好きよ

Je mélange les lieux sur la série photographique ci-dessus. La première photographie montre des graffitis nouvellement dessinés sur un mur bas entre le croisement de Yarigasaki à Daikanyama et la pente qui mène à Naka-Meguro. Il s’agit de petits personnages colorés humoristiques semblant accrochés à la route au dessus ou semblant la soutenir à bout de bras. Juste à côté, je constate que la marque de vêtements Franco-japonaise Maison Kitsune lance une nouvelle fois une série d’affiches groupées au même endroit que l’année dernière. Ces visages rouges ont un côté diabolique. La troisième photographie de la série nous amène dans un tout autre lieu, à Setagaya dans le quartier de Chitose-Funabashi, alors que je recherchais la maison conçue par Kazuyo Sejima, House in a plum grove. Ce bâtiment noir avec des feuillages dessinés est un théâtre. On part ensuite vers le quartier de Hiroo, le long de l’avenue Meiji. Je pense avoir déjà pris plusieurs fois en photo cette vieille baraque en bois qui semble prête à s’effondrer au prochain tremblement de terre. Autant Tokyo est en éternelle transformation, autant certaines bâtisses sont inébranlables. Il y a plusieurs années déjà, j’aurais parié sur une démolition imminente, mais elle tient bon. Il y a un tel bazar au rez-de-chaussée que je me demande si elle est toujours habitée. Le souci est qu’elle se trouve juste à côté d’une station service et je n’ose imaginer les conséquences si elle était amenée à prendre feu pour je ne sais quelle tragique raison. Le chat de la dernière photographie habite les rues d’un quartier de l’arrondissement de Ōta. Je le trouve assis impassible sur le siège d’un vieux scooter hors-service. Il me regarde d’un drôle d’oeil mais ne bronche pas quand j’approche l’appareil photo. Je m’attends à ce qu’il passe à l’attaque à tout moment, mais il reste immobile à me regarder avec une autosuffisance certaine. Ce chat se rêve d’être un lion féroce.

J’écoute à nouveau la musique du groupe Midori ミドリ. Après avoir écouté l’album Aratamemashite, Hajimemashite, Midori Desu et les deux premiers EPs First et Second, je passe maintenant à l’album Shinsekai sorti en 2010. Cet album Shinsekai, nom emprunté au quartier surchargé d’enseignes et d’affichages d’Osaka, garde la même ambiance survoltée que l’on connaît de Midori, fusionnant de manière très étonnante et réussie punk et jazz, autour du personnage principal de cette musique, à savoir Mariko Gotō 後藤まりこ et le décalage inhérent qui l’accompagne. Ce décalage démarre dès le premier morceau Hato 鳩 avec le chant de Mariko Gotō sonnant presque mignon et innocent, mais on n’y croit pas une seconde. Dans ces moments là, connaissant Midori, on se demande quand la montée soudaine des guitares et des cris vont surgir. Mais, il s’agit, pour un premier morceau, d’une introduction calme avant le massacre sonore qui suivra. Les trois morceaux suivants sont très puissants, pas autant que le « Destroy » du deuxième morceau Yukiko-san de Ataramashite…, mais la rapidité du phasé et de la musique sont imparables. Sur le deuxième morceau Bonyo VS Boyo 凡庸VS茫洋, Gotō démarre très vite et très fort jusqu’à ce que sa voix déraille. Mais elle maîtrise tout de même étrangement bien cette violence sonore. On sent qu’elle est, à tout moment, en contrôle de ce qui se passe dans le morceau et on a même l’impression que la partie instrumentale en deuxième partie du morceau subit l’inertie générale imposée par son chant. Les Sukiyo (好きよ) au rythme atténué vient comme réguler le flot musical. J’aime beaucoup ce morceau. Le reste contient cette même menace sonore faite de chaud et de froid, à l’intérieur d’un même morceau. Il y a un peu plus de morceaux calmes que les albums précédents mais l’accalmie n’est toujours que de courte durée…

