Hitachi Station par Kazuyo Sejima

L’idée nous est soudainement venue d’aller à Hitachi, petite ville côtière située dans la partie Nord de la préfecture d’Ibaraki. Comme son nom le laisse fortement penser, le groupe industriel Hitachi connu mondialement pour ses produits électriques, a vu le jour ici en 1910. La maison mère du groupe ne se trouve plus actuellement à Hitachi, mais de nombreuses usines y sont implantées faisant de cette ville un grand centre industriel. L’objectif de notre visite à Hitachi n’était pas de faire le tour des usines mais d’aller voir la station de trains JR et accessoirement l’océan placé juste en face. J’avais en tête depuis longtemps d’aller voir la gare d’Hitachi, mais l’occasion d’aller aussi loin dans la préfecture d’Ibaraki ne s’était pas présentée jusqu’à maintenant. Il fallait en fait provoquer cette occasion car on n’avait a priori pas d’autres raisons d’aller dans cette ville aussi loin de Tokyo. La gare a été conçue par Kazuyo Sejima (妹島和世) qui est en fait originaire de cette ville et a ouvert ses portes en 2011, l’année du grand tremblement de terre du Tohoku. J’imagine que les effets du tsunami qui s’en suivit ont été visible jusqu’à Hitachi.

On retrouve dans la conception de la gare d’Hitachi les éléments caractéristiques de l’architecture de Kazuyo Sejima, à savoir les immenses baies vitrées qui composent la totalité des murs de l’édifice. Cela donne un grand espace (3,568㎡) ouvert sur l’extérieur. L’activité à l’intérieur de la gare est donc visible depuis l’extérieur. Je suis toujours assez sceptique quant à cette transparence pour des résidences privées car les propriétaires finissent toujours par laisser les rideaux fermés en permanence, mais la transparence fonctionne très bien pour un bâtiment ouvert au public. Elle en devient même fonctionnelle. De la ville jusqu’à l’océan, le terrain forme plusieurs strates. L’entrée de la station est située au niveau de la ville et est accessible directement sans escaliers ou escalators depuis la rue et les parkings à voitures, bus ou taxis. La station est posée sur des piliers une strate plus bas, ce qui fait qu’elle est surélevée dans sa totalité pour rester au niveau de la ville. L’entrée de la station donne accès un long couloir de verre desservant deux principaux embranchements de la station, un premier donnant accès à la billetterie et aux quais de la ligne de train Joban et un deuxième embranchement plus petit contenant un café. Le long couloir est perpendiculaire à l’océan. L’océan au loin se révèle alors qu’on avance petit à petit à l’intérieur. Je montre ce couloir sur la deuxième photographie et la vue finale sur l’océan sur la troisième photographie. Plusieurs bancs appelés Flower sont placés devant cette grande baie vitrée donnant une vue imprenable sur l’océan. On trouve ces bancs en forme de trèfles à trois feuilles à plusieurs endroits dans la station et à l’extérieur. Ils ont été dessinés en 2001 par SANAA (Kazuyo Sejima et son collègue Ryūe Nishizawa), initialement pour la bibliothèque pour enfants de la médiathèque de Sendai conçue par l’architecte Toyo Ito. Il faut savoir que Kazuyo Sejima a fait ses débuts d’architecte dans l’agence de Toyo Ito en 1981 avant de fonder sa propre agence quelques années plus tard en 1987, puis SANAA avec Ryūe Nishizawa en 1995. Ces bancs Flower sont utilisés dans d’autres créations architecturales de SANAA comme le Rolex Learning Center en Suisse ouvert en 2010. La marque Vitra développa d’ailleurs un modèle produit en petites quantités pour les besoins de divers projets mais je ne suis pas certain que ce banc soit actuellement disponible à la vente. Je montre également un modèle placé à l’extérieur sur la septième photographie du billet.

L’architecture de Kazuyo Sejima devient impressionnante et, je dirais même sublime, au niveau du café situé dans le deuxième embranchement de la gare d’Hitachi. L’emplacement des piliers blancs fait qu’une partie du bloc de verre et d’acier portant le café vient se détacher dans le vide. L’ensemble donne une impression de légèreté et est d’une grande élégance. L’espace dessous la station est complètement ouvert et accessible depuis la station par des escalators et ascenseur. On peut s’y asseoir et regarder l’océan. Cet espace donne également accès à un deuxième petit parking automobile. Un large escalier de métal permet de descendre de la strate où se trouve la station jusqu’à l’océan. L’escalier permet les vues d’ensemble que je montre de la station sur les sixième et huitième photographies. L’impression de légèreté de l’ensemble se fait particulièrement sentir depuis ce point de vue, renforcé par son emplacement au bord d’une élévation naturelle du terrain au dessus du niveau de la mer. Le grand escalier que nous empruntons permet de connecter la station avec les quelques habitations placées au niveau de la mer, mais sert également de chemin d’évacuation pour ces habitants là en cas de tsunami. Je me demande si les habitations étaient beaucoup plus nombreuses au niveau de l’océan avant le tremblement de terre et le tsunami de Mars 2011.

