l’architecture de Sou Fujimoto: House H

Dans la foulée de la découverte de House NA, je pars ensuite à la recherche d’une autre maison individuelle particulière de Sou Fujimoto, House H. Elle se trouve quelque part dans les zones résidentielles de l’immense arrondissement de Setagaya. Comme je le mentionnais précédemment dans mon billet sur House NA, j’avais déduit le lieu où se trouve cette maison à partir d’un article du blog Tokyo Files et de quelques recherches sur Google Maps. Le dimanche matin de la deuxième partie de la Golden Week, après avoir déposé Zoa à une de ses activités du week-end, je pars en vélo dans les rues de Meguro puis de Setagaya pour partir à la recherche de cet autre petit trésor architectural. Il faudra un peu de courage car la route, même à vélo, est un peu longue, mais j’ai un courage à toute épreuve. C’est également très agréable de faire du vélo le dimanche matin dans les rues de Tokyo. Vers 9h, la ville dort encore et les rues sont beaucoup plus calmes qu’à l’accoutumé. En fait, les quartiers résidentiels de Tokyo ne sont pas tranquilles que le matin. L’absence de population visible lorsque l’on se promène dans ces quartiers est particulièrement notable. On se demande parfois où se cachent tous les habitants de ces maisons pendant la journée.

Dans l’arrondissement de Meguro, j’avais repéré une longue coulée verte qui m’amènera assez vite vers Setagaya. J’ai trouvé quelques allés vertes semblables dans Setagaya. Ce sont des chemins pavées pour piétons et vélos coincés entre des rangées de maisons individuelles de hauteur basse. Elles sont en général très calmes et entourées de verdure. Ces couloirs verts me rappellent le concept de partitions vertes du projet pour Tokyo Fibercity 2050 de Hidetoshi Ohno. Je me rends compte que certains concepts de cette étude pour un futur Tokyo sont en fait déjà mis en pratique à certains endroits, et ne demanderaient qu’à être étendus dans la ville.

Après quelques kilomètres à vélo au delà de Sangenjaya, je finis par approcher le quartier où se trouve House H. Je ne la trouverais pas tout de suite. Un peu comme pour Garden and House de Ryue Nishizawa, je passerais même devant sans m’en rendre compte. Mais, elle apparaît tout d’un coup derrière quelques arbres. Elle date de 2009 et après presque dix années, les surfaces de béton restent superbes, à peine affectées par le temps. J’aime beaucoup la conjugaison de la couleur légèrement verte des vitrages avec la couleur claire du béton, donnant un ensemble très lumineux. Il s’agit d’une structure en béton renforcé de trois étages avec quatre pièces par étage. Les rideaux de la maison étant fermés, on ne devine malheureusement pas la structure interne. Quelques photographies sur le site de Iwan Baan (encore lui) nous permettent de comprendre que c’est une maison pleine de trous. En plus des très grandes ouvertures sur les murs extérieurs, des immenses ouvertures sont également présentes sur le sol, les murs et les plafonds de chacune des pièces. On devine ces ouvertures sur les photographies ci-dessus, au dernier étage. Certaines des ouvertures au sol sont évidemment couvertes de plaques de verre, mais d’autres laissent passer plusieurs escaliers en bois à l’oblique reliant les pièces aux étages. Du fait de la transparence, on a l’impression d’un grand espace ouvert communiquant. Comme sur House NA, Sou Fujimoto nous dit qu’il reprend le principe de l’arbre et c’est vrai qu’on a cette impression, même en regardant la maison de l’extérieur, car cette maison apparaît avant tout comme une structure avec des ramifications. Les plaques de verre formant le sol des pièces sont posées comme des feuilles sur les branches en béton renforcé de l’arbre.

Une fois encore, c’est un vrai plaisir de faire ce type de découvertes architecturales. Il faut maintenant que je trouve d’autres maisons à découvrir, ou peut être retournerais-je voir Moriyama House de Ryue Nishizawa, histoire de voir comment elle a évolué avec le temps.

dans les rues de Koenji

Ces quelques heures dans les rues de Koenji ont été fructueuses en découvertes et en photographies d’architecture. Avant de reprendre le chemin du retour, j’emprunte quelques rues au Nord de la station de Koenji. Après quelques dizaines de mètres de marche dans ces rues, Mari par l’intermédiaire d’un message sur LINE me donne une dernière mission: aller acheter quelques gâteaux dans une pâtisserie qu’elle a repéré sur Internet. J’accepte cette mission volontiers. Elle me fera marcher et découvrir un peu plus les petites rues de Koenji. Ils y a beaucoup de petites rues dans ce quartier, un peu dans le style de Shimo Kitazawa, que je connais assez bien pour y avoir beaucoup marché de long en large. Il n’y a pas de grands immeubles et tous les bâtiments font 2 ou 3 étages de haut. Les rues commerçantes sont pleines d’affichages publicitaires, remplies à raz bord d’une pollution visuelle dont il faudra essayer de faire abstraction pour pouvoir s’enfoncer un peu plus dans ces rues.

