体験は無限

Je n’avais pas fait l’expérience de la marche entre Shibuya et Shinjuku depuis de nombreuses semaines. J’y trouve étonnamment à chaque fois des nouvelles choses à photographier comme si mon focus visuel changeait à chaque fois. Je n’avais par exemple par remarqué jusqu’à maintenant le faciès robotisé du building de la première photographie. Peut-être est-ce la lumière du soir qui change ma perception et me fait découvrir de nouvelles choses. Cette lumière du soir se reflétant sur les vitrages d’un nouveau building posé sur la nouvelle rue reliant l’avenue Meiji et le parc Shinjuku Gyōen m’attire également. Sur la dernière photographie, nous sommes dans le centre de Shinjuku devant le building MetLife Shinjuku Square décorée d’une grande illustration de l’artiste japonais originaire de Kanagawa, Hogalee. Cette œuvre a été créée en conjonction avec l’exposition de l’artiste intitulée Entanglement qui a lieu dans la galerie Kana Kawanishi dans le quartier de Koto. Le titre de l’exposition fait référence au ’quantum entanglement’, où intrication quantique en français, qui est un phénomène dans lequel deux particules forment un système lié et présentent des états quantiques dépendant l’un de l’autre quelle que soit la distance qui les sépare. Ce concept s’applique pour cette exposition dans le fait que des illustrations liées sont présentent dans deux espaces distants l’un de l’autre. Mais je ne pense pas que les illustrations en elles-mêmes se modifient les unes par rapport aux autres, car ce dessin sur le building de Shinjuku reste tout à fait statique.

Dans les rues de Shibuya, je suis toujours attiré par le personnage appelé Uyu (si je ne me trompe pas) dessiné par l’artiste Fuki Committee. Il faut dire que ces stickers sont vraiment nombreux dans les rues de Shibuya et il faut vraiment le vouloir pour ne pas les remarquer. Le message « ダメよ。ゼッタイ。 », faisant référence à une interdiction stricte, m’a toujours intrigué car on ne connaît pas la nature de cet interdit et on peut imaginer plein de choses. Ce message d’interdiction n’est en fait pas lié à un sujet précis mais fait plutôt référence à toutes les règles imposées dans le système social japonais. En ce sens, c’est un message assez similaire à celui de Wataboku dans ses illustrations de personnages féminins portant toutes sortes de panneaux d’interdiction sur leur visage. On peut soi-même imaginer de quel interdit Fuki fait référence sur ces autocollants de rue. En tout cas, un des interdits est celui de poser des autocollants sur les murs des espaces privés ou publics. J’imagine que l’artiste a dû avoir, de temps en temps, quelques problèmes avec les autorités locales. Je suis toujours surpris de voir ce genre d’artistes présenter leurs œuvres dans des galeries car c’est comme s’ils montraient à visage découvert, au grand jour. Une petite exposition intitulée Slap’n Run dans la galerie America Bashi près de Yebisu Garden Place présentait en fait des illustrations de Fuki Committee en collaboration avec deux autres artistes de rue: makersspace et VLOT. J’ai souvent vu leurs autocollants collés dans les rues de Tokyo. J’y suis passé très rapidement un soir de week-end pour apprécier leurs œuvres murales se mélanger les unes avec les autres. Le personnage aux oreilles de lapin de VLOT prenait par exemple le visage de la fille dessinée par Fuki. Les blocs pixelisés de makersspace venaient se mélanger avec les personnages des deux autres artistes.

Pour terminer en musique, je reviens vers la musique de macaroom avec deux morceaux, mugen (無限) et hong kong, sur un album sorti l’année dernière intitulé inter ice age 4. L’idée m’est venue d’écouter le morceau hong kong car je m’y suis justement déplacé quelques jours cette semaine. Le morceau mugen a cette beauté subtile typique de macaroom, qui n’exagère rien mais arrive à toucher à des sentiments profonds. Ces deux morceaux me font ensuite revenir vers d’autres plus anciens du groupe, comme celui intitulé Mother, dont j’avais déjà parlé sur ce blog. L’envie de réécouter la voix d’Emaru et les compositions d’Asahi me reviennent régulièrement, notamment le sublime morceau Tombi (sur l’album Swimming Classroom), qui reste inscrit dans ma liste, longue peut-être, des meilleurs morceaux de musique electro-pop japonaise. Je pense que la vidéo joue aussi sur l’appréciation que j’ai du morceau.

