro 14 de son magazine RAT que ce titre lui est venu sur un coup de tête, alors qu’on lui demandait quel était son artiste préféré. Le fait de mentionner Claude Debussy comme artiste préféré a suscité des interrogations des gens autour d’elle. En conséquence de quoi elle s’est elle-même demandée s’il fallait une explication ou une excuse pour aimer Debussy. Le titre est dérivé de ce questionnement. Peut-être aime t’elle le morceau Arabesque de Claude Debussy? Ce point en commun avec la chanteuse Lily Chou-chou est en tout cas étonnant.

Dans la petite boutique de la galerie OFS, j’achète en souvenir le livret du film Kyrie no Uta, contenant des interviews et de nombreuses photographies du film. En rentrant le soir, je me rends compte qu’AiNA a également dû y aller la même journée que moi car elle montrait des photos de la galerie sur sa storyline Instagram. L’exposition montre également quelques objets tirés du premier film de Shunji Iwai, Love Letter. Le film a eu beaucoup de succès à sa sortie en 1995 et ce succès s’est ensuite étendu en Asie. C’est un film que j’avais en tête de voir depuis un petit moment, mais je ne l’ai finalement vu que très récemment après mon passage à l’exposition. Il a été en grande partie tourné à Hokkaidō, dans la ville d’Otaru, et les images hivernales de terres enneigées y sont très belles tout comme l’histoire qui contient déjà certains thèmes récurrents du réalisateur comme la dualité de l’actrice principale. L’actrice Miho Nakayama y joue en effet deux rôles, celui de Hiroko Watanabe qui a perdu son fiancé dans un accident de montagne deux années auparavant et celui d’Itsuki Fujii qui a étrangement exactement le même nom et prénom que son fiancé disparu. L’histoire se construit sur une correspondance par lettres, comme sur un de ses films plus récents Last letter. Hiroko Watanabe envoie une première lettre à l’adresse d’enfance de son ancien fiancé en pensant qu’elle arriverait peut-être jusqu’au paradis, mais c’est la femme Itsuki Fujii qui la reçoit car elle habite dans la même ville et lui répond. Un lien d’amitié rempli d’interrogations se noue entre les deux femmes (qui, je le répète, sont toutes les deux interprétées par Miho Nakayama). On comprend assez rapidement que la femme Itsuki Fujii et l’ancien fiancé Itsuki Fujii étaient en fait dans la même classe de collège, et Hiroko essaie donc d’en savoir plus sur l’enfance de son ancien fiancé en posant de nombreuses questions à Itsuki Fujii dans ses lettres. Cette correspondance vient petit à petit creuser dans la mémoire d’Itsuki Fujii, et la frontière entre les histoires des deux femmes se rapprochent, accentuée par leur ressemblance physique troublante (car je le répète, elles sont jouées par la même actrice). L’histoire peut paraître assez embrouillante mais elle est racontée de manière simple et particulièrement émouvante. J’aime par dessus tout les moments de plénitude qui se dégagent de ce film, et des films de Shunji Iwai en général.

Écrire ce billet m’a poussé à réécouter plusieurs fois l’album Kokyū (呼吸) de Lily Chou-Chou. Sur la couverture de l’album, je me demande si c’est bien Salyu que l’on voit photographiée de dos dans les hautes herbes. Cette photographie de Kazuaki Kiriya (紀里谷和明) est superbe. J’aime aussi beaucoup la photographie de couverture de l’album-compilation Merkmal de Salyu. Cette photographie signée du photographe Kazunali Tajima (田島一成) me rappelle mes propres photographies jouant avec les nuages, notamment celle en page 69 de mon photobook In Shadows ou celle du billet intitulé Structure and Clouds. Les photographies du livret de Merkmal datant de 2008 sont antérieures aux miennes. Je ne connaissais pas cet album à l’époque où j’ai créé mes propres compositions photographiques, quelques années plus tard en 2011. J’ai en fait découvert cet album grâce à un billet récent de mahl sur son blog. De cet album, je connaissais déjà quelques morceaux car deux sont extraits de l’album Kokyū: Hōwa (飽和) et Glide (グライド). Elle reprend également en solo le morceau to U qui l’a fait connaître du grand public. C’est peut-être dû au fait qu’il s’agit d’une compilation, mais je trouve cet album inégal. Certains morceaux comme landmark et Yoru no Umi Tōi Deai ni (夜の海 遠い出会いに) sont absolument fabuleux, tout comme Dramatic Irony et I BELIEVE. Ces morceaux qui se suivent sur l’album forment un passage particulièrement poignant. Salyu y a une voix particulièrement expressive et la partie finale de I BELIEVE est particulièrement puissante. L’album est accompagné d’un DVD avec un concert plutôt intimiste au Motion Blue Yokohama (datant du 17 Septembre 2008) pendant lequel elle interprète les morceaux landmark et Yoru no Umi Tōi Deai ni avec une orchestration légèrement différente. On ne peut que rester immobile en écoutant cette voix monter progressivement en intensité. Une bonne moitié de l’album paraît plus fade par rapport à ces quelques morceaux dont l’intensité émotionnelle ne peut pas laisser indifférent. Le morceau to U en solo est par exemple beaucoup moins intéressant en solo sans la voix de Kazutoshi Sakurai. J’aime aussi beaucoup le morceau VALON-1, car elle semble chanter avec un ton de décalage sur la totalité du morceau. Takeshi Kobayashi compose les musiques de cet album, tout comme celles des précédents. C’est d’ailleurs Takeshi Kobayashi qui l’a découverte et qui lui a donné son nom de scène, qui serait apparemment une allusion au mot français « Salut ». Takeshi Kobayashi et Shunji Iwai commençaient à ce moment là l’écriture des morceaux de Lily Chou-chou. Pendant le concert de Lily Chou-chou le 15 Décembre 2010 à Nakano Sun Plaza, certains morceaux solo de Salyu étaient interprétés. Elle chante pendant ce concert là et sur le DVD de Merkmal une version différente, en anglais, du morceau Arabesque. Le concert du Nakano Sun Plaza termine avec le morceau Glide comme sur l’album Kokyū et la compilation Merkmal, sauf qu’elle ne chante que le début. Les paroles inscrites sur grand écran prennent ensuite le relais: just fly so far away to another place.

あなたの写真で夢が見たい

Des petits passages photographiques à Harajuku et Omotesando puis près d’Ebisu alors que la nuit tombait doucement. La deuxième photographie montre une installation artistique colorée de Kengo Kito (鬼頭健吾) à Omotesando Crossing Park. Il s’agit d’une des œuvres de la série d’expositions consacrées à l’artiste américain Sterling Ruby en association avec d’autres artistes japonais dont Kengo Kito et Kei Takemura (竹村京). Cette exposition est organisée du 8 Janvier au 4 Février 2024 par Anonymous Art Project en collaboration avec la galerie Taka Ishii. Je suis en fait passé rapidement car Kei Takemura est une amie de l’école des Beaux Arts de Mari, et j’avais déjà mentionné son nom sur ce blog il y a longtemps. Sur la troisième photographie du billet, je montre une nouvelle fois le nouveau Tokyu Plaza, au croisement d’Harajuku, qui ouvrira ses portes au Printemps 2024. Il fait face à l’autre Tokyu Plaza dans la diagonale du carrefour. Ce nouveau Tokyu Plaza conçu par l’architecte Akihisa Hirata prendra le nom de Harakado (ハラカド). Le Tokyu Plaza existant, conçu lui par Hiroshi Nakamura & NAP, changera de nom pour s’appeler Omokado (オモカド). C’est intéressant de voir cette correspondance entre deux buildings conçus par des architectes différents mais qui ont choisi une esthétique similaire basée sur des vitrages aux formes et plans variés et des zones végétales positionnées sur les hauteurs. Les deux bâtiments dialoguent en quelque sorte l’un avec l’autre.

