1991 not fading away

Marcher presque deux heures sans s’arrêter nous amène au pied du stade olympique. On voulait vérifier si les barricades blanches tout autour avaient été enlevées mais ce n’était pas encore le cas. Notre parcours de la journée nous fait traverser une petite partie du cimetière d’Aoyama que nous utilisons comme raccourci. Dans le décor urbain multiple de Tokyo, on trouve assez souvent des maisons effacées derrière une végétation qui prend tout l’espace. Cela peut être des branches et des feuillages qui recouvrent tous les murs d’un bâtiment pour le consommer à petit feu. Cela peut être, comme sur la troisième photographie du billet, un arbre planté devant une façade, dont la densité prend le dessus sur la construction humaine. Comme Mark Dytham documentant depuis peu sur son compte Instagram les maisons ordinaires qui ne le sont pas dans sa série Tokyo Vernacular, il y aurait matière à documenter ce type de maisons mangées par la nature. La dernière photographie nous fait revenir vers Harajuku avec une fresque montrant un être imaginaire que j’avais déjà montré dans un billet précédent. Elle est dessinée par l’artiste américain Zio Ziegler pour la magasin Beams se trouvant dans ce bâtiment. Cette illustration est là depuis environ trois ans et elle est restée intacte. Les graffiteurs médiocres n’ont heureusement pas encore décidé de dessiner par dessus. Comme les deux visages de Daikanyama cachés sous un pont, espérons que cette fresque reste à l’identique car j’apprécie énormément l’art de rue quand il devient permanent.

L’album Spool スプール du groupe du même nom était un de ces albums que je gardais dans ma wishlist Bandcamp depuis un petit moment après avoir découvert et beaucoup aimé un des morceaux, Be my Valentine. J’avais l’intention d’y revenir au bon moment, quand l’envie d’écouter du rock indépendant japonais se présenterait. A vrai dire, en écoutant l’album depuis quelques semaines, je ne comprends pas vraiment pourquoi je ne l’ai pas écouté plus tôt. Ce premier album sorti en Février 2019 des quatre filles du groupe Spool se dit inspiré par le son du rock alternatif US notamment Sonic Youth et Smashing Pumpkins, tout en mélangeant ses influences avec l’univers flottant et vaporeux du Shoegaze de My Bloody Valentine. Il y a en effet quelques touches et une ambiance générale qui rappellent le rock américain des années 90s, mais les compositions de Spool sur cet album sont je trouve plus mélodiques et beaucoup moins distordantes que le son de Sonic Youth. A part le deuxième morceau Be My Valentine qui est vraiment un point remarquable de l’album, j’aime d’ailleurs beaucoup quand le groupe va vers des terrains plus mélodiques et dream pop comme sur le septième morceau Sway, fadeaway ou le huitième Blooming in the Morning. L’album varie les ambiances tout en gardant les mêmes bases sonores, avec des morceaux plutôt shoegaze comme le cinquième Winter, d’autres plus contemplatifs comme le onzième Morphine pour terminer sur un son de guitare et de batterie plus menaçant sur le dernier morceau No, Thank You. L’ensemble de l’album se tient très bien sans morceaux faibles. Spool est encore un groupe qu’il va falloir suivre. Je me pose régulièrement la question du pourquoi il y a quelques années je me plaignais de ne pas trouver suffisamment de musique rock japonaise intéressante. Il suffisait de chercher un peu. Le rock n’est apparemment pas encore mort au Japon.

