une tranquillité éphémère

Après avoir fait le tour de Sky House, je reviens vers la station de Gokokuji (護国寺) avec l’intention de marcher à travers le quartier de Zōshigaya (雑司ヶ谷) jusqu’à Ikebukuro. Je garde pour ce quartier de Zōshigaya une attirance particulière depuis mon passage il y a quelques mois à la recherche du lieu de tournage de la vidéo de Kabukichō no Joō (歌舞伎町の女王) de Sheena Ringo. Je ne vais pas cette fois-ci retourner au temple Kishimojin-dō (鬼子母堂), mais m’arrêter dans un autre grand temple, celui de Gokokuji donnant son nom à la station de métro. L’enceinte du temple est vaste incluant un cimetière dans lequel on peut trouver, si on cherche bien (ce que je n’ai pas fait), la tombe de l’architecte anglais Josiah Conder, mort en 1920 et surnommé au Japon le « père de l’architecture moderne japonaise ». Il a notamment conçu Ichigokan (premier immeuble des bureaux Mitsubishi) à Marunouchi, la demeure Iwasaki (du clan fondateur de Mitsubishi) dans l’arrondissement de Taito ou encore la demeure du baron Furukawa dans l’arrondissement de Kita au nord de Tokyo. Josiah Conder a formé des architectes comme Tatsuno Kingo qui concevra la gare de Tokyo en 1914.

Le temple Gokokuji fut établi en 1681 et le hall principal Kannon-Dō construit en 1697. Il a survécu au grand tremblement terre de 1923 et aux bombardements de la deuxième guerre mondiale, et il est resté grandement inchangé depuis cette époque, bien que certaines dépendances aient été ajoutées plus tard comme la grande et magnifique porte Furō-Mon en 1938. On la voit sur la première photographie du billet. Il se dégage une grande sérénité de cet endroit qui nous déplace en dehors de notre époque. Lorsque je marche dans les allées du temple, près des derniers cerisiers en fleurs, j’aimerais que le temps s’arrête pendant quelques heures pour prendre le temps d’en profiter pleinement. Il n’y a pas foule dans l’enceinte du temple, et on se sent seul avec soi-même, accompagné par des milliers d’âmes. Ces endroits ne sont pas pour moi propice à la réflexion ou à l’introspection. J’y fais plutôt l’expérience du vide dans un espace où les obligations de la vie de tous les jours n’ont plus beaucoup de sens et d’importance. Ces moments ont quelque chose d’agréable même s’ils sont très éphémères. Sortir de Gokokuji nous ramène à la réalité fracassante de la ville car il nous faut passer dessous la bruyante autoroute intra-muros surélevée numéro 5 pour progresser plus avant vers Ikebukuro. Je gagne ensuite le vaste cimetière de Zōshigaya et retrouve une tranquillité passagère. La ville redevient plus dense lorsqu’on s’approche d’Ikebukuro. Une tour gigantesque au loin m’est familière. Il s’agit d’une tour résidentielle conçue par Kengo Kuma qui se nomme Brillia Tower Ikebukuro. La partie haute de la tour est conventionnelle mais l’originalité du design vient plutôt de la partie basse composée d’un patchwork de matériaux. Je ne trouve pas l’ensemble particulièrement harmonieux et même un peu chaotique. Le but de ma marche vers Ikebukuro était de voir un autre building de taille plus réduite. J’en parlerais dans un prochain billet.

