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J’ai deux billets assez longs en cours d’écriture mais je n’ai pas trop le cœur aux longues écritures en ce moment. Je cherche donc à détourner ma propre attention avec des billets plus courts comme ceux de cette série freeform. Mais comme toujours, mes billets commencent petits mais grandissent plus que je ne l’aurais initialement souhaité. Il faut que je m’efforce à rester succinct. Depuis quelques semaines, j’ai repris les exercices physiques en salle de sport à un rythme de quatre fois par semaine, ce qui me laisse d’autant moins de temps pour l’écriture sur ce blog. La pratique d‘exercices physiques n’est pas source d’inspiration pour l’écriture, mais me devenait nécessaire tout comme ce blog peut l’être. Je ne sais toujours pas exactement quelle est la finalité de Made in Tokyo, mais je le découvrirais peut-être un jour comme une révélation. Il faut pourtant garder en tête qu’un blog reste éphémère et peut s’éteindre si je décide de ne plus payer les frais d’hébergement et de nom de domaine, qui sont en tout non négligeables, d’autant plus que j’ai pendant vingt-deux ans pris le parti de ne pas y intégrer de publicité. Mon questionnement sur la continuation de ce blog se pose d’ailleurs régulièrement au mois de Janvier lorsqu’il faut se décider à renouveler son hébergement. Made in Tokyo est devenu pour moi « too big to fail » dans le sens où j’y ai passé trop de temps pour pouvoir le clore sur un coup de tête. La relative confidentialité de Made in Tokyo me permet en tout cas de continuer sans influence extérieure et je sais qu’une trop forte affluence lui serait néfaste comme le sur-tourisme à Kyoto dont j’entends tant parler. Le sur-tourisme est le sujet préféré de ceux qui ne savent pas regarder ailleurs. Certaines et certains savent cependant regarder ailleurs en toute simplicité. A ce propos, je ne peux qu’encourager la lecture du blog de Sunalee qui nous fait part en ce moment de son voyage à Shimane et Hiroshima, des lieux que je ne connais pas encore. J’aime beaucoup son approche, d’écriture et photographique. J’y ressens un respect humble que je n’ai pas beaucoup lu ailleurs. Et elle nous parle souvent d’architecture sur ses pages, ce qui m’intéresse forcément beaucoup. Son billet le plus récent nous amène à Onomichi, un endroit que j’ai très envie de découvrir depuis quelques années, en fait depuis que j’ai écouté la musique de Meitei (冥丁) qui y vit. Il existe quelques blogs actifs parlant du Japon d’une manière intime et d’une grande qualité. Ils sont rares mais existent.

Je me passionne ces derniers temps pour le magazine AVYSS car il me parle de musiques que j’aime, et en particulier du nouvel EP de Dos Monos intitulé Dos Moons, sorti le 7 Mai 2025. « Junji Itō on the cover » nous rappe le groupe à la fin du premier morceau Gilda. L’illustration de la couverture du EP représentant une femme méduse est en effet signée par Junji Itō (伊藤潤二) et elle est superbe. Les quatre morceaux de Dos Moons sur cet EP sont polymorphes, complètement imprévisibles et mélangeant les genres dans un tourbillon souvent chaotique, comme ça pouvait être le cas sur leur album précédent Dos Atomos qui reste pour moi une sorte de monstre musical particulièrement prenant. Ce nouvel EP n’atteint pas les sommets de Dos Atomos, Hi no Tori par exemple, mais n’en reste pas moins dans la même veine artistique. Il faut se laisser entraîner dans ce tourbillon verbal, ce qui n’est pas forcément facile à la première écoute mais quand on arrive au dernier morceau Oz faisant intervenir du saxophone, on ne peut que se dire que Dos Monos sait brillamment jouer avec les ambiances et les sensations, dans un grand cirque qui n’est pas dénué d’humour. Cet humour là, la puissance des voix rappées du trio et la liberté complète et sans complexe des compositions musicales sont les éléments qui m’attirent à chaque fois chez Dos Monos. Je regrette vraiment d’avoir louper leur concert à Tokyo il y a quelques semaines, mais ça aurait fait un peu trop d’évènements pour ce mois de Mai.

Je continue ensuite avec le hip-hop mais dans des rythmes beaucoup plus cools et apaisés. Je retrouve la rappeuse 7 (Nana) accompagnée par le rappeur MIKADO sur un single intitulé Flyday sorti le 28 Mai 2025. Ces deux rappeurs font partie du groupe de Wakayama (和歌山勢), une jeune scène hip-hop se développant dans la préfecture de Wakayama. Écouter ce morceau me ramène du côté des plages de Shirahama que nous avions été voir l’année dernière et dont je garde un excellent souvenir. Dans le rap japonais, je connaissais le hip-hop de Kawasaki, avec notamment Bad Hop, mais le rap de Wakayama est une belle découverte. Le rap japonais étant un sujet de discussion avec mon fiston, je ne perds pas une occasion de faire de nouvelles découvertes même si ce n’est pas mon domaine de prédilection. En fait, je ne suis plus vraiment sûr d’avoir des domaines musicaux de prédilection et ça serait de toute façon idiot de se limiter à certains genres. Le problème qui s’en suit est que j’ai du coup beaucoup trop de nouvelles musiques à écouter et dont je voudrais parler sur ce blog. Je finis par perdre le fil de ce que j’ai écouté et aimé. Et dire qu’il y a de cela quelques années, je me plaignais de ne pas trouver de musiques japonaises intéressantes. Le Japon est un pays de musiques.

Hier soir, je me déplace exprès jusqu’à la librairie Tsutaya de Ginza6 pour rechercher un livre d’illustration d’Ayako Ishiguro (石黒亜矢子). Il y en a deux et je choisis celui regroupant la deuxième partie de la collection de ses œuvres (作品集其の弐). Je n’ai réalisé que récemment que cette artiste est en fait l’épouse de Junji Itō, et je me suis dit « Oui bien sûr! ». Ce n’est pas qu’il y a une ressemblance de style entre les deux artistes mais une même attirance pour l’étrange qu’il et elle arrivent à transmettre formidablement dans leur illustrations (formidable est étymologiquement emprunté au latin formīdābilis qui signifie formidable et terrible, et dérivé de formido signifiant peur, terreur, effroi). On sait que le couple aime les chats et ils sont souvent représentés dans les illustrations d’Ayako Ishiguro, mais sous la forme de dieux mythologiques. Un très grand nombre des dessins nous ramènent vers des légendes anciennes revisitées. Ces monstres de légendes sont censés nous faire peur mais ils n’en demeurent pas moins mignons et visuellement attachants. Cette dualité est très intéressante et, graphiquement parlant, ce petit livre d’environ 160 pages est vraiment superbe. J’adorerais voir des illustrations de cette artiste dessinées sur les parois coulissantes intérieures d’un temple, un peu comme les dragons du Ryōan-ji à Kyoto. La librairie Tsutaya de Ginza 6 est bien remplie en ce qui concerne les livres d’illustrations japonaises. On y trouve par exemple un grand nombre de livres de Takato Yamamoto, que j’avais découvert en même temps que la musique de Meitei (Notez que comme un chat, je retombe toujours sur mes pieds).

