le corbusier à Tokyo

Ce billet était dans mes brouillons depuis plusieurs mois. Les photographies prises à Ueno datent de la fin mars de cette année, il me semble, si j’en juge aux cerisiers encore en fleurs sur une des photographies. Je pense que j’avais l’intention d’écrire un long article détaillé sur l’exposition que nous avions vu à ce moment là, un billet se voulant complet comme celui que j’avais écrit au moment de la visite de l’exposition de Tadao Ando au NACT de Nogizaka. Mais le courage d’écrire un tel article me manque. De toute façon, à quoi bon écrire autant si on est à peine lu, ce qui est d’autant plus vrai pendant la période estivale.

Ce jour-là de la fin mars, nous allions donc voir l’exposition Le Corbusier and the Age of Purism au National Museum of Western Art, Tokyo. Ce musée est également conçu par Le Corbusier et est la seule œuvre architecturale qu’il a construit au Japon. Il est d’ailleurs inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2016 et accompagne une sélection d’autres bâtiments de Le Corbusier dans le monde. Mais, cette exposition ne se concentrait pas sur les créations architecturales de Le Corbusier mais sur ses peintures inscrites dans le mouvement appelé Purisme qu’il promût à cette époque après son installation à Paris. Il fonda ce mouvement artistique avec le peintre Amédée Ozenfant et l’exposition montre également beaucoup de peinture de Ozenfant. Il s’agit d’un art de la construction et de la synthèse, correspondant aux développements technologiques de la société moderne. Cette ligne artistique est en ligne avec la vision de Le Corbusier de construire son architecture comme des machines à vivre. L’exposition est également accompagnée de quelques maquettes détaillées de certains bâtiments de l’architecte. Il faut dire que j’étais plus intéressé par ces maquettes assez nombreuses d’ailleurs que par les peintures qui ont du mal à provoquer en moi une émotion. C’était aussi la première fois que je rentrais à l’intérieur du musée, ce qui peut paraître étonnant après toutes ces années mais l’occasion ne s’était jamais vraiment présentée jusqu’à maintenant. Le plus impressionnant pour moi lors de cette visite, restait ce geste architectural de Le Corbusier sur la grande ouverture triangulaire du hall à l’entrée, portée par un long pilier fin. On peut l’observer de plusieurs endroits sur des balcons au deuxième étage et on ne s’en lasse pas.

藝祭2018

Nous avons pris l’habitude tous les ans d’aller au festival Matsuri de l’école des Beaux-Arts de Tokyo, que l’on appelle Geisai. Je ne sais pas trop comment on se débrouille mais nous y allons toujours le dernier jour, le dimanche en fin d’après-midi au pas de course. J’aurais aimé prendre un peu plus mon temps cette fois encore, mais nous devions être revenu vers Shibuya à 17 heures pour la fin du matsuri du sanctuaire Hikawa. Je reviendrai certainement un peu plus tard sur cet épisode dans un autre billet. Au Matsuri de l’école des Beaux-Arts de Tokyo, située juste derrière le parc de Ueno, nous allons d’abord voir les mikoshi construits par des groupes d’étudiants et portés sur les épaules dans les rues de Ueno autour de la gare. Ce défilé se passe d’habitude le samedi donc on peut normalement voir les mikoshi au repos posés dans les cours de l’école. Malheureusement pour nous, ils étaient cette année en nombre limité, quatre seulement, et trois d’entre eux étaient exposés à la gare de Ueno. Nous n’en avons vu qu’un seul dans l’enceinte de l’école. Il s’agissait d’un étrange monstre verdâtre au visage menaçant et qu’on croirait sorti d’un laboratoire expérimental de savant fou. Ce personnage aux allures de personnage de manga fantastique ou de comic américain me disait très vaguement quelque chose, sans que je reconnaisse vraiment de quoi il pouvait s’inspirer. On pouvait quand même avoir un aperçu des trois autres mikoshi grâce à des maquettes en modèle réduit. L’éléphant blanc et doré à deux têtes avec un pavillon sur le dos avait l’air d’être très impressionnant. J’aurais aimé le voir en taille réelle mais nous n’avions malheureusement pas le temps d’aller jusqu’à la gare de Ueno. Outre les mikoshi, nous passons toujours par la cour extérieure entourée de stands de bouffe et d’une scène de concert. Une fois précédente, j’avais apprécié la musique électronique expérimentale de style IDM de Dan Kubo et Kazuki Muraoka. Cette fois-ci, l’espace devant la scène était pris d’assaut par un brouhaha de tambours et il était impossible de s’approcher ni même d’apercevoir ce qui se passait réellement. Le rythme des tambours était enjoué à l’excès comme pour libérer toute l’énergie restante avant de terminer ces journées festives de Matsuri. Nous allons ensuite vers le grand immeuble de béton blanchâtre qui couvre le département peinture de l’école. C’est le département où a étudié Mari il y a plusieurs années déjà. Nous concentrons la plupart de notre visite sur cet immeuble en commençant en général par le dernier étage, depuis lequel la vue est superbe soit dit en passant. Chacune des salles des étages sont classées par styles et années. Nous essayons de tout voir et je m’efforce à saisir les œuvres qui m’interpellent. Ce sont bien sûr des œuvres artistiques « jeunes » qui demandent à être approfondies et poussées plus loin. Mais je ne suis pas critique d’art et j’apprécie tout simplement cet enthousiasme artistique de la jeunesse.