Je prends moins de photographies ces derniers jours et je ne suis pas sûr de pouvoir en prendre beaucoup pendant la Golden Week qui démarre. Le nouvel état d’urgence nous contraint à passer plus de temps chez soi, mais ça ne m’empêche en général pas de marcher à l’extérieur. Un soudain mal de dos qui prend du temps à passer va certainement m’obliger à marcher sans mon lourd appareil photo. Je vais peut être faire un peu plus de vélo, ce qui m’amènera de toute façon vers des endroits où je vais moins. Dans les coulisses du blog, j’essaie ces derniers temps de corriger les liens dans les anciens articles vers lesquels je fais référence dans des billets récents ou alors dans les anciens billets qui sont les plus populaires (en général plutôt ceux orientés architecture). Ce n’est pas toujours facile de réparer les liens quand ils ont été cassés, surtout quand ce sont des liens vers des blogs qui ont aujourd’hui disparus. Je me rends compte que la plupart des blogs sont éphémères malgré la bonne volonté initiale de leurs auteurs. Je mets en général beaucoup de liens dans mes billets. J’en mets peut être trop d’ailleurs, si on considère le risque qu’ils finissent par disparaître. J’avais d’ailleurs réfléchi à ne plus du tout inclure de liens dans le texte de mes billets mais plutôt les inscrire en note à la fin d’un billet, ce qui éviterait que la lecture d’un billet soit interrompue par un lien. Cela irait un peu à l’encontre du principe d’un article sur internet et ferait plutôt ressembler le texte à celui d’un magazine avec des notes en fin de page. Il me vient régulièrement l’idée de ne plus publier mes billets sur WordPress mais plutôt de les regrouper dans un petit magazine mensuel au format exportable en pdf. Je ne suis par encore prêt à franchir la pas, car il me serait difficile de patienter pendant un mois avant de publier quelque chose d’un bloc. C’est pourtant ce que j’avais fait en 2009 en ne publiant des photos qu’une fois par mois en forme de petit livret, mais j’avais eu du mal à me tenir strictement à ce rythme au fur et mesure des mois.

J’écoute l’album Yoake mae (夜明け前), prenant également le titre Before Sunrise, de Nana Yamato depuis environ un mois, mais je viens de me rendre compte que je n’en ai pas encore parlé sur ce blog. Ceux qui suivent Made in Tokyo depuis quelques années auront peut être fait le rapprochement avec l’artiste ANNA dont j’avais déjà parlé ici pour son EP Tonite sorti en Juillet 2018. Nana Yamato sort son premier album sous son vrai nom, plutôt que sous le nom de code plus commun de ANNA. J’avais beaucoup aimé cet EP Tonite à l’époque, mais son premier album sorti en Février 2021 est d’un autre niveau. L’ambiance de rock indépendant se construit pourtant dans la continuité de ses EPs mais je ressens une plus grande maturité dans ses compositions musicales et dans son chant, malgré le fait qu’elle n’ait que 20 ans. La musique et le chant de Nana Yamato ne s’imposent pas à l’auditeur, comme si elle jouait avant tout pour elle-même plutôt que pour un public. Mais, on se laisse facilement prendre par ces sonorités de guitares à la mélodie accrocheuse plutôt mélancolique, comme par exemple sur le quatrième morceau Gaito. Elle soigne particulièrement le final de certains morceaux en les concluant sur une partie instrumentale qui prend de nouvelles directions. J’aime beaucoup en rock indé quand le final d’un morceau part subtilement dans une direction inattendue. C’est le cas par exemple du morceau avec un titre en français Voyage et Merci, qui introduit en plus des sons de cuivre parmi les arrangements de guitares. C’est après plusieurs écoutes, le morceau que je préfère de l’album. Nana Yamato chante en japonais et en anglais. Il y a un charme certain dans sa manière de chanter en anglais avec un accent imparfait ou lorsque sa voix s’efface à la fin de certains couplets. Le texte accompagnant l’album sur la page Bandcamp est intéressant car il nous parle de son rapport à la ville.

Nana Yamato’s brilliance lies in a profound imagination that confronts the isolation and claustrophobia of Tokyo life, without losing grasp of the whimsy and romance of girlhood. “I think Tokyo is a lonely city,” says Nana. “It’s more like an empty city. It’s like there’s nothing in it but buildings. A big stadium was built, but the Olympics were postponed. It’s empty.” Yet it’s hard to ignore the romance the artist has with the streets that she walks; Japanese and English vocals sing about the lights and sounds of the city, as if there’s no place else she could exist.