Le titre de ce billet m’est inspiré par les paroles du dernier single NOISE du jeune groupe rock Haze. Le groupe est composé de quatre filles et est mené par Katy Kashii (香椎かてぃ), appelée simplement KATY, qui en est la guitariste et chanteuse. Chihiro Hanasaki (花咲ちひろ) appelée HANA est la bassiste du groupe et joue également pour un autre groupe appelé Hello End Roll (ハローエンドロール). Suzuka est aux claviers et Juri à la batterie. Je suis KATY d’assez loin sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années, car elle a une personnalité assez décalée. Je me souviens d’une vidéo qui doit dater de ses débuts pour une audition du concours de modèles féminins Miss iD (ミスiD) parrainé par Kodansha. Elle s’agissait de l’édition 2017 de Miss iD alors qu’elle était encore en troisième année de lycée. Seiko Ōmori (大森靖子) faisait partie du comité de sélection et c’est peut-être à ce moment là qu’elle l’a repéré pour être membre d’origine du groupe ZOC (Zone Out of Control) fondé quelques années après en 2019. Katy a quitté ZOC en 2021 pour une raison que je ne connais pas mais je peux assez bien imaginer les difficultés conflictuelles avec Seiko Ōmori. Katy a fait également partie d’un autre groupe appelé Akuma no Kiss (悪魔のキッス) avec Kanano Senritsu (戦慄かなの), également ex-ZOC, mais qui a dû s’arrêter récemment (parfois, je me demande comment je peux avoir toutes ces informations en tête). En regardant cette vidéo de Katy sur Miss iD qui m’amuse toujours beaucoup, je retrouve les courtes vidéos sur fond vert Neet Tokyo (ニートtokyo) où elle est interviewée pour raconter bien sûr une histoire compliquée. Je regardais souvent ces vidéos de Neet Tokyo il y a quelques années, à l’époque où j’écoutais les podcasts de la rappeuse Valknee qui mourait d’envie d’y être invitée (ce qui arrivera finalement un peu plus tard). Ces vidéos sont en général très courtes et consacrées aux musiciens de la scène underground tokyoïte, principalement hip-hop. Je vois que certains musiciens étrangers y sont également invités, comme Porter Robinson qui y donne ses recommandations en musique pop japonaise. Le single NOISE de Haze est sorti en Janvier 2024. La composition du morceau rock n’est pas particulièrement originale mais j’aime beaucoup l’énergie brute qui s’en dégage, notamment par la voix de Katy qui ressemble par moment à une version plus torturée de celle d’AiNA The End. La vidéo du single réalisée par Yasuaki Komatsu me plait aussi beaucoup pour son hommage au film Fallen Angel (1995) de Wong Kar-Wai. Dans la vidéo, une scène à moto dans un tunnel ressemble en effet beaucoup dans son angle de prise de vue à une scène avec Takeshi Kaneshiro dans Fallen Angel. Et toujours sur cette vidéo, je ne m’attarderais pas à trouver des références dans la tenue d’infirmière de Suzuka donnant un coup de pied en avant ou celle en robe de mariée de Juri.

Je mentionnerais seulement le fait que je regrette vraiment de n’a pas avoir été au concert de King Gnu au Tokyo Dome les 27 et 28 Janvier 2024 car Sheena Ringo y était présente comme invitée secrète pour interpréter le morceau W●RK en duo avec Daiki Tsuneta. L’ambiance y était apparemment électrique et je peux très bien imaginer l’effet de surprise du public. Dans ses commentaires, le journaliste Patrick St. Michel qui était présent au concert ajoute que la clé pour comprendre la J-JOP des années 2020s est de reconnaître que les trois artistes les plus influenceurs des années 2000s étaient Sheena Ringo, Sōtaisei Riron (相対性理論) et Hatsune Miku. Ce commentaire est forcément très discutable mais à mon avis très proche d’une partie de la réalité. Une grande partie du courant électro-pop japonais actuel dérive du Vocaloid dont le projet Hatsune Miku était le précurseur. Je vois très souvent dans les jeunes groupes rock, notamment féminins, une influence de Sheena Ringo. Le fait même que Daiki Tsuneta porte un haut parleur à la main lors de certains morceaux de King Gnu, comme sur W●RK, dénote même cette influence. Quant à l’influence de Sōtaisei Riron, elle me paraît moins évidente. Certainement que des artistes comme Kiki Vivi Lily ou même Daoko prennent une certaine influence dans le chant intime d’Etsuko Yakushimaru et dans l’ambiance qui ne force pas le trait de Sōtaisei Riron. A ce propos, j’aime personnellement beaucoup revenir vers l’album Hi Fi Anatomia de Sōtaisei Riron, car il est vraiment brillant. Seiichi Nagai (永井聖一) de Sōtaisei Riron est d’ailleurs actuellement guitariste de QUBIT dans lequel chante Daoko. Et à ce propos, j’aime beaucoup le nouveau single de QUBIT intitulé Beautiful Days, dont la vidéo n’utilise heureusement pas cette fois-ci d’intelligence artificielle. L’approche rock est assez différente des morceaux solo de Daoko et c’est assez rafraîchissant, car Daoko y garde par moment son phrasé rapide hip-hop. Il faudrait que je me penche un peu plus sur le premier album du groupe, mais j’ai déjà tellement de choses à écouter. Les deux photos ci-dessus proviennent du compte Twitter de Daiki Tsuneta que je permets de montrer ici pour référence.

Lorsque je parcours les rayons des Disk Union de Tokyo, je ne regarde que rarement la section consacrée à Sheena Ringo et Tokyo Jihen car je dois avoir déjà à peu près tout. En jetant tout de même un œil rapide au rayon du Disk Union de Shin-Ochanomizu, je découvre une étrange compilation intitulée Complete singles que je ne connaissais pas. La photographie de couverture provient de la session photo utilisée pour le single Koko de Kiss Shite (ここでキスして。) de 1999. Sheena Ringo pose avec son appareil photo Canon F-1 qui l’accompagne souvent à cette époque. En regardant d’un peu plus près, cette compilation regroupe en fait les trois premiers singles de Sheena Ringo, Kōfukuron (幸福論), Kabukichō no Joō (歌舞伎町の女王) et Koko de Kiss Shite avec les B-side, et le premier album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム). Ce qui est vraiment étrange, c’est que sur la vingtaine de morceaux inclus sur cette compilation, les trois derniers ne sont pas de Sheena Ringo mais d’autres chanteuses de cette époque n’ayant à priori aucuns liens avec le son monde musical. Ces morceaux s’intitulent I believe par Sakura, Hiyake (日焼け) par Yukie et Binetsu (微熱) par Mina Ganaha (我那霸美奈). La raison de cette sélection très classique de la J-Pop de l’époque mais n’ayant rien de transcendant est particulièrement mystérieuse. Je ne peux m’empêcher d’acheter le CD qui contient un beau picture disk. Les morceaux inclus ont une bonne qualité sonore, fidèle aux singles et album originaux. Il en est de même pour les photographies du livret. Quelques recherches m’indiquent qu’il s’agit en fait d’un bootleg taïwanais plutôt rare. Je savais que Sheena Ringo avait déjà sorti une compilation pour Taïwan au moment de son unique concert hors de Japon, mais la version que j’ai entre les mains est différente et n’a vraisemblablement rien d’officiel. Voilà une curiosité des plus étranges mais que je prends plaisir à écouter comme une sélection de ses premiers titres. Je suis par contre moins sûr de trouver un véritable intérêt aux trois morceaux ajoutés. J’imagine qu’ils ont été ajoutés comme teaser vers d’autres artistes. Ce n’est pas une mauvaise idée, quand on y pense, sauf si on considère le cadre de l’album comme une unité artistique. J’ai moi-même tendance à percevoir un album de cette manière, mais le cadre de la compilation donne ceci-dit des possibilités différentes.

