swirl in the white evening sun

Je ne m’étais pas promené dans le quartier de Meguro depuis quelques temps et l’occasion s’est présentée un samedi dans la soirée. Les journées se faisant plus longues, j’ai le temps d’aller prendre des photographies dans les rues de Meguro avant que le soleil ne se couche. Il faut que je marche dans un quartier que je n’ai pas encore exploré. Je me dirige vers la rue Komazawa que je connais très bien en voiture, mais pas à pieds. Je marche presque trois heures, ce qui fera un total de plus de 17,000 pas dans la journée. D’une manière générale, j’essaie de marcher plus de 10,000 pas par jour.

Comme toujours dans les quartiers résidentiels de Tokyo, il n’y presque personne dans les rues. Ce quasi-vide des rues me donne toujours une impression étrange vu la densité des habitations dans ces zones résidentielles, même lorsque l’on s’éloigne des stations de trains. Il faisait un peu plus de 30 degrés ce soir là et on transpirait facilement dès qu’on marchait quelques mètres seulement. On se croirait déjà en plein été, mais la météo est extrêmement changeante, et la saison des pluies va commencer très bientôt. Je passe volontairement cette série de photographies en noir et blanc pour tenter d’absorber la chaleur des rues, et parce que le noir et blanc va si bien aux fleurs ajisai qui apparaissent un peu partout dans Tokyo, et notamment sur cette rue Komazawa.

Image extraite de la video du morceau Pristine de Snail Mail. A voir également, une autre vidéo intitulée Heat Wave sur le même album Lush.

La musique de l’album Lush de Snail Mail que j’écoute en marchant me rend mélancolique. Je pense que comme beaucoup je la découvre à travers l’excellente revue critique que lui accorde Pitchfork. Snail Mail est le nom du groupe de Lindsey Jordan. Elle a seulement 18 ans. Cet album sorti il y a quelques jours est vraiment superbe, émotionnellement très fort. On ne se lasse pas d’écouter les dix morceaux de rock indé du disque, qui ne sont pas spécialement rénovateurs du genre, mais le renouvellent avec une grande fraîcheur qui fait beaucoup de bien à écouter encore et encore. En fait, la musique de Snail Mail n’est pas très éloignée du rock indépendant qui se pratiquait au début des années 1990, ce qui donne à cet album un côté un peu familier, et nostalgique pour moi. La série en noir et blanc de rues vides m’est en quelque sorte inspirée de cette musique. Comme vous l’aurez certainement remarqué, je fais beaucoup de rapprochement entre photographie et musique ces derniers temps, car la musique alternative qu’elle soit rock ou électronique a toujours été un des moteurs de mon inspiration.

street holograms

Je pousse un peu plus loin le parasitage voire la destruction d’images dans les rues de Shibuya, mais cette fois-ci en utilisant la couleur. Des faisceaux de lumière viennent se superposer aux mouvements insaisissables des passants. J’appellerais ces formes fantomatiques urbaines des Street Holograms, des hologrammes urbains qui m’apparaissent sous l’inspiration de l’EP 15 de OYASUMI HOLOGRAM que j’écoute en ce moment.

Image extraite de la video du morceau ニューロマンサー (Neuromancer) de OYASUMI HOLOGRAM おやすみホログラム disponible sur Youtube et extrait de la couverture du EP 15.