//tokyo/freeform/ep1

Sur le chemin du retour ce soir, il me vient en tête de réécouter quelques morceaux choisis de l’album Lust (2005) du musicien électronique Rei Harakami (レイ・ハラカミ), en particulier le morceau Lust donnant son titre à l’album, puis Grief & Loss, Owari no Kisetsu (終りの季節), Come Here Go There et After Joy. C’est étonnant que l’idée me soit soudainement venu de réécouter ces quelques morceaux alors que l’album vient tout juste d’avoir 20 ans, étant sorti le 25 Mai 2005. Je l’avais découvert quelques mois après sa sortie, en 2005. Je n’avais pas réalisé à l’époque que le morceau Owari no Kisetsu était une reprise de Haruomi Hosono (細野晴臣). Il faut dire que la version de Rei Harakami est bien différente et reprend surtout les paroles du morceau original. Je n’avais pas réalisé non plus que Rei Harakami n’était plus de ce monde, décédé d’une hémorragie cérébrale en Juillet 2011. Alors que j’apprends sa mort 14 ans plus tard en lisant sa fiche Wikipedia sur mon smartphone dans les rues sombres qui me ramènent tranquillement chez moi, les paroles prononcées par Rei Harakami sur Owari no Kisetsu prennent tout d’un coup une autre ampleur. Écouter cette musique me fait relire le billet que j’avais écrit à son sujet il y a vingt ans. Le relire me donne la nostalgie d’une certaine fraîcheur dans mon style d’écriture, qui a malheureusement disparu depuis bien longtemps. Tout paraît plus léger lorsqu’on a vingt ans. J’ai en ce moment envie de réécouter des musiques électroniques japonaises un peu plus anciennes, et j’ai écouté plusieurs fois ces derniers jours l’album Jelly Tones (1995) de Ken Ishii, qui aurait tord de se limiter à Extra. Ceci étant dit, Extra est bien entendu un morceau fabuleux par sa force d’évocation qui nous amène vers les mondes futuro-chaotiques de Katsuhiro Ōtomo. Le reste de l’album ne peut lui arriver à la cheville. En parlant plus haut de Haruomi Hosono, on a pu le revoir à la television récemment lors de la retransmission sur la NHK des Music Awards Japan (MJA) dont c’était la première édition. Il en faisait l’introduction. Je n’ai pas regardé l’émission en direct, mais sur un replay sur NHK+. Je voulais en fait voir la remise d’un prix pour Hitsuji Bungaku (羊文学) mais le replay ne montrait que certains moments choisis, et celui-ci n’en faisait pas partie. L’émission a dans l’ensemble eu du mal à m’intéresser, à part pour un duo rap mené par Awich avec AI, où étaient également invitées d’autres rappeuses comme Nene du Yurufuwa Gang. Ça m’a amusé de voir Nene recouvrir entièrement ses nombreux tatouages, car il s’agit tout de même d’une émission de la NHK, d’autant plus sponsorisée par une organisation gouvernementale. Ce n’est pas dans ce type d’émission en tout cas que je peux être amené à faire des nouvelles découvertes musicales.

Je m’intéresse par contre beaucoup plus, en ce moment, au magazine AVYSS qui évolue dans des terrains musicaux beaucoup plus underground. Je découvre le premier EP intitulé A HUMAN TOUCH de la compositrice et interprète Michiru (倫瑠). Elle est née en 2004, et a donc un peu plus de vingt ans. La photographie qui sert de couverture a été prise par son père et est vraiment chouette. Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse de la compositrice lorsqu’elle était enfant, mais ça semble très probable. Cet EP est sorti le 24 Mai 2025, et j’ai tout de suite accroché à son atmosphère singulière, parfois assez expérimentale. Michiru a entièrement réalisé cet EP elle-même, de l’instrumentation, au chant et au mixage. J’y trouve une grande sensibilité et une mélancolie rêveuse qui me plait beaucoup. A HUMAN TOUCH est composé de quatre morceaux pour une douzaine de minutes. Le morceau le plus accrocheur s’intitule End, et me rappelle un peu les ambiances du groupe Tamanaramen (玉名ラメン) que j’avais d’ailleurs dû découvrir grâce à AVYSS. Michiru se produisait dès le jour de la sortie de son EP au festival Mori Michi Ichiba 2025 (森、道、市場2025) dans une section nommée AVYSS Chain. A noter au passage que YouTube fait des erreurs et associe cet EP à une autre artiste du même nom.

J’écoute presque toutes les semaines l’émission Music Bloom, sur la radio J-Wave, présentée par Shin Sakiura et Rachel de Chelmico, car j’aime beaucoup l’ambiance joyeuse qui s’en dégage. Il s’agit d’une émission musicale présentant des jeunes artistes ou groupes du Japon et d’Asie. Les deux présentateurs aiment rire et plaisanter et cette bonne humeur est contagieuse. J’y fais de temps en temps des belles découvertes, comme le morceau Eternal Flame de la compositrice et interprète japonaise Hiar. Il s’agit de son premier single, sorti le 13 Mai 2025. Je trouve quelque chose de très apaisant dans sa voix, même si le morceau est musicalement assez dense. Eternal Flame ne bouleversera pas les genres mais je le trouve très agréable au point de le réécouter à répétition. On pourra très certainement lui prédire beaucoup de succès futurs.

int𐌄rlude électrique

Nous sommes ici au pied de la grande tour Tokyo Skytree pour un festival consacré à Taïwan. Il y a foule le soir pour venir y manger, ce que nous étions venu faire également. Un grand espace couvert avec des tables permet de se restaurer sous une multitude de lampions rouges. Je tente des photographies des écritures en néon affichées tout autour du grand espace couvert, mais mon appareil photo fait traîner une nouvelle fois les lumières comme les feux d’une voiture de sport en pleine course poursuite. Pas facile de trouver une table libre sous les lampions donc nous décidons de descendre d’un étage pour dîner dans le food court. Nous étions de retour d’une promenade dans la préfecture d’Ibaraki lors d’une belle journée de la Golden Week. Je reviendrais très certainement sur ce qu’on y a vu là-bas.