une saveur de Tokyo

En photographies sur ce billet de haut en bas: (1) une grande fresque murale sur la nouvelle rue Shintora par Tokyo Mural Project, (2) une scène de rue à Ueno tout près du parc, (3) un autocollant de poulpe jaune par UFO907 posé sur une rambarde de rue devant la station de Ebisu, (4) le koban futuriste du parc de Ueno par Tetsuro Kurokawa, (5) un autre autocollant de la série dessinée par Kyne à Ebisu.

Je pensais que la librairie Kinokuniya près du Department Store Takashimaya à Shinjuku était entièrement fermée depuis son remplacement par un magasin de meubles et accessoires de maison, mais je n’avais pas réalisé que l’étage proposant des livres et magazines étrangers avait été conservé. C’est une bonne nouvelle car le rayon de livres en français y est assez conséquent. A vrai dire, je ne connais pas d’autres librairies avec autant de choix en français. Il y a bien le Yaesu Book Center près de la gare de Tokyo ou le Maruzen du building Oazo, mais le rayon français y est beaucoup moins important. J’avais en tête d’y trouver un livre de Michaël Ferrier. J’ai déjà lu son livre sur Fukushima, qu’il m’avait d’ailleurs envoyé avec une dédicace. A cette époque, mes articles sur l’architecture des Métabolistes japonais et sur les visions futuristes d’un Tokyo vertical construit sur la baie avaient inspiré un essai qu’il avait écrit pour un colloque et qui est également disponible dans un ouvrage de la série Croisements (le numéro 3 de l’année 2013).

Il y a quelques semaines, comme je l’indiquais dans un billet précédent, j’écoutais plusieurs épisodes de l’émission Hors-Champs de Laure Adler sur France Inter, consacrées au Japon. Laure Adler y interviewait, entre autres, le cinéaste Hirokazu Kore-Eda, l’écrivain Kenzaburo Oe ou le photographe Hiroshi Sugimoto. De fil en aiguille, je me suis mis à rechercher en podcast d’autres émissions intéressantes de Laure Adler, une interview du cinéaste Kiyoshi Kurosawa, ou une série en cinq épisodes consacrée à Roland Barthes. Dans une autre émission, Laure Adler interviewait l’écrivain Michaël Ferrier au sujet de son dernier livre Mémoires d’outre-mer. Le livre ne prend pas le Japon comme sujet ou comme décor, mais comme Michaël Ferrier habite à Tokyo, la ville y est tout de même aborder pendant l’interview. Dans la foulée de ce podcast, me revient donc en tête l’envie de lire d’autres livres qu’il consacre à Tokyo. J’avais déjà lu Tokyo, petits portraits de l’aube. Je pars donc à la recherche d’un autre roman, KIZU à travers les fissures de la ville, dont parlait Daniel il y a quelques temps. Peut-être le trouverais-je dans les rayons de Kinokuniya de Shinjuku.

Une fois là bas, je trouverais plutôt Le goût de Tokyo, car il vient d’être réédité. Je ne connaissais pas, mais il s’agit d’un épisode d’une série intitulée « Le goût de… » par différents auteurs et sur différents lieux, des villes ou des pays. Le goût de Tokyo est une anthologie de textes sur Tokyo, sélectionnés et commentés pour la plupart par Michaël Ferrier. Les textes sélectionnés sont de courts extraits de deux ou trois pages, par des auteurs français ou francophones principalement, mais également quelques écrivains japonais. Ces courts extraits nous proposent différents tableaux de la ville, sous ses aspects le plus fascinants et poétiques mais aussi les revers de cette ville. Il y a beaucoup de grands noms, des écrivains ayant fait un ou plusieurs séjours à Tokyo, comme Marguerite Yourcenar ou Claude Levis-Strauss, mais aussi des écrivains qui se sont fait connaître par leurs récits issus de longs périples au Japon, comme l’écrivain suisse Nicolas Bouvier. On apprécie beaucoup lire les impressions variées sur cette ville de la petite trentaine d’auteurs sur les 118 pages du livre. A travers ce recueil, Michaël Ferrier nous apporte un éclairage nuancé sur cette ville. Il n’hésite d’ailleurs pas à lancer quelques pics dans certains commentaires de textes sur des visions stéréotypées ou condescendantes de certains auteurs. Un problème typique est de penser détenir une vérité sur ce pays et ce peuple à travers une courte expérience parfois limitée. Il est toujours très hâté de dresser une généralité sur la totalité de ce pays à partir de cas particuliers que l’on aurait rencontré dans son expérience de vie au Japon. Ceci étant dit, la plupart des clichés existants sur le Japon sont vrai, mais le contraire l’est également, car comme pour tous pays, le Japon est composé de personnalités diverses qui ne s’inscrivent pas toutes dans le modèle de société japonais. Michaël Ferrier écrit d’ailleurs un petit paragraphe bien vu sur ce point là.

