une saveur de Tokyo

En photographies sur ce billet de haut en bas: (1) une grande fresque murale sur la nouvelle rue Shintora par Tokyo Mural Project, (2) une scène de rue à Ueno tout près du parc, (3) un autocollant de poulpe jaune par UFO907 posé sur une rambarde de rue devant la station de Ebisu, (4) le koban futuriste du parc de Ueno par Tetsuro Kurokawa, (5) un autre autocollant de la série dessinée par Kyne à Ebisu.

Je pensais que la librairie Kinokuniya près du Department Store Takashimaya à Shinjuku était entièrement fermée depuis son remplacement par un magasin de meubles et accessoires de maison, mais je n’avais pas réalisé que l’étage proposant des livres et magazines étrangers avait été conservé. C’est une bonne nouvelle car le rayon de livres en français y est assez conséquent. A vrai dire, je ne connais pas d’autres librairies avec autant de choix en français. Il y a bien le Yaesu Book Center près de la gare de Tokyo ou le Maruzen du building Oazo, mais le rayon français y est beaucoup moins important. J’avais en tête d’y trouver un livre de Michaël Ferrier. J’ai déjà lu son livre sur Fukushima, qu’il m’avait d’ailleurs envoyé avec une dédicace. A cette époque, mes articles sur l’architecture des Métabolistes japonais et sur les visions futuristes d’un Tokyo vertical construit sur la baie avaient inspiré un essai qu’il avait écrit pour un colloque et qui est également disponible dans un ouvrage de la série Croisements (le numéro 3 de l’année 2013).

Il y a quelques semaines, comme je l’indiquais dans un billet précédent, j’écoutais plusieurs épisodes de l’émission Hors-Champs de Laure Adler sur France Inter, consacrées au Japon. Laure Adler y interviewait, entre autres, le cinéaste Hirokazu Kore-Eda, l’écrivain Kenzaburo Oe ou le photographe Hiroshi Sugimoto. De fil en aiguille, je me suis mis à rechercher en podcast d’autres émissions intéressantes de Laure Adler, une interview du cinéaste Kiyoshi Kurosawa, ou une série en cinq épisodes consacrée à Roland Barthes. Dans une autre émission, Laure Adler interviewait l’écrivain Michaël Ferrier au sujet de son dernier livre Mémoires d’outre-mer. Le livre ne prend pas le Japon comme sujet ou comme décor, mais comme Michaël Ferrier habite à Tokyo, la ville y est tout de même aborder pendant l’interview. Dans la foulée de ce podcast, me revient donc en tête l’envie de lire d’autres livres qu’il consacre à Tokyo. J’avais déjà lu Tokyo, petits portraits de l’aube. Je pars donc à la recherche d’un autre roman, KIZU à travers les fissures de la ville, dont parlait Daniel il y a quelques temps. Peut-être le trouverais-je dans les rayons de Kinokuniya de Shinjuku.

Une fois là bas, je trouverais plutôt Le goût de Tokyo, car il vient d’être réédité. Je ne connaissais pas, mais il s’agit d’un épisode d’une série intitulée « Le goût de… » par différents auteurs et sur différents lieux, des villes ou des pays. Le goût de Tokyo est une anthologie de textes sur Tokyo, sélectionnés et commentés pour la plupart par Michaël Ferrier. Les textes sélectionnés sont de courts extraits de deux ou trois pages, par des auteurs français ou francophones principalement, mais également quelques écrivains japonais. Ces courts extraits nous proposent différents tableaux de la ville, sous ses aspects le plus fascinants et poétiques mais aussi les revers de cette ville. Il y a beaucoup de grands noms, des écrivains ayant fait un ou plusieurs séjours à Tokyo, comme Marguerite Yourcenar ou Claude Levis-Strauss, mais aussi des écrivains qui se sont fait connaître par leurs récits issus de longs périples au Japon, comme l’écrivain suisse Nicolas Bouvier. On apprécie beaucoup lire les impressions variées sur cette ville de la petite trentaine d’auteurs sur les 118 pages du livre. A travers ce recueil, Michaël Ferrier nous apporte un éclairage nuancé sur cette ville. Il n’hésite d’ailleurs pas à lancer quelques pics dans certains commentaires de textes sur des visions stéréotypées ou condescendantes de certains auteurs. Un problème typique est de penser détenir une vérité sur ce pays et ce peuple à travers une courte expérience parfois limitée. Il est toujours très hâté de dresser une généralité sur la totalité de ce pays à partir de cas particuliers que l’on aurait rencontré dans son expérience de vie au Japon. Ceci étant dit, la plupart des clichés existants sur le Japon sont vrai, mais le contraire l’est également, car comme pour tous pays, le Japon est composé de personnalités diverses qui ne s’inscrivent pas toutes dans le modèle de société japonais. Michaël Ferrier écrit d’ailleurs un petit paragraphe bien vu sur ce point là.

