des feuilles jaunes et des fleurs bleues

Après la visite de l’Université de Tokyo, je continue ma route depuis Hongō-Sanchōme en descendant en direction de la rivière Kanda. Je longe la rivière jusqu’à la station de Suidōbashi, en passant devant la tour Century faisant partie du campus Hongō-Ochanomizu de l’Université Juntendo. On doit cette tour, que je montre sur la deuxième photographie, à l’architecte britannique Norman Foster. Elle a été construite entre 1987 et 1991. En longeant la rivière, les couleurs des trains de la ligne Chuo-Sobu se mélangent avec celles des feuilles d’automne. Le terrain valloné vient créer des pentes comme celle de la troisième photographie. Cette pente se nomme Onna-zaka (pente de la femme). J’étais d’abord surpris par le nom de cette pente, mais cette dénomination n’est pas unique à ce lieu car elle désigne une pente de moindre dénivelé par rapport à Otoko-zaka (pente de l’homme) qui serait plus abrupte. Mais, j’ai tout de même été surpris par le dénivelé de cette Onna-zaka et par la présence à mi-chemin d’un bâtiment de béton qui semble être en partie soutenu par deux tiges métalliques. Enfin, je me demande quand même quelle peut bien être la fonction exacte de ces tiges car je ne pense pas qu’elles soient assez résistantes pour supporter le poids du bâtiment. En continuant encore un peu, je finis par atteindre le quartier d’Ochanomizu et ses nombreux magasins de musique. J’y avais acheté il y a très longtemps une guitare Gibson SG noire et un ampli Marshall. Je ne me souviens plus exactement du modèle de l’ampli mais ça devait être un MG30FX ou un MG50FX. J’avais eu à cette époque dans l’idée d’apprendre à jouer mais mes progrès très lents avaient eu raison de toutes mes prétentions artistiques. Tout avait commencé après avoir trouvé une veille guitare et un petit ampli laissés par des anciens locataires de ma résidence, à qui voulait bien s’en saisir. Je m’étais ensuite rendu compte que la guitare était en piteux état, mais gratter les cordes pour essayer d’en extraire une mélodie, même expérimentale, m’avait beaucoup plus. La Gibson avait ensuite remplacé cette vieille guitare jusqu’à ce qu’elle tombe sur le manche depuis son support, poussée par le vent qui s’était engouffré dans un rideau à travers une fenêtre ouverte. J’aurais pu essayer de la faire réparer mais je m’étais résigné à la vendre, ce que je regrette encore un peu maintenant. Ceci étant dit, je ne savais jouer aucun air connu, comme j’aimais le dire en plaisantant quand on me demandait à l’époque de jouer quelque chose, et elle finissait par gêner dans le petit appartement (surtout l’ampli encombrant). Mais je me rends compte que j’avais déjà parlé de tout cela il y a plus de deux ans. Alors que je réfléchis à tout cela en marchant, la gare d’Ochanomizu approche. Elle est toujours en construction et les rénovations prendront apparemment fin en 2024.

En chemin entre Suidōbashi et Ochanomizu, je m’étais arrêté quelques minutes devant l’école Athénée Français (アテネ・フランセ) dédiée à l’apprentissage des langues, notamment du français. Sa façade rose parsemée de lettres de l’alphabet en fait un bâtiment tout à fait unique. Il date de 1962 et a été conçu par l’architecte Takamasa Yoshizaka. Disciple de Le Corbusier avec Kunio Maekawa et Junzo Sakakura, il a participé à la conception du National Museum of Western Art à Ueno, seule oeuvre architecturale de Le Corbusier au Japon.

avant les fantômes

Plusieurs semaines se sont déjà écoulées depuis le week-end où les photographies de ce billet ont été prises. Nous nous étions déplacés à Ochanomizu pour assister à une exposition de ikebana de style ikenobo, car une de mes collègues y participait. L’exposition de l’école de ikebana se déroulait dans un des grands immeubles près de la gare, le Sola City, la ville du ciel. Je n’avais pas réalisé qu’il y avait autant d’immeubles à Ochanomizu. Juste à côté de la tour de Sola City, un complexe de deux tours appelé Waterras semble avoir été construit récemment. Ces tours sont placées sur une large place, qui je pense est la terrasse du nom du complexe « Waterras ». Sur cette terrasse, un objet artistique bizarre en forme d’oreilles de lapin y est placé. A quelques mètres de là, à Kanda Awajicho, se trouve une ancienne pâtisserie appelée Omiya Yogashiten Kanda, réputée pour ses tartes aux pommes. Elle est étrangement vaste pour une pâtisserie et semble être d’une autre époque. On imagine qu’elle a eu son heure de gloire il y a des dizaines d’années et est restée strictement inchangée depuis. De cette pâtisserie, je garderais en souvenir photographique la forme des lumières du plafond.

