du songe à la lumière (4)

“Dis-moi au fait, ça va mieux?” demande soudainement Aki. Kei se trouve d’abord prise au dépourvu par la question de sa collègue mais reprend vite ses esprits.
“Oui, ça va beaucoup mieux. J’avais très froid et de la fièvre. Je suis resté couchée tout le week-end, mais ça va beaucoup mieux maintenant.” lui répond Kei d’un air qu’elle croit convainquant. Elle n’aime pas beaucoup mentir et elle est d’ailleurs assez maladroite dans ses mensonges. Elle donne toujours trop d’informations qui finissent par la trahir. En poussant un peu le questionnement, on aurait vite fait de voir clair dans son jeu. De toute manière, Aki pose cette question machinalement sans y éprouver un intérêt particulier, et il n’y a aucune raison qu’elle ait eu vent de cette excursion soudaine à Hakone.

Mais elle continue tout de même d’un air soucieux. « Ce n’était pas la grippe, j’espère? »
« Non, juste un gros rhume tout au plus. »
« Tu récupères très vite en tout cas, c’est beau la jeunesse. »
Kei est maintenant persuadée qu’Aki a des doutes sur sa situation du week-end, mais la conversation se termine brutalement au son de la sonnerie du téléphone. Aki est la voisine de bureau de Kei depuis son arrivée dans l’entreprise l’année dernière. Elle n’en est pas sûre mais on dit que ça fait trente ans qu’elle travaille ici. Elle connaît tous les rouages du service, son histoire, les conflits étouffés entre certains employés, même si elle, elle s’en tient toujours à l’écart. Elle semble toujours être d’une humeur homogène, ou du moins elle maitrise parfaitement les manières de dissimuler ses soucis et ses états d’âme. Aki a pris Kei sous son aile dès son arrivée dans le service. Elle lui a tout appris dans les moindres détails, petit à petit. Kei n’éprouve pas de passion pour ce métier mais elle ne vient pas non plus au bureau avec des pincements au cœur. Elle suit en quelque sorte les traces de son père qui travaille également dans le service d’administration clients d’une grande entreprise régionale d’assurance à Nagoya. C’était la voie par défaut qu’elle a choisi, ne pouvant se décider sur autre chose.

Interrompue par sa collègue, Kei a perdu le fil de ses calculs sur son tableur Excel. Dès qu’elle quitte l’ordinateur des yeux, il lui faut toujours quelques minutes pour se replonger dans ces chiffres qu’il faut additionner, multiplier, soustraire, combiner, réconcilier, le tout en se concentrant suffisamment pour s’extraire des bruits alentours. Alors qu’elle repère des yeux le point où elle peut reprendre son travail, une notification de message vient de nouveau l’interrompre. Elle décide d’abord de l’ignorer mais cette notification qui clignote sans interruption en bas de son écran, devient très vite insupportable. Elle abdique. Un léger sourire, presque indescriptible, se dessine sur son visage. C’est un message de Tani.

Tani, c’est Yoshiyuki Taniguchi. Il travaille au 10ème étage de la tour, dans une toute autre division du groupe. Il a seulement quelques années de plus que Kei. Ils avaient sympathisé quelques mois après l’arrivée de Kei, au restaurant de l’entreprise devant la dernière tartelette au chocolat qu’il restait au coin dessert. Le sourire poli mais généreux de Taniguchi l’avait tout de suite rendu sympathique. Ils se sont rencontrés plusieurs fois au restaurant de l’entreprise. Tani était attentif aux horaires de Kei et organisait ses pauses déjeuner en même temps qu’elle, sans lui dire. Au bout de quelques semaines de rencontres opportunes, Kei commença à comprendre qu’il ne s’agissait pas seulement d’un heureux hazard qui se répétait. Il y a une semaine, Tani lui proposa d’aller au cinéma après les heures de bureau. C’est assez inhabituel pour Kei d’aller au cinéma un lundi. Comme inquiet que Kei lui fasse faux bond, il avait préféré la recontacter au milieu de la matinée en lui envoyant ce message qui l’interrompt de nouveau dans son travail. Tani lui avait donné le nom du film qu’ils allaient voir, mais elle ne le connaissait pas. Elle ne se se rappelle plus du titre. Elle se souvient seulement qu’il s’agit d’un film indépendant d’anticipation où, pour des raisons écologiques, on éteint toutes les lumières et les machines dans les villes une fois par semaine. Pendant ce qu’on appelle le ‘jour de la nuit’, la loi interdit strictement toute utilisation d’appareils électriques et électroniques. Kei s’était demandée pourquoi le cinéma s’obstine toujours à inventer des futurs apocalyptiques. Même si elle a quelques doutes sur l’intérêt de ce film, la perspective de passer une soirée avec Tani la réjouit.

