there is a distance in you

À chaque fois que je passe devant le sanctuaire Konnō Hachiman-gū 金王八幡宮, où se trouvait autrefois le château de Shibuya (sur la deuxième photographie de ce billet), je me remémore systématiquement la première photographie que j’en avais pris il y a 16 ans, en 2004. J’y repense avec un peu de gène car j’avais intitulé le billet montrant cette photo “tradition et modernité”, titre des plus clichés lorsqu’on évoque le Japon. J’ai d’autant plus d’embarras, qu’une petite trentaine de lycéens m’avaient posté des commentaires à l’époque au sujet de leur devoir de première ou terminale couvrant le sujet du Japon entre tradition et modernité, en espérant que je leur écrive une dissertation toute faite (ça ne coûtait rien de tenter le coup sans doute). Ma photographie initiale et celle ci-dessus voulait seulement montrer un contraste entre la structure traditionnelle du sanctuaire et les lignes rectilignes des immeubles de bureaux se trouvant derrière. Bien qu’il y ait beaucoup d’exemples de ce type de mélange dans Tokyo, je trouve que l’association est frappante ici, au bord du centre de Shibuya.

Et puisqu’on est dans les contrastes, la troisième photographie en montre un autre. Nous sommes ici dans le quartier de Jingumae, dans une des rues intérieures qu’on ne trouve pas facilement. Les terrains sont très chers dans ce quartier, mais cette vieille maison survit malgré les transformations tout autour. On y construit des belles résidences et des grandes maisons individuelles comme celle de l’avant dernière photographie du billet, le Wood/Berg par Kengo Kuma que je ne me lasse pas de photographier. A vrai dire, je ne sais pas si cette vieille maison est habitée car elle est encombrée de toutes parts d’objets entassés de manière désorganisée. Seuls les parapluies sur la partie droite du rez-de-chaussée ou les pots de fleurs semblent être disposés de manière organisée. On montre assez régulièrement à la télévision japonaise les situations de personnes ne parvenant pas à se débarrasser des choses inutiles et entassant les objets de toutes sortes dans leurs appartements ou maisons, à l’exact opposé de la méthode Marie Kondo. Le cas de cette maison à Jingumae est extrême mais ne me surprend pas pour autant. On n’oserait pas y rentrer ni même frapper à la porte d’entrée, si celle-ci existe toujours. Mais qui sait, peut être que ce capharnaüm cache quelques secrets.

La fresque très colorée sur la photographie suivante se trouve à l’intérieur du campus d’Aoyama Gakuin, près de la salle de sport où nous avions été voir un match de la B League, il y a quelques temps. Les personnages dessinés comme sur un graphe de rue ont une apparence mystérieuse ressemblant à des extraterrestres. La taille de l’illustration et les couleurs vives avaient attiré mon regard depuis l’autre côté de l’avenue. La dernière photographie prise au croisement de la rue Kotto avec la grande avenue d’Aoyama montre une affiche publicitaire pour l’album collaboratif de Chara et YUKI. Je ne connais pas vraiment de morceau de Chara, à part un morceau de la bande sonore accompagnant une des deux OVA de 東京BABYLON de CLAMP (que je lisais à l’époque en France aux éditions Tonkam, même si c’est un shôjo manga). Sa voix un peu rauque est immédiatement reconnaissable, comme la voix de YUKI d’ailleurs, mais dans un style différent. Leurs deux voix s’accordent bien sur le single de l’album 楽しい蹴伸び (Tanoshii Kenobi) que j’écoute de temps en temps de manière distraite sur YouTube. J’aime bien piocher de temps en temps dans les morceaux de YUKI, par exemple 誰でもロンリー (Daredemo Lonely), car sa voix est si particulière.

Et pour le titre du billet, There is a distance in You, il est tiré du septième album de Clark sorti en 2014. La distanciation étant d’actualité, j’ai eu tout d’un coup envie de réécouter ce titre qui est assez caractéristique du son que j’aime chez Clark. J’aime ensuite enchainé avec la mélodie instable de Butterfly Prowler sur Death Peak (2017). Quant aux photographies du billet, elles datent d’il y a quelques semaines comme pour les billets précédents.

estival ’19 (1)

Les vacances estivales en France sont déjà terminées et elles ont comme tous les ans passées beaucoup trop vite car chaque journée était bien occupée en famille. Comme les années précédentes, notre passage en France se compose de plusieurs étapes, à Paris, en Vendée au bord de mer aux Sables d’Olonne et dans les terres, et un passage au château de Chambord que je n’avais jamais visité. Contrairement à l’habitude, la mère de Mari nous accompagnait pour ce voyage. Cela faisait 17 ans qu’elle n’était pas venu en voyage en France et elle a été vraiment ravie de ce séjour et de l’accueil familial.

Nous avons eu la bonne idée d’être à Paris pendant les trois jours de canicule historique. Notre logement sur Paris pendant ces quelques jours (un appartement de particulier loué) n’avait bien entendu pas l’air conditionné et il a fallu se rafraîchir avec deux ventilateurs savamment placées. Nous avions quitté Tokyo fin juillet alors qu’il faisait encore relativement frais pour la saison. Le choc thermique en était d’autant plus grand. Entre deux visites de lieux déjà vus dans le passé mais que nous faisons découvrir à la mère de Mari, nous nous réfugions dans les grands magasins (un mal pour un bien). Pendant la première partie du séjour, nous sommes repassés visiter l’intérieur de l’Opéra Garnier et le musée Jacquemart André que j’aime vraiment beaucoup. Dans ce musée d’ailleurs, il y a un espace de création pour les enfants avec du papier à dessin et des crayons. Il y avait également deux grosses boîtes de plaquettes de bois Kalpa qui ont tout de suite trouvé notre intérêt. Avec ces petites plaquettes de bois, Zoa et moi nous sommes mis à l’oeuvre pour construire un bâtiment extraordinaire, une tour sur plusieurs piliers avec multiples ramifications et une partie en porte-à-faux qui monta jusqu’à la taille de Zoa. Une personne de musée prendra notre œuvre en photo. La tour a du déjà disparaître, comme les châteaux de sable que nous avons construit cette année encore au bord de mer aux Sables d’Olonne, avant que la marée ne monte et décide de tout effacer par son passage. Ces constructions éphémères ne subsistent que dans nos mémoires.