En me perdant dans les méandres de YouTube et de Bandcamp, je découvre OYASUMI HOLOGRAM おやすみホログラム (parfois raccourci en OYSM) avec le morceau Neuromancer「ニューロマンサー」qui m’attire par son rythme électronique et sa basse lourde. Les images du clip vidéo nous montrent les deux protagonistes du groupe August 八月ちゃん et Kanamil カナミル en tenues d’idoles japonaises mais comme placées par erreur sur un terrain de construction ou plutôt dans le décor industriel d’une raffinerie. Ce décalage me laisse penser qu’il y a quelque chose d’intéressant à découvrir dans le monde musical alternatif de OYSM. Je découvre ensuite le EP 15 sur la page Bandcamp du groupe où l’on peut écouter une version complètement différente et même meilleure de ce morceau Neuromancer, en version rock saturée de guitares. En regardant la première photo du dessus, on n’a pas forcément l’image d’un groupe rock alternatif. On est saisi par l’énergie et l’urgence de ce morceau, que l’on retrouve sur le reste du EP. En cherchant un peu plus sur YouTube, je vois qu’elles ont investi les rues de Shibuya au mois de Mai dernier pour un Guerilla Live, improvisé dans Center Gai. On voit de temps en temps des groupes jouer près du croisement de Shibuya au niveau des escaliers descendant à la galerie marchande d’un autre âge, mais je n’avais jamais vu un groupe se déplacer dans les rues du centre, micros en mains reliés à des enceintes portées par un petit groupe de fans. En fait, les deux chanteuses du groupe sont entourées de musiciens et elles semblent se rapprocher du style des idoles alternatives. OYSM ne fait pas partie d’une grosse agence, mais plutôt d’un petit label appelé goodnight! Records. Le groupe créé en 2014 était à l’origine composé de 5 membres, mais s’est assez vite réduit aux deux membres actuels. A vrai dire, je ne sais pas dans quelle mesure le groupe est fabriqué de toute pièce ou pas, mais ça n’a tout compte fait pas beaucoup d’importance. Comme dans beaucoup de morceaux à tendance alternative que j’écoute en ce moment, j’aime beaucoup le décalage de cette musique, les voix un peu imparfaites qui jouent avec une musique de guitares parfaitement exécutée. Il y a une imperfection qui rend ces morceaux très attachants, en plus de la personnalité décalée et légèrement transgressive des deux chanteuses. J’aurais aimé voir ce Guerilla Live à Shibuya.

Moriyama House (2)

Ma première et unique visite de Moriyama House par l’architecte Ryue Nishizawa remonte à il y a plus de 10 ans. Je me décide d’y retourner pour voir comment elle a évolué avec le temps. Je suis en fait assez peu surpris de constater qu’elle n’a pas pris une ride. Les blocs blancs restent immaculés, non affectés par les années passées. Vu que l’architecture de cette maison individuelle perdue dans les quartiers de Kamata a une renommée certaine, cela ne semble pas très étonnant que les propriétaires aient eu cœur à maintenir cet objet architectural emblématique en bonne condition. Les amateurs et photographes d’architecture doivent être assez nombreux à venir autour de Moriyama House, car un petit panneau écrit à la main indiquait dans un anglais un peu confus les endroits où l’on pouvait circuler et prendre des photos. Ce panneau n’était bien entendu pas là il y a dix ans. La structure éclatée en dix blocs blancs de tailles variées est toujours entourée de végétation, de quelques arbustes et des pots de fleurs. La densité de cette végétation n’a pas non plus bougée depuis toutes ces années. La plupart des pièces de l’ensemble ont leurs ouvertures fermées de rideaux, à part une pièce à l’étage laissant deviner un escalier qui mène sur le toit du bloc. En revoyant mon ancien billet de 2007, je me rends compte que les photographies étaient en noir et blanc. J’apporte finalement la couleur sur la série ci-dessus. Voir ces blocs d’une blancheur impeccable me rappelle ceux, plus massifs, du musée d’art contemporain 21st Century Museum of Contemporary Art Kanazawa, par SANAA, que l’on avait été voir l’année dernière. Ces formes simples et nettes sont définitivement fascinantes.

a sea in front of us

Deux océans imaginaires s’étendent devant moi. Je vois des ressemblances ou du moins une association dans ces deux photographies prises dans les quartiers autour de Kamata. Elles m’évoquent toutes les deux une vue maritime, que ça soit l’océan de graviers ratissés devant le temple Chisanhafukutayamarenge ou le bleu clair océanique d’un grand immeuble de verre. La perspective et les lignes fuyant à l’identique jouent certainement à établir ce rapprochement visuel.