初詣2◯24


あけおめ
ことよろ
二◯二四

Une fois n’est pas coutume pour le premier jour de l’année, nous nous sommes levés très tôt pour aller observer le premier levé de soleil de l’année. Le soleil se levant à 6h50 du matin, nous avons dû tous nous lever vers 5h30, direction Odaiba, faute d’avoir le temps d’aller jusqu’aux bords de l’océan à Chiba, Oarai ou Enoshima. La vue en elle-même n’était pas magnifique mais nous avons pu voir le soleil se lever doucement, formant une boule de feu nous éblouissant de ses premières lumières de l’année pendant plusieurs minutes. Fort de cette énergie, nous avons ensuite pris la route pour Chiba et le grand sanctuaire de Katori que nous avions déjà visité. Nous y sommes arrivés vers 8h du matin. C’était une horaire idéale pour Hatsumōde (初詣), car ceux qui y sont venus après minuit sont déjà couchés et ceux qui viendront dans la matinée ne sont pas encore levés. Nous n’attendons pas beaucoup devant le sanctuaire, ce qui est vraiment appréciable. Il y a pourtant foule dans l’allée principale avec de nombreux stands vendant toutes sortes de choses, à manger ou à boire sur place. Je profite bien entendu de l’amazake avant de reprendre tranquillement la route. Dans l’après-midi, nous retournons au sanctuaire Hikawa (氷川神社) que nous avions visité le soir du réveillon juste après minuit et j’irais ensuite seul au sanctuatire Konnō Hachimangu (金王八幡宮). A pieds sur le chemin du retour, je n’ai pas ressenti les tremblements qui ont secoué l’Ouest du Japon à Ishikawa et Niigata, car ils restaient à un niveau relativement faible à Tokyo. Ce début d’année ne démarre pas sous les meilleurs augures pour la population affectée par ce grand tremblement de terre.

Le soir du réveillon, nous avons bien entendu regardé l’incontournable émission Kōhaku Uta Gassen sur NHK (NHK紅白歌合戦), mais je n’en garde pas un souvenir mémorable. Il y avait beaucoup de medley, même Sheena Ringo s’y est mis avec ㋚〜さすがに諸行無常篇〜 (MANGAPHONICS conscious) et c’était malheureusement assez peu convainquant. J’aurais tellement aimé la voir avec Daiki Tsuneta et Millenium Parade interpréter le morceau W●RK qui a quand même eu beaucoup de succès cette année. Il n’y avait pas pour moi beaucoup de moments mémorables à part les passages d’Ado qui interprétait son dernier single Show (唱) à Kyoto, celui de YOASOBI interprétant Idol entouré justement de la plupart des idoles féminines ou masculines présentes à l’émission, et Hiroko Yakushimaru (薬師丸ひろ子) chantant son morceau le plus connu tiré du film Sailor Fuku to Kikanjū (セーラー服と機関銃) que j’ai déjà évoqué plusieurs fois sur ce blog.

J’avais décidé avant le début de la nouvelle année que je la démarrerais avec l’album Surf Bungaku Kamakura (サーフ ブンガク カマクラ) d’Asian Kung-Fu Generation (AKFG ou Ajikan), qui a en effet été la première musique que j’ai écouté le premier jour de cette année. Je connais la musique d’Ajikan depuis presque vingt ans et c’est écouter le dernier single solo Stateless du chanteur et guitariste du groupe Masafumi « Gotch » Gotoh qui m’a donné envie de revenir vers le groupe dont je ne connais en fait que deux albums. Surf Bungaku Kamakura est le cinquième album du groupe sorti en 2008, mais Ajikan en a sorti une version augmentée en Juillet 2023. J’écoute pour le moment la version originale de 2008. L’album suit en fait un concept, celui d’utiliser des titres et un thème liés à la ligne de train Enoden qui parcourt une partie de Kamakura et de Fujisawa dans la longue région côtière du Shonan. Chacun des titres reprend le nom d’une station de la ligne Enoden, par exemple Shichirigahama Skywalk (七里ヶ浜スカイウォーク) pour la station de la plage Shichirigahama, avec toujours la même composition du nom de lieu en kanji accompagné d’un mot en katakana (ce qui me rappelle beaucoup les titres utilisés par Sheena Ringo). La ligne Enoden comprenant 15 stations, l’album de 2008 réutilise seulement les noms et lieux des stations les plus connus de la ligne Enoden, tandis que la nouvelle version Surf Bungaku Kamakura Complete de Juillet 2023 vient ajouter cinq morceaux pour compléter la ligne Enoden. Certains morceaux de cet album ont des sonorités de guitares qui me rappellent un peu le rock californien de Weezer, de l’époque de l’album bleu de 1994 que j’avais énormément écouté à l’époque. Ce son est peut-être volontaire pour comparer le Shonan à la Californie. Mais la voix de Gotch nous rappelle tout de suite qu’il s’agit clairement d’un album d’Ajikan.

悲しみもう何も無い、永遠にESCAPE

L’instant bucolique de la dernière photographie vient l’emporter malgré lui sur toute l’intensité urbaine des autres photos du billet. En plaçant cette dernière photo apparemment inadaptée au reste du flot d’images, je repense à un ancien billet intitulé Capsules Urbaines qui reste une sorte de modèle. J’ajoute souvent des images végétales et florales pour adoucir la densité du béton, de l’acier et du bitume, mais celles-ci viennent parfois accaparer toute l’attention. Ce n’est pas la première fois que je prends en photo des fleurs cosmos en contre-plongée avec vue sur le ciel. Le béton, l’acier et le bitume nous ramènent au sol, tandis que les cosmos regardant le ciel à la recherche du soleil couchant nous poussent à rêver au loin pour une échappée vers l’infini. Cette dernière photo a été prise quelque part à Nishihara entre Yoyogi et Sasazuka. Il y a quelques années (presque 10 ans en fait), j’avais beaucoup parcouru et photographié les rues de Yoyogi-Uehara et de Nishihara, notamment pour rechercher une maison sur une rue incurvée de Kazuo Shinohara, au point de très bien connaître toutes les rues du quartier et les endroits où l’architecture est remarquable. La première photographie du billet est prise à Higashi dans l’arrondissement de Shibuya. Cette grande baleine surgissant de l’océan est dessinée par Emi Tanaji (エミタナジ) sur une des façades du bain chaud sentō Kairyōyu (改良湯). J’y suis déjà allé une fois il y a deux ou trois ans.