Nous avons déjeuné dans le café, appelé Sea Birds Café, placé en face de l’océan. Il faut arriver un peu en avance car l’endroit est assez prisé. La météo était changeante mais nous avons échappé à la pluie lors de notre passage. C’est agréable de manger et de boire un café tout en regardant l’océan. Il faut juste faire abstraction de l’autoroute de béton placée les pieds dans l’eau au bord de l’océan. Cette voie rapide ne suit pas toute la côte mais passe juste devant la station avant de rentrer un peu plus tard dans les terres. On l’empruntera quand même volontairement sur le chemin du retour vers Tokyo pour admirer l’océan d’un côté et la station de l’autre. L’intérieur du café est vraiment très agréable car très lumineux. J’imagine qu’il peut être par contre difficile de rester longtemps à l’intérieur lors d’une journée fortement ensoleillée. On pourrait facilement s’endormir à l’intérieur si les fauteuils étaient plus confortables et le permettaient. J’étais d’ailleurs surpris de ne pas voir à l’intérieur du café les fameuses chaises de SANAA en forme d’oreilles de lapin. Nous reprendrons ensuite la route en essayant de passer au plus près de l’océan pour éviter les nombreuses usines Hitachi. Le bord de mer est en grande partie protégé par des murs de béton. On distingue difficilement les plages en roulant depuis la route longeant la côte. La pluie commence de toute façon à tomber et il faut donc penser au retour. Quelques autres photos de la gare d’Hitachi sont visibles sur mon compte Instagram.

これからの時代来るのは活動写真

Parler brièvement de graph à Udagawachō dans le billet précédent m’amène au bout de la rue Cat Street jusqu’à la galerie Design Festa. Les dessins qui décorent ses murs changent régulièrement et, comme pour le quartier d’Udagawachō, j’aime y revenir de temps en temps pour constater ce qui a changé. Je ne reconnais pas les figures de manga qui sont dessinées, quoique le visage sur la première photo me rappelle un peu celui de Rei Ayanami. Sur la deuxième photographie, j’aime bien la peinture sélective de la tuyauterie qui s’avère assez ludique. Je suis souvent passé devant la Design Festa Gallery mais je suis plus rarement entré à l’intérieur. Je fais le curieux cette fois-ci, mais je n’y trouve pas beaucoup de choses intéressantes. La galerie se compose de plusieurs petites pièces à l’intérieur de deux bâtiments principaux, la partie Est et Ouest, séparés par un café-restaurant. Chaque pièce montre le travail d’un ou d’une jeune artiste, mais dans l’ensemble il n’y avait malheureusement rien pour moi de très original ou d’accrocheur. Je parcours rapidement les salles des deux galeries, les artistes sont souvent sur place assis sur une chaise ou à une table, ou donnant des explications aux quelques visiteurs qui semblent souvent être leurs connaissances. Je suis en fait beaucoup plus intéressé par les décorations de la galerie en elle-même, les tubes noirs enchevêtrés de la façade principale et les dessins recouvrant chaque partie des murs. L’intérieur du restaurant est également entièrement couvert de dessins. Cette galerie est un petit monde à part, et on apprécie qu’elle ne soit pas encore “normalisée”. Elle n’est pas difficile à trouver mais j’ai toujours du mal à tomber dessus du premier coup, comme si elle se cachait volontairement. C’est peut-être sa disposition qui la protège et lui permet de garder son apparence unique.

Je pense que je n’avais jamais pris en photo le Cranes 6142 Building (クレインズ6142ビル) de Kazuyo Sejima, situé sur Cat street (キャットストリート). Ce building à la surface de verre à moitié transparente est pourtant installé depuis l’année 2000. Je le montre sur la sixième photo du billet. Il y avait initialement un magasin de décoration intérieur appelé hhstyle.com. Un magasin de fringues vintage RAGTAG occupe maintenant ce building. Juste en face, le visage souriant de Utaha (詩羽) en poster sur la vitrine de l’enseigne Adidas me fait également sourire. Elle est apparemment un des visages de la marque pour la ligne Adidas Original. Sur une vidéo pseudo-publicitaire, on la voit d’ailleurs interpréter deux morceaux à l’intérieur du magasin de Shinjuku, Buckingham (バッキンガム) et plus récent Maneki Neko (招き猫) que j’écoute en ce moment.

