Petits moments d’architecture (9)

Comme je le mentionnais dans un ou deux billets précédents, nous allons de temps en temps à la recherche de sanctuaires intéressants à Tokyo pour y récupérer le sceau Goshuin que nous collectionnons précieusement dans un petit carnet. Cela nous donne parfois l’occasion d’aller explorer des lieux dans Tokyo que nous ne connaissons pas beaucoup voire où ne sommes jamais allés. Ce n’est pas le cas du quartier où se trouve le sanctuaire Hibiya en photographie ci-dessus. Malgré son nom, il se trouve à Higashi-Shinbashi, tout près de Shiodome. Le parc Hibiya est cependant relativement proche. On a certainement maintes fois emprunté la Route 15 qui passe devant mais je n’avais jamais remarqué ce sanctuaire. Il est d’une taille assez réduite et a la particularité d’être coincé entre les lignes de chemins de fer derrière, les immeubles d’un côté et deux grandes avenues à plusieurs voies (la Route 15 et la 405/481) devant. Il n’y a pas moins de 5 voies de chemin de fer passant derrière le sanctuaire: la ligne Tokaido, la ligne Ueno-Tokyo, la ligne Keihin-Tohoku , la ligne Yamanote et la ligne de Shinkansen Tokaido, le tout se dirigeant vers la gare de Tokyo. Depuis la porte torii, on a une vue directe sur les avenues, ce qui donne une vue intéressante. Ce sanctuaire est pratiquement une caricature du Tokyo qui s’est modernisé trop vite en épargnant par-ci par-là des bouts de traditions. On a l’impression d’être en sécurité sur un petit îlot à part loin des dangers du traffic.

Il n’y pas beaucoup de hauts immeubles dans le quartier de Hiroo, sauf le long de l’avenue Gaien Nishi-dori qui passe devant la gare. La petite tour de 8 étages appelée ESQ.Hiroo est composée d’un zigzag de forme noire qui me fait penser à un serpent. Son élégance discrète est mise en avance par le fait qu’elle se détache un peu du reste des immeubles. J’aime prendre ce building en photo lorsque je passe devant car les vitrages enfermés dans l’encadrement noir sont très photogéniques. Lorsque je le regarde, j’aime aussi imaginer ce que ça pourrait donner de vivre la haut sans personne autour et de se lever le matin en regardant la ville à travers les baies vitrées. Nous avons déjà vécu de nombreuses années au huitième étage d’une résidence, mais je ne sais pour quelle raison, l’impression que donne cette tour fine est différente. Peut être parce qu’il semble n’y avoir qu’un seul appartement tout en haut, avec le privilège d’une vue unique.

Un peu plus loin dans les rues de Hiroo près de la gare, le petit bâtiment en forme de parallélogramme appelé Sorte par l’architecte Junichi Sanpei de l’atelier ALX est vraiment perdu dans les habitations basses du quartier. Il faut emprunter une petite rue pour y accéder. Mais lorsque l’on fait le tour du bâtiment, on se rend compte que deux des façades sont largement visibles depuis un vaste parking. Je prends la photographie montrée dans ce billet depuis ce point de vue là. Malgré sa taille relativement petite, Sorte se compose de cinq appartements. Le deuxième et troisième étages sont occupés par un seul appartement plus vaste que les autres (celui des propriétaires), dont on voit une des ouvertures en forme de triangle. Les quatre autres appartements sont en location et sont distribués sur le premier étage, le rez-de-chaussée et le sous-sol. Chaque appartement est construit sur plusieurs étages et chacun des étages comporte donc des parties de chaque appartement. Le rez-de-chaussée par exemple est divisé en quatre parties et comporte donc les pièces de quatre appartements. Depuis l’extérieur, on ne devine rien de l’arrangement intérieur et de la manière dont il essaie de capter au mieux les lumières du soleil.