Kei n’éprouve pas vraiment d’attirance physique pour Tani, mais son regard aux yeux rieurs l’apaise et la place dans un sentiment de comfort inexplicable. Ce sentiment est rare pour Kei. Elle se sent un peu plus légère et les journées semblent plus fluides et remplies d’une lumière diffuse qu’elle serait la seule à ressentir. Elle avait essayé d’expliquer ce sentiment à Hikari et son ami Masa, le soir au restaurant de Hakone, mais elle n’avait pas réussi à se faire comprendre. On lui avait conseillé de faire le premier pas, mais il s’avère que le contraire s’est produit. Elle n’avait pas mentionné cette rencontre aujourd’hui lors de la soirée à Hakone. Peut être par peur qu’on la pousse à aller plus vite qu’elle ne le désire.

La fin de journée arrive très vite sauf les dernières minutes qui sont interminables. Elle ne sort pas du bureau en même temps que Tani pour ne pas éveiller de soupçons inutiles. Ils se sont donnés rendez-vous à Shibuya, près du cinéma à l’étage du magasin Diesel. Après être descendu de l’immeuble de Nishi Shinjuku, elle se cale dans les rangées d’employés de bureau rentrant chez eux. Il faut choisir une file et suivre le rythme dans le couloir couvert qui amène à la gare de Shinjuku. Elle évite toujours du regard l’oeil de Shinjuku placé à l’entrée du couloir près de la gare. Cette statue de verre en forme d’oeil gigantesque observe la foule qui marche inlassablement. Elle se sent observée comme si on épiait ses moindres gestes. Cet inconfort la pousse parfois à accélérer le pas et à effleurer les épaules des gens dans la foule en les dépassant.

Quand elle rentre dans le wagon du train, elle ne s’assoit jamais mais se cale plutôt contre la structure de tubes métalliques près des portes automatiques. L’homme à côté d’elle, assis sur la banquette, lit assidûment un vieux manga qui a l’air d’avoir été retrouvé dans un grenier sombre, perdu sous une pile de livres. L’homme assis en face de lui est assoupi mais se réveille soudainement à chaque arrêt. Il ouvre grand ses yeux globuleux avec insistance pour déchiffrer sur l’écriteau digital le nom de la station où le train arrive. On a l’impression qu’on lui a dérobé ses lunettes tellement il se concentre intensément sur les écritures. Kei le regarde regarder les écritures digitales alors il tourne le regard pour la regarder. Elle détourne elle-même le regard pour regarder la fille d’à côté. Elle pianote sur son téléphone portable à toute vitesse, fait de longues pauses immobiles en regardant son écran. Elle semble hypnotisée par la lumière qui s’en diffuse. Mais elle reprend soudainement ses mouvements rapides sans quitter son écran de l’oeil. Kei n’arrive pas à écrire vite sur son smartphone. Elle aime pourtant y écrire ses pensées comme sur un journal intime. La plupart de ses textes sont d’ailleurs insignifiants et elle ne les relit jamais, mais elle aime ce moment de dialogue avec elle-même. Elle prend son temps, lève la tête entre deux phrases et regarde autour d’elle. Parfois, ses doigts ne vont pas aussi vite que sa pensée, ce qui crée une frustration qui la pousse à vouloir écrire plus vite sans prendre la peine de vérifier si les phrases qui ont résultent ont un sens. Les corrections automatiques de mots peuvent parfois jouer des tours. Elle se dit qu’il ne suffira bientôt plus que d’écrire quelques mots pour que la suite du paragraphe s’écrive automatiquement, au fur et à mesure que la machine apprendra les habitudes d’écriture et les sujets de prédilection de son auteur. Cette pensée devient tout d’un coup effrayante et elle éteint son portable pour le glisser dans sa veste de cuir noir. Elle lève les yeux en regardant dans le vide, pour finalement apercevoir à quelques mètres d’elle, un homme assis la tête penchée sur son portable. Il se trouve derrière un groupe de quatre hommes en costumes discutant à voix hautes d’un ton enjoué et elle distingue un peu plus ce visage qui lui est familier au gré des mouvements du groupe d’hommes balancés par les virages de la voix ferrée. Elle reconnaît la forme de ce visage et cette chevelure blonde. C’est l’homme de la pénombre à Hakone, le crieur de Shinjuku. Dans son effroi, Kei fait un mouvement en arrière, le dos plaqué contre le cadre tubulaire de la banquette, et détourne le regard. Certainement surpris par son mouvement brusque en arrière, l’homme aux yeux globuleux lèvent maintenant les yeux vers elle. La fille au téléphone portable interrompt son pianotage pour la dévisager à son tour. Kei se sent prise au piège. Le vibreur de son téléphone portable se déclenche ensuite dans sa veste de cuir. Il vibre très brièvement. Kei ferme les yeux pour essayer de s’abstraire de cette situation, mais pense à cet homme qui la suit sans cesse. Peut être est ce lui qui lui envoie un message sur son portable. Elle n’ose pas regarder et ferme les yeux plus fort encore. La station de Yoyogi est passée. Il ne reste qu’Harajuku et ensuite Shibuya où elle va descendre. Elle prie pour que l’homme à la chevelure blonde disparaisse.