Je suis toujours avec une attention certaine les nouvelles créations musicales de Wednesday Campanella (水曜日のカンパネラ). Comme la fois précédente, les nouveaux morceaux du groupe se présentent sous la forme d’un EP de deux singles, et ces morceaux sont tous les deux très bons. Je me suis maintenant habitué à la voix et à la manière de chanter de Utaha, en oubliant même un peu ce que KOM_I aurait pu chanter à sa place. J’ai le sentiment que Utaha a désormais trouvé sa place, et c’est un commentaire que je vois souvent au sujet de son interprétation dans les vidéos des deux derniers morceaux Maneki Neko (招き猫) et Edison (エジソン). Le style du premier morceau Maneki Neko est assez proche du premier morceau Alice du EP précédent, tandis que les moments rappés de Edison reprennent le style de l’époque KOM_I qu’on trouvait également sur le morceau Buckingham du premier EP. Musicalement, il n’y a pas d’énormes surprises car cette musique électronique est pleine des fantaisies snores typiques de Hidefumi Kenmochi.

Nakamachi Terrace par Kazuyo Sejima

Nakamachi Terrace (なかまちテラス) se trouve dans la ville de Kodaira dans la banlieue Ouest de Tokyo. Cet ensemble architectural conçu par Kazuyo Sejima a pour fonction principale de revitaliser la communauté locale en incluant un centre d’apprentissage, une bibliothèque, une salle publique, entre autres facilités. La particularité de ce building de 3 étages et 1 sous-sol vient de sa composition spatiale qui me rappelle celle du Sumida Hokusai Museum, également conçu par Kazuyo Sejima mais dans un des quartiers de Sumida à l’Est de Tokyo. Le bâtiment se compose de colonnes indépendantes posées à l’oblique les unes contre les autres et qui sont comme pliées sous leurs propres poids. De ce fait, les espaces en bas de chaque colonne sont indépendants tandis qu’ils se rejoignent ensuite vers le haut du bâtiment pour construire un seul et même grand espace. Les espaces d’abord séparées se rejoignent donc dans un flot continu plus on monte dans les étages. A première vue, on a l’impression qu’il s’agit d’un ensemble de petits bâtiments indépendants de 3 étages posés les uns à côté des autres et on ne soupçonne pas la fusion des derniers étages. L’espace ouvert entre les colonnes est par conséquent biseauté et forme des passages pour circuler, traverser entièrement le building et entrer à l’intérieur des pièces du bâtiment au rez-de-chaussée. Ce format d’ouvertures biseautées et obliques me rappelle beaucoup le musée Hokusai. Il y a quelque de ludique dans cette configuration de couloirs aux formes inégales. On a l’impression que les formes courbes ont été découpées avec une lame. La dynamique de l’ensemble est très intéressante comme si le building venait se torsader sur lui-même.

La couverture des surfaces est très différente du musée Hokusai et ressemble beaucoup à celle de la résidence Case dans le quartier de Kamiyamachō près du centre de Shibuya. On doit l’architecture atypique de la résidence Case au groupe SANAA, composé des architectes Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa. De la même manière, les surfaces de Nakamachi Terrace, les grandes baies vitrées notamment, sont recouvertes d’une membrane métallique. La taille des ouvertures de cette membrane en forme de filet a été définie pour à la fois donner une impression de continuité entre les espaces internes et externes, et également pour apporter un effet d’ombrage pour l’intérieur. Nakamachi Terrace est fidèle aux idées de transparence que l’on retrouve dans de nombreuses créations architecturales de Kazuyo Sejima. L’idée ici pour ce bâtiment desservant une communauté locale est d’être ouvert sur l’extérieur pour créer en quelque sorte un dialogue avec les activités de la rue. Il n’y avait malheureusement pas beaucoup d’activité au moment de notre passage, ce qui m’a interrogé sur l’emplacement même du bâtiment, assez éloigné des stations les plus proches (13 minutes à pieds de Kodaira et 11 minutes de Ome-Kaidō). Ce bâtiment est destiné à la communauté locale habitant tout autour, mais un aussi beau building aurait certainement bénéficié d’un peu plus d’activités près d’une station de train. D’un autre côté, on peut apprécier le fait que Nakamachi Terrace soit placé dans un espace ouvert plutôt que coincé entre des buildings d’un quartier dense près d’une gare. Cela permet de l’apprécier l’extrême élégance et la dynamique de ses formes sous tous les angles. En faisant le tour du bâtiment, l’envie de le prendre en photo sous tous les angles possibles devient irrésistible. On a envie de saisir en photographie la moindre ouverture fendue, les pans de murs courbes qui viennent se poser délicatement sur le sol. Je vois dans ce bâtiment comme une vague sculptée dans le métal. Il provoque inévitablement l’imagination du visiteur et j’adore quand l’architecture nous pousse sur les terrains de l’imaginaire.