Photographie extraite de la video du morceau (die staadt) Norm de ゆだち Yudachi disponible sur Youtube.

Le morceau (die staadt) Norm de Yudachi ゆだち m’évoque également une image océanique, lorsque le soleil vient nous éblouir et brouille notre vision, quand les contours et l’horizon de l’océan deviennent flou. Il s’agit d’un morceau de dream pop à la beauté saisissante. Les guitares comme des halos de lumière viennent se diluer dans l’atmosphere, la voix douce de la chanteuse de Yudachi vient nous envoûter progressivement, en regardant les mouvements de danse de Natsuki Mineoka au bord de la rivière dans la vidéo du morceau. Je repasse le morceau plusieurs fois de suite, jusqu’à m’endormir sur le sofa de l’hôtel.

Tree-ness House

Les visiteurs réguliers de Made in Tokyo auront certainement remarqué que je montre beaucoup d’architecture ces derniers temps. Je profite en fait de plusieurs heures disponibles le dimanche après-midi de ces derniers week-ends pour partir sur les traces d’architecture que je voulais prendre en photo depuis quelques temps. Zoa passant plusieurs heures les week-ends pour s’exercer pour son spectacle de danse prochain avec ses acolytes de Ebidan Kids Tokyo, mon emploi du temps du week-end se libérait donc à ces moments, dans la mesure où Mari n’avait pas d’intention particulière de sortir.

Dans la foulée de la découverte de Tokyo Apartment de Sou Fujimoto, je pars à la recherche d’une autre architecture originale aux formes compliquées, Tree-ness House de Akihisa Hirata, que je savais se trouver dans les environs de Ikebukuro. J’avais bien sûr fait des recherches sur les sites internet d’architecture, notamment en regardant la série de superbes photographies de cet immeuble par Vincent Hecht sur Designboom. Sachant que Tree-ness House se trouve à Otsuka, une photographie d’ensemble m’a permis d’identifier son emplacement exact en scrutant les immeubles à l’horizon. Comme l’immeuble ne fut terminé que récemment, il n’apparait pas encore sur Google Map.

Il faut prendre le train depuis Ikebukuro jusqu’à Otsuka et ensuite marcher une quinzaine de minutes. Le soleil commence à faiblir et je suis obligé de forcer le pas pour trouver ce building avant qu’il ne fasse trop sombre. Tree-ness House apparaît après un détour de rue. C’est un ensemble de béton principalement résidentiel mais qui prévoit également un espace commercial au rez-de-chaussée. En haut de longs murs de béton faisant penser au tronc d’un arbre, se dégagent les ouvertures ornées de point de verdure comme les feuilles de cet arbre. Les ouvertures ont une forme complexe. Leurs emplacements ne laissent que difficilement comprendre l’organisation intérieure de la maison, qui se caractérise par des espaces ambigus entre intérieur et extérieur. Les plis aux ouvertures sont étranges et intéressants. Ils sont placées en fonction du contexte de la rue, en hauteur à un niveau au dessus des maisons et immeubles alentours. L’entrée du building ressemble à une fissure dans le bloc massif de béton des premiers étages, comme les fissures naturelles que l’on peut voir parfois dans le tronc des vieux arbres. L’image de l’arbre en architecture est décidément un point commun de mes découvertes architecturales récentes, après la série de maisons et résidence par Sou Fujimoto. Je ne cache pas que j’aime cette interaction entre nature et architecture, surtout quand c’est du béton comme pour Tadao Ando qui construit d’ailleurs ses œuvres architecturales en fonction du contexte naturel. Il y a quelques années, d’une manière beaucoup plus imagée et je l’espère poétique, j’aimais construire des mélanges entre les ensembles urbains et le végétal, dans ma série de compositions graphiques Urbano-végétal (qui se trouve en lien en entête de Made in Tokyo).