C’est certainement le propre des grandes villes, mais le sentiment de solitude dont parle Nana Yamato existe bien à Tokyo et je le ressens moi-même souvent, sans qu’il soit pesant, au contraire. En dehors des grandes artères, Tokyo est principalement vide de monde. Le grand stade dont elle parle est celui conçu par Kengo Kuma, censé être utilisé pour les Jeux Olympiques. Elle le montrait déjà dans une vidéo de ce EP Tonite et c’est peut-être dû au fait que le label indépendant Big Love Records qui distribue ses albums est situé dans ce même quartier.

l7été(8)

Depuis Shinjuku, je passe par Kabukichō au petit matin alors qu’il n’y a presque personne dans les rues à ces heures matinales. Même ceux trop enivrés par la soirée précédente étaient déjà montés dans le premier train du matin. La tour noire Ichiban-Kan par l’architecte Minoru Takeyama se dresse soudainement devant moi à un détour de rue sans que je m’en rende compte. Je ne vois pas celle qui l’accompagne d’habitude, la tour colorée Niban-kan du même architecte. J’ai l’impression qu’elle a été rasée car de nombreux terrains vagues entourent maintenant le quartier. Kabukichō est peut être un plein redéveloppement. Tokyo est de toute façon en éternelle reconstruction. Vous l’aurez peut être remarqué, ce billet fonctionne en symétrie. La tour Ichiban-kan répond à l’immeuble métaboliste New Sky Building de Yōji Watanabe sur la dernière photographie. Je le redécouvre également par hazard, mais cette fois-ci dans son hideuse tenue verte. Quelque drôle d’idée d’avoir recouvert le béton de cette couleur verdâtre. Entre ces deux immeubles, j’insère des stades tout en rondeur, le Tokyo Metropolitan Gymnasium redessiné d’un design futuriste par Fumihiko Maki de 1986 à 1990. Juste à côté, le nouveau grand stade olympique par Kengo Kuma est en bon état d’avancement. Après le projet de Zaha Hadid avorté pour raison de coût, c’est rassurant de voir que cette version plus simple semble en bonne voie pour être prête pour les jeux olympiques de 2020. Au centre de la série, une espèce d’orgue métallique étrange interpelle. Ce sont des tubes attachés à l’arrière du Tokyo Metropolitan Gymnasium, dont j’ignore bien entendu leur fonction mais qui attirent mon regard photographique par leur symétrie parfaite.

Photographies extraites des videos disponibles sur YouTube des morceaux Tonite et Cloud dancer du EP Tonite par ANNA.

On peut dire que je ne chôme pas au niveau des découvertes musicales ces derniers temps. Le week-end dernier, je découvre le EP intitulé Tonite par ANNA sur le label indépendant Big Love Records, sur lequel on trouve également Aya Gloomy dont je parlais il y a quelques temps. ANNA s’appelle en fait Nana Yamato et cet EP sorti le 13 Juillet 2018 est son deuxième. Il s’agit d’un rock indépendant assez minimaliste composé et interprété par elle-seule, à en croire les crédits des vidéos YouTube nous faisant découvrir les 3 morceaux du EP. La voix monocorde de ANNA posé sur un fil de guitare parvient à créer une ambiance sombre et profonde. Les vidéos accompagnant les morceaux sont dans un format VHS plein de dérochages mais représentant une image actuelle de la ville. Cela donne un sentiment de distorsion du temps, tout spécialement intéressant car la chanteuse est jeune mais chante d’une voix très mature, froide et blasée comme si elle en avait déjà trop vu de cette ville. Dans ces vidéos, on la voit marcher vers Shinjuku dans certains endroits que je reconnais, et même jusqu’au stade olympique en construction. Sans le faire exprès, mes photographies de ce billet reprennent certains lieux empruntés par ANNA dans ces vidéos. Le morceau central du EP, Cloud Dancer, est mon préféré, mais avec les deux autres morceaux Tonite et She is the sun, ce EP forment un ensemble qui s’écoute d’une traite comme une petite pépite rock qui ne demande qu’à grandir. Comme d’habitude, on peut se procurer cette musique sur la page Bandcamp de l’artiste.