En marchant un peu plus, me revient en tête un billet de Cedric Riveau sur son blog Color-lounge à propos d’une galerie du collectif d’artistes Chim↑Pom à Koenji. Alors que je cherche l’adresse sur Google Map sur mon iPhone, je me rends compte que je suis passé devant il y a quelques minutes et que j’ai même pris en photo le bâtiment de la galerie appelé Kitakore. Cette galerie du collectif est une vieille bâtisse qui pourrait être démolie à tout moment. J’avais été amusé par cette devanture avec de gros yeux dessinées sur fond rouge et des dents acérées sur le volet roulant en métal, mais j’étais loin de penser qu’il s’agissait là de la galerie du collectif. Je pensais plutôt à un vieux bâtiment abandonné pris d’assault par des tagueurs. Ceci étant dit, Chim↑Pom sont des provocateurs et ils ont déjà investi d’autres immeubles voués à la destruction. Cet espace me parait quand même assez anecdotique. Je cherche l’entrée, qui semble être près d’un bar attaché à la galerie. Les rideaux métalliques noirs sont dessinés de figures élégantes bien qu’aux couleurs délavées. L’espace semble fermé comme le montre l’écriteau. J’ai même pensé à ce moment là que cette galerie ouverte en 2015 était désormais fermée définitivement, mais apparemment les expositions y sont irrégulières, la dernière datant de Juillet-Août 2017. En regardant un peu le site web de la galerie, je vois qu’une des premières expositions, en 2015, était celle de l’artiste Sono Sion, connu pour son collectif Tokyo Gagaga qui parcourait les rues de Tokyo au début des années 90 dans un format de guérilla urbaine avec danses, banderoles et poèmes criés sur haut parleur portatif. On voyait quelques scènes de ces performances de rues au début du documentaire « Otaku, Fils de l’empire du virtuel » de Jean-Jacques Beinex. Je me souviens que ces scènes, qui ressemblaient à une révolte bruyante peu courante au Japon, m’avait impressionné et intrigué quand j’avais vu le documentaire de Beinex pour la première fois à la télévision en 1994.

Je continue ma route en m’enfonçant un peu plus dans les rues du Nord de Koenji. La pâtisserie n’est plus très loin. La difficulté sera ensuite de ramener les gâteaux dans leur boîte sans les bousculer dans les rues étroites, et tout en prenant des photos quand je ne peux pas m’en empêcher. Je prends d’ailleurs souvent en photo les autocollants de rues qui attirent mon regard, comme celui d’inspiration manga par Jose Aurelio Baez sur la dernière photographie du billet. Ce billet est encadré par une autre forme d’art de rue, sur la première photographie du billet, il s’agit d’un mur peint aux faux airs de Roy Lichtenstein.

FLAMINGO par Norisada Maeda

Ma promenade urbaine à Koenji a été riche en découvertes architecturales. La maison en photographies ci-dessus était une découverte inattendue alors que je partais à la recherche du théâtre Za Koenji de Toyo Ito. Cette maison de 3 étages en deux parties de béton brut s’appelle FLAMINGO, conçue par l’atelier d’architecture Norisada Maeda en 2000. J’ai déjà vu une autre maison de béton du même atelier Norisada Maeda à Aoyama lors de mes courses à pieds du week-end. Il s’agissait de Rose, une maison simple et lisse d’extérieur mais compliquée et faite de courbes à l’intérieur. Cette maison à Koenji a également un design particulier, fait de formes en « C » qui s’opposent et se superposent. L’intérieur est fait de béton brut, tout comme l’extérieur. Ces formes imposantes et un peu grossières me font penser à un bunker. On est ici dans un esprit tout à fait opposé à la maison House NA de Sou Fujimoto. A la fragilité et à l’ouverture de House NA, s’opposent la dureté du béton protégeant l’habitation de l’espace extérieur de la rue. Il faut dire que cette maison FLAMINGO se trouve dans un lieu beaucoup moins tranquille que House NA, près d’une voie de chemin de fer et d’une grande voie rapide. Toujours est-il que ces formes de béton brutalistes me fascinent. Je ne dis pas que j’aimerais y vivre, car l’espace intérieur semble assez sombre malgré les quelques baies vitrées.