パビリオン⑦

Parmi tous les pavillons du festival Pavilion Tokyo 2021 qui se trouvent installés temporairement à Tokyo jusqu’au 5 Septembre, je ne voulais pas manquer celui de Kazuyo Sejima dans les jardins du parc Hama-Rikyū (浜離宮恩賜庭園). Par rapport aux autres pavillons situés à proximité immédiate du nouveau stade olympique, l’installation de Sejima intitulée Suimei (水明) se trouve un peu à l’écart. Ce pavillon matérialise un petit cours d’eau avec quelques plantes parsemées à sa surface. Cette installation basée sur l’utilisation de l’eau fait écho à la configuration du parc, entouré par un canal d’eau de mer et situé à l’embouchure de la rivière Sumida sur la baie de Tokyo. On ne peut malheureusement pas approcher à proximité immédiate de l’installation mais assez quand même pour remarquer qu’il y a un petit courant parcourant les courbes de l’installation, comme une rivière ou un canal. Certaines des fleurs à la surface du canal sont posées sur un petit support de plastique. Elles ne sont à priori pas naturelles mais synthétiques. C’est un peu dommage de constater que ces fleurs ne sont pas naturelles, mais j’imagine que les chaleurs estivales actuelles n’auraient pas permis de maintenir ces plantes dans de bonnes conditions pendant de longues heures. Ça aurait certainement enlevé un peu de la poésie du lieu si la plupart des fleurs sur l’installation étaient complètement desséchées. L’installation a quelque chose de très délicat et rafraîchissant, notamment par la matière métallique utilisée, fine et froide survolant de quelques centimètres seulement les herbes du parc. La surface du cours d’eau est réfléchissante et laisse apparaître le ciel et les arbres aux alentours. L’installation de Kazuyo Sejima se trouve à l’ancien emplacement du Enryo-kan, le premier bâtiment de pierre à l’occidentale du Japon, construit en 1869 mais détruit vingt ans plus tard. Ce bâtiment était destiné à l’accueil de dignitaires étrangers.

J’aime beaucoup les jardins du parc Hama-Rikyū car ils sont très bien entretenus. Le fait que l’entrée soit payante, comme pour Shinjuku-Gyoen, explique certainement cela. Le contraste entre la nature luxuriante du parc et les hauts immeubles de Shiodome donne une particularité remarquable à cet endroit. Il y a certes des immeubles visibles depuis la plupart des parcs de Tokyo, mais le contraste est ici saisissant. Dans les parcs de Tokyo, on a en général plutôt envie de s’isoler et de n’apercevoir aucune trace d’urbanisme. Dans le parc Hama-Rikyū, les immeubles font partie intégrante du paysage et de l’ambiance des lieux. Hama-Rikyū était à l’origine une villa du clan Tokugawa, construite sur une zone marécageuse comblée en partie par un terre-plein en 1654. A la période Edo, cette villa était destinée à accueillir les seigneurs daimyo des domaines du Japon en visite obligatoire dans la capitale. La villa est malheureusement détruite lors d’un incendie en 1725, puis les jardins sont rétablis progressivement avec l’ajout de plusieurs maisons de thé. Le domaine passe ensuite sous possession de différents ministères et prend le nom Hama-Rikyū. Le domaine est utilisé à cette époque pour accueillir les visiteurs étrangers importants, puis passera ensuite sous le contrôle de la maison impériale. Il sera ensuite cédé à la ville de Tokyo en 1945, après de nombreux dégâts dus au tremblement de terre de 1923 et aux bombardements de la seconde guerre mondiale. Les jardins sont finalement ouverts au public en 1946.