J’avais bien noté dans un coin de ma mémoire le petit concert gratuit du Samedi 17 Mai au dixième étage du Department Store PARCO de Shibuya (渋谷PARCO10F PBOX). Ce jour pluvieux, se produisaient AAAMYYY et TENDRE pour un événement organisé par Girl Houyhnhnm, un magazine féminin qui m’était totalement inconnu. C’est apparemment la quatrième année que ce magazine organise ce genre d’événement musical au PARCO de Shibuya. J’arrive une quarantaine de minutes avant le début qui était programmé à midi. J’aurais en fait dû arriver un peu plus tôt car il y avait déjà quelques rangées de personnes devant moi, mais je n’avais pas non plus l’intention de me placer au premier rang. AAAMYYY arrive à l’heure prévue sur la petite scène devant un écran géant. Il ne s’agit pas vraiment d’une scène car elle est juste devant nous derrière un clavier et un ordinateur portable. J’avais déjà vu AAAMYYY pour une courte séance DJ dans ce même PARCO de Shibuya en Novembre 2023 puis lors de son concert Option C en Mars 2024 qui m’a beaucoup marqué (comme tous les concerts que je vais voir d’ailleurs). C’est donc la troisième que je la vois sur une scène et cette fois-ci, elle a chanté seule quelques uns de ses morceaux pour une durée d’environ 40 minutes. L’ambiance est décontractée et on sent qu’elle n’a pas une grande pression sur les épaules. Je la ressens à chaque fois comme étant cool mais je ne sais pas si c’est vraiment le cas. Elle démarre elle-même la bonne son, fait quelques réglages au fur et à mesure mais seul son chant est véritablement live. Elle n’a pas donné la playlist exacte des morceaux qu’elle a interprété mais il y avait d’abord des plus anciens comme Skycraper du EP ETCETRA (2018), Subject J et Policy (ポリシー) de son premier album Body (2019) et quatre morceaux de son dernier EP Thanks, à savoir Happy, Relux, Masaka pour terminer avec Savior (救世主). Les morceaux de ce EP sont des collaborations avec des invités qui n’étaient bien entendu par sur scène à ses côtés, mais AAAMYYY prenait tout de même plaisir à les annoncer lors qu’on les entendait sur la piste sonore. Cette proximité était très agréable. La surprise était ensuite de voir et d’écouter TENDRE dont je ne connais seulement que certains morceaux notamment ses collaborations avec AAAMYYY. Les deux se connaissent très bien car TENDRE était même un des nombreux invités du concert Option C. On sent clairement la proximité entre eux. Je ne sais pas si la programmation était faite au hasard mais c’était en tout cas une heureuse situation de les voir sur scène l’une après l’autre. TENDRE entre sur scène un peu avant 13h pour une quarantaine de minutes. Il nous fait tout de suite remarqué que le public est vraiment très proche. Il chantera en tout six morceaux tirés de plusieurs de ses albums et EPs: Drama du EP Red Focus (2017), Fantasy de Prismatics (2022), Joke de Life Less Lonely (2020), le nouveau single Runaway sorti en Avril 2025, Hanashi de Not in Almighty (2018) pour terminer avec le morceau Life de l’album Life Less Lonely. Sur ce dernier morceau, il invite AAAMYYY sur scène pour un duo qui a passionné le public. Je m’attendais bien à ce qu’ils chantent un morceau en duo mais plutôt un de ceux où elle est déjà présente en featuring comme OXY de Prismatics ou Document de son EP Beginning (2023). Au final, je ne connaissais aucun des six morceaux qu’il a chanté mais je les ai tous aimé, car il y a un rythme qui accroche rapidement. Il sait également embarquer le public avec lui. Je les écoute encore maintenant en reconstituant la playlist de ce petit concert. TENDRE a une personnalité très agréable, très souriant et blagueur. Il est très à l’aise avec le public même s’il se plaignait en rigolant de la proximité du premier rang. Je ne regrette pas d’être venu, surtout que je n’avais pas pu assister à un autre concert gratuit de TENDRE le jour d’avant sur la grande place ouverte de Yebisu Garden Place pour le festival annuel de musique Ebisu Blooming Jazz Garden 2025. Après ce live au PARCO, TENDRE passait dans une émission radio. C’est on dirait un artiste très occupé. L’électro-pop d’AAAMYYY et le R&B Soul de TENDRE m’ont mis de très bonne humeur pour cette journée pourtant pluvieuse.

that’s a pretty long third gear in this car

Ce billet aurait très bien pu être le seizième épisode de ma série au long cours the streets mais je préfère lui donner un autre titre car j’ai réécouté récemment l’album Blonde de Frank Ocean et j’adore en particulier cet extrait des paroles du morceau Skyline To. Et en plus de cela, il y a des voitures dans ce billet. Ce billet est un mélange de plusieurs rues, celle de Komazawa et autour, celle de Kamurozaka où se trouve un Hôtel Vintage qui n’a rien de vintage mais qui prend tout de même ce nom. Le café au rez-de-chaussée est très agréable et calme. Des grandes fenêtres donnent sur la longue rue en pente Kamurozaka bordée de cerisiers qui étaient encore en fleurs au moment où cette photographie a été prise. On change ensuite de lieux pour le quartier chinois de Yokohama et un quartier de Kawasaki à l’écart de la gare. La dernière photographie a été prise au Tsutaya T-site de Daikanyama lors d’un petit festival célébrant les “subcultures” qui se déroulait les 19 et 20 Avril 2025. Dans l’ensemble, ce n’était pas le type de subculture qui m’intéressait vraiment car je n’ai pas trouvé d’intérêt à regarder des personnages déguisés, des Yuru-chara (ゆるキャラ), danser mollement devant une platine. J’ai même trouvé une certaine gêne à regarder les quelques admirateurs adultes postés autour de ce personnage rose appelé Iwashika-Chan (イワシカちゃん). Cela fait assez longtemps que je n’avais pas eu ce sentiment là. Le festival se composait en fait de petits stands. L’un d’entre eux vendait des t-shirt underground, parfois de films. J’y ai aperçu Tetsuo the Ironman de Shinya Tsukamoto. Il y avait également des stands réservés aux dédicaces notamment de mangaka, mais je suis malheureusement arrivé trop tard. J’aurais tout de même aimé passer à celui d’Eldo Yoshimizu (エルド吉水) car j’ai acheté il y a quelques temps le premier tome de son manga RYUKO (龍子). Eldo Yoshimizu est diplômé du département de sculpture de l’Université des Beaux-arts de Tokyo. Il n’a commencé sa carrière de mangaka qu’à l’âge de 45 ans. En demandant à Mari par tout hasard si elle connaissait cet artiste venant de la même école qu’elle, elle me répond à l’affirmative à mon grand étonnement. Eldo Yoshimizu était en fait un de ses professeurs en école préparatoire pour entrer aux Beaux-arts. C’est une coïncidence amusante et ça me ferait un sujet de discussion si jamais j’avais l’occasion de faire signer un jour mon exemplaire de RYUKO. Autre point intéressant, le manga est apparemment d’abord sorti aux éditions françaises du Lézard Noir en 2016, puis ensuite au Japon beaucoup plus tard en 2023 aux Éditions Leed Publishing.