En repensant justement aux bains chauds du morceau Energy Furo (エナジー風呂) que j’évoquais dans mon billet précédent, je me suis mis dans l’idée de rechercher d’autres morceaux faisant intervenir le son de tabla de U-zhaan (ユザーン). J’ai rapidement constaté qu’il y avait en fait plusieurs morceaux regroupant U-zhaan, Tamaki ROY (環ROY) et Chinza DOPENESS (鎮座DOPENESS). Un album du trio est même sorti en 2021. Il s’intitule Tanoshimi (たのしみ) et j’en découvre pour l’instant deux morceaux que j’apprécie beaucoup: Bunka et Summer Jam’95 (サマージャム’95). Ce dernier est une reprise d’un autre groupe de hip-hop japonais nommé Scha Dara Parr (スチャダラパー). Il y a une certaine nonchalance et un humour qui me plaisent bien dans les morceaux de ce trio. Le tabla apporte un côté apaisé qui contraste avec le phrasé rapide des deux rappeurs, sans que celui-ci ne devienne pour autant agressif. J’aime beaucoup la vidéo de Summer Jam’95, contenant de nombreuses scènes du quotidien des musiciens: U-zhaan jouant du tabla devant sa baie vitrée ouverte sur le jardin, Chinza descendant tranquillement une rue sur son skateboard en portant ses courses à la main, les trois partant pour une journée au bord de l’océan à Hayama en dansant à l’occasion des mouvements saccadés bizarres. Ces quelques morceaux du trio sont comme une échappée dans la musique que j’écoute d’habitude et ça me plait beaucoup.

Une fois n’est pas coutume, la musique qui suit est une installation sonore d’aéroport. On peut se demander quel peut bien être l’interêt d’écouter de la musique d’aéroport (à part peut-être celle de Brian Eno), mais le fait qu’il s’agisse d’Etsuko Yakushimaru (やくしまるえつこ) au commande a tout de suite éveillé ma curiosité. Elle a conçu la bande sonore, incluant musique et voix, que les voyageurs venant de l’étranger pourront écouter à leur arrivée dans la zone internationale du Terminal 2 de l’Aéroport de Tokyo Haneda. En plus de la musique d’ambiance que je trouve d’ailleurs un brin aquatique, la voix d’Etsuko Yakushimaru donne des messages d’accueil, donne l’heure et la météo du jour à Tokyo, entre autres. Les messages évoluent bien sûr en fonction de l’heure et des conditions météo. Ils sont énoncés en japonais, suivi de l’anglais avec un petit accent charmant. Je ne sais pas à quelle fréquence ces messages sont diffusés mais j’imagine qu’elle a dû enregistrer de nombreuses versions des voix de cette bande sonore, et qu’elle ne passe pas ses journées au micro de l’aéroport. Ce qui est agréable, c’est que sa voix n’a rien de l’automatisme formel qu’on peut entendre en général dans ce genre d’endroits. Ça me donnerait presque envie de prendre exprès l’avion vers l’étranger pour revenir à Tokyo et pouvoir écouter cette bande sonore nous accueillir. Cela donne tout de suite un air beaucoup plus cool et moderne à la moquette bleue un peu passée et aux murs gris clair des couloirs de l’aéroport. Je ne suis en fait pas vraiment étonné qu’elle expérimente ce genre d’installations sonores. Je me souviens d’une installation artistique au Mori Art Museum qui se construisait autour d’un morceau intitulé I’m Humanity (わたしは人類), et qu’elle a également présenté à l’étranger.

Je n’ai pas encore vu Kyrie no Uta (キリエのうた), le nouveau film du réalisateur Shunji Iwai (岩井俊二), avec AiNA The End dans le rôle principal, mais j’écoute beaucoup le single thème qui accompagne le film. J’ai déjà évoqué Awaremi no Sanka (憐れみの讃歌) dans un billet précédent, mas je ne résiste pas à l’envie d’en parler de nouveau car une version alternative vient de sortir sur YouTube dans le format The First Take. C’est une belle surprise de voir Yukio Nagoshi (qui accompagne souvent Sheena Ringo) à la guitare sur cette version. Le compositeur du morceau, Takeshi Kobayashi (小林武史), est lui au clavier et un orchestre de cordes vient supporter l’ensemble. AiNA laisse transparaître toute sa passion dans son chant et sa gestuelle, que ça soit sur YouTube ou dans l’émission Music Station ce Vendredi 20 Octobre 2023. Je ne voulais absolument pas manquer cette émission car Hitsuji Bungaku (羊文学) y interprétait également leur dernier single, More Than Words. C’était leur premier passage à Music Station et donc une étape de plus vers une reconnaissance mainstream. J’attendais une photo de Hitsuji Bungaku avec AiNA, et on a eu le plaisir de la voir publiée sur le compte Twitter de l’émission (je la montre également ci-dessus). Le Dimanche 22 Octobre 2023, AiNA était l’invitée de Riho Yoshioka (吉岡里帆) sur son émission du soir à 18h UR Lifestyle College. Dans cette conversation radio, j’aime beaucoup la manière naturelle d’AiNA de parler sans forcément essayer à tout pris de plaire. J’y ressens une authenticité certaine et je pense que c’est ce que les gens apprécient en elle. Nous étions en voiture de retour de Tachikawa et cette émission de radio qui m’accompagnait dans les rues du grand Tokyo la nuit était un très bon moment.

Dans ma playlist du moment, j’inclus également un morceau intitulé I.W.S.P par le groupe pop-rock Illiomote (イリオモテ). Il s’agit d’un duo composé de YOCO (ヨーコ) au chant et à la guitare ainsi que MAIYA (マイヤ) à la guitare et aux chœurs. Ce nom de groupe me fait penser à celui de l’île Iriomote à Okinawa, mais elles sont en fait originaires de Tokyo. Elles se connaissent apparemment depuis la maternelle et sont basées dans le quartier d’Ikebukuro qui sert également de décor à la vidéo de I.W.S.P. Je connaissais ce groupe pour avoir entendu un single à la radio. Il s’agissait certainement de it’s gonna be you car il aurait atteint le Top 10 du classement hebdomadaire TOKIO HOT 100 de la radio J-WAVE. Je vois plusieurs EPs à leur actif et une participation passée au festival Fujirock. Tout en restant plutôt indé, je comprends tout à fait l’engouement qu’on peut avoir pour le groupe car un morceau comme I.W.S.P est particulièrement dynamique et accrocheur tout alliant un son de guitares très proche du rock alternatif américain des années 90. En écoutant ce morceau, je me dis qu’il faudrait que j’approfondisse cette découverte en écoutant les EPs, mais j’ai déjà beaucoup d’autres choses à écouter et le temps finit par me manquer.

Dans un style différent, j’aime aussi beaucoup le morceau mélangeant sons classiques de piano et électroniques intitulé a no piano de Mukishitsu Norm. Cette formation se compose de deux musiciens se faisant appeler O02 et unhate. Ces noms de code sont bien mystérieux et on en sait très peu de choses sur cette formation, d’autant plus qu’elle n’a sorti pour le moment que deux morceaux incluant celui-ci, du moins si on en croit la discographie disponible sur iTunes. Le morceau commence d’abord par une voix parlée qu’on pourrait croire extraite d’une scène de film pour évoluer ensuite d’une très belle manière avec l’introduction de nappes électroniques et de toute sorte de glitches. La vidéo renforce également cette ambiance cinématographique mais plutôt que d’avoir l’impression de voir des scènes de films, on a plutôt le sentiment de voir des scènes filmées comme des répétitions.

