春休み#7〜Miho no Matsubara

En dernière étape de nos petites vacances, nous nous arrêtons à Miho no Matsubara (三保の松原), un long bosquet de pins au bord de l’océan sur la péninsule de Miho, située dans l’arrondissement de Shimizu de la ville de Shizuoka. Miho no Matsubara, pour la vue panoramique qu’il donne du Mont Fuji, est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Hiroshige en a représenté une estampe ukiyo-e. Malheureusement, le ciel était très couvert au moment de notre passage et le Mont Fuji restait caché au loin. Nous avons espéré que le ciel se dégage soudainement mais notre attente fut vaine. Il n’empêche que la beauté des lieux valait le détour, notamment pour les pins centenaires aux formes biscornues, comme sculptées par les vents marins. On accède à la longue plage de pins par un chemin de 500 mètres bordé lui-même de pins et appelé Kami no Michi, la route de Dieu.

Miho no Matsubara est aussi connu pour la légende de Hagomoro qui raconte l’histoire d’un ange vêtu d’un manteau de plumes appelé hagomoro, survolant la plage de la péninsule de Miho. Éblouie par le blanc des sables de la plage, l’être céleste se dévêtit du hagomoro et l’accroche à un pin avant de se baigner. Un pêcheur découvre ce manteau de plumes et ne le rendra à l’ange qu’à la condition qu’elle exécute une danse céleste pour lui, ce qu’elle fera avant de rejoindre le ciel sous les yeux admiratifs du pêcheur. Le blanc du sable sur la plage de Miho a depuis longtemps disparu mais la légende continue d’être célébrée tous les ans en octobre le temps d’un festival racontant cette histoire sous la forme d’un théâtre nō près du fameux pin où était accroché le hagomoro. C’est avec cette histoire en tête que nous reprenons la route du retour, un peu déçu de ne pas avoir aperçu le Mont Fuji sur cette plage.

春休み#6〜Le château de Kakegawa

Sur le chemin du retour depuis Hamanako, nous nous arrêtons quelques heures dans la petite ville de Kakegawa pour aller voir son château. Nous n’avions pas forcément l’intention initiale d’aller voir autant de châteaux pendant ces courtes vacances, mais l’occasion s’est présentée sur le moment. La ville de Kakegawa est calme, extrêmement calme, on se demande même un instant si des gens y vivent. La ville a en fait une population d’environ 114,000 personnes, mais assez peu de personnes dans les rues à part quelques touristes et assez peu de commerces ouverts autour du château. C’est loin d’être désagréable. On peut stationner la voiture dans un parking couvert en forme de château et ensuite marcher jusqu’à l’enceinte. Le premier château de Kakegawa fut construit de 1469 à 1487 par Asahina Yasuhiro, un vassal du clan Imagawa dominant la région. Comme c’était le cas pour le château de Hamamatsu, il passera ensuite sous les mains de Tokugawa Ieyasu en 1568 suite à la défaite du clan Imagawa. Après la bataille de Odawara en 1590, il changera ensuite de mains par des jeux de pouvoir entre les seigneurs de guerre Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu. Le seigneur Yamauchi Kazutoyo, vassal de Toyotomi Hideyoshi, prendra le contrôle du domaine de Kakegawa et reconstruira le château dans sa totalité. Les murs actuels datent de cette période, mais la tour principale subit des dommages sévères plus tard en décembre 1854 lors du tremblement de terre Ansei Tōkai de magnitude 8.4. Plusieurs structures furent reconstruites les années suivantes, sauf la tour du donjon qui sera reconstruite beaucoup plus récemment en 1994. Au pied du château, se trouve la demeure du Daimyō Ni-no-Maru Goten construite après le tremblement de terre de 1854 par le seigneur Ōta Sukekatsu. Tout comme le château, on peut visiter cette grande demeure. Il y avait une exposition de calligraphie dans une des premières salles de la demeure. Nous faisons en général toutes nos visites ensemble, groupé en famille, mais je ne sais plus pour quelle raison, j’avais commencé la visite de Ni-no-Maru Goten en avance. Alors que je regardais les calligraphies de kanji anciens, je suis pris à parti par l’organisateur de cette petite exposition, apparemment content que des étrangers s’intéressent à ces calligraphies. Alors qu’il me demande ma nationalité, il s’exclame sur le fait que des français étaient également venus la journée d’avant. Je l’entends dire en souriant que son exposition est populaire auprès des français, ce qui semble le ravir. Je me prête ensuite au jeu de la signature du livre d’or et de la photographie devant les kanji alors que Mari et Zoa arrivaient enfin dans la demeure. Ça faisait longtemps que je n’avais pas été pris à parti en tant qu’étranger.