Par souci d’augmenter un peu mon audience web, je me décide à montrer des photos de chats. C’est une recette bien connue pour attirer les visiteurs. C’est en fait une coïncidence que j’écoute en ce moment des artistes ou groupes utilisant des images de chats comme couverture de leur single. Ceux de Hoshikuma Minami (星熊南巫) sont cyberpunk, une race de chat que je ne connaissais pas. En recherchant d’autres collaborations de Rinahamu (苺りなはむ) avec des artistes que j’apprécie, je note qu’elle a également sorti un single avec Hoshikuma Minami au chant et KOTONOHOUSE à la composition. Ce single intitulé d∞r est sorti le 18 Janvier 2025. La composition musicale de KOTONOHOUSE n’hésite pas triturer le morceau ce qui apporte à chaque fois un contraste intéressant avec la voix un peu éthérée de Rinahamu. Hoshikuma Minami a par contre une voix plus puissante et agressive, qui m’amène vers trois de ses singles solo PAINKILLER sorti en 2024, puis Demigod Chan et Shinra DARKPOP (新羅DARKPOP) tous les deux sortis en 2023. L’ambiance y est beaucoup plus sombre et les sons électroniques plus disruptifs. Les trois morceaux sont assez courts et s’enchainent comme des petites bombes sonores dans ma playlist. Mon préféré des trois est Demigod Chan qui est dans l’ensemble plus apaisé mais pleins de glitches. Shinra DARKPOP s’enfonce par contre dans les bas-fonds et Hoshikuma Minami chante au bord des cris. Les petits chats à priori mignons des images de couverture de ces singles ne nous laisse en fait pas vraiment imaginer l’ambiance que se cache à l’intérieur. Ecouter ces trois morceaux m’a donné l’occasion de revenir vers le groupe Wagamama Rakia (我儘ラキア) dont elle fait partie. Je découvre le morceau New World sur l’album éponyme sorti en 2020 et je suis tout de suite accroché. Je pense que c’est mon préféré du groupe. En plus des passages rappés toujours excellents de MIRI, le petit plus du morceau est d’entendre Hoshikuma Minami rouler les ‘R’ à certains moments du morceau. Bite Off!!!! sur le EP ONYX sorti en 2022 a un coté K-Pop, mais qui serait dynamité par des guitares métal. J’écoute ensuite le single GR4VITY G4ME sorti en 2022, qui est plus classique dans leur discographie mais également très bon. On est assez loin du son des musiques d’idoles, bien que les quatre filles de Wagamama Rakia fassent officiellement partie de cette catégorisation musicale. J’écoute également le nouveau single de Yeule intitulé Dudu, montrant en couverture un gros chat blanc flottant au dessus de la compositrice et interprète. Son titre Dudu est étrange. Il ne s’agit pourtant pas du nom du chat de Yeule qui s’appelle Miso et a un pelage très différent. Le single a une approche Pop rock inhabituellement lumineuse et sera présent sur son prochain album Evangelic Girl is a Gun, qui s’annonce décidément très bon et qu’on pourra écouter en entier à partir du 30 Mai 2025. Le style musical diffère avec les chats dessinés de la quatrième couverture. Il s’agit du single mild days de Hitsuji Bungaku (羊文学) sorti le 13 Mai 2025. Il démarre à la guitare acoustique et je lui trouve tout de suite un petit air américain ce qui normal car sa sortie marque en quelques sortes le retour du groupe de leur tournée américaine. Le morceau est très beau, mais Hitsuji Bungaku fait de toute façon un sans-faute musicalement depuis le début de leur carrière.

« ハート ハート ハート1個 頂戴 ベイビー » Donnes moi un cœur, nous répète Yu-ri (ゆーり) sur le single Heart111 (ハート111) composé par le musicien électronique Sasuke Haraguchi (原口沙輔), dont je parle de plus en plus souvent sur ses pages. Le morceau super drôle et charmant à l’écoute, même addictif dans une certaine mesure, n’est pas récent car il date d’Avril 2024, mais il me vient en tête alors que l’on fête aujourd’hui les 22 ans de Made in Tokyo. Je passerais sur mon propre étonnement d’une si longue vie et d’une inspiration continue qui me fait ne jamais m’arrêter à écrire des histoires, montrer des photographies de rues et d’architecture, d’évoquer les musiques que j’aime, divaguer parfois vers des terres irréelles (quoique), essayer de transmettre tous les intérêts culturels que je peux trouver dans cette ville et ce pays, le tout avec une sensibilité et une poésie discrète (si possible). Je suis en même temps tout à fait conscient de ne pas être sur la même longueur d’onde que les autres contenus sur le Japon (ah, je n’aime pas ce terme générique de créateur de contenu), mais je n’ai pas non plus l’intention de montrer un autre Tokyo ou un Japon différent. Après autant d’années de vie ici, ces concepts là n’ont plus beaucoup de sens et ne valent que pour ceux qui croient vivre une vie extraordinaire. La mienne est celle de mon quotidien. Elle n’est pas celle d’un voyageur bien que je me l’autorise de temps en temps sur quelques billets de vacances. Je continue tant que je trouve la volonté et la nécessité d’ouvrir mon notepad pour écrire mes impressions, avec toujours dans l’idée le partage gratuit. Mais je ne suis pas contre recevoir de temps en temps en échange un petit cœur de la part des visiteurs. « ココロを下サイ » nous répète encore Yūri sur Heart 111.