On pourrait écrire des pages et des pages sur l’importance des visuels et des vidéos. Je suis par exemple particulièrement déçu de voir Daoko utiliser une vidéo animée créée par Intelligence Artificielle pour le dernier morceau Mr. Sonic de son nouveau groupe QUBIT. On a déjà vu des centaines de fois ce type d’imageries génériques se transformant à l’infini. Il n’y a rien de spécifique à l’univers de Daoko ou de ce groupe, à part peut-être une vague ressemblance des visages. Le morceau en lui-même est loin d’être mauvais mais ne révolutionne rien. Ça ne m’empêchera pas d’aller découvrir l’album du groupe, mais je trouve que cette vidéo est un faux pas et j’ai l’impression qu’on lui a fait remarquer sur les réseaux sociaux. On est loin de la qualité de vidéos comme celle d’Onaji Yoru (同じ夜) et celle grandiose de Step Up Love (ステップアップLOVE) par Yuichi Kodama avec le génial Yasuyuki Okamura (岡村靖幸). Et en parlant de l’importance des visuels dans notre appréciation musicale, Moeka Shiotsuka (塩塚モエカ) de Hitsuji Bungaku (羊文学) en parlait justement dans une interview récente par Seiji Kameda (亀田誠治) sur la radio J-Wave. Elle disait qu’elle choisissait souvent la musique qu’elle allait écouter en fonction des couleurs des pochettes des albums. Je ne pouvait pas manquer cette interview, d’autant plus qu’elle a confirmé que Hitsuji Bungaku jouait bien des reprises de Tokyo Jihen, en particulier Gunjō Biyori (群青日和) à ses débuts. J’ai été particulièrement intéressé et satisfait par sa sélection musicale pour l’émission avec d’abord XTAL d’Aphex Twin (sur Selected Ambient Works 85-92), puis Date with IKEA de Pavement (sur Brighten the Corners), Amai Kaori (甘い香り) de Cocco (sur l’album きらきら), Pretender de Winter (sur Supreme Blue Dream) et finalement le morceau GO!!! du groupe qui sera présent sur le nouvel album. Ce sont des groupes et artistes que j’aime et écoute, à part Winter que je ne connaissais pas mais que je vais chercher à découvrir. La présence d’Aphex Twin me surprend mais Kameda y ressent une inspiration dans la musique de Hitsuji Bungaku, dans les chœurs peut-être ou dans cette inspiration de monde flottant. XTAL est en tout cas un superbe morceau que je me mets à réécouter maintenant. L’émission étant sponsorisée par une grande marque automobile, Moeka parle des morceaux qu’elle aime passer en voiture. Elle ne conduit pas mais c’est elle qui construit les playlists lors de virées avec ses amis. Il faudrait qu’elle les publie quelque part.

暗い光の中トンボがブーンと飛ぶ

Au pied de la forêt cachant presque la pagode à cinq étages du gigantesque temple Ikegami Honmonji, un groupe de skaters investissent la rue presque vide. Je les regarde de haut et en CinémaScope depuis le jardin circulaire posée sur le toit du Hall d’Ikegami. Je vois beaucoup plus de skateboards dans les rues en ce moment, certainement parce qu’il a beaucoup moins de passants pour leur dire que c’est interdit ou dangereux. J’aurais aimé savoir faire du skate pour pouvoir glisser dans les rues, mais les quelques tentatives, quand on avait une planche à la maison, ne m’ont pas amené bien loin. À la réflexion faite, plutôt que de glisser, je préférais voler comme une libellule en zigzaguant à toute vitesse entre les maisons et les rangées d’immeubles. Lorsque la lumière s’assombrit et que les nuages sont denses, la ville prend une ambiance tourmentée et les couleurs de la végétation s’intensifient. Un peu plus loin dans les rues d’Ikegami lorsque l’on s’approche de la gare, j’aperçois une vieille résidence de couleur turquoise. Cette couleur inhabituelle et les formes angulaires des balcons me tapent à l’œil. C’était peut être dû à la lumière sombre du soir, mais j’ai trouvé une beauté certaine dans cette vieille résidence.

