un brin de rose sur le béton

Je ne pensais pas repasser à Azabu-Jūban aussi rapidement depuis mon passage en courant la semaine précédente, mais Zoa passant une audition dans le coin nous ramène dans ces rues. Cela me donne l’occasion de reprendre certains bâtiments et rues avec l’appareil photo reflex plutôt que l’iPhone. Nous y allons en marchant en traversant Hiroo, notamment en passant devant l’ambassade d’Allemagne. Le mur extérieur de béton de l’ambassade est partiellement recouvert d’une fresque commémorative du mur de Berlin. Ce mur construit pendant la guerre froide entre les deux Allemagnes était debout pendant 10316 jours soit 28 ans et cela fait justement 28 ans cette année qu’il est tombé. Un artiste allemand Justus Becker et un artiste japonais Imaone ont travaillé ensemble sur cette longue fresque. En parlant d’Imaone, je prends souvent en photo une de ses fresques tout à la verticale cachée derrière un building à Kichijoji. J’aime beaucoup la dynamique du trait et les couleurs employées sur ses fresques. En remontant un peu plus la rue en longeant le parc Arisugawa en direction de Sendaizaka, on passe également devant l’immense et très particulière propriété du groupe de chaines d’hôtels APA. On dit que c’est la résidence de sa présidente. Je me demande quel peut bien être l’architecte de cette résidence si particulière.

Au croisement de Shin-ichinohashi tout près de la station de Azabu-Jūban, l’étrange building de 14 étages Joule-A par l’architecte Edward Suzuki se dresse tout en courbe. D’extérieur, il se présente comme une structure squelettique recouverte d’une toile métallique partielle, qui ressemble à des nuages. A chaque fois que je passe devant cet étrange immeuble, une scène du film Tokyo Eyes de Jean-Pierre Limosin me revient en tête, celle où K (Shinji Takeda) et Hinano (Hinano Yoshikawa) décident de tenter leur chance pour entrer dans une boîte de nuit sélect de Azabu. A l’intérieur, on y passe un morceau électronique de Takkyu Ishino, une version re-mixée de I Thought 3, But Were 4 In Fact, sur l’album Dove Loves Dub dont je parlais dans le billet précédent. J’ai re-regardé ce film il y a quelques jours car je me souvenais qu’il se déroulait en grande partie près de Shimo-Kitazawa, et je voulais voir si je reconnaissais quelques lieux. Le film étant sorti en 1998 en France, je pense que je l’ai vu pour la première fois au cinéma en France avant de partir pour le Japon. Je le regarde assez régulièrement car j’aime son ambiance, celle des rues de Kitazawa que K parcourt en naviguant comme une brise avec sa mini caméra video.

Au détour d’une rue, je retrouve l’immeuble LAPIS des architectes Iida Archiship Studio, mais sous un autre angle, alors qu’un brin de rose traverse devant le béton brut. Un peu plus loin dans la rue, un autre building un peu plus récent est recouvert d’un mur végétal. On voit de plus en plus ce type de mur recouvert de végétation dans Tokyo, concept inventé par Patrick Blanc. Le cas de l’immeuble ci-dessus semble tout de même être une version très simplifiée du mur végétal.

En fin de journée, nous bifurquons vers Roppongi Hills, pour aller voir l’exposition de l’argentin Leandro Erlich au Mori Art Museum. On s’est dit qu’il devait y avoir un côté ludique à cette exposition qui plairait à Zoa, et c’était bien le cas. Nous avions manqué à Kanazawa la fameuse installation de la piscine car elle était en rénovation pendant notre passage l’année dernière, donc on se rattrape avec cette exposition. La piscine n’était pas montrée, mais il y avait un grand nombre d’installations jouant de manière similaire sur notre perception. Les jeux de miroirs viennent perturber notre réalité et nos repères. D’un point de vue conceptuel et même ludique, cette expression est très intéressante. Le problème est qu’il y avait foule le dimanche après midi, et attendre une demi-heure pour voir une installation à l’intérieur même de l’exposition, c’était vraiment trop. Une des créations majeures de cette exposition était celle du building, où avec un jeu de miroir, on se donne l’impression de se retenir pour ne pas tomber de la façade du building. Malheureusement, avec la foule agglutinée et remuante comme sur un terrain de jeu, l’effet était vraiment estompé. Il aurait fallu prendre un jour de congé et venir en semaine pour apprécier l’exposition au calme. Les installations montrées sont également la plupart du temps intéressantes du point de vue de la technique utilisée pour modifier la perception du réel, mais au final, ce que l’on voit dans l’oeuvre, c’est une réalité que l’on connait bien. De ce fait, ça m’a laissé un peu froid. Par exemple, on doit attendre une dizaine de minutes en file d’attente pour regarder une installation se présentant comme une porte, faisant l’épaisseur d’une porte normale, posée au milieu de la pièce. Lorsqu’on regarde à travers l’œillère de la porte, on aperçoit un couloir vide. On imagine un ingénieux jeu de caméra avec video installée à l’intérieur de la porte, pour nous donner l’impression que l’on voit ce couloir. La technique est impressionnante, mais au final, ce que l’on voit c’est un couloir vide, tout ce qui a de plus quelconque et banal. D’autres objets sont à mon avis plus poétiques, comme la représentation d’un pays par des superpositions de plaques de verre donnant une impression de nuages et de contours flous. L’effet fonctionne très bien pour des pays à la forme très distinctive comme le Japon et la France. En fait, je préfère les installations qui n’ont pas besoin de la présence du visiteur pour fonctionner comme oeuvre d’art.