the streets #15

Je reviens sur ma longue série photographique intitulée the streets qui n’a pas de cadre très précis à part celui de montrer des photographies de rues au sens large du terme, incluant architecture et street art lorsqu’ils se présentent à moi au détour des rues. Les fidèles de Made in Tokyo qui ont une excellente mémoire reconnaîtront certains lieux que j’ai déjà montré sur ces pages, à commencer par le premier bâtiment nommé Sky Cave, conçu par Ikawaya Architects. Cet élégant bâtiment à la toiture courbée créant une ouverture est situé près de la station de Yūtenji. Alors que je marchais dans le quartier, j’ai fait un détour exprès pour le revoir. Je n’avais pas noté l’adresse, ce que je fais rarement de toute façon, mais je le retrouve assez facilement en me remémorant les rues par lesquelles j’étais déjà passé. Au fond du quartier de Naka Meguro, je découvre par hasard un musée de sculptures contemporaines présentant la collection Watanabe composée de plus de 200 pièces d’une cinquantaine de sculpteurs. Je ne rentre pas à l’intérieur mais des espaces extérieurs accessibles autour du musée montrent plusieurs sculptures, dont un étrange arche d’une grande élégance difforme. Dans les quartiers résidentiels de Yūtenji, je retrouve également une résidence d’appartements nommée House of Quartz, construite en 2019 par Archisan. Cette résidence contenant à la fois des commerces au rez-de-chaussée et des appartements d’habitation ressemble à un ensemble de boîtes de béton posées les unes au dessus des autres sans alignement. Une autre particularité du bâtiment est d’avoir des ouvertures composées de grandes baies vitrées pivotante à 360 degrés, ce qui renforce l’ouverture de la résidence sur la rue.

En revenant vers Daikanyama, je passe une nouvelle vers la grande fresque murale montrant deux visages stylisés de femmes dessinés par l’artiste de rue berlinois El Bocho. Il s’agissait apparemment d’une commande du magasin Share Spirit (シェアースピリット) qui était situé en face au moment de la création de la fresque en 2016. Cette création s’était faite au même moment qu’une exposition de l’artiste à Tokyo dans le quartier proche d’Aobadai. Les couleurs de la fresque restent très vives et j’aime beaucoup la manière par laquelle la végétation au dessus vient progressivement recouvrir l’oeuvre sans la cacher. L’avant-dernière photographie est celle du building The Wall à Nishi Azabu conçu par l’architecte anglais Nigel Coates. Il s’agit de l’arrière du building que j’ai déjà pris en photo mais pas sous cet angle là, me semble t’il. Je ne sais pas trop ce qui m’attire dans l’arrière de ce building, mais l’envie de le prendre en photo me prend à chaque fois que j’y passe.

La dernière photographie prise près de Nogizaka est un mystère. Le bloc de béton que je vois devant moi de l’autre côté de la rue est très intriguant. Il est petit avec une forme d’escalier à une seule marche et est sans ouverture à part une petite trappe à air. Il y a tout de même une porte. Il est situé sur un terrain vague délimité par un muret. Ce muret est assez bas pour laisser entrevoir que le terrain est laissé à l’abandon, gagné par les hautes herbes. Les bâtiments tout autour sont par contre récents. On note parmi ces bâtiments une grande tour de béton sans fenêtres apparentes. Ce grand bâtiment de béton de l’autre côté du terrain vague et le petit donnant sur la rue ne sont apparemment pas connectés. J’imagine qu’il s’agit d’un terrain en attente d’une construction, mais cette attente semble être interminable vue la hauteur des herbes sauvages. La petite porte métallique donnant sur le terrain est cassée et est même sortie en partie de ses gonds. Je passe devant une première fois puis me retourne car l’idée saugrenue me vient en tête d’essayer d’ouvrir cette porte. La rue est déserte donc il ne coûte rien d’essayer de l’ouvrir. Je tourne la poignée ronde, mais elle ne s’ouvre pas. Elle doit être cassée. J’abandonne et reprends ma route le long de la grande rue qui se termine sur un tunnel routier menant jusqu’au grand cimetière d’Aoyama. Une intuition soudaine me pousse à regarder une dernière fois derrière moi en direction du bloc de béton si mystérieux, avant de m’engager le long du tunnel. J’aperçois tout d’un coup une personne vêtue de noir marchant le long du muret. Je la distingue plus précisément alors qu’elle s’approche petit à petit de la porte métallique donnant sur le terrain vague. C’est une jeune femme aux cheveux blonds presque couleur d’or avec quelques mèches noires lui cachant une partie de l’oeil gauche. Je devine que ses cheveux sont longs. Elle est habillée d’une longue robe noire un peu bouffante au niveau des manches et avec certains motifs blancs que je ne parviens pas à bien distinguer en raison de la distance. Elle marche d’un pas vif malgré ses boots surélevées. Elle s’arrête devant la porte, fait une pause, regarde derrière elle et sur le côté. Elle doit constater qu’elle est seule dans cette rue car elle ne semble pas m’avoir vu. Elle saisit la poignée des deux mains et l’ouvre d’un geste brusque qui l’a fait légèrement perdre l’équilibre. La porte se referme et elle disparaît de ma vision. Mon regard reste fixé sur la porte refermée derrière elle. Elle me fait penser à un ange noir aux cheveux de lumière apparaissant soudainement comme une vision imaginaire puis disparaissant ensuite aussitôt dans la profondeur des rêves. Mais ma vision était ici bien réelle, il n’y a pas de doutes. Je suis en fait presque sûr d’avoir déjà vu cette jeune femme habillée de noir quelque part mais je n’en ai pas de souvenir exact, seulement une intuition forte ou une impression de déjà-vu.