Za Koenji par Toyo Ito

Après mon passage devant la maison House NA de Sou Fujimoto, je continue mon exploration de Koenji en revenant vers la gare JR. Je recherche maintenant le théâtre aux formes futuristes de Toyo Ito, appelé Za Koenji. Ce théâtre public construit en 2009 est dédié aux arts contemporains de la scène, ainsi qu’à d’autres activités culturelles pour la communauté locale de Suginami-ku. Za Koenji est également un bâtiment que l’on voit régulièrement dans les magazines d’architecture, pour sa forme atypique comme un monolithe rocheux et lisse. Le théâtre est assez facile d’accès depuis la gare de Koenji, mais j’en m’y prends mal bizarrement en tournant autour sans trouver l’entrée principale. Ce n’était pas forcément une mauvaise idée de tourner autour, car apercevoir soudainement ce monolithe de couleur sombre en forme de vagues s’échapper de la masse des maisons individuelles standards, donne un effet surprenant. On pense à une forme extra-terrestre, comme un ovni posé là au milieu d’une zone résidentielle des plus quelconques. Du coup, j’éprouve une certaine déception en apercevant finalement la façade principale car on n’y aperçoit plus les courbes si caractéristiques du bâtiment. Il faudra faire le tour une nouvelle fois, mais cette fois-ci à l’intérieur du parking, pour admirer les vagues architecturales du toit du théâtre. Depuis le parking, en observant le bâtiment depuis l’arrière, me vient l’image d’un croisement entre une raie manta aux yeux multiples et un sous-marin géant. Une chose est sûre, ce théâtre de Tokyo Ito a des formes aquatiques. Une multitude de petits hublots sont placés par groupes et de manière apparemment aléatoire sur les façades du théâtre. C’est un peu dommage de constater que les peintures sur la surface des façades ont un peu passé avec le temps. On remarque des raccords de peinture autour des ouvertures ou sur des surfaces longitudinales qui ne sont pas du meilleur effet. Par contre, la multitude de hublots sur les parois de l’immeuble offrent un bel effet de lumière à l’intérieur du théâtre. Le hall est assez sombre et se laisse éclairer par les points lumineux créés par la lumière traversant les hublots. Sur le grand escalier central tout en courbe, d’autres points lumineux mais d’une lumière synthétique sont ajoutés. L’effet de lumière est très réussi, surtout lorsque l’on regarde le plafond depuis l’escalier au niveau du premier sous-sol. Lors de ma visite improvisée dans le théâtre, on n’y donnait pas de spectacle. Il y avait par contre des ateliers de jeux pour les enfants installés de manière temporaire dans un des grands halls du rez-de-chaussée. A l’étage, il y a une salle d’archives du théâtre et un café, vide à cette heure de la journée. Je reprends ensuite ma route dans les rues de Koenji, en m’engouffrant volontairement dans le labyrinthe urbain surchargé au nord de la gare. Le site du photographe Iwan Baan, décidément fort riche en photographies d’architecture japonaise, propose de très nombreuses photos du Za Koenji, notamment des vues aériennes pour se donner une meilleure idée de la forme générale de cet objet architectural atypique.

l’architecture de Sou Fujimoto: House NA

Je n’avais jamais rencontré l’architecture de Sou Fujimoto jusqu’à maintenant, tout simplement parce qu’elle se trouve dans des zones résidentielles de la périphérie proche du centre de Tokyo où je ne vais pas souvent, voire même pas du tout. Bien entendu, les adresses des maisons individuelles restent secrètes, pour protéger la vie privée des propriétaires mais avec un peu de recherche, le passionné d’architecture un peu persévérant finit par découvrir ces petits trésors urbains. Je pars à la recherche de deux maisons conçues par Sou Fujimoto: House NA et House H. Elles ne se situent pas du tout au même endroit. House NA est en fait assez facile à trouver car l’adresse est publiée à plusieurs endroits sur internet, sur des cartes Google Maps. Ce n’est pas le cas de House H, mais le blog Tokyo Files m’avait donné de bonnes pistes de recherche, ce qui m’a permis de la trouver sans trop de difficulté. Il faut dire que j’ai pris une certaine habitude à rechercher l’architecture sur Google Maps, même si c’est malheureusement sans grand succès parfois.