« Shibuya, Shibuya … » Kei ouvre les yeux et l’homme n’est déjà plus là. Il est peut être descendu à la station d’Harajuku pendant qu’elle s’était plongée volontairement dans le noir complet pour effacer ces images qui la hantent. La foule se bouscule à la descente du wagon et elle se laisse emporter dans le flot des passagers jusqu’aux portes de sortie. La foule se disperse, la laissant soudainement seule au milieu du hall de la station. Il faut qu’elle reprenne ses esprits et qu’elle dépasse ses peurs. Elle sort son iPod de son petit sac, un vieux modèle aux couleurs dorées, et commence à marcher droit devant elle. Dans les couloirs de la station, une jeune femme s’arrête brusquement devant une affiche de spectacle et lui bloque involontairement le passage. Elle porte un petit sac en tissu avec une blanche neige dessinée la tête à l’envers. Au dessus, on peut lire les inscriptions “Stay Weird” écrites en gros caractères. Au moment précis où elle aperçoit ce texte, les notes de guitares de métal industriel allemand du morceau Rammstein démarre dans ses écouteurs, l’effraie un peu mais agissent également comme l’électrochoc dont elle avait besoin pour reprendre pied dans ce monde. Kei a vu Lost Highway il y a plusieurs années en DVD avec son amie de lycée Namie. Elles sont toutes les deux passionnées de cinéma, notamment celui de Lynch, où l’association de la musique avec les images jouent énormément sur l’impact émotionnel déroutant qu’il provoque. Kei écoute de temps la bande originale du film lorsqu’elle rentre du bureau le soir, quand elle ressent l’envie d’entendre la voix de Bowie sur le morceau « I’m Deranged » ouvrant le film sur une route dans la nuit. Mais ce soir, elle ne rentre pas chez elle. Enfin pas tout de suite, car elle a rendez-vous avec Tani.

Ce texte est la suite du précédent billet publié ici.

du songe à la lumière (3)

Le bruit strident du téléphone déchire la pénombre. Kei déteste ce téléphone qui ne lui annonce que des mauvaises nouvelles. Se cachant la tête sous le futon, elle décide d’ignorer cette intrusion matinale. Elle sort péniblement une main du futon pour rechercher son petit réveil posé à même le tatami. Il est presque 6h. Qui peut bien appeler à une heure si matinale. Ça ne peut être qu’Hikari. Après tout, ce ne serait pas la première fois qu’elle appelle à des heures impossibles, parfois pour de simples futilités.

Hikari lui annonce d’un air pressé et enjoué qu’elle part pour trois jours et deux nuits en voyage à Hakone, avec son ami Masa. Deux chambres dans un grand hôtel d’Hakone se sont libérés car les parents et l’oncle d’Hikari ne peuvent plus s’y rendre soudainement. Un décès lointain dans la famille survenu pendant la nuit, semble t’il. Les yeux mi-ouverts, Kei a du mal à suivre le débit accéléré des paroles d’Hikari. Elle lui propose de les accompagner pour ce voyage. Elle occuperait une des deux chambres. « Ça te ferait beaucoup de bien de changer d’air » insiste Hikari. Kei hésite quelques instants à accepter cette invitation inattendue. Elle n’aime en général pas beaucoup l’inattendu, mais l’offre est tentante. Nous sommes Vendredi, il faudra qu’elle trouve une excuse pour ne pas se rendre à son travail dans les tours de Shinjuku. C’est décidé, elle sera malade aujourd’hui, un rhume qui l’empêchera de se lever, clouée au lit, presqu’à l’article de la mort. N’exagérons rien, une petite voix tremblante suffira à faire illusion. Elle appèlera avant 8h30 sa collègue la plus matinale pour lui annoncer cette désertion non volontaire.

Kei retrouve Hikari et Masa un peu avant 9h devant la sortie Sud de la grande gare de Shinjuku. Elle avait insisté pour qu’ils se retrouvent devant la gare, car elle se perd seule à l’intérieur, dans les labyrinthes de couloirs et d’escalators. La gare de Shinjuku est un monde à part et elle a décidé depuis longtemps de ne pas chercher à le connaître. Devant la gare, la foule d’anonymes en costumes noirs se précipitent en lignes à travers les portiques automatiques. Ils marchent vite et sans se bousculer, le regard à la fois vide et déterminé. En attendant Hikari, Kei noie son regard dans ce flot continu et organisé. Elle en fait partie en temps normal. Comme eux, elle marche à pas rapide dans les couloirs du métro, ajuste sa cadence jusqu’à la course pour traverser les passages pour piétons à temps. Mais, en cette matinée froide du mois de février, Hikari lui offre une échappée.

Ils prennent le train Romance Car jusqu’à la station thermale Hakone Yumoto. Un bus les emmène ensuite jusqu’à l’hôtel au bord du lac Ashi. En chemin, elle redécouvre le paysage montagneux de Hakone, qu’elle avait vu pour la première fois lorsqu’elle avait dix ans. C’était un voyage avec ses parents lors des vacances de printemps, juste avant de rentrer en cinquième année d’école primaire. Ses souvenirs sont éparses, c’était il y a 13 ans, mais se reconstruisent immédiatement dès qu’elle aperçoit une des façades de l’ancien hôtel Fujiya. L’intérieur boisé et chaleureux, la multitude de décorations et les sculptures à tête de dragon qui lui faisaient un peu peur lui reviennent en tête. Elle se souvient d’un déjeuner dans une des salles de l’hôtel et du service interminable qui la faisait souffrir en silence. Elle ne peut esquiver une petite grimace qui ressemble à un sourire. Hikari remarque du coin de l’œil cette esquisse de sourire mais n’interrompt pas Kei dans ses pensées. Elle reprend plutôt sa discussion enjouée avec Masa. Le bus traverse la bourgade de Miyanoshita pour rentrer à nouveau dans la forêt de montagne sur une route des plus sinueuses.