Depuis que j’ai écouté l’album Swimming Classroom du groupe electro-pop Macaroom, je suis leurs nouvelles sorties très attentivement car j’y ressens une inventivité qui me plait beaucoup, que ça soit dans les compositions musicales toujours impeccables de Asahi ou pour la voix de Emaru. Le groupe sort pratiquement à la suite deux nouveaux très beaux morceaux en single, qui sont en fait des collaborations. Kodomo no Odoriko invite Toshiaki Chiku, du groupe Tama (originaire de Saitama) comme interprète principal du morceau, avec Emaru en accompagnement vocal. J’aime en général beaucoup les morceaux chantés à deux voix, surtout quand elles sont très différentes. La voix de Toshiaki Chiku 知久寿焼 est très particulière et de ce fait accroche tout de suite l’attention. Sur la vidéo de Kodomo no Odoriko, les danses étranges de Emaru donnent quelque chose de magique au parcours de la petite fille dans la ville. Comme sur le morceau Tombi sur l’album Swimming Classroom, j’adore les danses libres et spontanées de Emaru. Le deuxième morceau récemment sorti le 15 mai s’intitule Body of water et est une collaboration avec le groupe électronique écossais Post Coal Prom Queen. Lily Higham chante d’abord en anglais dans une ambiance musicale brumeuse et elle est suivie par la voix rappée chuchotée de Emaru en japonais. C’est une jolie association. Ces deux morceaux me poussent à explorer un peu plus la discographie de Macaroom et je continue avec le morceau Mother sur la partie (a) d’un album en trois parties intitulé official bootleg. Comme sur les autres morceaux, la composition musicale de Asahi mélange élégance et sophistication. Les mouvements de voix en duo sur ce morceau et l’utilisation de mots qui semblent parfois inventés tout en étant proches du japonais sont très intriguants. Ce morceau prend tranquillement sa place dans notre cerveau lorsqu’on l’écoute. Maintenant, j’écoute les morceaux du mini album Cage Out qui transforme des morceaux de John Cage en des nouvelles versions pop, mais qui restent tout de même très expérimentales. Encore une fois, ces morceaux à deux voix sont très atypiques et ont quelque chose de très attachants.

Pour terminer, certains l’auront peut être déjà remarqué, j’ai créé une page enquête en lien ci-dessus dans la barre de menu. Il faut quelques minutes seulement pour y répondre. Cette enquête est un essai qui me permettra, je l’espère, de mieux connaître les visiteurs de Made in Tokyo. Elle reste anonyme et chaque champ ne demande pas une réponse obligatoire. On peut par contre laisser un surnom ou un nom de code si on le souhaite, mais ce n’est pas obligatoire. Si j’ai assez de réponse, je ferais certainement un compte-rendu dans quelques temps.

いま世界が大変だから

La foule reste encore très présente au grand carrefour de Shibuya malgré le virus qui menace et le nombre de cas confirmés qui augmente un peu plus chaque jour dans tout le Japon. La proportion de personnes portant un masque pour se protéger, et protéger les autres, semble plus importante que l’année dernière, mais comme la période des allergies au pollen a déjà commencé, il est de tout façon assez normal de voir les gens se protéger de cette façon. Je fais la même chose même si l’allergie au pollen n’est pas très virulente pour moi cette année pour l’instant. Ces photographies datent en fait de la semaine dernière. Je pense que la proportion de gens masqués doit être plus importante maintenant. Je dirais environ 3/4 des personnes dans le train par exemple, même si les masques sont difficiles à se procurer. Dans les couloirs en dessous du carrefour de Shibuya, je découvre une exposition temporaire du photographe Tomokazu Yamada appelée Beyond The City. Il y documente en noir et blanc les changements actuels de Shibuya en montrant les zones de constructions. Des artistes sont invités à poser devant ces décors qui ont des airs apocalyptiques, et on reconnaît d’ailleurs KOM_I sur plusieurs photographies. Ça me rappelle qu’elle sera à l’écran sur Netflix dans la série Followers de Mika Ninagawa que je suis assez curieux de voir. Elle n’a pas le rôle principal ceci-dit.