faire des boucles à Azabu-Jūban

Ma course à pied du week-end m’amène cette fois-ci vers Azabu-Jūban. Tout en courant, je remarque cette résidence en forme de rocher brun. C’est une teinte assez inhabituelle pour un immeuble de béton. On dirait la couleur du bronze. Il s’agit de House in Minami-Azabu de l’architecte Hitoshi Wakamatsu. L’extérieur de la résidence est assez irrégulier, ce qui est également le cas de l’intérieur que l’on devine un peu par la forme biseauté des ouvertures. A l’intérieur, un escalier en spiral ouvert fait le lien entre les 4 étages.

Sur la rue en pente Sendaizaka, l’ambassade de Corée du Sud est toujours très surveillée. J’hésite d’abord à prendre le bâtiment en photo mais j’essaie quand même. Les architectes de cette ambassade sont Chang-jo Architects et sont également coréens. Visuellement, le building projette une vision très high-tech. La partie droite semble s’avancer en apesanteur au dessus du sol.

En face de l’ambassade coréenne, s’étend un vaste espace occupé par une dizaine de temples. En entrant à l’interieur de l’espace, une allée piétonne semi-couverte laisse soudain apparaître l’un d’entre eux appelé Senko-ji. Tandis que je marchais doucement sur cette allée, ce temple de grande taille et surélevé se laissait peu à peu découvrir. L’approche photographique n’est ici pas suffisante pour donner une bonne impression de cette découverte progressive. La lumière de fin d’après midi d’hiver apportait une certaine beauté à ce grand temple qui ressemble à une forteresse, en raison de son élévation peut être.

Rentrons maintenant dans le centre de Azabu-Jūban. J’avais l’habitude de venir souvent dans ce quartier il y a de nombreuses années car j’habitais pas très loin d’ici, dans un appartement en haut de Sendaizaka. Je ne viens plus très souvent par ici. Le centre de Azabu-Jūban ne semble pas avoir beaucoup changé à part quelques nouveaux buildings à plusieurs endroits. L’immeuble LAPIS par les architectes Iida Archiship Studio, par exemple. Je le connaissais pour l’avoir vu dans un numéro de JA Japan Architect. La particularité du building est sa taille au sol plus étroite que la taille des étages. Cela donne un immeuble étrange et asymétrique aux lignes biscornues. Les ouvertures au rez de chaussée et à l’étage sont par conséquent déformées. Le béton et ces formes donnent au building un air brutaliste.

On dit parfois que Tokyo est un assemblage de villages. Il est vrai que lorsqu’on s’éloigne des grands axes, que l’on rentre à l’intérieur des labyrinthes des zones habitées, on est assez vite gagné par cette impression de village. Cette impression est renforcée par la présence des temples ou sanctuaires de quartier souvent entourés d’un minimum de végétation. Impression de village également accentuée par les méandres des ruelles étroites où l’on peut à peine passer en voiture. J’aime m’y promener, s’y perdre pendant quelques minutes, faire demi-tour, chercher une autre voie, parfois trouver l’issue du labyrinthe. La rue ci-dessus se trouve à Moto-Azabu près d’un mini jardin public, en bas d’une colline urbaine. Elle mène à un autre temps, comme une porte temporelle. Les vieilles baraques en bois des deux ou trois rues de ce quartier sont imperturbables des changements incessants de la ville. Cette zone semble avoir été oubliée des promoteurs immobiliers qui sont pourtant très actifs dans les quartiers de Azabu. Ils n’ont peut être pas encore découvert l’entrée du labyrinthe. Tout d’un coup, je pense à Murakami Haruki et aux mondes parallèles.

À côté des rues préservées de tout, le temple du quartier Honko-ji n’a pas grand chose de très particulier si ce n’est un étrange dôme de tôle verte à son entrée et cette petite construction de huttes végétales. L’assemblage est soigné et doit être sujet à beaucoup d’attention. Après une visite rapide du temple, je reprends la route en courant à travers Azabu pour en sortir bientôt sans me perdre.