Et pour faire un grand écart, j’écoute également un morceau du groupe I’s intitulé Eien Shōdō (永遠衝動). Ce groupe est en fait la formation rock entourant Ano (あの). Je suis loin d’être un inconditionnel de la voix d’Ano que ça soit en musique ou lors de ses interventions télévisées assez nombreuses depuis le succès du morceau accompagnant l’anime Chainsaw Man (NDLR: ちゅ、多様性。). J’avais écouté et apprécié quelques uns de ses premiers singles solo, puis je m’étais éloigné de sa musique ces derniers temps. À vrai dire, seulement certains types de morceaux d’Ano m’intéressent, ceux qui ne misent pas totalement sur sa voix. Celui-ci me plaît bien car il atteint une intensité jusqu’au cris qui m’intéresse beaucoup. En fait, comme pour AiNA, je ne doute pas de l’authenticité d’Ano. J’étais notamment amusé de voir Hitsuji Bungaku se faire prendre en photo avec Ano lors de l’émission CDTV du lundi 23 Octobre 2023. Le rock de Eien Shōdō est assez classique et c’est vraiment la tension vocale déraillante d’Ano qui le fait décoller.

Bon, et comment ne pas évoquer le décès soudain d’Atsushi Sakurai (櫻井敦司) à l’age de 57 ans d’une hémorragie cérébrale survenue suite à un concert au Zepp de Yokohama. Je me suis pris de passion pour la musique de Buck-Tick depuis plusieurs mois et j’avais même envisagé aller les voir en concert au mois de Décembre. Je n’en suis qu’à la moitié de l’écoute de leurs albums qui m’avaient petit à petit persuadé de l’importance de la musique du groupe dans le paysage rock japonais. J’avais enregistré 5 ou 6 concerts sur la chaîne WOWOW dans l’idée de les regarder progressivement. En rentrant ce soir, j’ai écouté leur avant dernier album Abracadabra avec une certaine tristesse et je regarde maintenant en écrivant ces dernières lignes un des derniers concerts de Buck-Tick au Nippon Budokan. La photographie ci-dessus d’Atsushi Sakurai avec Sheena Ringo est extraite du passage à l’émission Music Station le 29 Mai 2019.

スローに流れてく光

La fenêtre est entrouverte et seule la lumière du quart de lune éclaire son cadre. Elle donne sur un toit légèrement en pente qui est relié à celui de l’immeuble voisin. Je tente cette fois-ci de traverser cette fenêtre en posant d’abord un pied pour tester la solidité de la structure. Les ardoises du toit sont plus résistantes que je ne l’imaginais. Alors que je pensais qu’elles craqueraient sous mon poids, elles semblent beaucoup plus résistantes que prévues. Le toit soutient maintenant tout mon corps et les mouvements qui l’accompagnent. J’espère que le toit de cet immeuble voisin après la gouttière sera de facture identique. Je l’ai souvent regardé, pendant de longues heures, depuis ma chambre au dernier étage sous les toits. J’ai étudié cette toiture sous ses moindres détails et craquelures avant de finalement me décider à franchir le pas. Le toit est un peu plus oblique sur cette partie de l’immeuble en face. Il devait y avoir autrefois un grillage de fer séparant les deux immeubles mais celui-ci est devenu tellement lâche qu’il tombe presque de lui-même. On peut le franchir très facilement. En s’aidant des blocs cimentés formant plusieurs cheminées, il n’est pas très difficile d’atteindre le haut du toit de l’immeuble voisin. Une des fenêtres donnant sur l’escalier reste souvent ouverte lors des jours de chaleur excessive. J’attendais cette journée avec impatience car je savais qu’elle m’ouvrirait les portes de l’immeuble voisin. Je ne sais pas encore ce que je vais y trouver, mais ça fait maintenant plusieurs mois que je suis persuadée qu’il me donnera des réponses. Je suis déjà bien engagée et il est de toute façon trop tard pour faire demi-tour car le grillage s’est relevé et est maintenant infranchissable. La lumière de la lune me montre l’emplacement de la petite fenêtre qui me donnera accès à l’immeuble voisin. Une veilleuse tremblotante est installée dans la cage d’escalier à chaque étage. Je suis au quatrième et dernier étage. Une flèche noire inscrite sur le mur m’indique qu’il faut descendre. Chaque étage est similaire aux autres mais devient de plus en plus sombre alors que je descends les étages. Il y a des portes d’acier à chaque étage. Je suis persuadée qu’elles sont fermées de l’intérieur. L’escalier descend jusqu’au premier sous-sol. La veilleuse y est éteinte ou peut-être l’ampoule est-elle grillée. L’immeuble est ancien, mais la peinture a certainement été refaite il y a quelques années malgré les nombreuses craquelures faisant déjà leur apparition. Il y a une autre porte au premier sous-sol. Je la devine à peine, mais sa couleur rouge foncée entourée d’un cadre noir en surimpression la rend tout à fait remarquable. Que se passe t’il derrière cette porte? Il me suffit d’ouvrir pour voir. J’hésite pourtant car une peur soudaine me gagne. Il ne s’agit pas d’effroi mais d’une crainte d’y trouver des choses que je ne saurais comprendre. Elle semble complètement étanche mais un bruit sourd s’en échappe tout de même. Une musique peut-être, un chant de femme. La porte épaisse, lorsque je l’ouvre doucement, donne sur un couloir sombre entouré de draperies de velours de couleur rouge bordeaux. La musique d’un style jazz de cabaret est désormais distincte et la voix de femme très puissante et assurée m’interpelle immédiatement car elle me semble tout à fait familière. Je m’approche de l’épais rideau délimitant l’accès à la salle où se déroule ce concert. En entrouvrant le rideau, j’aperçois cette salle remplie de tables, de chaises et d’un public assis en silence, les yeux rivés sur la petite scène. L’ambiance figée semble provenir d’une autre époque. Sur la scène, une batterie et une contrebasse accompagnent les notes de piano et la voix de la chanteuse. Elle est habillée d’une robe noire avec des tissus de satin, mais son visage n’est pas clair. Je l’entends maintenant chanter d’une manière maîtrisée tout en nuances en anglais. « One of these mornings you’re going to rise up singing, then you’ll spread your wings and you’ll take to the sky ». Je reconnais rapidement une reprise de Summertime d’Ella Fitzgerald. On se laisserait facilement hypnotiser par cette voix et ça semble être le cas des spectateurs et spectatrices dans la salle. Les visages sont figés comme s’il s’agissait de mannequins de cire. Je ne distingue toujours pas le visage de cette chanteuse plongée dans la pénombre, tout comme ceux de l’audience que je vois de l’arrière et légèrement de profil. Le morceau suivant est un autre standard du jazz américain, The Lady Is A Tramp, toujours chanté par Ella Fitzgerald mais avec Frank Sinatra. L’homme qui est monté sur scène n’a certes pas le charisme de Sinatra mais reste assez convaincant face à cette mystérieuse chanteuse qui ne montre pas son visage. Il faudrait s’approcher un peu plus pour découvrir ce visage, mais traverser l’épais rideau de velours et entrer à l’intérieur de la petite salle du cabaret ne pourra se faire discrètement même si cette salle est très sombre. Je me contente donc d’écouter cette voix qui me transmet une passion palpable. Je connais bien sûr cette voix depuis ma tendre enfance, j’ai souvent essayé de l’imiter lorsque j’étais très jeune car elle m’a inspiré. Pourquoi cette voix n’est elle plus maintenant? Pourquoi un tel don est il voué à disparaître? Une masse sombre devant moi me surprend soudainement en pleine réflexion et me saisit par le cou au point où il m’est rendu difficile de respirer. Je n’ai pas la force de me débattre. La voix d’Ella sur Blue Moon interprétée par Ayako Imamura m’entraine dans d’autres songes. Le noir se propage et la voix se dissipe petit à petit jusqu’au réveil soudain.

