nothing escaped

Le titre de ce billet reflète l’impression que j’éprouve parfois en retournant dans des lieux où je ne vais pas souvent. L’envie, ou plutôt le besoin, de tout saisir en photos me prend soudainement, avec l’espoir de réussir une photographie que je n’avais pas réussi auparavant. Je ne saurais en fait pas définir très clairement ce qu’est une photographie réussie. Mes photographies ne montrent la plupart du temps pas de lieux spectaculaires mais plutôt des espaces du quotidien. Bien sûr, l’architecture y est parfois impressionnante et lorsqu’elle est bien cadrée, contribue grandement à faire d’une photographie qu’elle soit réussie. Mais les photographies de rues sont réussies, à mon appréciation, quand elle montre un élément intriguant, une forme artistique, des lumières, des formes ou des alignements qui attirent le regard. Je dois montrer sur Made in Tokyo environ 10% de ce que je prends en photo dans une journée. Bien sûr, sur la totalité des photographies que je prends dans la journée, certaines se répètent sous des angles ou des cadrages légèrement différents, mais j’ai plutôt tendance ces derniers temps à ne pas prendre plusieurs prises d’une même photographie. La majorité des photographies que je prends resteront donc à jamais sur le disque dur de l’ordinateur, sans connaître d’exposition ultérieure. Parfois, elles servent quand même de matière source pour de futures compositions graphiques. Quand je me pose la question ultérieurement de ce qui manquait à une photographie pour qu’elle soit montrable sur mon blog, je n’ai pas de raison logique mais je pense juste qu’il manquait à la photographie un « élément fort ». Sur les photographies ci-dessus prises dans les rues du quartier de Azabu Jūban lors d’une belle promenade en famille, le bloc vert surgissant en apesanteur du bâtiment de l’Ambassade de Corée du Sud des architectes Chang-Jo, sous la lumière légèrement forcée de la fin de journée, est un élément fort. Le bloc électrique qui semble exagérer sa complexité sans logique évidente est un élément fort. L’autoroute suspendue intra-muros à deux étages défigurant le paysage urbain en forçant son passage au dessus des rivières n’est pas exempt d’une certaine violence, et c’est un élément fort qui me pousse à vouloir montrer cette photographie. Les surfaces et les lignes futuristes du Sumitomo Fudōsan Azabu Jūban Building, les arêtes aiguës et nettes découpant l’espace au couteau, sont également un élément fort visuellement. Tous ces éléments m’intéressent et me poussent à choisir ces photographies plutôt que d’autres, mais ces choix personnels ne résonnent certainement qu’à l’intérieur de moi-même sans peut être trouver un écho chez le visiteur, qui recherche principalement à retrouver dans les photographies montrées ici des lieux déjà vus ou parcourus, certainement avec une dose de nostalgie. Je me pose la question de savoir si les éléments forts qui me poussent à les montrer sur ce blog sont visibles, sans explications, par les visiteurs. Je me pose la question car en feuilletant nombres de livres ou sites photographies, il y en a très peu qui m’interpellent. Les éléments forts me sont peut-être invisibles ou ils sont peut être tout simplement inexistants. D’ailleurs, il y a t’il vraiment des éléments forts sur chacune des photographies des albums de Daido Moriyama ?

Je ne résiste pas à l’envie de montrer ici quelques œuvres de l’artiste japonais Kawanabe Kyōsai (1831-1889), que nous avons vu récemment au Suntory Museum of Art de Tokyo Midtown lors de l’exposition Kawanabe Kyōsai: Nothing Escaped His Brush. C’était d’ailleurs la première fois que je visitais une exposition dans ce musée dont l’espace en lamelles de bois est conçu par l’architecte Kengo Kuma. Kawanabe Kyōsai a commencé son apprentissage avec l’artiste Utagawa Kuniyoshi, dont nous avons vu plusieurs Ukiyo-e lors d’une exposition qui lui était consacrée il y a quelques années. L’oeuvre de Kawanabe Kyōsai est dans cette lignée. Il passe ensuite sa formation d’artiste dans l’ecole traditionnelle Kanō, mais s’en écarte pour plus de liberté. Il se consacre aux caricatures et critique ouvertement le pouvoir en place, ce qui lui vaut quelques déboires. Son œuvre dessinée est pleine d’humour et de fantaisie. On y voit souvent des animaux dansants, mais également des œuvres plus inquiétantes comme des représentations d’esprits et de fantômes, des squelettes. J’aime beaucoup sa manière de représenter les tigres dont les yeux ronds sont plein de malice. Les singes également sont magnifiques, notamment le singe blanc représenté dans l’image ci-dessus qui semble bien dans l’embarras accroché à des lianes sous une chute d’eau. Son équilibre paraît précaire et on s’attend à une chute imminente. Il dessinera aussi un grand nombre d’images à la minutie impressionnante qui seront regroupées dans des livrets destinés à des commandes particulières. On les voit bien entendu seulement ouverts à une double page protégés par une cloche de verre, mais on rêverait d’avoir ces livrets en mains pour les feuilleter. Un grand nombre des œuvres de Kawanabe Kyōsai sont possédées par des collectionneurs étrangers. C’est également le cas d’autres peintres japonais comme Itō Jakuchū, illustre ainé de Kawanabe Kyōsai, car le Japon a tardé à reconnaître ces artistes. Ce n’est pas rare encore maintenant que des artistes japonais innovants ou bouleversant les règles peinent à être reconnus dans leur pays d’origine et doivent passer par l’étranger pour forcer la reconnaissance. L’exposition se termine bientôt, le 31 mars.

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