春休み#5〜Hamanako

Après notre passage dans la ville de Hamamatsu, nous parcourons les alentours du lac Hamanako. Le lac Hamanako est un lagon d’eau saumâtre, c’est à dire une eau dont la teneur en sel est sensiblement inférieure à celle de l’eau de mer. Le lac Hamanako est le 10ème plus grand lac du Japon avec une superficie de 65km2. C’était autrefois un lac d’eau douce mais le grand tremblement de terre du Nankai en 1498 a modifié sa topologie et a connecté le lac avec l’océan par un canal. Le mélange avec l’eau de mer donne cette eau saumâtre actuelle. C’est un environnement propice à l’élevage des anguilles et il s’agit donc d’une spécialité des environs. Il y a tellement de restaurants d’anguille « unagi » qu’on avait l’embarras du choix. Nous aimons tous beaucoup l’unagi. La préparation japonaise est excellente. Ceci étant dit, ça ne viendrait pas à l’idée d’en manger en France par exemple.

Un des incontournables lieux touristiques du lac est le téléphérique Kanzanji qui permet d’avoir une très belle vue sur l’ensemble du lac. On se rend mieux compte de l’immensité des lieux. Une fois que le soleil commence à se coucher, nous redescendons du téléphérique pour faire un tour du côté du temple Kanzanji. Nous n’y entrerons pas car il est déjà 17h passé. On découvre un endroit charmant au bord du lac, un petit pont arrondi depuis lequel on peut admirer le couché de soleil. Un peu plus tôt dans la journée, nous avions visité les grottes Ryugashi-Do. La longueur des grottes fait 1000m mais 400m seulement sont ouverts au public, ce qui est déjà une bonne promenade. Elles se trouvent sur le Mont Ryugashi, petite montagne haute de 359m. Une partie de ces grottes était connue de la population locale depuis l’ère Taisho (1912-1926). Les enfants y venaient pour essayer d’apercevoir des chauves-souris. La totalité de la grotte fut découverte beaucoup plus tard en 1981. L’intérieur est d’une température douce, à 18 degrés. L’endroit est extrêmement dense en stalactites avec une cascade sortant de l’intérieur des roches à mi-parcours. Le parcours vaut le déplacement même si l’endroit est très touristique. En fait, il n’y avait pas grand monde, ce qui est agréable. Les alentours de la grotte sont assez kitsch avec un faux dragon faisant du bruit quand on l’approche et des vendeurs de babioles qui n’ont rien à voir avec les lieux. J’ai l’impression que l’endroit n’a pas évolué depuis plus de 20 ans. Il suffit de voir la page internet du site de la grotte, sentant bon le Web 1.0 (avec compteur de visiteurs et gifs animés), pour se rendre compte du charme désuet des lieux.

Le lendemain matin, déjà sur le chemin du retour, nous passons vers l’entreprise fabricant les petits gâteaux feuilletés Unagipai. Ce gâteau est extrêmement populaire au Japon et même en Asie. Il doit y avoir certains extraits d’anguilles dans le feuilleté. Ceci étant dit, ça n’a pas goût d’anguille bien heureusement. On peut visiter l’intérieur de la fabrique en pleine action. Le magasin à la fin du parcours est pris d’assaut par les touristes. Nous ferons également le plein d’omiyage.

春休み#4〜Le château de Hamamatsu

Nous arrivons à notre hôtel sur le grand lac Hamanako en pleine nuit. On ne le constatera que plus tard, mais la forme de ce lac est assez compliquée, composée de quelques îlots reliés par des morceaux de terre dont on ne sait s’il s’agit de morceaux rapportés ou de ponts. L’hôtel est placé sur un des îlots à proximité d’un grand parcours de golf. La journée était bien remplie après le voyage en voiture et les visites de Gotemba et de Fujinomiya un peu plus tôt. Je m’écrase assez vite comme une torpille sur le tatami, légèrement amorti par le futon. Et me réveille le lendemain matin à 6h, comme tous les jours de l’année sans exception. Mon horloge interne est extrêmement précise et inaltérable (presque).