Ce livre se lit très vite, il se dévore même. Ce format est intéressant car il ouvre une porte vers d’autres auteurs. A la fin du bouquin, je remarque qu’il y a d’autres épisodes qui semblent intéressants, comme Le goût de Kyoto, Le goût du Japon mais aussi dans d’autres domaines Le goût de l’architecture, Le goût de la photo ou Le goût du rock’n’roll.

Éden Not

Dans le quartier de Udagawa-cho à Shibuya, un vieil immeuble est pris d’assaut par les dessins de rue. Ce n’est pas récent. Je reviens d’ailleurs assez souvent voir ce qui a changé, car ces dessins sont éphémères. D’ailleurs, l’intérieur de ce bâtiment est également très chargé en dessins en tous genres, comme ces singes menaçant en photo ci-dessus. J’hésite d’abord à entrer à l’intérieur, mais je monte finalement les escaliers pour voir jusqu’où ces graffitis me mènent. Il n’y a de toute façon pas grand chose à craindre car nous sommes dans le centre de Tokyo. Ce quartier composé de quelques rues seulement dont une longue fresque à l’arrière semble pourtant être à l’écart du reste. Autour, à des dizaines de mètres seulement, des destructions et reconstructions ont déjà pris forme. Le bulldozer urbain viendra bientôt taper à la porte de l’immenble aux graffitis qui disparaîtra sans laisser de traces. On trouve des graffitis un peu partout dans Tokyo, mais je ne connais pas d’autres endroits comme celui-là.

un brin de rose sur le béton

Je ne pensais pas repasser à Azabu-Jūban aussi rapidement depuis mon passage en courant la semaine précédente, mais Zoa passant une audition dans le coin nous ramène dans ces rues. Cela me donne l’occasion de reprendre certains bâtiments et rues avec l’appareil photo reflex plutôt que l’iPhone. Nous y allons en marchant en traversant Hiroo, notamment en passant devant l’ambassade d’Allemagne. Le mur extérieur de béton de l’ambassade est partiellement recouvert d’une fresque commémorative du mur de Berlin. Ce mur construit pendant la guerre froide entre les deux Allemagnes était debout pendant 10316 jours soit 28 ans et cela fait justement 28 ans cette année qu’il est tombé. Un artiste allemand Justus Becker et un artiste japonais Imaone ont travaillé ensemble sur cette longue fresque. En parlant d’Imaone, je prends souvent en photo une de ses fresques tout à la verticale cachée derrière un building à Kichijoji. J’aime beaucoup la dynamique du trait et les couleurs employées sur ses fresques. En remontant un peu plus la rue en longeant le parc Arisugawa en direction de Sendaizaka, on passe également devant l’immense et très particulière propriété du groupe de chaines d’hôtels APA. On dit que c’est la résidence de sa présidente. Je me demande quel peut bien être l’architecte de cette résidence si particulière.

Au croisement de Shin-ichinohashi tout près de la station de Azabu-Jūban, l’étrange building de 14 étages Joule-A par l’architecte Edward Suzuki se dresse tout en courbe. D’extérieur, il se présente comme une structure squelettique recouverte d’une toile métallique partielle, qui ressemble à des nuages. A chaque fois que je passe devant cet étrange immeuble, une scène du film Tokyo Eyes de Jean-Pierre Limosin me revient en tête, celle où K (Shinji Takeda) et Hinano (Hinano Yoshikawa) décident de tenter leur chance pour entrer dans une boîte de nuit sélect de Azabu. A l’intérieur, on y passe un morceau électronique de Takkyu Ishino, une version re-mixée de I Thought 3, But Were 4 In Fact, sur l’album Dove Loves Dub dont je parlais dans le billet précédent. J’ai re-regardé ce film il y a quelques jours car je me souvenais qu’il se déroulait en grande partie près de Shimo-Kitazawa, et je voulais voir si je reconnaissais quelques lieux. Le film étant sorti en 1998 en France, je pense que je l’ai vu pour la première fois au cinéma en France avant de partir pour le Japon. Je le regarde assez régulièrement car j’aime son ambiance, celle des rues de Kitazawa que K parcourt en naviguant comme une brise avec sa mini caméra video.