Je décide de revenir sur mes pas en direction de la porte. Peut-être que l’ange noir l’a laissé ouverte derrière elle. Je vais passé discrètement le long du muret pour voir si elle se trouve sur le terrain vague parmi les hautes herbes. Je pourrais peut-être entrevoir son visage et la reconnaître, ou du moins me souvenir de l’endroit où je l’ai déjà vu. Je m’approche avec une précaution qui n’a pas lieu d’être car la rue est toujours vide de monde. Je longe maintenant le muret mais ne voit personne sur le terrain vague. Elle est peut-être entrée à l’intérieur du bloc de béton. Je reviens sur mes pas vers la porte donnant sur la rue. Si cette frêle jeune fille a réussi à ouvrir cette porte, je devrais être en mesure d’en faire de même. Je saisis la poignée ronde des deux mains, la tourne légèrement puis tire la porte d’un geste vif. Elle s’ouvre en fait plus facilement que je ne le pensais. Je la referme aussitôt derrière moi. Il me reste maintenant à trouver une bonne excuse de me trouver à cet endroit si on venait à m’y surprendre soudainement. Je pourrais dire que je pensais que ce bâtiment était des toilettes publiques. Après tout, Tokyo est rempli de ces toilettes au design particulier et pourquoi pas brutaliste comme celle-ci. Je peux donc ouvrir tranquillement la porte de ces toilettes nouvellement inaugurées par moi-même. La porte n’est pas fermée. Je l’ouvre doucement avec un peu d’hésitation. L’espace intérieur est exiguë et sombre. Une petite lampe est placée sur une table ronde dans un coin du bloc de béton. Sur le mur, une grande carte de Tokyo est épinglée. Elle est écornée sur les bords et je constate malgré l’obscurité ambiante que cette carte est usée à certains endroits, comme si on avait trop souvent touché du doigt certains lieux de la carte. Il n’y a pas d’annotation. Cette carte reste vierge mais elle est assez ancienne. Je n’y retrouve pas des complexes qui ont pourtant plus de vingt ans comme Roppongi Hills ou Tokyo Mid-Town. Le sol est carrelé de grandes dalles grisâtres. Sur la gauche de la table, un escalier descend vers un sous-sol. On devine une faible lumière au bout de cet escalier mais il m’est difficile d’entrevoir combien de marches le composent. « お先にどうぞ » me dit soudainement une faible voix derrière moi, m’invitant à prendre les devants et à descendre ces escaliers. Elle me surprend et me fait sursauter. Je me retourne aussitôt. Devant moi, se tient l’ange noir de tout à l’heure. Son visage est pâle et ses traits de visage très fins et doux, malgré un maquillage rougis autour des yeux. Ses cheveux d’or illuminent la petite pièce sombre d’un étrange halo de lumière. Sa mèche noire cache une partie de son visage. Elle me regarde mais son regard est vide. Son sourire est figé. Il est apaisant et repousse toute crainte. Elle me tend une main. Elle est blanche et fine avec des ongles vernis de couleur noire. Je ne sais pas si je dois lui saisir la main, mais je le fais sans réfléchir en la regardant dans les yeux. Sa main est glacée comme si aucune vie ne la traversait. Aucun mot ne sort de ma bouche car je suis comme hypnotisé. Je ne ressens en fait pas le besoin de briser le silence intense de la pièce. Mais les pensées se bousculent dans mon cerveau. Est ce possible qu’elle m’attendait ici? Peut-être m’avait elle vu au moment où elle a ouvert la porte donnant sur la rue. Ceci importe peu maintenant et l’idée ne me vient même pas de lui poser la question. Ce qui m’intrigue maintenant beaucoup, c’est cet escalier devant moi.

Sentant peut-être mon hésitation à descendre le premier, elle prend les devants. Sa main m’échappe alors qu’elle descend la première marche. Elle descend l’escalier doucement et avec beaucoup de précaution. Je la suis deux marches derrière elle en fixant le haut de sa chevelure d’or comme point d’accroche. Il n’a pas de rambarde pour se retenir mais l’escalier n’est heureusement pas très pentu. Je me dis tout d’un coup qu’elle ressemble à la chanteuse Nyamura qui elle-même semble être tirée d’un personnage irréel de manga pour filles. L’escalier est plus long que je ne le pensais. J’ai l’impression qu’on a déjà descendu plus de cinq étages et la fin n’est pas proche. L’ange noir aux cheveux d’or s’arrête soudainement et se retourne pour me regarder dans les yeux. Elle ne dit pas un mot mais me regarde avec le même sourire un peu figé qui semble pourtant sincère. Cette sincérité me rassure et me fait continuer à la suivre dans ce monde inconnu. Elle semble convaincue que je la suis et reprend donc la descente lente des escaliers. On arrive finalement à la première marche de cet escalier, au niveau d’une petite pièce entourée de murs en béton brut. La lumière y est tamisée. Je remarque tout de suite la présence d’un vieil homme en costume noir assis sur un long fauteuil de cuir noir capitonné d’un style rétro. Il ne me regrade pas et semble perdu dans ses pensées. Il n’a peut-être pas remarqué mon arrivée dans la pièce. La jeune fille vêtue de noir qui m’a accompagné jusqu’à maintenant me fait signe de m’asseoir sur une chaise en bois mat avec accoudoirs. Au centre de la pièce, une table basse de verre est posée sur un tapis persan de couleur rougeâtre. Sur le mur derrière le sofa de cuir, je reconnais une représentation approximative des grandes falaises d’Etretat. Le dessin est réussi mais je ne parviens pas à reconnaître Etretat, du moins l’image que j’en ai car je n’y suis jamais allé. On pourrait penser qu’il s’agit d’une peinture effectuée à partir d’un souvenir vague de ces fameuses falaises. Le vieil homme aux cheveux blancs dégarnis ne bouge pas, les mains posées sur les genoux. Il est en attente de quelque chose ou de quelqu’un.