Hikari a fait la connaissance de Masa dès son arrivée à Tokyo. Ils travaillaient dans le même service de comptabilité d’une grande compagnie d’import/export. Masa quitta cette compagnie trois mois après l’arrivée d’Hikari, mais c’était lui qui était en charge de guider Hikari dans l’entreprise dès son arrivée comme nouvelle diplômée. Ils avaient lié connaissance et une grande complicité s’était vite installée. Les fou-rire occasionnels suscitaient l’agacement des voisins de bureau, qui n’admettaient pas qu’on puisse s’amuser en travaillant. Après le départ de Masa, ils avaient gardé contact et continuaient à se voir certains soirs après les heures de bureau, souvent le Vendredi soir. Ils se retrouvaient dans un des nombreux izakaya de Shinjuku, aux bords de Kabukicho, pour évoquer ensemble les anciens collègues, rigoler des nouvelles manies de certains et des attitudes autoritaires des petits chefs du service. Le brouhaha des salary men enivrés ne les dérangeaient pas. D’ailleurs, s’il existait un concours des discussions les plus bruyantes, ils l’auraient tous les deux remporté haut la main. Kei ne savait pas très bien quelle relation exacte il y avait entre Hikari et Masa. « C’est un bon ami, rien de plus » rappelait Hikari, lorsque les questions de Kei à ce sujet devenaient trop insistantes. Kei appréciait leur compagnie car elle n’avait pas besoin d’entretenir la discussion. Elle appréciait tout simplement les entendre discuter et débattre, et n’intervenait que de temps en temps lorsqu’elle était prise à partie par Hikari.

Le bus descend des montagnes vers le creux du lac Ashi. Le ciel s’est couvert soudainement et on annonce même de la neige en fin de journée. L’hôtel est proche. Il est planté au bord du lac à l’écart du reste des habitations. On l’approche par une route étroite bordée de mousse et d’arbres centenaires. C’est une atmosphère sereine qui les accueille et qui a pour effet immédiat de calmer le rythme effréné des discussions d’Hikari et de Masa. Une aura se dégage de ces lieux, Kei le ressent. Elle peut sentir ces choses là. Dès leur entrée dans le hall, Ils sont saisis par la richesse de l’hôtel. Masa n’a pas l’habitude de ce genre d’endroits et fait commentaire sur commentaire, sur les détails de la décoration, sur la couleur dorée du plafond d’où se diffuse une lumière jaune, sur la disposition méthodique d’objets d’art dans la grande allée du hall. Toutes ces choses, assez communes dans un hôtel de renom comme celui-ci, l’émerveillent instantanément. Hikari est beaucoup plus habituée de ce genre d’établissements pour les avoir fréquenté avec ses parents dès la petite enfance. Elle reste même un peu blasée par cet excès démonstratif. Kei, quant à elle, regarde ailleurs. L’aura de cet hôtel l’intrigue. Le hall tout en longueur lui semble familier, comme si elle l’avait déjà vu dans un rêve, mais elle n’arrive pas à s’en souvenir précisément.

On les conduit lentement dans les allées et les escaliers de l’hôtel vers le deuxième étage d’un bâtiment tout en rondeur, d’une architecture en cylindre encerclant une petite forêt de bambous. L’intérieur des chambres est d’un classicisme convenu. A travers les baies vitrées aux formes également arrondies, on aperçoit le lac. Il est tout proche derrière quelques arbres parsemés. Rien ne bouge à l’extérieur. Le paysage est figé comme sur une photographie panoramique. Kei s’imprègne de ces lieux. Elle regarde longuement la forêt et ses nuances de couleurs brunes. Ces yeux reviennent vers le bord du lac près de l’hôtel. Elle suit du regard un petit chemin de terre reliant une des portes de l’hôtel vers un pont d’accrochage pour petits bateaux. Il se dégage une mélancolie dans ce paysage qu’elle observe attentivement, mais cette mélancolie s’efface soudainement sous les rires d’Hikari, installée avec Masa dans la pièce d’à côté. Les deux chambres sont communicantes par une double porte qu’ils fermeront la nuit venue. Kei aimerait retrouver ce silence paisible, reprendre cet instant de mélancolie qui l’avait gagné, mais Hikari l’en empêche. « Profitons des dernières heures avant le couché du soleil pour visiter les environs. Pourquoi pas le Mont Komagatake juste à côté. »

Le Mont Komagatake est une montagne coiffée d’un sanctuaire, relié par un téléphérique faisant deux trajets par heure. Le paysage depuis les hauteurs de la montagne est presqu’irréel. On distingue à peine l’océan au loin, caché derrière des nappes de nuages épais. Une neige fine commence à tomber et le froid devient saisissant. Depuis le belvédère, Kei, Hikari et Masa allongent les bras pour attraper la neige dont les flocons grossissent de minutes en minutes. Le blanc immaculé envahit maintenant le paysage. Le soleil au loin perce d’une pointe de lumière, seule chaleur perceptible. Kei se sent attirer par cette chaleur, elle aimerait pouvoir sauter dans le vide et voler pour s’en approcher et ressentir cette lumière lui réchauffer les doigts. Elle imagine cette sensation de toutes ses forces. Cette lumière lui réchauffe le cœur et elle entend bien se saisir de chacun des rayons de ce soleil, jusqu’à ce qu’il disparaisse derrière les montagnes à l’horizon.