Au détour d’une rue, je retrouve l’immeuble LAPIS des architectes Iida Archiship Studio, mais sous un autre angle, alors qu’un brin de rose traverse devant le béton brut. Un peu plus loin dans la rue, un autre building un peu plus récent est recouvert d’un mur végétal. On voit de plus en plus ce type de mur recouvert de végétation dans Tokyo, concept inventé par Patrick Blanc. Le cas de l’immeuble ci-dessus semble tout de même être une version très simplifiée du mur végétal.

En fin de journée, nous bifurquons vers Roppongi Hills, pour aller voir l’exposition de l’argentin Leandro Erlich au Mori Art Museum. On s’est dit qu’il devait y avoir un côté ludique à cette exposition qui plairait à Zoa, et c’était bien le cas. Nous avions manqué à Kanazawa la fameuse installation de la piscine car elle était en rénovation pendant notre passage l’année dernière, donc on se rattrape avec cette exposition. La piscine n’était pas montrée, mais il y avait un grand nombre d’installations jouant de manière similaire sur notre perception. Les jeux de miroirs viennent perturber notre réalité et nos repères. D’un point de vue conceptuel et même ludique, cette expression est très intéressante. Le problème est qu’il y avait foule le dimanche après midi, et attendre une demi-heure pour voir une installation à l’intérieur même de l’exposition, c’était vraiment trop. Une des créations majeures de cette exposition était celle du building, où avec un jeu de miroir, on se donne l’impression de se retenir pour ne pas tomber de la façade du building. Malheureusement, avec la foule agglutinée et remuante comme sur un terrain de jeu, l’effet était vraiment estompé. Il aurait fallu prendre un jour de congé et venir en semaine pour apprécier l’exposition au calme. Les installations montrées sont également la plupart du temps intéressantes du point de vue de la technique utilisée pour modifier la perception du réel, mais au final, ce que l’on voit dans l’oeuvre, c’est une réalité que l’on connait bien. De ce fait, ça m’a laissé un peu froid. Par exemple, on doit attendre une dizaine de minutes en file d’attente pour regarder une installation se présentant comme une porte, faisant l’épaisseur d’une porte normale, posée au milieu de la pièce. Lorsqu’on regarde à travers l’œillère de la porte, on aperçoit un couloir vide. On imagine un ingénieux jeu de caméra avec video installée à l’intérieur de la porte, pour nous donner l’impression que l’on voit ce couloir. La technique est impressionnante, mais au final, ce que l’on voit c’est un couloir vide, tout ce qui a de plus quelconque et banal. D’autres objets sont à mon avis plus poétiques, comme la représentation d’un pays par des superpositions de plaques de verre donnant une impression de nuages et de contours flous. L’effet fonctionne très bien pour des pays à la forme très distinctive comme le Japon et la France. En fait, je préfère les installations qui n’ont pas besoin de la présence du visiteur pour fonctionner comme oeuvre d’art.

dans la spirale de Minami Aoyama

Comme je le montrais il y a quelques mois, je passe régulièrement faire un tour à la galerie Spiral à Minami Aoyama. On y montre très souvent des choses intéressantes et plutôt de la jeune génération étudiante en arts. Récemment, on pouvait y voir une série de collages photographiques par Erika Kusumi クスミエリカ, dont celui ci-dessus reprenant des éléments du building métaboliste Nakagin de Kisho Kurokawa. La page de l’artiste montre quelques autres de ses créations digitales, notamment des mélanges hétéroclites similaires à celui ci-dessus, incluant beaucoup d’architecture pour créer des petites villes ou espaces de vie chaotiques. Je reconnais dans ces compositions des bâtiments que j’ai moi-même déjà pris en photo, comme Shinjuku Park Tower de Kenzo Tange, la tour du Park Hyatt où se passe la majorité de l’action du film Lost in Translation de Sofia Coppola. La petite exposition incluant les créations de Erika Kusumi s’appelait Utopia & Chaos et montrait le travail de trois autres artiste dont Ayako Kuno, dont je montrais une des créations dans un billet précédent.