En ce moment, les journées sont longues et difficiles et la musique relativement calme de Macaroom arrive au bon moment. J’écoute l’album Swimming Classroom du groupe sorti en 2018, mais que je ne découvre que maintenant au hasard d’une liste des meilleurs albums japonais de la décennie 2010 (créée par un groupe Discord que je suis depuis peu). C’est une excellente surprise et cet album a un petit quelque chose de réconfortant, certainement dû à la voix d’Emaru et aux compositions electro-pop lumineuses, comme des bulles de lumières, d’Asahi. Le morceau clé de l’album est le quatrième intitulé Tombi, qu’on ne se lasse pas d’écouter. La vidéo montre Emaru naviguer en zigzag dans les rues d’Ikebukuro, toute vêtue de blanc comme un être fantomatique. Ses mouvements ont beaucoup de liberté, ne se préoccupant pas des passants et des gens qui regardent. Cette inconsidération du regard d’autrui me fascine. Je ne suis pas sûr que la vidéo entière ait été prise à Ikebukuro mais je reconnais au moins le Tokyo Metropolitan Art Space de l’architecte Yoshinobu Ashihara dans lequel, ou à l’extérieur duquel, la plupart des scènes ont été prises. Un passage du morceau est parlé de manière rapide et ça me rappelle un peu Daoko. L’ambiance générale est cependant plus proche de l’univers musical d’Etsuko Yakushimaru, notamment pour les moments de fantaisie qui ponctuent certains morceaux. On y mélange les sonorités électroniques avec des bruitages extérieurs, des bruits de rues ou ceux d’une piscine (ou d’un bord de mer) sur le morceau titre. Un morceau comme naked lunch devient plus expérimental et mélange les directions musicales (j’y entends de brèves sonorités indonésiennes). La voix d’Emaru y est tellement modifiée dans ce morceau qu’on n’arrive plus à comprendre ce langage. Peut être s’agit il d’une langue imaginaire ou d’un japonais très modifié. Ce morceau ajoute une dose de mystère bienvenue. Les morceaux sont dans l’ensemble très mélodiques avec un grand souci de construction, mais souvent parasités de divers sons électroniques. L’album contient beaucoup de jolis morceaux, mais outre Tombi, j’ai une préférence pour le morceau d’ouverture akuma pour cette manière de chanter proche du parlé qui s’accélère par vagues et pour son final fait de soupires pleins d’une tension émotionnelle qui s’est amassée petit à petit au fur et à mesure que le morceau se déroule. Certains morceaux ont des côtés plus féeriques parfois ponctués de paroles énigmatiques comme le “2+2+2+ » en refrain sur le deuxième morceau woo. A force d’écouter cet album, il devient de plus en plus prenant et je finis par comprendre pourquoi il a été inclus dans cette liste des meilleurs albums japonais de ces dernières années. Ce type de liste reste de toute manière extrêmement suggestif et il y aurait beaucoup de choses à dire sur le classement, notamment la répétition excessive de certains artistes (Seiko Oomori, Ichiko Aoba, Tricot, Kinoko Teikoku…) dans le classement qui montre une certaine étroitesse de ce genre de communautés souvent centrées sur un groupe d’artistes et des styles musicaux bien déterminés. Toujours est-il que je suis friand de ce genre de listes car elles me permettent très souvent de découvrir de nouvelles choses, comme cet album Swimming Classroom de Macaroom. J’ y retrouve aussi beaucoup d’album dont j’avais parlé ici ces dernières années comme Shinsekai de Midori, Nightlife EP de Yuragi, Superman de Suiyoubi no Campanella (bien que ça ne soit pas mon préféré), Radio Onsen Eutopia d’Etsuko Yakushimaru, Eureka de Kinoko Teikoku, Itekoma Hits de Otoboke Beaver et Haru to Shura de Haru Nemuri.