Lorsqu’ils regagnent l’hôtel, il fait déjà nuit, mais la pleine lune agit comme un soleil. Ils prennent leur dîner dans un des restaurants de l’hôtel, un italien qui semblait bon marché et à la porté de jeunes gens. Kei se montrait tout particulièrement bavarde ce soir là, à la grande surprise d’Hikari. L’énergie solaire agit sur elle comme un déclencheur, au point qu’elle se dévoile beaucoup plus qu’à l’habitude pendant cette soirée. Elle évoque un secret qu’elle gardait enfoui depuis de nombreux mois. Son secret, c’est un amour caché mais qui reste platonique. Kei ne fera pas les premiers pas malgré les encouragements et les conseils innombrables qui feront le sujet principal des discussions de ce dîner. Kei termine cette journée le cœur léger. Ils rentrent dans leurs chambres en se souhaitant une bonne nuit. Kei n’a pourtant pas sommeil. Elle s’assoie au bord du lit et observe encore une fois le lac, cette fois-ci éclairé par la lumière de la lune. Il est presque minuit et la neige s’est maintenant calmée laissant place à un filet blanc sur la pelouse du parc et sur les feuilles des arbres. Il n’y a aucun bruit dans la chambre ni à l’extérieur. On aurait dit que le temps fut figé. Une barque approche pourtant lentement jusqu’au ponton près de l’hôtel. Kei ne distingue pas très bien la scène, mais les mouvements de cette barque l’intriguent. Elle semblait d’abord continuer son chemin sur le lac mais opère un virage pour accoster. Une personne se lève, une silhouette de grande taille. Elle descend de la barque et emprunte maintenant l’allée de terre entre les arbres. Elle se dirige vers l’hôtel mais s’arrête pourtant brutalement à mi chemin dans la pénombre. Seul son visage est éclairé d’un faisceau de lumière. Kei regarde attentivement cette silhouette désormais immobile et ce visage. Elle est comme aimantée, hypnotisée. Les traits du visage se font désormais plus clairs. Une mèche de cheveux blonds vient briller à la lumière de la lune. Elle reconnaît dans un instant d’effroi l’homme du parc, le crieur de Shinjuku. Elle étouffe un cri. Elle ne peut s’empêcher de regarder cet homme, ce visage familier qui devient de plus en plus distinct. L’homme du parc tourne son regard vers Kei. Il ne peut pourtant pas la voir car elle se trouve à l’intérieur de sa chambre sans lumières. Mais il semble pourtant la fixer du regard avec insistance. De toutes ses forces, jusqu’à déformer son visage, il crie des mots d’un son inaudible: « Echappes-toi ». Kei n’entend pas cette voix qui crie, mais comprend ce message.

Dans la pénombre de la chambre, Kei lui répond par un murmure: « Non. Pas ce soir. Pas cette nuit. ». D’un geste brusque, elle ferme le rideau de la chambre et reste assise immobile le regard fixe pendant quelques minutes. Ce soir, Hikari est à côté et la protège. Ce soir, la lumière l’emporte sur les songes. Elle n’a rien à craindre. Elle laisse échapper un soupir et un petit sourire à peine visible. Elle se jette à la renverse sur le lit et s’endort immédiatement, en toute sérénité.

Ce texte est la suite du précédent billet publié ici.

du songe à la lumière (2)

Kei se réveille en sursaut le lendemain matin. Hikari est restée jusqu’à environ 1h du matin pour repartir ensuite chez elle à pieds. L’alarme du réveil s’est déclenchée à 6h, comme tous les matins de la semaine. Elle oublie parfois de l’éteindre le samedi, mais elle ne s’accorde de toute façon que quelques heures de sommeil par nuit. En ouvrant d’une main approximative la fenêtre donnant sur le jardin public, un rayon de soleil traverse la pièce et dessine une ligne franche qui semble indélébile sur le tatami de la pièce unique de l’appartement. Le vent est frais pour un matin d’Octobre. C’est un appel vers le parc, il lui démange déjà d’aller y courir. Après avoir compter jusqu’à dix dans la chaleur du futon, elle se lève brusquement et enchaîne les mouvements systématiques pour se préparer rapidement, car l’appartement mal isolé est glacial tôt le matin. Il semble d’ailleurs faire bien meilleur à l’extérieur. Elle achètera un petit pain et un café en boîte pour le petit déjeuner au convenience store à quelques mètres d’ici. Avant de sortir de l’appartement, elle s’arrête devant le miroir de l’entrée comme elle le fait quelques fois. Elle se regarde pendant plusieurs minutes, observant attentivement chaque courbe et arête de son visage. Elle recherche en elle le visage de sa mère. Quand elle était petite, on lui disait parfois qu’elle ressemblait à sa mère, comme une copie miniature. Elles sont pourtant bien différentes, mais Kei s’obstine à rechercher en elle sur ce miroir de l’entrée un souvenir, une sensation qui se dégagerait soudainement. À la lumière du soleil d’automne, ses cheveux aux mèches blondes semblent beaucoup plus clairs et lumineux. Quand Hikari vient chez elle le soir, ce sentiment d’éclaircie soudaine la gagne à chaque fois, comme un rayon de soleil puissant transperçant de lourds nuages.