Kei se réveille en sursaut dans la chambre de son petit appartement près du parc Inokashira. Sans avoir vu son visage dans la pénombre, elle a reconnu dans son rêve la voix de sa mère disparue. Il est 5h moins le quart de l’après-midi. Il est rare que Kei s’assoupisse en fin d’après-midi un samedi. Elle a certes vécu une semaine riche en événements avec la découverte de son amie Rikako dans les montagnes de Nagano et son rapatriement dans un hôpital de Tokyo. Toutes ces émotions soudaines l’ont beaucoup fatigué et lui ont donné à réfléchir plus qu’il ne faudrait. Il était de toute façon l’heure de se réveiller car Ruka doit bientôt arriver à moto pour l’amener jusqu’au centre médical de l’Université Toho à Ōmori, dans l’arrondissement d’Ōta, où se trouve Rikako en observation. Ruka est toujours à l’heure, en toutes circonstances, ce qui contraste avec l’esprit rock and roll qui le caractérise par ailleurs. Kei apprécie cette ponctualité. Elle arrive même à prévoir son arrivée exacte au pied de son vieil immeuble de brique rouge, comme si elle entendait au loin ronronner le bi-cylindre en V de sa nouvelle moto. Ça lui laisse en général quelques minutes pour sortir à l’avance, descendre l’escalier et s’assoir deux ou trois minutes sur les barres métalliques de protection au bord de la rue, le casque à la main, prête à arçonner la moto à l’arrière de Ruka. La voilà qui arrive. Kei ne connaît pas le modèle de cette moto qui a remplacé la vieille CB400 de couleur Bordeaux. Celle-ci a une couleur plus claire, presque jaunâtre. Ruka y a fait inscrire à l’arrière les mots en anglais « the end », comme pour signifier à ses éventuels suiveurs qu’ils n’arriveront pas à le rattraper. « Leave them all behind » comme chantait Ride. Ruka a parfois ce côté puéril d’adolescent qui amuse Kei et est souvent sujet à de gentilles moqueries. Si la disparition de Rikako n’eut ne serait ce qu’un point positif, c’est bien le rapprochement entre Kei et Ruka. L’adversité a en quelque sorte obligé Kei à s’ouvrir et à sortir de sa réserve naturelle. Ruka n’est pas d’un naturel très bavard, disons qu’il ne parle pas à tord et à travers et n’a pas peur des moments de silence. Peut-être trouve t’il d’ailleurs dans ces moments de silence le ressourcement nécessaire lui permettant ensuite d’exploser sur scène pendant les concerts de son groupe. Kei comprend tout à fait cette dualité et la ressent elle-même souvent. Sa bête intérieure ne demande parfois qu’à crier de toutes ses forces, comme pourrait le faire Atsushi Sakurai dans ses morceaux les plus violents. Elle envie Ruka de pouvoir s’exprimer ainsi sur scène. « Tu devrais venir chanter sur scène avec moi et le groupe, un duo de nos voix serait extraordinaire, j’en suis certain ». Kei a toujours refusé son offre mais elle est maintenant prête à l’accepter. Ce changement soudain d’opinion est peut-être dû à la voix qu’elle a entendu il y a quelques dizaines de minutes dans son rêve.

Kei a à peine le temps de toucher la main de Ruka en signe de bonjour qu’elle est déjà assise à l’arrière de la moto prête à partir. Il faut environ une quarantaine de minutes jusqu’au centre médical en empruntant la rue Inokashira puis le grand arc circulaire de voies rapides Kanana. Elle s’accroche à la moto grâce aux deux poignets arrières. Plutôt que de regarder la route droit devant elle en se penchant légèrement la tête sur la droite ou la gauche, Kei préfère divaguer parmi les fils électriques. Elle suit des yeux ce réseau filaire sans fin s’emmêler dans les poteaux puis se démêler ensuite comme par magie pour filer en hauteur le long de la rue. Mais ils partent parfois dans des rues perpendiculaires le long d’immeubles en béton et elle les perd vite de vue. On ne s’ennuie pas à les regarder. Le trajet semble moins long lorsqu’on rêve la tête en l’air, mais lorsqu’on entre sur la voie plus rapide Kanana, une certaine attention est nécessaire pour ne pas se laisser surprendre par les accélérations subites. Kei chante souvent dans sa tête pendant ces trajets. Les morceaux suivent son humeur mais aujourd’hui, elle ne pense qu’à Ella et à Summertime.

Il faudra finalement un peu plus de trente minutes pour arriver à Ōmori. Kei est déjà venu une fois il y a deux jours dans cet hôpital rendre visite à Rikako au même moment que sa mère. Cette fois-là, Rikako dormait à son arrivée mais a ensuite ouvert les yeux. Ils étaient ouverts dans le vide comme si Rikako ne voyait pas les personnes et les choses qui l’entouraient. On la sentait perdue dans un espace infini sans points sur lesquels s’accrocher. Kei imagine que Rikako se trouve dans un espace d’un noir profond où le moindre son qu’elle voudrait émettre est absorbé. Peut-être m’entend elle, se demande t’elle. Les infirmières lui recommande de lui parler, d’évoquer des souvenirs d’enfance à Nagoya ou plus récents à Tokyo. Après une heure de monologue dans la petite chambre de repos de l’hôpital accompagnée de Ruka et de la mère de Rikako, Kei n’avait pourtant pas réussi à susciter la moindre réaction sur le visage figé de son amie. Kei s’est pourtant donné comme objectif de ramener Rikako, elle qui l’avait laissé seule dans les songes de la salle de concert de Kabukichō. Plus qu’un désir profond d’aider son amie, c’était une obligation non-négociable qu’elle s’imposait à elle-même.

