day number 357

Comme tous les ans à la fin du mois de Décembre, je me rends au sanctuaire Ana Hachimangu situé près de la station de Waseda pour aller y chercher des talismans pour protéger toute la famille. J’y vais très tôt le matin. Quand je dis très tôt, c’est vraiment très tôt car je me lève en général vers 3h30 du matin pour prendre le premier train de la ligne Yamanote à 4h30 environ, pour arriver un peu après 5h à Ana Hachimangu. C’est un rituel que je suis loin d’être le seul à suivre car de très nombreuses autres personnes sont déjà sur place à attendre sagement l’ouverture du sanctuaire. Il faut en général attendre deux heures dans la nuit avant de pouvoir acheter ces fameux talismans. Depuis quelques années, j’ai développé une capacité certaine à attendre sans perdre patience. J’ai bien sûr mes écouteurs dans les oreilles. Je garde un souvenir particulier d’une attente devant et à l’intérieur du sanctuaire en écoutant les trois albums de Guernica (ゲルニカ), le groupe formé par Jun Togawa, le compositeur Koji Ueno et le parolier Keiichi Ohta. Cette musique est tellement particulière que ces moments en Décembre 2018 restent marquants. Le chef d’oeuvre musical de Guernica s’intitule Marronnier Tokuhon (マロニエ読本) et c’est un morceau que j’aime écouter de temps en temps. Cette fois-ci, dans la file d’attente, la musique qui m’accompagne est l’album Melting Moment de POiSON GiRL FRiEND que j’ai découvert un peu plus tôt cette année, alors qu’il date de 1992. En y repensant maintenant, j’aurais pu aussi réécouter Kyūsai no Gihō (救済の技法) de Susumu Hirasawa (平沢進). Certains morceaux comme MOON TIME ou STRANGE NIGHT OF THE OMNIFICENCE (万象の奇夜) sont tout particulièrement sublimes. Ce sera pour l’année prochaine, il faut que je m’en souvienne.

Je rentre ensuite à pieds depuis Waseda pour une marche de plus d’une heure et demi. Le hasard des rues me fait passer par Natsumezaka, et je reconnais tout de suite un immeuble conçu par Makoto Takei + Chie Nabeshima / TNA. Il s’agit du petit immeuble que je montre sur la quatrième photo. J’avais découvert cet immeuble nommé Between Natsumezaka (夏目坂の間), construit en 2015, dans le numéro 105 de la revue Japan Architect (JA) consacrée à TNA, qui montre également d’autres maisons que j’ai déjà trouvé dans les rues de Tokyo notamment Tie House et Mosaic House. La particularité de l’immeuble Between Natsumezaka est qu’il est construit le long d’une rue qui est amenée à être élargie dans le futur, ce qui peut prendre de très nombreuses années. Plutôt que de laisser vacant l’espace donnant sur la rue, la proposition de l’architecte a été de construire deux structures juxtaposées à l’avant et à l’arrière avec la possibilité de supprimer la structure donnant sur la rue sans affecter la structure arrière, si la rue venait à être élargie. On remarque d’ailleurs que la majorité des espaces habitables se trouvent dans la structure arrière et que la structure avant est principalement constituée d’espaces ouverts. Huit années se sont écoulées depuis la construction du building et la rue n’a toujours pas été élargie.