Nous passerons la journée à Hamamatsu, notamment pour visiter le château. Il ne s’agit pas d’une construction très ancienne car il a été reconstruit en 1958, comme beaucoup de châteaux de ce type au Japon. La construction originale datait de 1532 et se nommait Château de Hikuma sous la régence du clan Imagawa. Le territoire de Hamamatsu passe sous la main de Ieyasu Tokugawa 徳川家康 (1543 – 1616) après la chute du clan Imagawa en 1568. Ieyasu Tokugawa, plus tard shogun de la période Edo, y passera 17 années à partir de l’an 1570. Le château sera grandement étendu à cette période, mais détruit beaucoup plus tard pendant la restauration Meiji de la deuxième partie du 19ème siècle. Le terrain sera transformé en parc et un nouveau donjon de trois étages fait de béton sera construit en 1958 au dessus du mur d’origine en pierre mis en place par Tokugawa. Ce mur de pierres est intéressant car il semble fragile d’apparence mais a pourtant traversé les années. Comme souvent à l’intérieur des châteaux japonais, on y trouve un musée avec divers objets historiques ou plus touristiques. C’est souvent un mélange hétéroclite d’objets montrés au visiteurs. On est intéressé par une grande carte du Japon avec des photos et emplacements des principaux châteaux du Japon. On y vend même un petit livret avec une liste des principaux châteaux japonais. On énumère ceux que l’on a déjà visité et se disant qu’on devrait essayé de tous les visiter un jour.

Je me souviens du château de Matsumoto que j’avais visité il y a 19 ans le 12 février 2000. Les deux photographies ci-dessus sont prises avec un petit appareil APS dont j’ai perdu la trace, mais qui m’accompagnait pendant mes premières années au Japon. C’est un château élégant entouré de douves et contrairement au château de Hamamatsu, le château de Matsumoto est historique, c’est à dire qu’il a conservé sa structure depuis sa construction en 1594. Nous l’avions vu sous la neige. C’était une étape de notre voyage vers Takayama et le village de Shirakawa-go classé au patrimoine mondial de Unesco. Le château de Matsumoto est surnommé « le Corbeau » en raison de sa couleur noire. Il est de toute beauté et j’aimerais le revoir un jour.

Pour revenir vers Hamamatsu, après la visite du château, nous sommes ensuite repartis aux alentours du lac Hamanako à la recherche d’un sanctuaire perdu s’appellant Hachisaki. Avant de partir, Mari avait lu que ce petit sanctuaire au bord d’une forêt est désigné comme un « power spot », c’est à dire que l’endroit dégage une force particulière. C’est bien entendu difficile à confirmer une fois sur place, mais je suis personnellement très curieux de découvrir ce genre de lieux car on y découvre parfois des choses particulières. La valeur de ce sanctuaire est historique car il s’agit de l’endroit où avait été déposé le seul document portant la signature de Ii Naotora 井伊 直虎 (date de naissance inconnue – 1582).

Ii Naotora est la fille unique du chef de clan Ii Naomori, vassal du clan Imagawa, pendant la période de Sengoku. A la mort de son père, elle devient daimyō, seigneur de domaine, et seigneur de guerre combattant aux côtés du clan Tokugawa. C’est une situation particulièrement rare pour une femme à cette époque. Le document portant la signature stylisée de Ii Naotora (en image ci-dessus à droite) est désormais conservé au musée de la ville de Hamamatsu. A cette époque, ce type de signature stylisée, appelée Kaō, n’était utilisée que par les hommes d’un certain statut. Ce document a une importance historique particulière, d’autant plus que l’histoire a été portée à l’écran dans un drama de la NHK intitulé Onna Jōshu Naotora (おんな城主 直虎), que l’on peut traduire par « Naotora, la femme seigneur de guerre ». Comme beaucoup de séries télévisées historiques de la NHK, ce drama mené par l’actrice Kō Shibasaki dans le rôle de Ii Naotora était très populaire. Je ne l’ai pas regardé à l’époque mais je le souviens très bien de l’affiche ci-dessus d’où se dégage une grande force, je trouve. Cette affiche m’avait d’une certaine manière marqué. Quand au sanctuaire de Hachisaki, il ne paît pas de mine et il est même assez abîmé par les années. Derrière le sanctuaire, un cerisier en fleur domine la colline. Nous étions au mois de mars et la pleine floraison n’avait pas encore commencé. Devant le sanctuaire, le terrain couvert de mousses et de racines effleurant à la surface semblent être à l’identique depuis la nuit des temps. Je ne sais pourquoi mais regarder le sol devant ce sanctuaire m’amène des centaines d’années en arrière. Si je levais les yeux à ce moment précis, j’apercevrais peut être la femme daimyō le temps d’un instant d’égarement. Je garderais cependant mon regard vers ces racines aux formes compliquées encore quelques instants.