En ce samedi en fin d’après-midi, Rikako est endormie sur le lit de sa chambre sans personne autour d’elle. La télévision placée dans un coin en hauteur est allumée et diffuse une émission de sketchs comiques, qui ne correspond pas beaucoup à l’ambiance générale de la pièce. En tant normal, Kei aurait aimé s’asseoir devant cette télévision et rire de bon cœur devant les pitreries poussives de ces jeunes comédiens en devenir. Pourtant, les rires incessants et mécaniques sont aujourd’hui insupportable. Plutôt que d’essayer d’ignorer le bruit de cette télévision au son monté trop fort, elle préfère l’éteindre de suite pour trouver un calme qui lui permettra de ressentir le rythme de la respiration de Rikako. Kei s’assoit sur un tabouret métallique tout près du lit et du visage de Rikako. Elle hésite à lui passer la main dans les cheveux pour lui dégager le visage. Il est beaucoup plus pâle que d’habitude, d’un teint similaire au jour où on l’a retrouvé dans la station thermale de Bessho Onsen un peu plus tôt cette semaine. Son visage est également amaigri mais ses traits restent inchangés. Kei la regarde intensément. Ruka est lui derrière, debout près de la fenêtre donnant sur une terrasse de gazon et d’arbustes. Ce jardin est bien entretenu. Les positions de chacune des branches semblent maintenues et contrôlées par des fils invisibles. Cette immobilité du jardin donne le sentiment que le temps s’est arrêté. Il est vrai que le temps doit sembler long et même interminable lorsqu’on est emprisonné dans une chambre d’hôpital. Rikako ne doit pas ressentir le temps qui passe se dit il à ce moment là. Kei semble également avoir oublié les heures qui passent, restant immobile à regarder Rikako. « Veux tu un café ? » lui demande Ruka pour la sortir de son hypnose volontaire. Kei accepte volontiers mais elle le boira sur place dans la chambre. En sortant de la chambre en direction du bloc de distributeurs automatiques de boissons, Ruka croise Hikari qui avait également fait le déplacement au centre médical à la demande de Kei. Hikari et Kei se regardent sans échanger un mot. Que dire dans cette situation ? Si on ne peut rien dire, peut-être faut il chanter. « Tu devrais lui chanter quelque chose, elle devrait l’entendre et ça la fera peut-être réagir ». Kei imagine d’abord fredonner une des chansons qu’elles écoutaient toutes les trois quand elles étaient en école primaire, comme celles du groupe SPEED qu’elles avaient été voir au Nagoya Dome en Août 1998. Kei se souvient très bien de l’excitation de ce moment et ça la fait sourire sous le regard interrogatif d’Hikari. Pourtant, elle a envie de chanter autre chose. Le morceau Summertime d’Ella Fitzgerald lui vient comme une évidence. Elle n’a pas l’habitude de chanter Summertime mais les paroles s’enchainent automatiquement dès qu’elle commence à le fredonner. Au fur et à mesure qu’elle chante, sa voix devient plus claire, plus puissante et assurée. Ruka reste figé, fixant les cheveux bruns de Kei, droits comme des tiges. C’est lui qui est maintenant hypnotisé. Hikari ne peut s’empêcher de saisir la main de Kei car elle ressent que quelque chose de spécial est en train de se dérouler. Ça peut paraître impensable mais Rikako ouvrit soudain les yeux. Elle ne regarde plus dans le vide comme il y a deux jours mais fixe maintenant Kei dans les yeux avec un regard tendre et expressif. Ses lèvres sont tremblotantes comme si elle tentait de parler. Cette réaction soudaine de Rikako ne perturbe cependant pas Kei qui continue à chanter. Elle comprend l’effet que son chant a sur les autres. C’est la première fois qu’elle s’en rend compte et ça lui procure un sentiment profond de satisfaction. Le mot n’est en fait pas assez fort pour traduire le sentiment qui traverse le cœur de Kei à ce moment là. On pourrait presque ressentir de manière physique ce sentiment comme une aura dépassant le corps des êtres, comme une subtile lumière qui lui éclaire le visage et les cheveux au point où on aurait l’impression qu’ils perdent petit à petit de leur noirceur. Hikari entrevoit cette lumière car elle aide parfois Kei à la catalyser dans les moments d’émotion intense. « Summertime » dit soudainement Rikako d’une voix frêle. « Summertime » répète elle d’une voix plus prononcée. « J’ai beaucoup écouté cette chanson ces derniers jours… ». « Tous les jours peut-être, dans ce petit cabaret à la lumière tamisée ». Rikako fait une pause pour reprendre son souffle court. Kei ne chante plus maintenant. Tout comme Hikari et Ruka, elle écoute attentivement Rikako. « C’était la chanson qu’elle préférait chanter, elle la chantait tous les soirs et le public devenait immobile. Elle disait à chaque fois qu’elle dédiait cette chanson à sa fille, Kei, pour qu’elle passe des jours heureux et qu’elle se dépasse d’elle-même ». Rikako continue « One of these mornings, you’re going to rise up singing, then you’ll spread your wings and you’ll take to the sky. » « Kei, ces paroles en particulier résonnaient parfaitement avec le message de ta mère. Je le ressentais très fortement à chaque écoute ». Beaucoup d’images et de sentiments traversent le cœur de Kei et ne sachant réagir, elle préfère prendre Rikako dans ses bras. Hikari soudainement prise d’une émotion difficilement contrôlable, laisse échapper quelques larmes. Quelques dizaines de secondes plus tard, les infirmières entrent dans la chambre d’un pas rapide suite aux signes de mains démonstratifs de Ruka à travers la porte entrouverte. Les deux infirmières écartent doucement les bras de Kei et la dégage, car il faut vérifier l’état de santé de Rikako. On leur demande de sortir quelques instants de la pièce.

Kei avait oublié le café que lui avait acheté Ruka mais il est maintenant bienvenu. « C’est extraordinaire ! » répète Hikari en ce parlant à elle-même. Rikako est une messagère et Kei a bien compris le message qu’on lui transmettait. Il lui faudra chanter pour apaiser ses propres démons et ceux des autres, comme sa mère autrefois qui chantait dans des cabarets jusqu’au jour où son père lui interdise sous prétexte que ce n’était pas le lieu pour une mère. Ayako Imamura arrêta complètement de chanter à ce moment là et disparu des affiches. Certains fans ont bien cherché à la retrouver mais elle avait déjà fait un trait sur sa carrière de chanteuse. Avec son groupe de jazz, elle connut pourtant un certain succès qui lui avait permis de jouer en Europe. Elle garda un souvenir particulier de Paris où elle s’est produite plusieurs fois. Arrêter de chanter l’avait profondément changé et cela avait beaucoup affecté le comportement de Kei. L’infirmière Nakamura en charge de Rikako vient interrompre Kei dans ses pensées en annonçant que celle-ci vient à nouveau de s’endormir. Son état est stable et elle a même repris quelques couleurs. Cette reemergence l’a pourtant beaucoup fatigué. « Pouvez-vous revenir la voir demain? Ça serait préférable », demande l’infirmière au groupe. Il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’ils reviendront demain avec l’espoir d’en apprendre un peu plus sur ce que Rikako a vu et entendu pendant sa mystérieuse disparition. Il est déjà presque 20h30. « On va manger près de la gare d’Ōmorimachi? » propose Hikari. « J’ai vu un restaurant Denny’s juste à côté ». L’ambiance légère et familiale de ce genre d’établissements conviendra très bien. Sur le chemin qui mène à la gare, Hikari engage la conversation sur le groupe de Ruka, plutôt que de se lancer dans un récapitulatif des événements qui ont eu lieu à l’hôpital. « Tu as des concerts prévus prochainement? » demande t’elle. « Non… mais j’ai au moins trouvé une nouvelle chanteuse pour m’accompagner », rétorque Ruka en regardant Kei avec une grande insistance. Sans dire un mot, Kei répond aussitôt d’un signe négatif de la main tout en souriant, comme s’il elle voulait se faire prier. Hikari attrape cette main à la volée et les voilà marchant la main dans la main en rigolant au devant de Ruka. « Tu chanteras comme Moeka… ? ou comme Ringo…? Oui, je sais… comme Akina, ou Momoe peut-être ? ». « Oui, Momoe Yamaguchi, j’adore Yokosuka Story », s’exclame Kei avec un enthousiasme certain. Dans un fou-rire partagé, elles se mettent toutes les deux à chanter quelques paroles du morceau « Korekkiri Korekkiri mou… Korekkiri desu ka? » (Est-ce fini? Est-ce fini? Est-ce fini une fois pour toutes?). Elles se répètent plusieurs fois ces paroles si marquantes en éclatant de rire pour un rien. « Kei, je ne te l’avais jamais dit, mais tu ressembles un peu à Momoe avec tes cheveux coupés au carré ». « Ah oui ? », interroge Kei tout en posant ses deux mains en arrière pour soulever légèrement le dessous de ses cheveux, afin d’imiter une photographie de Momoe Yamaguchi sur la pochette d’un de ses albums. Elles éclatent à nouveau de rire. Ruka les suit en gardant une courte distance. Il ne voudrait pas interrompre leur complicité. Kei est radieuse en compagnie d’Hikari. Elle est belle et lumineuse. Ce soir, elle éclairerait même les nuits les plus sombres.