Je visite le parc un dimanche matin vers 10h. Il y a assez peu de visiteurs ce qui rend la visite agréable. Je suis surpris de croiser un chat qui doit probablement être le maître de ce domaine. Je me dirige vers la grande lagune Shiori-no-ike remplie d’eau de mer et dont le niveau varie avec la marée. Autour de la lagune, plusieurs jardiniers découpent les branches des pins aux formes biscornues. Ils semblent prendre leur temps. Comme un peintre devant son œuvre, le jardinier apporte des petites touches progressives en coupant minutieusement les branchages. Ce rythme lent me pousse à ralentir mes pas pour apprécier un peu plus l’ambiance des lieux. Il ne faut pas hésiter à prendre son temps au parc Hama-Rikyū, pour notamment apprécier les différents points de vue sur la maison de thé de l’île de Nakajima au milieu de la lagune. Sur le chemin du retour, je repasse une dernière fois devant l’installation de Kazuyo Sejima. Il y a maintenant un peu plus de visiteurs. Je suis beaucoup d’amateurs d’architecture sur Instagram et nombreux sont ceux qui sont venus voir comme moi cette installation.

Case par SANAA

Je m’étais décidé à parcourir à pied le quartier de Kamiyamachō sans pourtant avoir l’idée d’y trouver la résidence Case conçue par les architectes Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa du groupe SANAA. J’avais une vague idée qu’elle se trouvait dans un quartier résidentiel de Shibuya, donc je n’étais pas vraiment surpris de la trouver aux hasards des rues de Kamiyamachō. Ce quartier est plutôt huppé et on y trouve même l’immense demeure du ministre Asō gardée à son entrée par un poste de police. Le bâtiment est ancien et de style occidental. J’aurais aimé m’approcher pour le prendre en photo mais il semble loin, au bout d’une longue allée et derrière un parking. Le gardien à l’entrée me dissuade de toute façon de tenter la photo. On m’a demandé récemment d’effacer une photo que je venais de prendre et je n’avais pas tellement envie de retenter le coup ici. Cette fois-là était dans le quartier de Shirogane alors que je prenais en photo un grand bouddha doré posé sur le bâtiment blanc d’une secte religieuse. Après avoir pris ma photo, qui n’avait rien de réussie ni de remarquable d’ailleurs, un garde s’était soudainement précipité vers moi alors que je m’étais déjà éloigné de quelques dizaines de mètres. Le garde m’avait demandé d’effacer la photo que je venais de prendre sans donner d’explication très précise et, surpris par cette demande soudaine, je n’avais pas non plus cherché à en savoir plus. L’homme n’était ni antipathique ni impoli mais semblait simplement suivre une directive qu’on lui avait donné. Je ne me souviens pourtant pas avoir vu de signe d’interdiction de photographier sur ce bâtiment. Je ne me voyais donc pas renouveler cette expérience devant cette grande et vieille demeure à Kamiyamachō. La raison pour laquelle j’étais venu explorer ce quartier était de retrouver une autre demeure, moderne celle-ci, faite de béton et de plaques métalliques, dans laquelle nous avions été invités pour dîner il y a très longtemps par l’intermédiaire d’un ami commun. Le propriétaire qui nous avait accueilli n’habite plus dans cette grande maison depuis plusieurs années et je suis surpris de la voir inoccupée. De l‘extérieur, elle apparaît comme étant à l’abandon car la végétation a déjà pris d’assaut les façades et le jardin que je devine à travers les ouvertures rondes de la porte de métal ne semble pas être entretenu. J’imagine que cette maison est difficile à maintenir en l’état et onéreuse à détruire. On trouve quelques belles maisons individuelles en béton dans ce quartier. Je montrais deux d’entre elles dans un des billets précédents. Ces maisons étaient complètement fermées sur la rue mais montraient de superbes surfaces de béton.