Ce livre se lit très vite, il se dévore même. Ce format est intéressant car il ouvre une porte vers d’autres auteurs. A la fin du bouquin, je remarque qu’il y a d’autres épisodes qui semblent intéressants, comme Le goût de Kyoto, Le goût du Japon mais aussi dans d’autres domaines Le goût de l’architecture, Le goût de la photo ou Le goût du rock’n’roll.

des couleurs imprimées pour surmonter la ville

En revenant de Ueno en voiture, nous nous arrêtons quelques instants près d’un nouvel espace aménagé sous les voies ferrées, aperçu brièvement sur le chemin allé. L’endroit s’appelle 2k540 Aki-Oka Artisan. Comme son nom le laisse en partie deviner, il s’agit d’un espace regroupant des dizaines de boutiques artisanales, de styles variés. Les marquages au sol ainsi que tout l’intérieur de l’espace sont peint en blanc. Cela donne un assez bel effet, notamment les piliers soutenant la voie ferrée, comme on peut le voir sur les photographies ci-dessus.

Le reste des photographies de ce billet est beaucoup plus décousu. On commence par les points noirs et blancs de la boutique Comme des Garçons, à Marunouchi sur Naka-dori. Il y en a plusieurs dans cette rue. Le dessin de fleur bleue ainsi que la maisonnette très colorée au bord du canal se trouvent à Tennozu Isle. Je profitais d’une petite heure de libre pendant que Zoa assistait à son cours de programmation de robot, pour aller faire un petit tour à Tennozu Isle. Mon but était de prendre en photo la peinture gigantesque d’un sumo, ressemblant comme deux gouttes d’eau à Edmond Honda dans Street Fighter II. Malheureusement, elle avait été effacée. C’est bien dommage mais je ne suis que moyennement étonné car l’art de la rue est de toute façon éphémère. La dernière photographie montre un petit bâtiment près de Ebisu, également sur-imprimé, avec un visage et un buste dessinés. Je pense qu’il s’agit d’un bar ou d’un restaurant, mais je n’ai pas été voir de plus près.

le temple à l’étage

Restons encore quelques dizaines de minutes à Ueno. Je m’engouffre dans le coeur du quartier par une voie étroite entre les buildings. Il y a quelques entrées de restaurant dans cette allée, mais également des sorties de cuisine, des portes de service, des coins fumeurs pour les serveurs en pause. La densité des « choses » présentes dans ces petites rues m’impressionnera toujours. Dans un recoin de l’allée, un mini-jardin fait de quelques pots de fleurs alignés cherche à capter les rayons de soleil passant entre les immeubles. Etonnamment, la rue n’est pas sombre. Après quelques virages depuis cette allée, on rejoint rapidement le nerf actif du quartier, la rue Ameyoko longeant la ligne de train. Nous sommes la matin vers 11h, la foule est déjà très présente car la multitude de boutiques du labyrinthe de rues du quartier viennent juste d’ouvrir leurs devantures.

Je cherche à retrouver le temple volant de Ameyoko. Le livre jaune de l’Atelier Bow Wow dont je parlais dans un billet précédent mentionne également ce temple à Ueno. Repenser à ce livre m’a donné envie de revoir ce temple dans les airs. La particularité du temple est qu’il se situe au deuxième étage, au dessus de magasins de toutes sortes. Les pancartes publicitaires le cachent pratiquement et on peut le manquer si on n’y prend gare. Les affichages des marchands du temple sont nombreux et envahissants. Lorsque l’on monte à l’étage, on peut se pencher pour prier devant un poster géant d’une équipe de foot japonaise. Il s’agit du Tokudai-ji, au coeur de la rue Ameyoko. J’ai l’impression que depuis la dernière fois que j’ai visité ce temple en 2009, le nombre d’affiche a bien augmenté. Viendra un moment où le temple sera complètement recouvert et devra abdiquer.

Nous ressortons du « sur-plein » de Ameyoko et de Ueno, pour rejoindre la voiture laissée au parking du Matsuzakaya. Sur la place, la foule s’est fait plus dense pour écouter une jeune fille en robe verte et jaune. La voix peu assurée me laisse penser qu’il s’agit d’une apprentie idole. La foule est attentive. Certains reprennent quelques mouvements de bras en imitant ceux de la chanteuse, d’autres sont rivés sur leurs objectifs photographiques télescopiques. Cet enthousiasme me semble parfois effrayant.