La programmation de ce que l’on montre dans les salles ouvertes du Spiral change très souvent. J’ai l’impression que les oeuvres exposées changent toutes les semaines. Plaquées sur les murs, j’aperçois ces deux grandes peintures que je ne peux m’empêcher de prendre en photo. Apparemment, on ne pouvait pas prendre de photos dans certaines parties de la galerie, ce qui est très rare pour cette galerie, car en général les photographies sont autorisées au Spiral. Il n’y avait pas non plus de signes indiquant que les photographies n’étaient pas autorisées. La jeune fille surveillant la salle, peut être une étudiante volontaire, faisait à mon avis un peu de zèle. L’une des deux peintures en couleurs vertes me fait penser à un paysage marin de végétation où les algues dans divers tons de vert se mélangent et forment des tresses comme une chevelure humaine. L’autre montre un personnage féminin torturé à mi-chemin entre une figure humaine et un robot cybernétique. Ce personnage me dit quelque chose, comme si je l’avais déjà aperçu dans un manga. Il me rappelle vaguement un mélange de personnage cyborg dans le manga cyber punk Black Magic M-66 de Masamune Shirow, pour la cybernétique, et le personnage de l’amie de Tetsuo, Kaori, dans Akira de Katsuhiro Ōtomo, pour la détresse du visage et surtout la chevelure. De fil en aiguille, me revient en tête la superbe vidéo de Kōji Morimoto (un des animateurs sur Akira) pour le morceau Extra de l’artiste électronique Ken Ishii. Ce morceau de 1995 est percutant tant pour la musique que pour les images animées très proche de l’esprit de Akira. Du coup, j’écoute beaucoup ces derniers temps l’album Jelly Tones dans lequel se trouve ce morceau Extra. Extra est le morceau phare de cet album mais l’ensemble se tient bien et garde cet esprit percutant (Stretch) en se mélangeant avec une atmosphère sombre (Moved by Air) de ville la nuit éclairée par des néons diffusant une lumière floue. C’est l’image qui me vient en tête. Par association, je réécoute l’album électronique Dove Loves Dub de Takkyu Ishino. Je précise « par association » car l’album de Takkyu Ishino est sorti la même année, en 1995, et utilise comme graphisme de sa pochette une illustration de Katsuhiro Ōtomo, qu’on pourrait croire sorti de Akira. En fait, j’avais cet album dans ma discothèque depuis des années mais sans l’avoir vraiment écouté avec attention comme il se doit. Je ne le découvre en quelque sorte que maintenant. L’album est plus axé techno que celui de Ken Ishii, mais j’aime les écouter à la suite. Il y a un brin d’humour dans les morceaux de Dove Loves Dub, comme Tko Tone qui reprend en sample des voix de rues criant les mots « 800 Yens » en référence au tarif horaire d’un service de téléphonie rose appelé telekura qui devait être actif à l’époque. D’autres morceaux, comme GTR, tracent une musique techno répétitive et efficace comme des bolides sportifs. Dans le nom GTR, je vois d’ailleurs une référence à la Skyline de Nissan. Je connais en fait assez peu la musique électronique japonaise, je vais creuser un peu plus le sujet en cherchant dans ces ambiances futuro-chaotiques et neo-tokyoïtes.

Au même moment dans la galerie Spiral de Minami Aoyama, se déroulait également l’exposition de design textile de la Tama Art University: Tama Art University Textile Design Exhibition 2018. A vrai dire, je n’ai strictement aucune référence ou connaissance du monde de la monde et du design vestimentaire, mais l’aspect avant-garde de certaines des créations m’a beaucoup intéressé. On voit parfois dans Shibuya ou à Harajuku une jeunesse qui n’a pas peur de l’excentrique et va assez loin dans l’avant-gardisme vestimentaire. Le site Tokyo Fashion que je regarde de temps en temps d’un oeil distrait montre parfois des spécimens intéressants d’une extrême originalité. La limite entre le cool et le n’importe-quoi semble pourtant très floue, mais toujours est il que c’est une bonne chose que cet anti-conformisme non-agressif trouve sa place dans certaines rues de Tokyo.