笑いながらデストロイ

Il y a comme une symétrie dans cette série de photographies prises entre Shibuya et Harajuku avec un détour jusqu’à Kita Sando. La symétrie se présente notamment entre la première photographie et la dernière. La jeune fille qui prend toute la place en traversant un carrefour est un peu comme la voie express intra-muros transperçant un des grands carrefours de Tokyo près de la gare de Shibuya. Ce dernier carrefour est d’ailleurs en plein renouvellement car une nouvelle plateforme circulaire blanche est en cours de construction. La tour principale de la gare dessinée par Kengo Kuma est bien avancée, mais les derniers étages sont toujours en construction et on a bien du mal à savoir quelle sera sa hauteur finale. La maison individuelle Wood/berg de la deuxième photographie est également de Kengo Kuma, dans un style avec lamelles de bois immédiatement reconnaissable. Je l’ai souvent prise en photographie, mais j’aime bien la revoir dès que je passe dans le coin. Elle ne semble pas être attaquée par les années. Je repasse aussi devant la bâtiment brut de béton GA Gallery par Makoto Suzuki + AMS Architects. J’aime beaucoup dans ce bâtiment le mélange des vitrages inaltérables et du béton qui prend l’âge et les intempéries petit à petit. Alors que je marche vers Yoyogi pour me rendre jusqu’à Sangūbashi, je trouve malheureusement assez peu d’architecture qui m’intéresse, à part cette autre maison individuelle de la quatrième photographie, élégante toute de noir vêtue. Pour revenir à la pancarte publicitaire de la première photographie, c’est comme si ce personnage féminin allongé sur la rue allait sans crier gare détruire la ville avec un grand sourire.

J’ai découvert Mariko Gotō 後藤まりこ sur son EP Demo sorti récemment en décembre 2018 sous le nom DJ510MARIKO et sous un style électronique. Mais, elle évoluait avant cela au sein de la formation fusion jazz-punk Midori ミドリ fondée en 2003. Le style est assez particulier car il mélange à la fois le piano pour la partie jazz et les guitares et le chant torturé pour la partie punk. J’écoute d’abord l’album Aratamemashite Hajimemashite Midori desu あらためまして、はじめまして、ミドリです sorti en 2008 puis deux albums précédents First ファースト et Second セカンド♥ sortis respectivement en 2005 et en 2007. Que dire de cette musique à part qu’elle détonne franchement. Il suffit d’écouter le deuxième morceau Yukikosan ゆきこさん de l’album Aratamashite… pour se rendre compte de l’intensité sonore de cet assaut vocal et musical. Mariko Gotō commence le morceau par un cri « Destroy! » qui trouve réponse par des cris similaires d’un autre membre du groupe. Ce dialogue hystérique et énervé prend quand même parfois des moments d’adoucissement avec les notes de piano, avec un phrasé presque digne d’une idole et un solo de batterie. Mais ce n’est que de courte durée car le cri de ralliement du morceau reprend de plus bel. C’est vraiment un morceau particulier qui vaut la peine d’être écouté, si on n’a pas les oreilles sensibles bien sûr. Un autre morceau qui vaut le détour, c’est le premier morceau de Second, Doping☆Noise Noise Kiss ドーピング☆ノイズノイズキッス, très mouvementé et torturé. Mariko Gotō et ses musiciens ont clairement du mal à tenir en place en jouant ce morceau. Le reste de ces albums jouent dans un style similaire, mais avec parfois quelques morceaux plus « doux » comme des ballades de santé, le morceau 5 byōshi 5拍子5拍子 par exemple, ou des morceaux qui prennent des rythmes différents comme le morceau A.N.A. sur First. Parfois Mariko Gotō va trop loin dans l’excès vocal comme sur le premier morceau de First, bien que le morceau démarrait plutôt bien. On retrouve dans ces morceaux qui se perfectionnent petit à petit au fur et à mesure des albums, le même mélange du chaud et du froid. Les sauts d’humeur que l’on ressent à l’intérieur des morceaux rendent ces morceaux intéressants et assez imprévisibles. L’attitude et l’ambiance scéniques devaient certainement laisser une forte impression. On a comme l’impression que Midori libère en musique et en paroles une tension trop forte avant qu’elle n’éclate dans les doigts.