Dans l’adresse du site web ou du compte Twitter du groupe Spool, je remarque que la nombre 1991, que je suppose faire référence à l’année, y est noté. Cette année reste marquée dans mon esprit car c’était l’année de mes quinze ans. C’est également l’année où j’ai acheté mon premier CD, Nevermind de Nirvana, et par la même occasion commencé mon auto-apprentissage de la musique rock alternative que j’aime encore passionnément aujourd’hui, à travers les magazines Rock&Folk ou Les Inrocks et par quelques amis ayant les mêmes goûts musicaux que moi. De fil en aiguille, je découvre très vite Pixies et Sonic Youth qui m’accompagneront pendant longtemps. 1991 est l’année de sortie du dernier album de Pixies, Trompe Le Monde, mais je découvre d’abord le groupe par l’album d’avant, Bossanova. 1991 est également l’année de sortie de l’album unanimement reconnu du mouvement shoegaze, Loveless de My Bloody Valentine. J’associe également à cette année le documentaire intitulé 1991 The Year Punk broke suivant la tournée européenne de Sonic Youth accompagné par le jeune groupe Nirvana en Août 1991. Nirvana n’a pas encore sorti Nevermind à cette époque mais commençait à jouer des morceaux en concerts lors de cette tournée. Ils jouent en première partie de Sonic Youth qui les parraine. J’ai vu ce documentaire de David Markey bien après sa sortie alors que j’étais déjà au Japon, avec un brin de nostalgie. Le documentaire montre principalement des morceaux choisis de concerts de Sonic Youth, Nirvana mais également d’autres groupes alternatifs US, comme Dinosaur Jr, venus jouer dans les mêmes festivals d’été européens. Les morceaux de concerts sont parsemés de nombreuses scènes filmées en backstage ou pendant les temps libres du groupe. On y découvre un Thurston Moore sarcastique, mélangeant la poésie urbaine à l’humour adolescent. Comme on le voit sur quelques scènes, il partage ce trait de caractère adolescent avec Dave Grohl et Krist Novoselic de Nirvana, alors que Kurt Cobain parait, lui, beaucoup plus secret et sensible. Courtney Love du groupe Hole apparaît également sur une brève scène. On reconnaît déjà sa quête de célébrité mais on ne voit pas dans ce documentaire de rapprochement entre Courtney et Kurt Cobain. Thurston et Kim plaisantent plutôt avec un ton moqueur sur une prétendue liaison entre Courtney Love et Billy Corgan. On sait que Sonic Youth n’apprécie pas beaucoup le chanteur et guitariste des Smashing Pumpkins, pour je ne sais plus quelle raison. A cette époque là, Smashing Pumpkins vient juste de sortir depuis quelques mois leur premier album Gish. On ne voit malheureusement pas Billy Corgan à l’écran. En revoyant ce documentaire maintenant, je me rends compte que certaines choses sont devenus à la limite du correct, comme par exemple, les membres de Sonic Youth se moquant ouvertement des journalistes européens se prenant trop au sérieux. Casser des guitares ou les balancer sur la batterie à la fin du set étaient assez communs pour ce type de musique dans les années 90, mais je pense que les groupes de rock alternatifs sont beaucoup plus sages maintenant. Kurt Cobain était connu pour faire des dégâts sur scène, mais Sonic Youth beaucoup moins. Dans une scène du documentaire qui m’a amusé, on voit Thurston porter une de ses guitares en hauteur comme si il allait la fracasser sur une enceinte, mais se retient au dernier moment en adoucissant son geste. Sachant qu’il se déplace en concert avec une série de guitares accordées différemment pour chaque morceau, il a dû se raisonner avant de commettre l’irréparable. Le documentaire montre plusieurs fois cette série de guitares bien alignées les unes à côté des autres. Je n’ai jamais vraiment réussi à saisir si Sonic Youth étaient plutôt cérébraux ou instinctifs. Dans ce documentaire en deux parties, on entrevoit un groupe difficile à saisir, parlant très souvent au second degré, comme une protection sans doute. Cela explique peut être la longévité du groupe.