長崎98

J’ai mis pour la première fois les pieds au Japon en 1998. C’était dans le Kyūshū à Fukuoka, pour ensuite passer un mois en Juillet dans une famille japonaise à Nagasaki, dans le cadre d’un séjour linguistique pour étudiants en japonais. A cette époque, j’étais étudiant en cycle d’ingénieur à Angers. Deux années avant ce voyage initiatique au Japon, je m’étais décidé à commencer l’apprentissage du japonais, en cours du soir dans l’université de langues juste à côté de mon école. Nous étions environ une trentaine dans la classe, principalement des filles et deux garçons dont moi. Si mes souvenirs sont bons, les cours avaient lieu deux fois par semaine et je ne les manquais absolument jamais. Je n’ai pas de raisons toutes faites qui expliqueraient clairement cet intérêt pour le Japon et sa culture, mais une chose est sûre, il n’était pas soudain et s’est construit petit à petit au fur et à mesure des années, depuis l’enfance.

J’ai été certes nourri d’animation japonaise à la télévision depuis mon enfance, comme beaucoup ou peut être même la totalité des enfants de mon âge. Les jeux vidéo que je découvrais un peu plus tard étaient aussi une porte d’entrée vers la découverte du Japon. Je dévorais à cette époque les magazines de jeux vidéo, en gardant un souvenir assez marqué des quelques rares reportages qui se déroulaient au Japon (pour exemple, le Joystick 011 de Décembre 1990 sur « L’empire des jeux » de la page 106 à 115). Quand le spécialiste de jeux vidéo de l’époque se rendait à Tokyo pour nous faire découvrir les nouveautés, on découvrait aussi un peu du contexte de vie dans ce pays et ces petites bribes d’information, par ici et par là, ont nourri mon imaginaire et certainement contribué à amorcer ma fascination pour ce pays. Ensuite fut l’arrivée des manga en France, avec le choc Akira au cinéma en France en 1991. J’avais 15 ans et je découvrais un style que je n’avais jamais vu auparavant, quelque chose de complètement nouveau. Glénat commença à publier le manga de Akira et d’autres chefs d’oeuvre du cyber punk par Masamune Shirow, comme Appleseed ou Ghost in the Shell. Je continuais un peu plus la découverte du monde du manga grâce à la revue bi-mensuelle Tsunami de la désormais mythique maison d’édition et librairie Tonkam. Je lisais beaucoup de manga aux débuts du manga en France et je les garde encore précieusement, que ça soit les séries Gumm Battle Angel Alita de Yukito Kishiro, Vidéo Girl Ai de Masakazu Katsura, Orion de Masamune Shirow …, les Art books de CLAMP comme RG Veda Hiten Muma et Tokyo Babylon Photographs ou celui de Masamune Shirow intitulé Intron Depot 1 … ou encore les OAV (original Animation Video) des Chroniques de la Guerre de Lodoss par Ryo Mizuno ou Iria Zeiram par Masakazu Katsura… En arrière-plan de ce monde d’images dessinées et animées, on me parle d’un pays et de ses habitants, parfois « futurisé » et très loin de la réalité, mais que je finis par idéaliser. A cette époque, je découvre aussi la culture de ce pays à travers quelques albums de musique pop japonaise, mais très peu. Il y avait ce disque projet Franco-japonais appelé Ici Tokyo qui regroupait sur un même album des styles très différents, mais qui au final ne m’avait pas trop accroché, à part les morceaux Flower Crown d’un groupe appelé Goddess in the Morning et le très beau morceau électronique intitulé Angkor Wat de Haruomi Hosono (auparavant membre du YMO). Au final, cet album qui se voulait indépendant était assez différent de la musique que l’on peut entendre dans les médias au Japon et était au final assez peu représentatif et un peu anecdotique. Je pense que ça devait sans doute être impossible pour un petit label français d’attirer sur ce disque des grands noms en vogue à l’époque. Je ne sais plus où j’ai pu me le procurer, mais j’ai aussi pas mal écouté une des bandes originales accompagnant la série Tokyo Babylon de CLAMP. L’album Tokyo Babylon Image Soundtrack 2 est une compilation de divers groupes pop, dont The Boom, REBECCA, ou Chara (et sa voix insupportable). Là encore, je n’ai pas le souvenir d’avoir beaucoup apprécié le disque, mais il me semblait beaucoup plus proche de ce que l’on peut entendre au Japon, du moins c’était l’impression que j’avais à l’époque et ça me motivait à l’écouter plus en avant. Je garde encore ce disque précieusement dans ma discothèque personnelle, ne serait ce que pour quelques morceaux que j’aime écouter très régulièrement encore maintenant, comme Moon de REBECCA レベッカ, Blue Desert de ZELDA ゼルダ (nom du groupe n’ayant rien à voir à priori avec le jeu) et surtout Solid Gold de Masahiro Takashima 髙嶋 政宏. Les arrangements de ces morceaux sont bien sûr datés années 90, mais les écouter me rappelle cette période de fin d’adolescence où je rêvais de Japon. C’est un sentiment assez étrange en fait, car écouter ces morceaux de musique pop japonaise maintenant me donne la nostalgie de cette époque où depuis la France, je pensais au Japon sous le prisme de l’information limitée que j’avais à l’époque. C’est pendant mon premier voyage au Japon, il y a 20 ans, en Juillet 1998, que je découvrais des musiques plus en accord avec mes goûts musicaux. Ceci donne en quelque sorte un contexte culturel à mon apprentissage du japonais. C’est bien entendu loin d’être le seul et l’unique contexte, mais c’est celui que je voulais en particulier aborder dans ce billet, car c’est ce contexte passé qui réveille en moi une petite lumière, alors que j’écris ces quelques lignes.