Juste en face du National Museum of Western Art conçu par Le Corbusier, se dresse le grand hall Tokyo Bunka Kaikan dessiné par Kunio Maekawa, disciple de Le Corbusier. Les œuvres du maître et de son disciple se regardent à longueur de journée, se comparent peut être pour vérifier si l’élève arrive enfin à dépasser le maître. Il doit y avoir égalité même si les formes en béton renforcé exposé du Bunka Kaikan impressionnent peu être un peu plus à première vue. Ce bâtiment d’architecture moderne date de 1961. C’est un building d’aspect brut mais les lignes ont beaucoup d’élégance. Je n’ai jamais assisté à un spectacle musical à l’intérieur de la grande salle. Prendre cette photographie et en parler ici me rappelle qu’il me reste encore beaucoup de choses à faire à Tokyo et que je suis loin d’en voir le bout. Les occupations quotidiennes font que l’on oublie. Il faudrait que je sois plus discipliné et que je prennes des notes de tous les endroits que je souhaite voir un jour.

J’ai déjà parlé brièvement du sanctuaire Taishido Hachiman, se trouvant dans le quartier de Sangenjaya. Là encore, il se trouve perdu dans un quartier résidentiel. Il faut s’enfoncer dans les rues étroites pour le trouver, car il est éloigné des grandes artères. De ce fait, l’endroit est extrêmement calme et reposant. Nous y sommes passés à la fin de l’été et l’ombrage apporté par les arbres tout autour du sanctuaire apportait une protection salutaire. C’est tous les ans la même chose, lorsqu’on est en hiver, on attend impatiemment l’arrivée de l’été avec des images bucoliques de la campagne de Totoro en tête, et quand l’été arrive, on regrette la fraîcheur de l’hiver. Les jours où l’on peut vraiment apprécier pleinement le Japon s’étalent sur des périodes assez courtes au printemps et à l’automne lorsqu’on n’est pas en pleine saison des pluies et que les typhons ne viennent pas nous décourager de sortir.

Le sanctuaire de Karasumori se trouve également prés de la gare de Shinbashi, pas très loin du sanctuaire Hibiya dans je parlais plus haut. Le sanctuaire a été établi en l’an 940 (ère Heian), mais le bâtiment fait de béton est bien entendu beaucoup plus récent. A l’époque Edo, le lieu où se trouve le sanctuaire était une plage avec une forêt où se retrouvaient des groupes de corbeaux. Le nom du sanctuaire est directement tiré de cette forêt de corbeaux. Loin des espaces ouverts de l’époque Edo, il se trouve actuellement coincé dans un espace étroit entre les immeubles. On y accède par une allée étroite elle-même bordée de quelques izakaya. Les formes modernes brutalistes de béton exposé et l’austérité générale de l’edifice le rendent extrêmement intéressant et unique dans le paysage urbain.

le ciel au dessus de moi s’ensoleillera maintes fois

私の上にある空は、何度でも晴れる。Le ciel au dessus de moi s’ensoleillera maintes fois.


Je viens de revoir Millenium Mambo du taïwanais Hou Hsiao Hsien, l’histoire de Vicky perdue dans sa vie et son histoire d’amour faite de répulsions, d’alcool et de cigarettes. Le film démarre dans un tunnel piéton sous la musique envoûtante de Lim Giong. Dans un style complètement différent, je trouve une similitude entre cette scène et la séquence d’ouverture de Lost Highway de David Lynch avec la musique de Bowie. Dès que commence le morceau « I’m deranged » de David Bowie, on est comme hypnotisé par ses images associées à cette musique. On est mis sur un rail émotionnel qui ne nous lâchera pas jusqu’à la fin du film. Le même effet se produit pour moi en regardant cette première scène de Millenium Mambo. Vicky, interprétée par l’actrice Shu Qi, marche de dos sous cette musique de Lim Giong. Elle se retourne parfois avec un sourire vers la caméra. Une voix off nous explique son histoire. On comprend vite que Vicky n’est pas aussi heureuse que son sourire pourrait le faire croire. Son histoire n’est pas tragique non plus, elle est simplement faite d’un lâcher prise sur sa vie, sans boulot sérieux et liée à un entourage douteux. Elle reprendra pourtant prise par moments avec ses amis mi-taïwanais mi-japonais, les frères Takeuchi, qui l’amènent à Yubari à Hokkaido, dans un paysage complètement enneigé, un paysage éphémère de « joie triste », un paysage apaisant par rapport aux nuits dans les clubs de Taipei.