Tous les ans, nous avançons un peu plus loin en vélo sur les pistes cyclables le long de la mer. C’est un plaisir irremplaçable que de faire du vélo le long de la côte sauvage, de traverser des forêts et des marais, tout en fredonnant discrètement un petit morceau de musique. Les photographies ci-dessus sont prises en Vendée dans les terres, à différents endroits autour de la maison familiale. Ce sont des lieux que je redécouvre parfois sous un autre œil. Je n’avais amené que l’objectif 40mm de mon reflex Canon, et non l’objectif 17-40 qui est beaucoup plus gros et lourd pour le voyage. L’objectif 40mm n’étant pas le grand angle que j’ai l’habitude d’utiliser à Tokyo, j’ai eu d’abord quelques difficultés à prendre mes marques mais ça m’a également forcé à prendre les choses différemment, sous un autre angle ou plus en détail.

Malgré l’agitation du voyage et la fatigue parfois, ce passage à la maison agit toujours comme un apaisement. En regardant les images que je mets ci-dessus, j’ai envie d’écouter une musique qui apaise pour écrire ce petit texte. Le nouvel album de Clark, Kiri Variations, arrive fort à propos car l’artiste y a privilégié les instruments acoustiques, notamment le piano, plutôt que les déchaînements électroniques habituels. Mais peu importe l’instrument, les morceaux conçus par Chris Clark débordent toujours de sensibilité.

crushed cities

Marcher sur les fissures des plaques tectoniques. Contrer les bourrasques de vent des typhons. Les typhons s’enchaînent sans répit. Le numéro 21 s’appelait Lan et celui qui nous a frappé le week-end passé s’appelait Saola. Dans ces cas là, on reste à l’intérieur en attendant que ça passe.

La musique électronique de Clark sur cet album Death Peak que je mentionnais dans un billet précédent continue à m’inspirer visuellement avec ces trois compositions de photographies. La musique de Death Peak, comme souvent chez Clark, est parfois volontairement dissonante (« Butterfly Prowler »), mais d’une manière assez subtile. Elle peut également mélanger dans un même morceau des voix fragiles avec un son brut comme de la tôle qui se froisse (« Hoova », « Un U.K. »). On ressent comme une sensation de beauté fragile dans un monde hostile, surtout quand le rythme s’accélère soudainement. En écoutant la musique de Clark, l’envie me vient régulièrement de réécouter le morceau « Future Daniel » sur l’album plus ancien Totems Flare, surtout la deuxième partie lorsque le rythme est saisi d’une urgence qui conduit la machine à dérailler au final. Cette musique m’inspire la deconstruction de l’image comme sur les trois compositions ci-dessus.

Notre route part vers l’infini. Chaque pas nous éloigne un peu plus. Le monde disparaît sous nos pieds. S’arrêter nous ferait disparaître. L’étrangeté de ce son nous attire. Il envahit les méandres du cerveau. L’écouter nous entraine dans une boucle à l’écart du monde et du temps. Il nous faut pourtant reprendre la route. Inlassablement. Inexorablement.

La boucle cette fois-ci est celle d’Aphex Twin sur le long album de plus de 2 heures intitulé Selected Ambient Works Volume II. Je peux difficilement m’accorder deux heures d’affilée dans une journée le soir pour écouter l’album en entier tout en développant ce qui apparaîtra sur Made in Tokyo. Mais quand je l’écoute, les morceaux de cet album qui rebouchent sans cesse sur eux même se font en même temps oublier et omniprésents.

De Burial, je ne connaissais que le morceau « Archangel », et deux autres morceaux du EP Street Halo, mais un article sur Pitchfork me rappelle qu’il faut que j’explore un peu plus cette musique dubstep. L’atmosphère de l’album Untrue est sombre et inquiétante. Les voix semblent sortir d’un espace vaporeux et fantomatique. C’est une musique faite pour la nuit. Elle ressemble à la traversée d’une cité post-industrielle. On la traverserait en voiture, doucement en transperçant des nappes nuageuses. Samedi soir dernier, alors que je suis seul dans la voiture, j’écoute cet album en montant le son un peu plus haut que d’habitude, pour l’ambiance. Mais il n’y a pas d’atmosphère nuageuse sur Shibuya ce soir là, plutôt une pluie intense dans les rues. En me noyant quelques instants seulement dans la foule de Shibuya au croisement, j’en retire ces deux photographies ci-dessus à l’atmosphère fantômatique.

2 hours walk around the cracked wall

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Quatrième et dernier épisode de cette mini-série de photographies prises lors d’une promenade de 2 heures à Aoyama, un petit tour pour se remémorer visuellement certains petits chefs d’oeuvres architecturaux de Tokyo, dont cette façade d’immeuble faussement craquelée. A part ça, pour faire une pause de Boards of Canada, j’écoute ce nouveau morceau très intéressant de Clark intitulé Suns Of Temper (Bear Paw Kicks Version).