Kei ferme la porte d‘entrée après avoir saisi son petit porte monnaie et descend l’escalier extérieur. La rue est vide et silencieuse, déserte. Le convenience store à quelques pas d’ici est le seul signe manifeste de vie dans le quartier. Un jeune étudiant, les yeux entrouverts, assure le service matinal. L’entrée du parc Inokashira est toute proche. Il sera rempli à raz-bord dans la journée, mais à cette heure-ci tôt le matin, il n’y a personne. C’est presqu’inhabituel d’ailleurs qu’il n’y ait pas un chat, ou un promeneur de chien dans les allées du parc. Après quelques étirements rapides, Kei commence sa course. C’est un moment privilégié du week-end, en dehors du temps et de toutes obligations. Elle écoute souvent de la musique en courant dans les allées, mais elle décide aujourd’hui d’écouter les sons du parc, le vent s’engouffrant dans les feuillages, le bruit des branchages qui se cassent sous ses pieds. Aujourd’hui, elle n’a pas envie de s’évader et de s’extraire au monde. Elle ressent au contraire un désir inarrêtable de se reconnecter au monde.

Le pas de sa course s’accélère rapidement, et elle traverse maintenant au pas de course le pont pour piétons au dessus de l’étang. De l’autre côté de cet étang, de grosses goûtes de pluies commencent à tomber comme des masses. Une averse imprévue ou un orage peut être? La pluie devient de plus en plus forte, mais Kei ne se décourage pas et accélère même le pas. Elle y voit là une mission. Courir dans les allées du parc, de plus en plus vite et sans faiblir, devient soudainement nécessaire. La pluie lui frappe le visage de plus en plus fort. Le vent qui s’est levé s’organise en bourrasques pour essayer de la stopper dans son élan, mais rien ne vient altérer le rythme des mouvements de Kei. Peut être s’agit il d’un typhon? Kei n’en sait rien et elle s’en moque. Elle n’a plus le choix, son but est désormais de terminer cette course coûte que coûte. Comme une révélation, elle a maintenant la certitude que son monde en sera changé.

Ce texte est la suite du précédent billet publié ici.

du songe à la lumière

Pendant la journée, elle rêve du soir. Du haut du sixième étage de la tour de bureaux de Nishi Shinjuku, elle détourne les yeux de son ordinateur pour regarder en bas des tours. Pour tromper la monotonie qui la gagne petit à petit au cours de la journée, elle scrute d’abord la rue qui longe les buildings. Il y a la foule habituelle, en costumes et cravates, en jupes noires unies. Mais elle détourne de nouveau le regard, elle cherche un point d’ancrage qui la fera partir de ce monde pendant quelques minutes qui paraîtront des heures. Du sixième étage de la tour, on distingue le parc. Comme hier à la même heure, trois anciens font des exercices près des arbres. Leur rythme est régulier et ne semble pas être dérangé par les quelques pigeons qui tournent autour, parfois chassés par un chien en laisse. L’oeil de Kei s’attarde toujours trois secondes sur ces trois anciens, mais cherchent rapidement autre chose. Elle cherche un jeune homme aux cheveux blonds, qui criait hier par intermittences dans le parc. C’était une scène étrange. Elle n’entendait pas le son de sa voix bien entendu, mais les mouvements accentués de sa mâchoire lui faisait penser à un cri. Il lui aurait fallu des jumelles pour distinguer clairement les expressions du visage de l’homme du parc. Elle aurait pu emprunter celles du bureau voisin, celles de Mr Sasaki, certainement perdues dans un des tiroirs de l’armoire du fond. Mais ce n’était pas nécessaire. Elle distinguait une gravité dans ce cri. C’était une plainte, c’était certain. Il restait immobile et regardait vers le ciel. Il implorait quelque chose, quelqu’un, peut être Dieu. Cette scène avait quelque chose de fascinant. Les promeneurs du parc ne prêtaient pourtant nulle attention aux cris de cet homme. Peut être que ce cri était inaudible. Pourtant, Kei le ressentait, comme une vibration, un faible tremblement. Alors qu’elle était prise dans ses pensées, le chef de service Mr Kimura fit soudainement irruption dans le bureau, ramenant Kei à la réalité des affaires du jour, trois nouveaux dossiers clients à préparer pour le soir même. Plus le temps de s‘attarder dans le parc. Alors que Mr Kimura quitta le bureau en laissant ses ordres en demi phrases, tout en bas de la tour, dans le parc, l’homme avait disparu soudainement en l’espace de quelques secondes.