L’ensemble Waterras est bordé d’un côté par une rue étroite en pente appelée Yurei zaka, la rue en pente aux fantômes. On imagine assez mal à notre époque que des fantômes surgissent soudainement de derrière les immeubles. Mais ils proviennent peut être d’une ancienne maison en bois entourée d’un muret de pierre. Cette grande demeure nous a bien intrigué, car elle est le seul vestige d’une autre époque, dans ce quartier désormais encombré de buildings de bureau. On se demande même comment elle a pu se maintenir dans cet état et quelles peuvent être les pressions de promoteurs immobiliers pour remplacer cet espace par un immeuble flambant neuf. On pensait tout d’abord qu’il s’agissait d’un musée où d’une galerie privée, mais il s’agissait en fait bien d’une résidence privée. Les fantômes de la rue en pente de Yurei zaka sont peut être tous réfugiés dans cette demeure en attendant patiemment la nuit, dès que les employés de bureau ont quitté les lieux, pour aller ensuite se promener dans les rues du quartier en toute tranquillité et discrétion.

J’écris ces phrases sur le ton de la plaisanterie (au cas où on en douterait) mais il y a tout de même au Japon une croyance certaine en l’existence des fantômes et des esprits. Mon esprit cartésien trouve toujours une explication logique à cette soit disant présence fantomatique, mais quoi qu’on en dise, j’ai beaucoup de mal à regarder des films d’épouvante depuis que je vis au Japon (Ring doit être le dernier que j’ai vu). Au hasard des liens internet, je tombe sur le blog de Jordy Meow, Japon Secret, notamment cet article sur une exploratrice japonaise qui voyait les fantômes. Le billet en forme d’interview est fort intéressant. Même si je reste très sceptique par nature, le sujet reste fascinant. Il y a d’ailleurs beaucoup d’articles intéressant sur son blog, notamment sur des lieux abandonnés dans la campagne et les forêts japonaises. L’exploration d’un vieil hôtel appelé Maya ou la découverte de la maison surnommée Royal House sont d’ailleurs très poussés dans la recherche des histoires et parfois des légendes que cachent ces vieilles bâtisses. Le tout est accompagné de photographies d’une grande qualité. Parfois je me dis que je devrais regarder un peu plus la blogosphère francophone au Japon. Le billet sur le New Sky building me rappelle quant à lui la visite que j’en avais fait il y a plus de dix ans. J’avais d’ailleurs aperçu récemment et de loin qu’il avait été repeint en bleu clair, ce qui est une faute de goût énorme pour tout amateur de brutalisme architectural.

Pas très loin de là, un autre bâtiment historique est tout à fait remarquable. Il d’agit d’une cathédrale de l’Eglise orthodoxe, Nicolai-dō, construite dans le style byzantin en 1891 par l’architecte britannique Josiah Conder, à qui l’on doit notamment la demeure Iwasaki-Tei du fondateur du groupe Mitsubishi à Yushima, le bâtiment Ichigo-kan à Marunouchi et de nombreux autres buildings. Malheureusement, l’intérieur de la cathédrale a été complètement détruit par un incendie lors du grand tremblement de terre du Kanto en 1923. Elle fut restaurée quelques années plus tard en 1929 mais avec un intérieur simplifié et le dôme modifié. La cathédrale tient son nom de Saint Nicholas Kasatkin (1836-1912), fondateur de cette cathédrale. Il est arrivé au Japon à l’âge de 25 ans, en jeune prêtre à Hakodate, Hokkaido. Il introduisa à cette époque la religion chrétienne orthodoxe aux communautés locales en traduisant de nombreux ouvrages liturgiques en japonais, ouvrages qui sont apparemment encore utilisés aujourd’hui.