la condition animale

Je fais semblant de dormir sur mon arbre depuis ce matin. Tout le monde n’y voit que du feu. Il faut dire que j’ai de longues heures de pratique et je suis devenu expert pour prétendre être profondément assoupi. Le plus embêtant, ce sont les cris des enfants qui me cassent les oreilles et tous ces gens mal élevés qui tapotent sur le vitrage pour essayer de me réveiller. C’est pourtant clairement écrit sur la vitrine qu’il est interdit de faire du bruit. C’est la rançon du succès car tous ces gens venus me voir me trouvent mignon comme un panda, mais en même temps c’est pratiquement impossible de dormir tranquillement dans ces conditions. Mais je ne suis pas complètement associable et j’ai conscience de mes responsabilités ici. Je me réveille volontairement de temps en temps et je montre mon museau aux spectateurs enjoués. Parfois et c’est contractuel d’ailleurs, j’essaie de me redresser et de marcher sur mes pattes arrières sur quelques mètres. Cette technique m’apporte un certain succès, mais que voulez vous, j’en suis désormais un peu blasé.

Il faut bien dire qu’on ne m’avait pas tout dit sur l’espace qui me serait réservé à mon arrivée ici. Je m’attendais à avoir un terrain assez grand pour me dégourdir les jambes et piquer quelques pointes de vitesse, mais les conditions ne le permettent pas vraiment. Par comparaison, l’espace attribué aux tigres est beaucoup plus généreux et mieux organisé avec une rivière artificielle pour se débarbouiller. Je me suis déjà plaint au comité inter-animal des conditions plus avantageuses de certains locataires, mais mon dossier est en cours de traitement depuis 3 ans. Je pense qu’on se moque un peu de moi sans me le dire, mais j’ai quand même décidé de ne pas céder à l’aigreur et à me battre pour faire valoir mes droits.

Moi, c’est Aristote. Je ne me sépare jamais de mes camarades de promenade, Socrate, Platon et Pythagore. Ne me demandez pas pourquoi on nous a donné des noms de philosophes grecs, j’avoue que ça me dépasse un peu. On s’entend tous assez bien ici, mais c’est parfois pesant de ne pas avoir un peu d’intimité dans cette fausse savane. Les giraffes vivent avec nous dans le même enclos mais nous snobent superbement, donc on se retrouve toujours tous les quatre à tourner en rond ensemble dans le parc. Remarquez, on ne se plaint pas, on a assez d’espace pour se promener au petit trot. Et on discute beaucoup en se promenant, on se dispute de temps en temps. On se prend parfois la tête avec nos désaccords sur notre condition animale ici. Certains voudraient retourner au pays, mais en ce qui me concerne, j’ai appris à apprécier le confort de cette fausse savane. Après tout, la vie au pays est galère sous de nombreux aspects.

Tout d’abord, je vous prie de m’excuser de mes impolitesses. Je ne baille en général pas en public, mais j’ai passé une semaine éreintante à jouer à cache-cache sur le terrain avec mes deux autres collègues. Tout cela pour amuser les foules. Il faut dire que j’ai pris goût aux applaudissements et aux cris de joie. Ça m’apporte beaucoup de réconfort et la sensation d’un travail bien fait. Ça me pousse même à me surpasser sans cesse. J’ai conscience d’être privilégié ici. Il faut dire que j’avais âprement négocié mes conditions, pour jouir notamment d’un espace de jeu bien aménagé, à ma taille et à la hauteur de mon prestige. Je pense de toute façon bien leur rendre la monnaie de leur pièce, car la foule est toujours au rendez-vous et en redemande sans cesse. C’est la règle du jeu de toute façon. Pas facile par contre de tenir le rythme pendant plusieurs heures d’affilée, et de nombreuses pauses s’imposent dans mon emploi du temps journalier.


Les propos de ces quatre entretiens ont été recueilli au Zoorasia de Yokohama, et sont retranscrits ici avec la plus grande fidélité.

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