Lorsque l’on voit pour la première fois la résidence Case de SANAA, on pense d’abord que le bâtiment est en cours de construction ou de rénovation car il est complètement recouvert sur toutes les façades par une grille d’aluminium. Cette surface donne l’avantage de diminuer le vis-à-vis lorsque l’on regarde la résidence en diagonale, mais ce vis-à-vis reste pratiquement intact lorsqu’on regarde la façade de face. On se rend très vite compte qu’il s’agit d’un design novateur plutôt qu’une couverture temporaire, mais l’effet de surprise initial reste très prégnant. Il s’agit d’une résidence composée de 6 appartements, appelées « Case » dont les entrées sont toutes situées à l’extérieur sur les deux façades donnant sur la rue. Il n’y a pas d’entrée principale ou de hall d’entrée dans cette résidence, ce qui fait que chaque appartement de type maisonnette est indépendant bien qu’ils soient tous concentrés dans un grand bloc de béton. Le promoteur est Mori Building et il présentait cette résidence construite en 2013 comme une villa en centre ville située dans un quartier calme, celui de Kamiyamachō, tout en étant proche des boutiques et restaurants du centre de Shibuya. Nous sommes en effet tout proche du centre de Shibuya. Lorsque l’on emprunte les petites rues au delà du complexe Bunkamura, on tombe très rapidement dans les rues très calmes des quartiers résidentiels de Shōtō et de Kamiyamachō. Le contraste est saisissant mais est très loin d’être rare dans Tokyo. J’ai cependant toujours l’impression qu’il y a une frontière invisible au niveau de Bunkamura entre le désordre urbain bruyant et bouillonnant du centre de Shibuya (Dōgenzaka, Udagawachō) et la tranquillité vide de ces quartiers résidentiels là (Shōtō, Kamiyamachō). Case se trouve au cœur de cette tranquillité sur la même rue que la résidence du ministre dont je parlais un peu plus haut, à quelques dizaines de mètres seulement.

Derrière le rideau métallique, la résidence est faite de béton aux murs courbes. Il y a un sous-sol, le rez-de-chaussée où se trouvent les entrées de toutes les unités et deux autres étages. Sur les 6 unités, 5 étaient éligibles à la vente et elles ont toutes l’air d’être occupées si on en juge aux noms affichés devant les portes. Depuis l’extérieur, il est très difficile de deviner l’activité intérieure et il s’agit là d’un concept très différent de ce dont SANAA nous avait habitué. Leurs réalisations architecturales emblématiques jouent plutôt sur l’ouverture vers l’extérieur avec des grandes baies vitrées chez Sejima (par exemple, Shakujii Apartments) et des espaces ouverts distribués en petits blocs chez Nishizawa (par exemple, Moriyama House). Sur Case, les espaces ouverts sont plutôt des terrasses intérieures comme on peut le voir grâce à une vue du ciel sur Google Maps. Comme on peut le voir sur les quelques schémas de deux unités (E et F) et les quelques photos ci-dessus, la plupart des murs intérieurs sont courbes et j’ai lu que le plafond est également en pente sur certaines pièces. Cela doit donné un espace intérieur à la fois unique et assez peu pratique pour l’aménagement intérieur. Chaque unité s’étend sur plusieurs étages. L’unité E par exemple utilise trois étages: le rez-de-chaussée avec une entrée donnant directement sur un escalier, le living-dining avec chambre au deuxième étage et la chambre principale avec une vaste terrasse avec jardin au troisième et dernier étage. En faisant le tour du bâtiment, on devine les formes courbes délimitant les espaces de jardin, mais c’est bien la vue du ciel qui nous donne une meilleure idée de l’agencement général des unités. Elle permet de comprendre la géométrie de l’espace dans sa totalité et la manière dont les lignes courbes viennent découper cet espace. Les ouvertures vers la rue sont assez peu nombreuses et ont parfois des formes très intéressantes, comme celles arrondies qui donnent un aspect futuriste à l’ensemble. Les surfaces de béton sont superbes mais sont bien entendu cachées par la robe d’acier qui les recouvre. Le concept est extrêmement intéressant, comme toujours chez Sejima et Nishizawa, mais je me demande si l’esthétique résultante est élégante ou pas. C’est comme si les architectes avaient volontairement voulu cacher des regards extérieurs la beauté de leur bâtiment. On retrouve le même genre de revêtement métallique sur la librairie Nakamachi Terrace par Kazuyo Sejima à Kodaira. Les formes visibles à l’extérieur y sont par contre plus dynamiques comme peuvent l’être celles du musée Hokusai à Sumida également conçu par Kazuyo Sejima, et les parois métalliques recouvrent un ensemble de baies vitrées plutôt que des surfaces de béton. C’est d’ailleurs intéressant de voir comment les idées se mélangent et se complètent dans l’oeuvre des deux architectes de SANAA. On arrive assez bien à voir leur cheminement lorsqu’on découvre leurs œuvres architecturales les unes après les autres. J’en ai déjà vu un certain nombre à Tokyo. Même si je les regarde toujours d’un œil critique, j’aime comment cette architecture vient bousculer nos conceptions préétablies de ce à quoi doit ressembler l’espace habitable.