près d’un quart de lune

Nous sommes ici à Yokohama dans le quartier de Minato Mirai, au plus près de la baie. Pour être plus précis, nous sommes sur une zone gagnée sur la mer nommée Shinko (新港). On trouve sur cette portion les anciens bâtiments en briques rouges Yokohama Red Brick Warehouse, mais nous étions venus jusque là pour aller jeter un œil rapide au nouveau centre commercial Yokohama Hammer Head (横浜ハンマーヘッド). Ce nom vient de la grande grue de manutention de fabrication anglaise datant de 1914. Elle a été laissée intacte à son emplacement et on la voit sur la deuxième photographie. Elle était utilisée sur cet ancien quai pour la manutention de fret pour les grands navires accostés au port. Elle pouvait transporter jusqu’à 50 tonnes d’acier et d’objets lourds. Nous n’étions pas venus dans ce quartier de Minato Mirai depuis plusieurs années et le décor urbain a changé par endroits. Un téléphérique a par exemple été installé pour desservir deux zones de Minato Mirai, mais nous ne l’avons pas emprunté, préférant marcher dans ces rues en fin d’après-midi pendant une journée de fin Décembre.

この静かな瞬間 (大さん橋 ver.)

Ce moment de calme, この静かな瞬間, indiqué dans le titre du billet est extrait des paroles du morceau Shijou no Jinsei 至上の人生 du nouvel album Sandokushi 三毒史 de Sheena Ringo 椎名林檎. J’avais d’ailleurs déjà utilisé cet extrait de paroles que j’aime beaucoup pour le titre d’un billet précédent en février 2015.

Je voulais voir le Yokohama Osanbashi International Passenger Terminal (横浜港大さん橋 国際客船ターミナル), conçu par Foreign Office Architects (FOA), depuis très longtemps mais la première opportunité ne s’est présentée que la semaine dernière lors d’une journée de congé. Nous avions pris le bateau depuis Takeshiba Sanbashi à Tokyo jusqu’à Yokohama. C’est un trajet assez court mais agréable. Avant d’amarrer à Yokohama, nous apercevons au loin l’île artificielle en forme de voile rayée qui sert de bouche d’aération à l’autoroute Aqualine reliant Kawasaki à Chiba. Cette longue autoroute de 23.7 kms traversant la baie de Tokyo est en partie souterraine jusqu’à l’île artificielle de Umihotaru où le tunnel se transforme en pont jusqu’à Kisarazu à Chiba. Le bateau passe ensuite le gigantesque pont Yokohama Bay Bridge et atteint assez rapidement le terminal de Osanbashi. Depuis les quais, il faut d’abord entrer à l’intérieur du terminal par une allée intérieure en pente. On remarque tout de suite les surfaces irrégulières qui sont la particularité de cet ensemble architectural. Le hall intérieur du terminal est assez sombre. Le design du plafond est futuriste avec des formes triangulaires aiguisées. On dirait les polygones d’un vaisseau futuriste comme on pourrait en voir dans Star Fox, mais les couleurs grises me rappellent plutôt les tonalités de la flotte impériale dans Star Wars. Bref, il a quelque chose de spatial dans l’intérieur de ce terminal. On accède au toit par des rampes d’accès aux bords du building. La véritable beauté du building se trouve là, sur le toit du building. Les chemins d’accès ressemblent à des routes de terre, mais ils sont en fait couverts d’un plancher en bois, tout comme la majeure partie des terrasses du toit. Les surfaces sont irrégulières et donnent l’impression qu’il s’agit d’un terrain naturel. L’architecture se rapproche ici de formes organiques, elle imite extrêmement bien le naturel. Certaines parties des terrasses sont également recouvertes de verdure, ce qui parfait cette impression de convergence entre le naturel et le bâti. Cela donne un espace à la fois sophistiqué, car ces formes et espaces futuristes sont très finement découpés et agencés, et spontané tant ces espaces semblent être dictés par des lois naturelles plutôt qu’humaines. En regardant ces formes architecturales, assis sur un banc des terrasses, je me dis qu’on a réussi ici une adéquation réussie entre l’empreinte humaine et l’environnement naturel. Je m’assois là en regardant l’océan et en écoutant le vent qui souffle en effleurant ces espaces. Nous sommes un jour de semaine et il n’y a pas grand monde sur les toits de Osanbashi, à part quelques personnes qui comme moi aujourd’hui prennent quelques minutes pour s’asseoir et réfléchir en regardant la mer. Ces moments de calme sont rares car j’ai assez peu d’occasion de m’asseoir seul dans un endroit tranquille pour rêver quelques instants.

世界はモノクロだった

Le titre du billet 世界はモノクロだった, le monde était monochrome, me donne envie de revenir au noir et blanc pour cette petite série de photographies prises à Yokohama pendant une journée de congé. Nous n’allons pas très souvent à Yokohama, mais nous avions quelque chose à y faire ce jour là (je retranscris en français une manière de parler très usitée et pratique en japonais pour dire qu’on est occupé à faire quelque chose sans avoir à préciser de quoi il s’agit exactement). J’ai quelques heures disponibles pour me promener seul à Yokohama pendant que Mari est occupé et que Zoa est parti en voyage de classe. À Yokohama, je voulais d’abord voir le terminal maritime Osanbashi, mais j’y reviendrai dans un autre billet. Je marche le long de l’océan dans le quartier de Shinko où se trouve les grands hangars de briques rouges. Il fait doux mais le vent souffle en bord de mer. J’aime le vent fort quand il vient de l’océan. Il y a beaucoup d’écoliers dans ce quartier, ils doivent également être là pour un voyage scolaire. C’est la période en ce moment me dit Mari. Je n’utilise plus beaucoup le noir et blanc pour mes photographies, mais j’ai tout de même commencé une pellicule argentique monochrome il y a plusieurs semaines. J’aime bien revenir de temps à l’argentique noir et blanc, histoire de se souvenir qu’autrefois le monde était monochrome.