Mon ange noir se dirige vers le vieil homme et lui chuchote quelques mots à l’oreille que je ne parviens pas à comprendre et lui donne une enveloppe blanche de format B5. Le vieil homme hoche la tête pour indiquer sa compréhension. Je le regarde et pendant ce laps de temps, la jeune fille quitte la pièce sans que je m’en rende compte. Elle a dû s’éclipser par l’unique porte de la pièce. Le vieil homme tourne finalement son regard vers moi. Il ouvre délicatement dans un mouvement lent l’enveloppe et en retire un papier imprimé de quelques phrases. Il dépose le papier sur la table basse et le dirige dans ma direction. Je comprends qu’il faut que je lise ce texte. Il est écrit en japonais et en anglais. Il s’agit d’un avis du Comité d’observation du Tokyo parallèle 「パラレル東京観測委員会」. Je le lis très attentivement pour être sûr de ne rien manquer. En résumé, le papier me fait part du fait que le Comité a bien pris acte des découvertes que j’ai pu faire ces dernières années de différents lieux du Tokyo Parallèle et que j’ai écrit des articles à leur propos sur mon site internet personnel. Le Comité me demande de ne plus partir à leur recherche, de ne plus écrire à leur sujet et de nier leur existence. En regardant le vieil homme qui me fixe maintenant dans les yeux d’un air sévère, je ne peux m’empêcher d’essayer de me justifier. Les lieux du Tokyo Parallèle ne se découvrent que par hasard et les découvertes ne sont pas intentionnelles. Je dirais même que plus on les cherche, moins on les trouve et que les quatre ou cinq lieux découverts dans Tokyo jusqu’à maintenant l’ont été par un pur hasard. Disons que je m’y sentais attiré, comme ça pouvait être le cas cette fois-ci pour ce mystérieux bloc de béton. Tout le problème, lui dis-je, sans aucune réaction de sa part, est que ces lieux intrigants apparaissent sur mon chemin sans que je les recherche. Son absence totale de réaction m’oblige à abdiquer. Je lui déclare finalement que je mentionnerais désormais sur mes potentiels nouveaux articles au sujet de ce Tokyo Parallèle, qu’il ne s’agit que de pure fiction et l’existence même d’un éventuel Tokyo Parallèle ne serait que pure affabulation de ma part. Ces quelques mots semble satisfaire le vieil homme. Il me fait signe de la main de me diriger vers la petite porte. Je me lève aussitôt en le remerciant avec un sourire forcé. La petite porte s’ouvre avant que je ne l’atteigne. L’ange noir aux cheveux d’or m’attendait à la porte. « 一緒に帰りましょう » me dit elle d’une voix douce, que je devine souriante, pour m’indiquer qu’il est temps de rentrer. La pièce donne sur un long couloir étroit couvert de vitrages de chaque côté. Je comprends que ce passage se trouve entre les deux voies de la ligne de métro de Chiyoda au niveau de la gare de Nogizaka. On aperçoit les quais du métro des deux côtés mais les usagers attendant leur train sur les quais ne nous voient pas. L’ange noir se retourne vers moi et me confirme que cet endroit fait partie du Tokyo Parallèle et que notre présence entre les voies est transparente pour les usagers. L’impression du temps qui passe est ici très différente. Je le constate très vite au passage d’un train qui est extrêmement ralenti par rapport à la normale. Les vitrages du couloir décrivent en sur-impression les sentiments non exprimés des usagers des trains dans un défilement semblable aux vidéos du site Nico Nico Dōga. Les bonheurs cachés et les malheurs enfouis sont représentés par écrit par des textes défilant sur les longs vitrages de chaque côté du couloir. Elle m’indique que ce couloir permet de connaître les sentiments les plus profonds des habitants de Tokyo, pour entrevoir leurs peurs et leurs aspirations. J’essaie de ne pas trop y faire attention pour ne pas me laisser emporter dans ce tourbillon de sentiments. Elle m’explique également que le couloir contient 46 grands vitrages interconnectés, 23 de chaque côtés, donnant sur la station de Nogizaka. Nous les traversons rapidement jusqu’à une dernière porte métallique. Avant de l’ouvrir, mon ange noir se tourne à nouveau vers moi. « 雨宮夢子です!またよろしくね ». Elle s’appelle Amemiya Yumeko. Peut-être qu’un jour prochain, je pourrais rejoindre le Comité me dit-elle. Je ne sais pas si je le souhaite vraiment mais je suis en tout cas heureux d’avoir fait connaissance d’une alliée dans mes découvertes involontaires du Tokyo Parallèle. Elle me laisse maintenant ouvrir la porte métallique et se retire doucement. J’ouvre la porte sans me retourner. Un autre escalier monte dans le noir. Il est long mais je maintiens mon rythme d’ascension. J’aperçois finalement un signe lumineux indiquant une porte de sortie. « 8番出口 », pour Sortie numéro 8, est indiqué sur la porte. Elle donne sur un des couloirs de la station de Nogizaka. La sortie n’est bien sûr indiquée sur aucun plan de la station car elle n’existe pas officiellement. Je referme la porte donnant sur le couloir du métro. Rien n’est inscrit sur ce côté de la porte et aucune poignée permet de l’ouvrir depuis le couloir. Il ne s’agit que d’une sortie. Je viens de refermer derrière moi un monde de mystère et je ne sais pas si l’occasion de revoir l’ange noir Amemiya Yumeko se représentera de si tôt. En attendant une prochaine rencontre hypothétique, je reprends ma marche dans les couloirs de la station de Nogizaka jusqu’à la sortie la plus proche. Je sors de mon sac mon iPod et mes écouteurs. Dans ma playlist, quelques morceaux de Nyamura sur son premier album Another Seraph.

L’étonnant album Flesh de cyber milkchan (Cyber Milk ちゃん) m’a donné envie d’écrire le texte ci-dessus, qui je le rappelle n’est que pure fiction et affabulation de ma part. L’album Flesh est sorti le 12 Mars 2025 et contient 10 morceaux électroniques laissant une grande part à l’instrumental à tendance expérimental, mais sur lesquels cyber milkchan vient y ajouter sa voix éthérée et rêveuse. L’ambiance de chaque morceau nous transporte dans un autre monde, que j’imagine loin de toute réalité. La voix de cyber milkchan y est toujours modifiée, ce qui renforce ce sentiment d’irréel. L’excellent premier morceau intitulé Supernal Form nous plonge tout de suite dans cette ambiance à la fois futuriste et vaporeuse. Les morceaux s’enchainent dans une grande unité stylistique même si chaque morceau a été composé par des musiciens différents. Le chant de cyber milkchan parvient à créer ce trait d’union entre chaque morceau qu’on pourrait croire avoir été composé par la même personne. Le quatrième morceau Ecstatic Heart Beat est très certainement mon préféré. Il est même assez fabuleux dans sa composition. J’aime particulièrement la manière par laquelle le beat électronique se désynchronise et se synchronise et la voix étrange de cyber milkchan répétant des phrases similaires de manière répétitive dans la deuxième partie du morceau, un peu comme sur le morceau Sunkisssed dont je parlais dans un billet précédent et par lequel j’ai découvert cette artiste. Cette ambiance est vraiment tres particulière et les morceaux n’ont en général pas une composition classique, à part peut-être le neuvième morceau puffy thoughts qui prend des accents plus pop. L’album est en fait assez différent de ce que j’avais initialement imaginé avant la première écoute, mais j’aurais pu tout de suite deviner une approche expérimentale en voyant l’étrange photographie de couverture où on la voit porter un morceau de viande à la main. Cette photographie a été prise par Isotec81.