Pour accompagner le documentaire, David Markey a écrit un journal qu’il a publié en ligne. C’est très intéressant de lire ce journal avec quelques photographies et de revoir le documentaire. Il y a également un petit film supplémentaire avec des morceaux de films non utilisés intitulé (This is known as) The Blues Scale. Il y a notamment une très bonne version du morceau Eric’s trip interprété par Lee Ranaldo. On a tendance à oublier la qualité des morceaux de Lee. Les trois petites images ci-dessus montrent, de gauche à droite, l’affiche dessinée de cette série de concerts européens, un extrait du premier numéro du fanzine Sonic Death évoquant cette tournée, et la pochette du documentaire. Les deux parties du documentaire sont visibles en intégralité sur YouTube aux liens suivants: 1991 The Year Punk broke et (This is known as) The Blues Scale. Après les avoir regardé, je ne peux m’empêcher de revenir vers Goo, l’album sorti juste avant en 1990.

my daydream dream

Je n’avais pas créer ce genre de structures architecturales survolant Tokyo ou d’autres lieux depuis plus d’un an. L’envie me revient soudainement alors que je parcours des photographies de buildings prises il y a plusieurs mois. J’identifie un potentiel de megastructure sur deux ou trois photographies et il n’en faut pas plus pour relancer la machine créative qui fera émerger ces formes bizarres dans le ciel souvent agité, aux dessus des villes et des océans. J’adore jouer avec les images de bâtiments pour faire naître des symétries et créer de nouvelles formes énigmatiques à force de superpositions d’images. L’ambiance y est souvent tourmentée mais je ne vois pas de représentation hostile dans ces formes malgré leur apparente froideur et dureté. Tout comme mes représentations graphiques de buildings et de nature sur la série Urbano-végétal, je conçois cette série de megastructures comme une tentative de s’extraire du paysage urbain, comme si ces éléments flottant dans les airs avaient été arrachés de leur environnement urbain initial. C’est en quelque sorte une manière poétique de représenter le remplacement continuel qui s’opère dans l’urbanisme tokyoïte. Les buildings ne sont plus condamnés à la destruction programmée et se voient accorder une opportunité de s’évader vers d’autres horizons.

Ces dernières semaines, le magazine musical en ligne Pitchfork passe en revue tous les dimanches un album plus ancien qui n’avait jusqu’à présent jamais été couvert sur le site. Ce dimanche, c’était le fameux MTV Unplugged in New York de Nirvana, album en version live acoustique devenu culte, car enregistré quelques mois seulement avant la mort de Kurt Cobain en 1993. Lire cette critique tant d’années après avoir écouté cet album pour la dernière fois, me donne envie de me replonger un peu dans cette période et univers musical. L’envie me prend de réécouter Vs de Pearl Jam, notamment pour la voix d’Eddie Vedder, complétant tellement bien l’efficacité des guitares. Cet album de Pearl Jam est également sorti en 1993. À cette période, Smashing Pumpkins sortait le monumental Siamese Dream, mais c’est plutôt leur premier album Gish, sorti en 1991, que j’ai envie de réécouter ces derniers jours. Le titre de ce billet m’est directement inspiré par le dernier morceau de Gish interprété par D’Arcy. Dernière l’efficacité et la puissance de ce rock là, j’apprécie la réécoute de ces albums pour ces voix, celle de Kurt Cobain, celle d’Eddie Vedder et celle de Billy Corgan. Il n’y a pourtant pas de liens forts entre ces groupes, car ces trois là ne s’appréciaient pas beaucoup malgré une certaine proximité musicale (et géographique pour Nirvana et Pearl Jam). Quelques années seulement après, en Août 1995, un autre groupe culte du rock alternatif prenait naissance de l’autre côté du Pacifique, au Japon. Il s’agit du groupe désormais mythique Number Girl. Ils partageront les mêmes influences que les grands frères américains, notamment Pixies ou Sonic Youth, et c’est une des raisons pour lesquelles leur son m’a plus rapidement, même si je les ai découvert plus tardivement en étant au Japon. L’annonce de la reformation du groupe me donne envie de réécouter toute leur discographie, en commençant par leur dernier album datant de 2002, NUM-HEAVYMETALLIC. Ils se reforment pour des concerts mais je ne sais pas s’ils vont se remettre à l’écriture. J’espère grandement qu’on pourra retrouver la voix de Shutoku Mukai et la guitare de Hisako Tabuchi (entre autres) sur un nouvel album original.