J’ai également ressenti cette « joie triste » quelques fois mais il y a longtemps, un certain sentiment de solitude quand on marche dans les rues de Tokyo, mélangé à une joie certaine d’y être. Je ne pense pas qu’on puisse avoir ce sentiment lorsque l’on vient en touriste, pressé par les visites à faire et les lieux à voir, mais quand on y vient comme habitant au début. Je retrouve également ce sentiment dans Lost in translation quand Charlotte se trouve seule à marcher dans les rues de Tokyo et Kyoto. D’une manière un peu différente, je retrouve une émotion similaire en regardant sur l’écran le paysage sous la neige de Yubari la nuit, sans personne sauf les corbeaux. A cette tristesse des lieux, se superposent les rires de Vicky et des frères Takeuchi. Il doit y avoir quelque chose du mono no aware dans cette scène. Je revois régulièrement Millenium Mambo ou Lost in translation pour retrouver cette émotion, que je ressentais parfois il y a longtemps, mais qui a disparu de ma vie actuelle.

Le film de Hou Hsiao Hsien évolue lentement. On observe beaucoup Shu Qi dans ses mouvements répétitifs et dans ses attitudes, superbe de justesse. Après avoir revu le film, samedi tôt le matin alors que Mari dort encore et que Zoa joue sur sa console Switch en silence sur un coin du sofa, je ressens le silence des lieux. Je me sens même saisi, pendant quelques minutes seulement, par le bruit des choses du quotidien qui émerge de ce silence: la bouilloire qui siffle, la tasse que l’on pose sur la table de bois, l’eau chaude que l’on verse doucement. C’était un étrange sentiment.

une balle à la dérive

Tous les soirs sans exceptions, Zoa écrit sur son journal les histoires de la journée. Parfois, l’inspiration ne vient pas et ça devient une véritable épreuve qu’il trouve insurmontable. Ce soir là , il savait exactement ce qu’il allait écrire: l’histoire d’une balle à la dérive.

Alors que Mari fait quelques courses au supermarché d’à côté, Zoa et moi décidons d’aller jouer au ballon de foot dans le parc Arisugawa, histoire de faire quelques passes sur le vaste terrain de graviers en haut du parc. Depuis l’entrée principale, il faut suivre un chemin de terre avec quelques marches. Zoa, la balle au pied, ne peut s’empêcher de la faire rouler devant lui en faisant des passes en avant. Le ballon, qui fait des siennes suite à une passe un peu trop forte, viendra percuter une des marches du chemin de terre et se jeter dans l’étang du parc. A notre grand malheur, le ballon de foot dérive très vite hors de portée, loin du bord. Impossible de le récupérer à la main sans se mouiller les pieds dans cet étang dont on ignore la profondeur. Les légers courants de vent ne font qu’écarter le ballon du bord. Les tortues qui nagent à proximité ne nous aident pas beaucoup non plus. Pire, la balle vient maintenant s’accrocher à des racines d’arbre sur un îlot de l’étang.

L’affaire est perdue. Nous ne récupérerons jamais notre ballon et ne feront pas de passes aujourd’hui sur le terrain en haut du parc. Zoa est dépité et je ne peux m’empêcher de lui rappeler que je lui avais bien dit plusieurs fois de tenir ce ballon en mains lorsque l’on monte les marches du chemin de terre. Que peut on faire? Je n’ai pas le souvenir d’avoir aperçu des gardiens dans ce parc. Nous faisons un tour de l’étang pour vérifier s’il n’y a pas un moyen de gagner l’îlot pour s’approcher du ballon, mais c’est cause perdue. Il n’y a pas non plus de gardiens en vue dans ce parc. On se résigne sur notre sort. Zoa fera attention la prochaine et il nous reste qu’à revenir la tête basse au supermarché où se trouve Mari. On repasse quand même une dernière fois vers les lieux du drame. Un groupe d’enfants munis d’un long bâton en bois essaient de récupérer notre ballon, mais sans succès. « On viendra voir demain s’il s’est rapproché du bord » crie un des petits garçons. J’ai bien peur que notre balle fasse le bonheur d’un autre enfant plus chanceux que nous.