Comme mentionné ci-dessus, je commence également l’écoute du premier album de Nyamura intitulé Another Seraph, sorti le 3 Mai 2025. Les quelques morceaux que j’ai découvert sont assez fidèles à ce que j’imaginais de Nyamura. On retrouve par exemple sur le très beau cat reincarnation une atmosphère mélancolique un peu similaire au morceau you are my curse, dont j’avais parlé dans un précédent billet. En fait, l’album part également vers d’autres directions avec l’excellent Chō Digital Chõ Detox (超デジタル超デトックス) composé par Sasuke Haraguchi. Il y a quelque chose de très ludique et sautillant dans le rythme de ce morceau, mais il est en même temps dense et complexe. Le phrasé rapide de Nyamura et l’aparté local sur les complaintes du digital rendent ce morceau particulièrement attrayant. Sasuke Haraguchi est un des compositeurs dont on voit souvent le nom évoqué, tout comme KOTONOHOUSE sur le morceau S.O.S.G.A.L que Nyamura interprète avec Rinahamu (苺りなはむ). Le morceau se tourne plutôt vers l’hyper pop, qui apporte un contraste que j’aime beaucoup avec les voix éthérées de Rinahamu et dans une moindre mesure de Nyamura. La vitesse des passages rappées m’impressionne sur ce morceau en particulier et garde le dessus sur l’hyperactivité pop de la composition musicale. Je vois assez souvent Rinahamu intervenir sur des morceaux d’artistes que j’aime comme 4s4ki, ce qui m’a poussé à découvrir l’excellent morceau RAD RAD, sorti en 2024, du groupe BPM15Q. BPM15Q se compose en fait de Rinahamu et de nicamoq (にかもきゅ) au chant, et elles ont des voix au kawaiisme assez similaire. Plusieurs morceaux sont composés par Teddyloid, dont celui que je mentionne. Je ne forcerais personne à l’écouter car il faut accrocher à ce type de voix, mais les apparences initiales évoluent très vite lorsque le beat de Teddy Loid se fait plus puissant et disruptif. Au passage, je n’avais pas remarqué que Rinahamu avait participé à la première formation de BiS de l’agence Wack, à la même période que First Summer Uika (ファーストサマーウイカ), mais elle prenait le nom de Rina Yokoyama (ヨコヤマリナ). Et en parlant de Teddyloid, je ne pouvais pas passer à côté de l’excellent single Act (アクト) qu’il a composé avec Giga pour DAOKO. Le chant de DAOKO tantôt rappé, tantôt chanté, est habilement volatile et versatile. Quelle dextérité vocale et quelle aisance! On sent une synchronisation au centième de millimètres entre la composition électronique super dense et le chant de DAOKO qui ne l’est pas moins. En parlant de Nyamura et cyber milkchan que j’avais découvert grâce au single GALFY4, je ne peux pas louper un détour vers la musique de KAMIYA qui menait ce morceau. KAMIYA évolue désormais dans une formation nommée XAMIYA avec Xansei. J’écoute le single Ron sorti en Octobre 2024, qui adopte des sons plus rocks mais mélangés d’une electro un peu French touch. Le « Ready or Not, I don’t care » que scande à répétition Airi Kamiya pendant le refrain de ce morceau est particulièrement convainquant et a du très certainement convaincre le public américain du festival SXSW où le groupe se produisait avec le délégation japonaise. Bref, musicalement, je ne sais plus où donner des oreilles tant je découvre de bonnes choses.

J’étais en fait venu à Nogizaka pour aller voir une exposition d’architecture consacrée à Kazuo Shinohara (篠原一男) se déroulant à la Gallery MA (TOTOギャラリー・間). L’exposition s’intitule Inscribe Eternity in Space (空間に永遠を刻む) et se déroule du 17 Avril au 22 Juin 2025. Le titre de l’exposition fait référence au fait que l’architecte, dans le Japon des années 1960, a affirmé une vision architecturale centrée sur la pérennité de l’espace, en opposition au courant métaboliste de l’époque qui prônait plutôt une architecture en constante évolution. L’exposition nous présente quelques unes de ses oeuvres architecturales emblématiques comme House in White (白の家) et House of Earth (地の家), qui expriment ces archétypes spatiaux durables, ces maisons étant encore préservées actuellement. Dans le monde actuel de l’éternelle reconstruction, cette pensée à long terme est très inspirante. Le jour de ma visite, les organisateurs de l’exposition proposaient une visite guidée de l’exposition, ce qui permettait de comprendre un peu mieux la pensée de Kazuo Shinohara et les concepts ci-dessus appliqués à son architecture. L’assistant curateur Koshiro Ogura (小倉宏志郎) nous guidait en japonais pendant une quarantaine de minutes pour nous présenter les oeuvres mises en avant sur les deux étages de la galerie MA. Parmi les architectures présentées, il y avait bien sûr House in Uehara que j’avais découvert dans les rues de Yoyogi-Uehara il y a plus de dix ans lors d’une longue quête d’une autre maison emblématique de Kazuo Shinohara, House in a Curved Road. J’avais été fasciné par les poutres intérieures de béton de House in a Curved Road vues seulement en photo, ce qui m’avait poussé à partir à sa recherche, bien que de l’extérieur, rien ne laisse présager de la beauté artistique de l’espace intérieur. J’en avais tiré une série de billets intitulée À la recherche de la maison sur une rue incurvée, que je garde précieusement en mémoire comme des bons moments alors que j’avais à l’époque deux heures de libre tous les samedi (二時間だけのバカンス) pour marcher dans ce quartier. House in Uehara, habitée par le photographe Kiyoji Otsuji (大辻清司), possède également des poutres de béton brut un peu similaires et devenant obliques au deuxième étage. Il y a clairement une dimension artistique, et non purement fonctionnelle, aux espaces créés par Kazuo Shinohara, et je pense que c’est ce qui m’attire le plus dans son architecture. La galerie MA n’est pas très grande mais possède une terrasse sur laquelle une chronologique de ses oeuvres est affichée. On pouvait également lire un grand nombre de pensées de l’architecte, écrites comme des slogans en graffiti sur les murs. J’en note quelques uns comme Symmetry as strength (シンメトリーというのは力) qui me parle beaucoup, A house is a work of art (住宅は芸術である) qui correspond bien à l’approche artistique de l’architecte, ou encore Progressive anarchy (プログレッシヴ・アナーキー) dont la signification me laisse un peu plus interrogatif. On peut accéder au quatrième étage du building pour la deuxième partie de l’exposition depuis un escalier de la terrasse donnant sur une passerelle métallique suspendue. La deuxième partie se concentre sur la maison personnelle de Kazuo Shinohara à Yokohama avec maquette, reconstitution de quelques éléments mobiliers qu’il a conçu et de nombreux croquis, notamment de son dernier projet avant sa mort en 2006. Kazuo Shinohara a conçu principalement des maisons individuelles mais j’avais également photographié le futuriste Centennial Hall de l’Université Tokyo Institute of Technology (東京工業大学) à Ōokayama. Shinohara y a fait ses études et y est devenu professeur pendant de nombreuses années depuis 1970. De l’exposition, j’aurais bien ramené le gros bouquin commémoratif des cent ans de sa naissance (416 pages en japonais et un booklet de 60 pages en anglais) mais le prix et l’encombrement ont été dissuasif. D’autant plus que j’ai acheté plusieurs livres ces derniers mois, dont je n’ai d’ailleurs pas encore parlé sur Made in Tokyo.