En marchant dans les rues du grand Shinjuku, j’écoute dans la playlist de mon iPod deux morceaux d’un jeune groupe de rock indépendant nommé 35.7 (サンジュウゴテンナナ), qu’on peut d’ailleurs apparemment réduire en « Go Ten Nana (ゴテンナナ) ». Le groupe est originaire de Tokyo et se compose de quatre membres: Yū Takahashi (たかはしゆう) au chant et à la guitare, Shuka Kaminohara (かみのはらしゅか) à la guitare, Sakuya (さくや) à la basse et Kona Katakuri (かたくりこな) à la batterie. Je découvre d’abord leur dernier single intitulé Shiawase (しあわせ), qui vient juste de sortir le 19 Décembre 2023. J’aime beaucoup la mélancolie qui s’en dégage et la voix de Yū, notamment sa manière chantante de terminer certains mots. Le morceau prend une tournure très différente dans sa dernière partie très rapide. Ce changement de rythme est assez surprenant et très bien vu. On retrouve une dynamique un peu similaire sur le morceau Shukujitsu Tengoku (祝日天国) sorti en Juillet 2022. Ce morceau a une énergie très communicative et la fraîcheur des amours de jeunesse. Il s’agit pour sûr d’un groupe à suivre de près.

couleurs et alignements

Quelques couleurs glanées à différents endroits de Tokyo sous la lumière forte et le ciel sans nuages d’hiver. Il fait froid mais l’ambiance du tout début d’année est agréable dans un Tokyo en grande partie vide de sa population. A vrai dire, comme je prends assez peu souvent les gens en photographie, on peut avoir l’impression que Tokyo est une ville vide de population à longueur d’année. Sur cette petite série de cinq photographies, j’aime particulièrement la première montrant l’arbre aux enfants こどもの樹 par Tarō Okamoto 岡本 太郎. Cette statue aux têtes colorées est prisonnière de barrières depuis quelques temps déjà. Les couleurs se répètent sur un immeuble de l’avenue Meiji à proximité du croisement de Harujuku, sur des véhicules développés par Toyota stationnés en groupe à l’arrière d’un building, sur un alignement de figurines sur le bord d’une fenêtre quelque part près de Sangūbashi. L’alignement sur cette photographie se poursuit sur la photographie d’affiches de films sur un des murs de béton d’un cinéma indépendant à Shibuya. Sur cette dernière photographie, j’aime surtout le contraste entre le papier fragile et coloré des affiches et le béton massif et grisâtre. Pour m’accompagner en musique en cette froide journée des congés de début d’année, j’écoute la musique de Susumu Hirasawa.

Je connais le compositeur et interprète Susumu Hirasawa 平沢進 depuis que j’ai vu son nom apparaître dans les crédits sur certains morceaux de YAPOOS sur l’album Dadadaism. Il a composé les musiques de deux morceaux Virus et Kondoru ga Tonde kuru sur Dadadaism, mais également des morceaux précédents à cet album comme Virgin Blues. J’écoute l’album Technique of Relief 救済の技法 (Kyuusai no Gihou) sorti en 1998. Il s’agit d’une musique électronique orchestrale extrêmement dense, que je dirais même épique, avec une approche symphonique teintée de world music. C’est un style musical assez différent de ce que j’ai l’habitude d’écouter, très efficace et dynamique sur certains morceaux, poussant à la méditation sur d’autres morceaux, comme sur le quatrième, Ghost Bridge par exemple. Sur ce morceau, j’ai l’impression de connaître cette voix depuis très longtemps, même avant mon arrivée au Japon. C’est une sensation assez bizarre. Il y a parfois dans ces morceaux une tristesse cinématographique, une intensité émotionnelle forte sur des morceaux comme Moon Time. La voix tout en nuances de Hirasawa y est pour beaucoup. Les morceaux sont tous très mélodiques, mélangeant parfois des sonorités sud asiatiques comme sur le morceau Strange Night of the Omnifiscience 万象の奇夜, un autre morceau qui me fait faire une pause dans ce que fait pour apprécier sereinement ces notes. J’ai développé une sorte d’addiction pour cet album que j’ai déjà écouté plus de vingt fois, je pense. Je ne pense pas me lancer dans la découverte méthodique de l’oeuvre musicale de Susumu Hirasawa ou de son groupe P-MODEL avant sa carrière solo, car sa discographie est extrêmement étendue. Je vais piocher au hasard quelques albums, peut être celui qui contient des morceaux de la bande originale du superbe film d’animation Paprika de Satoshi Kon 今敏.