Aujourd’hui encore, en fin d’après-midi vers 16h, elle se perd dans ses pensées. Elle regarde d’abord à travers la baie vitrée de son bureau qui laisse réfléchir son visage et ses cheveux teintés en blond. Son regard rêveur descend ensuite vers le parc. Avec une certaine stupeur, elle retrouve cet homme près des trois anciens faisant leurs exercices journaliers. Il se trouve exactement au même endroit et il crie. Il crie comme elle ne pourrait jamais le faire, emprisonnée dans une vie qui s’est imposée à elle. Comme hier, cette scène lui procure une sensation étrange comme des vibrations légères qui lui prennent à l’estomac, puis au coeur jusqu’à la nuque. Des images de sa mère lui reviennent en tête à ce même instant. Elle fut porté disparu soudainement quelque part dans la banlieue de Nagoya, il y a tout juste un an. Les raisons de son départ restent inexpliquées. Des images de cette dispute lui reviennent ensuite en tête, des mots également qu’elle essayait d’oublier depuis son départ vers Tokyo sur un coup de tête. Elle essaie d’oublier mais cet homme blond dans le parc lui remet ces souvenirs en tête. Elle voudrait crier également, mais elle ne peut pas. Aucun son ne s’échappe. Regarder cet homme dans le parc a une vertu libératrice qu’elle n’avait pas soupçonnée le premier jour, jusqu’à cet instant.

Ce soir, Kei passe la soirée avec son amie d’enfance Hikari, également installée dans la banlieue Ouest de Tokyo un an avant elle. L’année dernière, Kei s’était installée près du parc de Inokashira, à quelques centaines de mètres de l’appartement de Hikari. Ce logement est temporaire, mais ça fait déjà une année qu’elle l’occupe sans réfléchir à un changement. Situé au deuxième étage d’un vieil et petit immeuble de briques rouges, l’appartement est composé d’une seule pièce en tatami, avec une petite cuisine dans l’entrée. L’unique fenêtre donne sur un jardin public tout en longueur, accolé au parc Inokashira. Plusieurs fois par semaine, un jeune homme vient s’y exercer à la guitare sèche tout en fredonnant. Il repart en général après une petite demi-heure, en direction de la station de trains. Il fait déjà nuit noire après 21h, l’heure à partir de laquelle Kei rentre de ses journées de bureau à Nishi Shunjuku. Cet air de guitare hésitant lui apporte un certain apaisement. Elle entrouvre la fenêtre et tend l’oreille, assise sur le tatami. Le son de la guitare se mélange avec le bruit des insectes du parc et avec le brouhaha enjoué des clients sortant de l’isakaya au bout de la rue. Cet homme à la guitare doit avoir le même âge qu’elle. Ces cheveux longs et teintés de mèches blondes lui cachent légèrement le visage. Il s’assoit toujours au même endroit sur un banc dans la pénombre. Elle ne pourrait certainement pas le reconnaître si elle le croisait par hasard dans une rue du quartier en pleine journée. Le morceau de musique sur lequel il s’entraine depuis une quinzaine de minutes ce soir ressemble à un vieux morceau qu’elle écoutait dans son enfance, dans la maison de Nagoya. Il ressemble à un morceau qu’écoutait sa mère, en disque vinyle, le samedi en début d’après-midi après le déjeuner. En écoutant ce morceau, la mère de Kei devenait contemplative, assise les mains jointes sur le sofa du salon. Kei n’y prêtait guère attention, car il fallait qu’elle se prépare pour son club de tennis à l’école. Hikari l’attendait à la station de bus du quartier et il ne fallait pas qu’elle perde une minute.

Un bruit de sonnette la sort soudainement de ses songes. Il est 21h30, Hikari vient d’arriver devant la porte de l’appartement. En se levant du tatami pour ouvrir la porte d’entrée, elle remarque à ce moment là que le joueur de guitare n’émet plus un son. Il semble être déjà parti du jardin public. « Je n’étais pas certaine que tu sois rentrée. Je suis donc passé par le jardin public et vu de la lumière et une fenêtre entrouverte. Tu es un peu en avance ce soir. » dit Hikari en entrant dans la pièce. Kei lui répond d’un mouvement de tête et ne lui demandera pas si elle a vu le jeune guitariste dans le parc. Elle a déjà la tête ailleurs, en regardant la photo de sa mère, sortie d’un tiroir de la commode et placée en évidence sur l’étagère de bois au dessus. Cela fait exactement un an aujourd’hui qu’elle a disparu. Kei ne pouvait pas passer cette soirée seule. En entrant dans l’appartement ce soir, Hikari dissipe les nuages, fait disparaître les songes et la ramène vers la lumière.

we are walking in the air

Nous marchons dans les airs. La nuit venue, c’est permis. On nous croit rendu loin mais nous flottons tout près en frôlant les êtres. Les musiques de fin d’été nous attirent autour de la foule qui vient se réunir le soir. On ne soupçonne pas notre présence si ce n’est des signes, un courant frais dans le cou, un vertige soudain. Nous remplissons pourtant les pensées de temps en temps le soir venu, quand le rythme de la vie se calme et que l’esprit se laisse aller aux divagations. Quand les attaches terrestres font une pause brève, une réunion s’opère. Nous reviendrons peut être demain, mais ça ne dépend pas de nous. Rien ne se commande ni ne se prévoit.