Alors qu’on se lamente devant l’étang en espérant par miracle qu’un gros coup de vent vienne libérer notre ballon, un homme d’un certain âge, retraité sans doute, s’approche de nous. Il a compris la situation et, sans qu’on lui demande, il semble décidé à nous aider. Alors qu’il commence à ouvrir sa sacoche devant nous, je pense au miracle. Le vieil homme doit être un pêcheur du dimanche possédant une canne à pêche télescopique géante qui nous permettra d’aller tapoter le ballon pour le ramener gentiment vers nous. Mais, il n’en ai rien. L’homme sort de son sac une bouteille d’eau en plastique découpée en deux et attachée de manière très artisanale à un épais fil jaune. L’idée de l’homme est d’essayer de lancer la demi-bouteille en plastique au plus près du ballon et de la ramener d’un coup sec pour créer un courant qui déplacera la balle sur l’étang. Malheureusement, nos tentatives sont infructueuses. Zoa tentera également de lancer la bouteille en plastique plusieurs fois sous la supervision du vieil homme, mais nous ne réussirons pas à récupérer la balle. Nous nous rendons à l’evidence, cette technique ne fonctionne pas du tout, et cela malgré l’enthousiasme de Zoa. Je m’en doutais un peu depuis le début. Au moins, nous aurons essayé au mieux et sans regrets. On se confond en remerciements envers cet homme qui était bien gentil de donner de son temps pour aider un petit garçon et son papa dans leur mésaventure. Au moment des aurevoirs, je demande quand même au vieil homme s’il sait où se trouve le poste du gardien du parc. Il doit être sur le terrain en haut du parc, nous indique t’il. Dépêchons nous d’aller voir si ce gardien peut nous aider. Nous remercions encore mille fois le vieil homme en lui disant au revoir, et courant vers le haut du parc.

Nous trouvons rapidement le poste du gardien. Malheureusement, il semble fermé car il est déjà 17h passé. Zoa aperçoit quand même le gardien assis à l’intérieur et tapote à la vitre pour attirer son attention. Zoa expose notre situation. Bien plus que moi, il reste persuadé que l’on peut encore récupérer cette balle. Le gardien accepte de notre prêter une longue épuisette, mais le manche est bien trop court. Il faudra aussi la ramener avant 17h30 car le gardien termine son service. Nous n’avons que 10 minutes pour essayer de récupérer la balle avec l’épuisette. Je ne suis pas convaincu mais nous dévalons quand même les escaliers du chemin de terre du parc jusqu’à l’étang. A notre grande surprise, le vieil homme de toute à l’heure était toujours là, fidèle au poste. Nous ne pensions pas le retrouver ici. Encore mieux, le ballon s’est libéré des racines de l’îlot. Il est maintenant beaucoup plus proche du bord, mais pas assez pour l’attraper avec l’épuisette. Là commence un travail d’équipe hors pair. Je m’occupe de jeter la bouteille en plastique pour faire approcher la balle, le vieil homme donne des conseils sur la manière de lancer la bouteille et Zoa se tient prêt à intervenir, l’épuisette à la main. Nous arrivons à faire se rapprocher la balle après plusieurs essais. Zoa saute sur les rochers au bord de l’eau. Une excitation monte lorsque la balle passe à portée d’épuisette. Zoa réussit la prise et nous récupérons finalement notre précieux trésor. Cela paraissait tout d’abord impossible, mais nous avons finalement réussi. Le vieil homme était vraiment d’une grande gentillesse et nous lui en sommes très reconnaissants. Nos chemins se séparent à ce moment-là. Le sourire sur le visage, nous partons vers le terrain du haut du parc, la balle à la main, pour faire quelques passes bien méritées. Le gardien du parc attendait debout qu’on lui ramène son épuisette.