House NA se trouve près de la station de Koenji, au delà de Shinjuku et de Okubo. Je profite de deux heures de temps libre le lundi de la Golden Week pour partir à la recherche de cette maison, et par la même occasion découvrir un peu les rues de Koenji et quelques autres œuvres architecturales vues dans les magazines d’architecture, comme le théâtre Za Koenji de Toyo Ito, mais j’y reviendrais plus tard dans un autre billet. En fait, je connaissais déjà Koenji pour y être allé il y plusieurs années déjà. Il y a certainement plus de dix ans de cela, nous allions voir des concerts rock plutôt underground dans la salle 10000 Volts, désormais disparue. Nous y allions avec Pierre la nuit et mes souvenirs des rues de Koenji ne sont plus très clairs. On devait y aller à moto et je me souviens qu’on traçait notre route à toute allure en pleine nuit lorsque tous les feux de la rue Inokashira s’alignaient au vert. J’exagérais si je disais qu’on se prenait pour Kaneda dans les rues de Neo-Tokyo, mais je me souviens qu’on allait vite. Ma mémoire résiduelle embellit et exagère très certainement les choses, mais c’est ce souvenir qui me reste en tête à cet instant précis.

Koenji se trouve à seulement 6 minutes de la station de Shinjuku sur la ligne JR Chuo. J’avais l’impression que Koenji était plus éloigné de Shinjuku que cela. En descendant de la station, je me dirige rapidement en direction de la maison House NA, non sans une certaine excitation. Dans les petites rues, les bars et restaurants ont tous leurs devantures fermées après une longue soirée de labeur. Nous sommes le matin et les rues sont calmes. J’aperçois au loin un groupe de trois étrangers semblant se diriger dans la direction de House NA. Ils sont peut-être, comme moi, à la recherche de cette maison de Sou Fujimoto. Je savais que cette maison était assez renommée, car affichée régulièrement dans les magazines ou livres d’architecture japonais ou internationaux, mais pas au point de trouver au même moment que moi d’autres découvreurs d’architecture tokyoïte. En fait, le petit groupe passe bien devant la maison, remarque son originalité, mais ne semble pas pour autant venus exprès pour la voir car ils ne s’attardent pas sur les lieux. J’approche ensuite la maison. La plupart des rideaux sont fermés, à part au rez-de-chaussée. La 2CV bleue clair est également là, comme sur les photos des magazines d’architecture que j’ai pu voir dans le passé. Elle ressemble à celle de mon grand-père. Elle est par contre poussiéreuse et je soupçonne qu’elle ne doit pas beaucoup servir. Elle est peut être devenue un objet de décoration.

Lorsque l’on aperçoit House NA, on est tout de suite saisi par la fragilité de la structure ouverte sur la rue. On essaie ensuite de comprendre comment sont organisés les étages, mais ça reste assez compliqué depuis l’extérieur. Elle est composée d’une multitude de demi étages sans murs et reliés par des escaliers de quelques marches. La maison est complètement ouverte et on a un peu de mal à faire la distinction entre l’espace intérieur et extérieur. La maison donne l’impression d’une extrême légèreté et délicatesse, car elle n’est pratiquement composées que de plaques blanches au sol soutenues par de fines tiges blanches d’acier. On se demande comment elle peut soutenir la présence humaine et les meubles. La maison est composée de 21 plaques à des hauteurs différentes, un peu comme des grandes feuilles placées sur un arbre. Elle se veut être un espace collectif et modulable. En ce sens, elle prend l’esprit d’un espace nomade car l’espace peut être utilisé de nombreuses manières différentes selon les envies. Comme pour Moriyama House ou Garden & House de Ryue Nishizawa, je me pose toujours la question de la viabilité de cette ouverture complète sur la rue, surtout qu’il s’agit, comme très souvent dans les zones résidentielles de Tokyo, d’une rue assez étroite avec un vis-à-vis. En ce sens, elle est encore plus radicale que les deux maisons de Nishizawa.

Le site Dezeen montre de nombreuses photographies de l’intérieur et les plans de la maison pour se donner une meilleure idée. De nombreuses photographies sont également visible sur le site du photographe Iwan Baan. Une vidéo par Vincent Hecht nous permet de découvrir l’intérieur. House NA a également été prise en photo par Jérémie Souteyrat sur son livre Tokyo no ie (Tokyo Houses). Tout ça pour dire que House NA est très bien documentée et sous tous les angles. Dans un prochain billet, je partirais à la recherche de House H, une autre maison individuelle particulière de Sou Fujimoto.