J’écoute l’album éponyme de Slowdive depuis quelques semaines, et je ne me lasse pas de le ré-écouter sans cesse, notamment pendant mes promenades photographiques en ville dans les rues de Tokyo. Ce groupe de shoegaze était actif dans les années 90 et s’est reformé récemment pour quelques concerts et pour cet album éponyme. Plus de 20 ans après les trois premiers albums du groupe, on retrouve cette même atmosphère et c’est très enthousiasmant. J’aime tout particulièrement les morceaux où les voix de Neil Halstead et de Rachel Goswell se complètent. L’esprit shoegazing est toujours présent sans prendre trop de rides. Les moments dans le morceau « Don’t know why » où la voix de Rachel se noie progressivement et disparait sous le flot musical des guitares me donnent toujours des frissons de satisfaction musicale. Si l’album Souvlaki, sorti en 1993, reste très certainement le meilleur album de Slowdive (la beauté pénétrante d’un morceau comme Dagger), ce nouvel album s’en approche par sa qualité.

Les quelques photographies ci-dessus où corps et décors se mélangent sont en quelque sorte mon équivalent photographique aux morceaux de Slowdive quand les voix se fondent et se mélangent aux sons des guitares.

Dans un autre style, électronique cette fois, j’écoute aussi beaucoup Aphex Twin ces derniers temps et cette musique électronique très rythmée, parfois joueuse et parfois sombre, m’accompagne aussi souvent dans mes parcours urbains. Il y a plus de 15 ans, je découvrais Aphex Twin à travers l’album Richard D. James, sorti en 1997. Cet album m’avait laissé à l’époque un avis assez mitigé. Certains morceaux comme « Cornish Acid » sont sublimes et mystérieux, mais d’autres morceaux sont beaucoup plus légers à mon goût, voire pop sur les bords, et un peu anecdotiques. Je n’avais pas cherché à creuser plus en avant la musique de Aphex Twin à l’époque. Les hasards d’un article sur Pitchfork sur les meilleurs albums de IDM (Intelligent Dance Music), me ramène vers cette musique. IDM est une dénomination très décriée regroupant une catégorie de musique électronique compliquée faite pour l’écoute au casque plutôt que sur les dance floor. Le label Warp en est spécialiste. Ce style me plait intrinsèquement. Comme pour la musique d’Autechre, les morceaux de Aphex Twin que j’ai pu découvrir récemment sur trois albums: le plus ancien Selected Ambient Works 85-92 et les plus récents Syro et Cheetah EP, semblent se faufiler dans les méandres les plus profondes du cerveau, comme si cette musique pointue venait réveiller des sens encore inconnues. On n’est pas loin d’un effet d’addiction, comme à l’époque de mon écoute exclusive et probablement excessive de la musique d’Autechre. Mais alors qu’Autechre devient de plus en plus obscure et inaccessible, Aphex Twin reste très abordable car les mélodies sont bien présentes de manière beaucoup plus immédiate et souvent entêtantes. Mais l’esprit joueur qui brouille les pistes n’a pas disparu des derniers albums de Aphex Twin. Parmi la multitude des sonorités électroniques de Syro, se cache par exemple un morceau totalement au piano dans le calme d’un jardin le soir. Ce piano me rappelle d’ailleurs celui de Grouper sur le superbe album Ruins. Ces trois albums de Aphex Twin sont ancrés dans une même continuité de son et ces sons minutieux sont un véritable plaisir à l’écoute.

Ces derniers jours, je suis troublé par ce morceau « Rest » de Charlotte Gainsbourg sur son futur album du même nom qui sortira en novembre 2017. Ces mots, cette voix sur la musique électronique en répétion et en suspension de Guy-Manuel de Homen-Christo (une moitié de Daft Punk) sont d’une beauté imparable. J’attends de pouvoir écouter le reste de l’album Rest, en espérant qu’il conservera cette ambiance.

Pour terminer avec la musique que j’écoute en ce moment et pour changer encore de style, j’apprécie beaucoup le nouveau morceau de Utada Hikaru Forevermore. Le prochain album après Fantôme qui était très bon, n’est pas encore prévu à ma connaissance. J’ai toujours gardé une oreille attentive aux morceaux de Utada Hikaru. Je trouve qu’elle est très inspirée ces dernières années et construit des morceaux avec beaucoup de variations dans la composition et dans la voix. On est très loin de ce que l’on peut entendre en général dans la pop japonaise, souvent peu inspirée et répétant les mêmes recettes sans beaucoup d’originalité avec pour but unique le succès commercial immédiat. Il y a beaucoup de succès commercial pour Utada Hikaru, mais elle semble tracer son chemin loin de cela (peut être la distance géographique car elle réside à Londres). Ma lucidité me dit que ça ne durera peut être pas.