Après notre partie de foot, Zoa raconte cette histoire à Mari avec beaucoup de passion. Il écrira cette histoire dans son journal, l’histoire d’une précieuse balle à la dérive, en apparence perdue pour toujours, l’histoire de ce vieil homme si gentil et de notre persévérance. Ce petit épisode était finalement une bonne leçon pour nous tous.

l’apogée du cerisier en fleur (1)

Cette année est tout particulièrement bonne pour les cerisiers en fleur, je dirais même exceptionnelle car je n’ai pas le souvenir d’une météo aussi faste pendant la période des cerisiers. En général, une vague de froid et de pluie vient soudainement balayer les fleurs et grandement écourter la période déjà bien éphémère pendant laquelle on peut les apprécier. Les photographies de ce billet datent de samedi dernier au moment de la pleine floraison. Le long de la rue Nisseki, des rangées de cerisiers bordent l’hôpital et ensuite l’école pour filles Jogakkan. Un peu plus loin dans Hiroo, mon oeil bifurque des cerisiers vers l’architecture, celle d’une étrange maison individuelle avec imitation d’un pont aux faux airs californiens. Et sur la photographie ci-dessus, le restaurant japonais Waketokuyama fait de briques par Kengo Kuma se mélange avec un cerisier en hauteur qui surplombe l’édifice d’une très belle manière.

Nous sommes ici en plusieurs photographies devant le rivière Meguro aux alentours de Naka-Meguro. C’est un passage obligé en cette période et j’y prends en photo les cerisiers tous les ans. Mais de toute manière, j’y vais très souvent, même plusieurs fois par semaine. C’est un endroit que j’apprécie, et bien entendu, je ne suis pas le seul. La foule venue nombreuse est au rendez-vous. Il y a même beaucoup trop de monde car il est difficile de se déplacer dans les rues longeant la rivière en cette période des cerisiers. Les lieux sont beaucoup plus calme heureusement, en temps normal.

La rue Meiji, au niveau de Shibuyabashi à proximité de Ebisu, est vraiment magnifique cette année. J’ai même l’impression que les cerisiers ont plus de volume que l’année dernière, mais ce n’est peut être qu’une impression. Continuons encore un peu dans un prochain billet, avec d’autres photographies, celles du dimanche.

un brin de rose sur le béton

Je ne pensais pas repasser à Azabu-Jūban aussi rapidement depuis mon passage en courant la semaine précédente, mais Zoa passant une audition dans le coin nous ramène dans ces rues. Cela me donne l’occasion de reprendre certains bâtiments et rues avec l’appareil photo reflex plutôt que l’iPhone. Nous y allons en marchant en traversant Hiroo, notamment en passant devant l’ambassade d’Allemagne. Le mur extérieur de béton de l’ambassade est partiellement recouvert d’une fresque commémorative du mur de Berlin. Ce mur construit pendant la guerre froide entre les deux Allemagnes était debout pendant 10316 jours soit 28 ans et cela fait justement 28 ans cette année qu’il est tombé. Un artiste allemand Justus Becker et un artiste japonais Imaone ont travaillé ensemble sur cette longue fresque. En parlant d’Imaone, je prends souvent en photo une de ses fresques tout à la verticale cachée derrière un building à Kichijoji. J’aime beaucoup la dynamique du trait et les couleurs employées sur ses fresques. En remontant un peu plus la rue en longeant le parc Arisugawa en direction de Sendaizaka, on passe également devant l’immense et très particulière propriété du groupe de chaines d’hôtels APA. On dit que c’est la résidence de sa présidente. Je me demande quel peut bien être l’architecte de cette résidence si particulière.