Je retrouve hier soir dans mes affaires ces trois vieilles photos argentiques prises en 1998 dans le centre de Nagasaki, dans l’université où nous apprenions le japonais pendant un mois et dans les montagnes volcaniques de Unzen pour un voyage de groupe. Chaque élève de la classe de japonais d’Angers était placé dans une famille d’accueil à Nagasaki pour la durée du séjour. J’étais accueilli par une famille vivant sur les hauteurs de Nagasaki, dans le quartier de Mikawa. Tous les jours je prenais le bus avec la fille de la famille, qui devait avoir à peu près le même âge que moi. Nous partions pour l’université de langues de la ville, où elle étudiait également. Je me souviens de l’ambience tranquille de cette grande ville à la campagne, dont le bord de mer a des airs de Méditerranée. Nous passions les week-ends avec nos familles d’accueil respectives et on se racontait ensuite nos aventures ou mésaventures le lundi matin entre français, quand les cours de la semaine redémarraient. Bien que nous ayons tous appris le japonais pendant environ deux ans, la communication n’était pas très aisée avec la famille. Je n’avais pas trop ressenti cette difficulté étonnamment, car la mère de la famille où j’étais parlait souvent pour deux ou quatre personnes. Comme pour compenser, le père de la famille était lui toujours silencieux, assis dans son fauteuil du salon à regarder la télévision. Après le repas, je me souviens que je m’assoyais à côté de lui pour regarder des émissions comiques, assez faciles à comprendre car jouant principalement sur le comique de situation, que ça soit les émissions de Beat Takeshi (Kitano) ou Akashiya Sanma. Je me souviens aussi du bruit de la rivière passant tout près de la maison en bois de la famille. J’occupais la chambre du fils, à l’étage, car il vivait à Osaka pour ses études de médecine. Je découvrais le bain brulant le soir, dans une toute petite baignoire où on ne peut pas allonger les pieds. Un soir, il y avait cette fête de Tanabata sur la terrasse bétonnée du jardin, dehors dans la chaleur de l’été. Un professeur de français de l’université de langues et quelques élèves étaient venus le soir pour l’occasion, histoire d’illuminer les lieux de mini feux d’artifice que l’on portait à bout de bras. C’était également à ce moment là que la France devenait championne de football. Je me souviens avoir regarder la finale pendant la nuit, dans le salon de la maison, en faisant aucun bruit pour ne réveiller personne. On nous parlait ensuite de Zidane très régulièrement dans les couloirs de l’université. Après un mois à vivre à Nagasaki, revenir vivre en France m’a demandé une certaine adaptation, et l’idée d’y retourner s’était grandement précisée. Ça ne sera cependant plus dans le Kyūshū, mais à Tokyo l’année suivante, en 1999, à l’aube du nouveau millénaire et avant que le fameux bug de l’an 2000 ne fasse des siennes.

Le texte en forme de compte-rendu que j’avais écrit à mon retour de Nagasaki se trouve ici. L’envie d’écrire ce billet me vient également en lisant le billet de Daniel intitulé La Maison sur son blog. En lisant son billet, le bruit de la rivière près de la Maison de Nagasaki m’était revenu en tête.