Le texte de fiction ci-dessus correspond au huitième chapitre de mon histoire au long cours Du Songe à la Lumière – l’histoire de Kei Imamura – que l’on trouve en intégralité sur une page dédiée incluant ce chapitre. Je continue cette histoire à mon rythme et elle prend pour moi de plus en plus d’importance. J’aimerais m’y pencher un peu plus fréquemment.


J’écoute beaucoup de musique japonaise en ce moment comme si je me devais de rattraper un retard imaginaire pris pendant les vacances d’été où je n’avais écouté que très peu de nouvelles choses. Je n’ai pas fait, ces derniers jours, de nouvelles découvertes d’artistes ou de groupes, car j’ai plutôt cherché à approfondir la discographie d’artistes que j’écoute déjà. Regarder à la suite les concerts de Buck-Tick disponible sur WOWOW m’a fait revenir en force sur les albums du groupe notamment leur avant-dernier Abracadabra, comme je l’évoquais dans mon billet précédent, qui s’avère être vraiment très bon. Voir les concerts en vidéo apporte un plus à l’écoute ultérieure des albums car des images restent en tête. Je serais à deux doigts de devenir un fish-tanker, tel est le nom des membres du fan club, mais je n’irais pas jusqu’à la souscription, qui est plus onéreuse que celle de Ringohan pour comparaison. Ça ferait trop. Mais je reviens également vers la musique de Nagisa Kuroki (黒木渚) dont j’ai déjà parlé dans un billet récent pour l’excellent morceau intitulé Kikikaikai (器器回回). J’écoute toujours beaucoup ce morceau dont le titre correspond en fait à celui du EP le contenant, sorti le 6 Septembre 2023. J’aime vraiment beaucoup les deux premiers morceaux du EP: Rakurai (落雷) et Gatsby. L’approche est pop mais avec suffisamment d’éléments rock dissonants et inventifs pour m’intéresser. J’aime beaucoup son approche musicale, notamment le morceau Gatsby qui a une construction tout à fait inhabituelle. En fait, la voix de Nagisa Kuroki nous amène d’emblée vers la pop, mais les arrangements musicaux nous désarçonnent pour rendre l’ensemble particulièrement enthousiasmant. La photo ci-dessus est tirée de la vidéo du morceau Rakurai qui semble avoir été tournée à New York.

Chirinuruwowaka (チリヌルヲワカ) est un groupe dont j’ai également parlé quelques fois, car il s’agit du groupe rock indé de Yuu, de feu GO!GO!7188 et du projet récent YAYYAY. Ça fait un moment que je me dis que je devrais attaquer la discographie de Chirinuruwowaka, car je ne connais que leur premier album Iroha (イロハ) sorti en 2005, mais je suis en quelque sorte un peu intimidé car le groupe a déjà quatorze albums au compteur. Ils ont sorti exactement un album par an depuis 2011. Je ne doute pas du tout de la qualité de l’ensemble, mais je me demande un peu par lequel commencer, après Iroha. En attendant, je pioche plutôt par hasard en utilisant les recommandations ciblées de YouTube qui m’indique le morceau Bakenokawa (化ケノ皮), inclu dans le quatorzième album Nanatsu no mujitsu (七ツノ無実) sorti le 13 Septembre 2023. Le morceau ne diverge pas beaucoup du rock dont Yuu nous a habitué, avec une voix tout en nuances proche d’une version rock du Enka.

Je vais bien entendu évoquer le nouveau single de a子 intitulé Trank et sorti le 13 Septembre 2023. Les habitués de la compositrice et interprète ne seront pas dépaysés, car on retrouve un esprit similaire à ses titres récents. La composition n’est certes pas particulièrement originale par rapport à ses autres morceaux mais a子 a un don certain pour l’accroche musicale qui ne laisse pas indifférent. Dans la vidéo, elle tient un main un sabre. Lorsqu’on la voit ensuite à bord d’une voiture étrangère vintage, l’idée me vient en tête qu’elle va peut-être la découper en deux comme Sheena Ringo dans Tsumi to Batsu (罪と罰) ou plus récemment dans la vidéo du morceau W●RK en collaboration avec le Millenium Parade de Daiki Tsuneta. Il n’en est malheureusement rien. Elle a dû se retenir très fort. Le budget de la vidéo ne permettait peut-être pas non plus de couper une voiture en deux.

Autre continuation de découverte, je reviens vers Skaai avec deux morceaux sortis sur son dernier EP: Pro et We’ll Die This Way. J’aime beaucoup ces deux morceaux pour la fluidité de son flot verbal à l’articulation très marquée. Sur Pro, j’adore la manière dont il vient narguer ses collègues du hip-hop japonais: « Oh my God, Look at what I have done, I have just let 90% of JP rappers behind. No offense though… ». Le morceau We’ll Die This Way n’est pas aussi joueur et est beaucoup plus atmosphérique. Je ne cacherais pas que la composition du morceau me rappelle par moment Frank Ocean sur l’album Blonde de 2016, dans sa manière de varier les ambiances. Tout en étant très bon, il n’arrive tout de même pas à la cheville des quelques meilleurs titres de Blonde comme Nikes, Ivy ou Nights. J’ai d’ailleurs à chaque fois envie d’ėcouter ces quelques morceaux après We’ll Die This Way.

Et je continue à écouter le rock de Hitsuji Bungaku (羊文学), notamment leur premier EP Tonneru wo Nuketara (トンネルを抜けたら) sorti en 2017, suivi d’un autre EP intitulé A short Trip to the Orange-Chocolate House (オレンジチョコレートハウスまでの道のり) sorti l’année suivante en 2018. Le premier album du groupe Dear Youths (若者たちへ) est sorti cette même année. Parmi les singles, on trouve celui intitulé Step dont la vidéo a été produite par un certain Shunji Iwai. Et puis, il y a également un morceau plus récent, Eien no Blue (永遠のブルー). Il y a une grande consistance et une qualité constante dans tous les morceaux du groupe. Je mets tous ces albums et EPs à la suite dans une playlist sur mon iPod et je me lance dans une écoute continue qu’il me suivra pendant tout un parcours piéton du week-end. Cette petite préparation est nécessaire avant le concert qui se fait désormais très proche.