Au croisement de Shin-ichinohashi tout près de la station de Azabu-Jūban, l’étrange building de 14 étages Joule-A par l’architecte Edward Suzuki se dresse tout en courbe. D’extérieur, il se présente comme une structure squelettique recouverte d’une toile métallique partielle, qui ressemble à des nuages. A chaque fois que je passe devant cet étrange immeuble, une scène du film Tokyo Eyes de Jean-Pierre Limosin me revient en tête, celle où K (Shinji Takeda) et Hinano (Hinano Yoshikawa) décident de tenter leur chance pour entrer dans une boîte de nuit sélect de Azabu. A l’intérieur, on y passe un morceau électronique de Takkyu Ishino, une version re-mixée de I Thought 3, But Were 4 In Fact, sur l’album Dove Loves Dub dont je parlais dans le billet précédent. J’ai re-regardé ce film il y a quelques jours car je me souvenais qu’il se déroulait en grande partie près de Shimo-Kitazawa, et je voulais voir si je reconnaissais quelques lieux. Le film étant sorti en 1998 en France, je pense que je l’ai vu pour la première fois au cinéma en France avant de partir pour le Japon. Je le regarde assez régulièrement car j’aime son ambiance, celle des rues de Kitazawa que K parcourt en naviguant comme une brise avec sa mini caméra video.

Au détour d’une rue, je retrouve l’immeuble LAPIS des architectes Iida Archiship Studio, mais sous un autre angle, alors qu’un brin de rose traverse devant le béton brut. Un peu plus loin dans la rue, un autre building un peu plus récent est recouvert d’un mur végétal. On voit de plus en plus ce type de mur recouvert de végétation dans Tokyo, concept inventé par Patrick Blanc. Le cas de l’immeuble ci-dessus semble tout de même être une version très simplifiée du mur végétal.

En fin de journée, nous bifurquons vers Roppongi Hills, pour aller voir l’exposition de l’argentin Leandro Erlich au Mori Art Museum. On s’est dit qu’il devait y avoir un côté ludique à cette exposition qui plairait à Zoa, et c’était bien le cas. Nous avions manqué à Kanazawa la fameuse installation de la piscine car elle était en rénovation pendant notre passage l’année dernière, donc on se rattrape avec cette exposition. La piscine n’était pas montrée, mais il y avait un grand nombre d’installations jouant de manière similaire sur notre perception. Les jeux de miroirs viennent perturber notre réalité et nos repères. D’un point de vue conceptuel et même ludique, cette expression est très intéressante. Le problème est qu’il y avait foule le dimanche après midi, et attendre une demi-heure pour voir une installation à l’intérieur même de l’exposition, c’était vraiment trop. Une des créations majeures de cette exposition était celle du building, où avec un jeu de miroir, on se donne l’impression de se retenir pour ne pas tomber de la façade du building. Malheureusement, avec la foule agglutinée et remuante comme sur un terrain de jeu, l’effet était vraiment estompé. Il aurait fallu prendre un jour de congé et venir en semaine pour apprécier l’exposition au calme. Les installations montrées sont également la plupart du temps intéressantes du point de vue de la technique utilisée pour modifier la perception du réel, mais au final, ce que l’on voit dans l’oeuvre, c’est une réalité que l’on connait bien. De ce fait, ça m’a laissé un peu froid. Par exemple, on doit attendre une dizaine de minutes en file d’attente pour regarder une installation se présentant comme une porte, faisant l’épaisseur d’une porte normale, posée au milieu de la pièce. Lorsqu’on regarde à travers l’œillère de la porte, on aperçoit un couloir vide. On imagine un ingénieux jeu de caméra avec video installée à l’intérieur de la porte, pour nous donner l’impression que l’on voit ce couloir. La technique est impressionnante, mais au final, ce que l’on voit c’est un couloir vide, tout ce qui a de plus quelconque et banal. D’autres objets sont à mon avis plus poétiques, comme la représentation d’un pays par des superpositions de plaques de verre donnant une impression de nuages et de contours flous. L’effet fonctionne très bien pour des pays à la forme très distinctive comme le Japon et la France. En fait, je préfère les installations qui n’ont pas besoin de la présence du visiteur pour fonctionner comme oeuvre d’art.