Nous changeons d’addresse sur la dernière photo ci-dessus, car nous sommes de retour à Shibuya, au sanctuaire de Hikawa. En contre-bas, un jardin public occupe un grand espace le long de l’allée en pierre menant au sanctuaire. Un chapiteau de bois dohyō y est installé en permanence et on ne peut pas entrer à l’intérieur. Il est utilisé pour des démonstrations de combat de sumo de temps en temps. Je les avais d’ailleurs pris en photo il y a quelques années. Les escaliers en pierre menant au sanctuaire sont très boisés et un peu sombres. Le matsuri d’automne se déroule ici, dans ces escaliers et allées de pierre jusqu’à la rue quasiment piétonne menant à la grande artère de la Meiji-dori. Depuis l’escalier, le jardin est rempli de lumière. Il n’y a pas d’enfants aujourd’hui dans le jardin public, mais ils sont en général nombreux.

avant le mankai des cerisiers

Je passe assez souvent par Naka Meguro 中目黒 ces derniers temps, depuis Daikanyama, en empruntant une route en courbes jusqu’à la rivière Meguro. Cette route en courbes et en pente démarre entre les deux bâtiments en béton Annex A et B de Hillside Terrace par l’architecte japonais Fumihiko Maki 槇文彦. J’aime les prendre en photographie et je pense les avoir montrées plusieurs fois dans des billets précédents. En descendant donc cette route abrupte en courbes, on arrive assez vite sur la rivière Meguro. Les photographies de ce billet sont prises à la fin mars et les cerisiers commençaient tout juste leur floraison. Les préparations sont pourtant déjà terminées le long de la rivière Meguro. On peut voir accrochées les lampes sponsorisées d’une couleur rose d’assez mauvais goût. Les passants s’arrêtent au niveau des ponts pour prendre en photo les branches qui surplombent la rivière. Il faudra attendre encore quelques jours pour le mankai, la pleine floraison, pour que le tunnel de sakura se forme clairement au dessus de la rivière. Au fur et à mesure des années, cet endroit est devenu de plus en plus populaire pour le hanami et il faut s’armer de patience pour faire un tour complet des lieux.

Suivons maintenant une autre rivière, celle de Shibuya. La photo ci-dessus nous montre cette petite rivière au niveau de Azabu-Jūban 麻布十番. En fait, je n’avais pas réalisé que la rivière Shibuya qui passe près de la station de Shibuya, longe la rue Meiji en passant près de la station de Ebisu, continuait son chemin en passant par Azabu-Jūban. Elle fait un virage à 90 degrés au niveau de la station de Azabu-Jūban, pour ensuite filer tout droit vers la baie de Tokyo. C’est une des nombreuses rivières « maltraitées » à Tokyo. Elle souffre de bétonnage excessif au niveau de Shibuya, tout le long de la rue Meiji, et se voit ensuite recouverte à moitié ou complètement par l’autoroute intérieure à partir de Tengenjibashi. Ces autoroutes intérieures à Tokyo datent des Jeux Olympiques de 1964. Il fallait à l’époque créer rapidement des grands axes routiers et les espaces vides au dessus des rivières et canaux ont été réquisitionnés.

Au niveau de Akabanebashi, le long de cette rivière, un nouvel immeuble aux formes futuristes est en phase de finalisation. C’est un immeuble de bureaux du promoteur Sumitomo Fudōsan appelé Azabu Jūban Project et conçu par Nikken Sekkei 日建設計. La construction du bâtiment semble en fait assez classique mais chaque étage se voit doté de plaques en angles aigus venant pointés dans plusieurs directions, et donnant cette impression futuriste. L’immeuble est massif avec plus de 4000m² pour chacun des dix étages le composant. Même avec mon objectif grand angle, il est difficile à prendre en photo dans son intégralité.

Les quelques photographies ci-dessus sont prises au coeur de Shibuya, près d’un poste de police de proximité kōban 交番 aux formes, là encore, futuristes. Ce poste de police de Udagawa-cho a été conçu par l’architecte Edward Suzuki, et pourrait nous faire penser à une tête d’animal, peut être à une chouette qui observent les rues mouvementées de Shibuya. Une autre photographie est prise à l’entrée de la petite rue piétonne en pente Spain-zaka スペイン坂 qui monte jusqu’au cinéma Rise. Rien de très nouveau sur ces photographies à part l’envie de reprendre des lieux connus et maintes fois photographiés avec mon nouvel objectif 17-40.

Les deux dernières photographies prennent pour décor le parc de Inokashira à Kichijoji. Ici aussi, les cerisiers commençaient doucement à fleurir en ce week-end de fin mars. Nous allons tous les ans voir les sakura au parc Inokashira, et la foule est toujours très présente. C’est une population jeune qui se réunit sur des bâches bleues au dessous des cerisiers en fleurs. Les visages sont rougis par l’alcool et personne ne semble porter attention aux fleurs au dessus des têtes. Dans ce parc, plus que les fleurs, j’aime les formes biscornues des branchages qui se dévoilent en hiver. Dans un coin du parc, un jeune homme nous montrait une chouette. Elle était étonnamment docile et on pouvait la caresser doucement. Elle n’avait pas peur de la foule des curieux qui venait la voir et tendait les mains craintivement pour l’approcher. La chouette observe ce qui se passe tranquillement sans broncher, mais il faut faire attention, les chouettes ne sont pas ce qu’elles semblent être.