春休み#3〜Fujinomiya 2ème partie

À Fujinomiya, si le temps le permet, on peut cadrer une photographie du Mont Fuji à travers une gigantesque porte torii rouge. Je ne résiste bien entendu pas à l’envie de prendre cette photographie, somme toute évidente mais qui fait son effet tout de même. En plus de se trouver à l’entrée du Mt. Fuji World Heritage Centre de Shigeru Ban, le grand torii rouge démarque également l’entrée du sanctuaire Fujisan Hongu Sengen Taisha.

Depuis les temps anciens, le Mont Fuji fait l’objet d’un culte au Japon, notamment en raison de ses éruptions, il y a de très nombreuses années. Au 8ème et 9ème siècle, les croyances des villageois installés au pied du Mont Fuji disaient que ces éruptions répétées étaient la manifestation de la colère de la divinité du feu, Asama no Okami. On dit que le culte du Mont Fuji et la création de plusieurs sanctuaires, dont le Fujisan Hongu Sengen Taisha, datent de cette époque à partir des années 800, alors que de nombreuses éruptions avaient lieu. Les sanctuaires ont été construits au pied de la montagne et tout autour dans une tentative de pacifier la montagne sacrée, le principal sanctuaire étant le Fujisan Hongu Sengen Taisha. La dernière éruption du Mont Fuji date du 16 Décembre 1707. On l’appelle l’éruption Hōei, car elle a eu lieu pendant cette ère. Elle faisait suite à un grand tremblement de terre de niveau 8.7 sur l’échelle de Richter quelques semaines auparavant le 11 Novembre 1707. Le tremblement de terre faisant subir une pression sur la poche de magma située dans les profondeurs du Mont Fuji, l’a alors réveillé alors qu’il était inactif. Le Mont Fuji est actuellement dans un état actif, bien qu’il n’ait pas présenté d’éruptions depuis plus de 300 ans. On sait que le tremblement de terre du Tōhoku en Mars 2011 a pareillement augmenté la pression du magma sans heureusement produire de réaction volcanique.

J’ai en tête tout cela alors que je regarde cette montagne sacrée à la fois superbe et effrayante. C’est un paradoxe tout japonais. On se sent comme réconforté et protégé quand on aperçoit le Mont Fuji. On le guette dans le paysage pour essayer de le détecter derrière les nuages et on s’exclame à l’unisson lorsqu’on l’aperçoit soudainement. En même temps, cette montagne volcanique sous pression est capable de ravages à peine imaginable, si elle partait en éruption. Les prédictions disent que la propagation des cendres issues d’une éventuelle éruption pourrait atteindre Tokyo et recouvrir la ville de 2 à 10 cm de cendres. C’est certainement cette dualité qui pousse à l’admiration, ajoutée au fait que cette montagne, étant détachée et isolée de toute les autres, apparaît comme symbolique. Elle a la taille gigantesque d’un monstre qui effraie mais qu’on ne peut s’empêcher de voir.

Le sanctuaire Fujisan Hongu Sengen Taisha donne un excellent point de vue sur le Mont Fuji. On l’approche en longeant une rivière. C’est un endroit charmant, d’autant plus qu’il y a peu de monde. Il a peu de touristes, ce qui m’étonne un peu, mais c’est une bonne chose. Je reste un peu traumatisé par la visite du Tōdai-ji à Nara, il y a exactement un an de cela. A l’intérieur de l’enceinte du sanctuaire, le rouge vif du bâtiment principal en face de nous rivalise d’intérêt avec le cerisier en fleurs juste à côté. Les photographies des quelques visiteurs se tournent plutôt vers le cerisier, même s’il n’est pas encore en pleine floraison. Alors que la journée du sanctuaire se termine bientôt à 16h, je saisis ces instants paisibles en photographies par peur de ne plus m’en souvenir dans quelques années. En regardant les photographies maintenant, je me remémore la sensation des lieux.

Après avoir jeté un dernier regard sur le cône inversé posé sur l’eau du Mt. Fuji World Heritage Centre, il nous faudra vite reprendre la route pour rejoindre notre destination finale de la journée avant la nuit noire.