S’il y a au moins un point positif à la revue de Sandokushi sur Sputnik Music, c’est le fait que son auteur, dans un aparté hors-sujet, m’a rappelé d’aller écouter la musique d’Etsuko Yakushimaru やくしまるえつこ. Le titre du billet est extrait des paroles du morceau AfterSchoolDi (E) Stra (U) Ction (放課後ディストラクション) sur le EP du même nom de Etsuko Yakushimaru. J’aime beaucoup ce morceau et sa vidéo assez minimaliste construite de dessins manga presque statiques. La vidéo se déroule en mode VR360, c’est à dire qu’on peut se promener autour des images. Je ne suis à priori pas spécialement amateur de ce style de voix assez aiguë de type idole. Je préfère les voix plus affirmées, mais cette voix et cette manière de chanter dans ce morceau s’accordent bien avec les touches électroniques et les motifs de guitares plutôt minimalistes. Le morceau donne l’impression d’avoir des contours flous et cela donne le sentiment d’être au bord d’un rêve. Le rythme du morceau est très fluide et accrocheur, ce qui donne envie d’y revenir sans cesse.

Sur le EP de trois titres, il y a un morceau intitulé Hitotsuhan (ひとつ半), un et demi. Le ton est beaucoup plus grave et sombre. C’est une ambiance complètement différente du premier morceau du EP et du deuxième qui est en fait un remix du premier morceau. Yakushimaru y raconte une histoire. Elle ne chante pas mais raconte son histoire calmement et doucement en pesant ses mots. Ces paroles sont posées sur un morceau instrumental minimaliste de guitares, qui se fait à peine entendre au début mais devient petit à petit omniprésent. La musique prend de plus en plus de place au fur et à mesure que l’histoire se déroule. Pendant qu’elle raconte son histoire, on surprend de temps en temps des soupirs presque inaudibles. Il y a beaucoup de mystères entourant ces paroles et cette musique, dont la fin en crescendo me donne toujours froid dans le dos.

Etsuko Yakushimaru nous raconte l’histoire d’un homme montant dans un taxi déjà occupé par une jeune femme, le soir. Bien que surpris car ne reconnaissant pas le visage de cette femme, il laisse le taxi démarrer et ils se retrouvent tous les deux dans ce taxi. Il se demande s’il connaît cette jeune personne. Après un peu d’hésitation, elle lui rappelle d’une voix faible qu’ils se sont déjà vus dans un restaurant de udon où elle travaillait dans la préfecture de Shimane, alors qu’il s’y était rendu pour un voyage d’affaire. L’homme reste dans l’incompréhension devant les propos de la jeune femme, car les souvenirs de cette jeune femme ne lui reviennent pas. Il se souvient par contre avoir été à Shimane pour son travail l’année dernière. La jeune femme prononce ensuite soudainement les mots « un et demi ». L’homme ne comprend pas ce que cela veut dire, pense qu’elle lui donne l’heure, 1hr et demi, alors qu’il n’est pas encore minuit. Elle lui demande ensuite s’il n’a pas remarqué… A ce moment là, la suite du dialogue devient plus difficile à suivre, envahi par le crescendo musical de guitares. L’homme descendra ensuite du taxi précipitamment sans comprendre ce qu’a voulu réellement lui dire la jeune femme. L’histoire se termine à ce moment là en laissant plein de mystères. L’intensité y est vraiment très forte, accentuée par l’ambiance musicale pleine de sons étranges et par la manière de racontée très sensible d’Etsuko Yakushimaru. Je ne connais pas le sens exact de cette histoire, mais on peut deviner que le « un et demi » pourrait correspondre à l’age d’un enfant, qu’elle aurait eu avec cet homme après une histoire d’un soir à Shimane. On imagine qu’elle attendait patiemment dans ce taxi à la sortie du bureau, pour revoir cet homme et essayer de lui dévoiler l’existence de cet enfant. Il semble qu’elle ne réussira pas dans cette tentative. La tension musicale du final du morceau donne le sentiment d’un envahissement de désespoir. Ce morceau est très touchant.

un bateau pour le parc

Nous sommes à Yokohama, pas très loin de la gare. Depuis l’ensemble arrondi Bay Quarters où l’on peut trouver magasins et restaurants à deux pas du Department Store Sogo, on peut prendre une navette maritime qui descendra vers l’océan pour rejoindre les terres gagnées sur la mer de Minato Mirai 21, près de Sakuragicho. Étonnamment, il ne pleuvait pas cette journée là à Yokohama. Nous sommes chanceux pour notre sortie avec les petits cousins de Zoa, car il pleut pratiquement tous les jours en ce mois d’août et nous sommes épargnés de justesse. Cette pluie insistante est exceptionnelle en cette saison mais extrêmement ennuyeuse. Notre destination est le parc d’attraction avec montagnes russes. Il en faut très peu pour moi et je passerais mon tour. Zoa et Sayaka préfèrent de toute façon le train fantôme. Le plus grand, Shunsuke, fera lui les montagnes russes et nous dira qu’il a vu pire.