comme bloqué sur une boucle

Me revoilà assis dans ce café de Naka-Meguro après une longue marche de deux heures. Il est 7h du soir comme la dernière fois et la journée a été chaude. L’été est bel et bien commencé, mais se faisait plus supportable dans les rues de Meguro à partir de 5h du soir. Le but de mon parcours cette fois-ci était de suivre la rue Kyu-Yamate de loin, depuis les petites rues parallèles jusqu’à Ikejiri Ohashi. Je l’avais déjà montré il y a de cela quelques temps quand il était encore en construction, cet objet architectural massif ressemble à un bunker de béton aux formes arrondies et au centre creux. Il s’agit en fait d’une gigantesque boucle renfermant des voies d’autoroutes en spirale. La raison d’être de cette boucle est de réguler le traffic tout en joignant plusieurs autoroutes, rentrant dans Tokyo et périphérique au centre de Tokyo. Je le dis assez régulièrement mais les autoroutes suspendues intra-muros de Tokyo sont des véritables chefs d’oeuvres d’architecture et d’ingénierie. J’aime observer les courbes de ces morceaux d’autoroutes qui se rejoignent. Il y a une grande fluidité dans ces formes et une certaine légèreté du fait qu’elles volent dans les airs, au dessus d’autres rues. Je ne suis jamais rentré à l’intérieur de la boucle de Ikejiri Ohashi en voiture mais ça me tente d’essayer un de ces jours.

Je suis venu cette fois-ci jusqu’ici pour monter sur les toits de la boucle, qui sont aménagés en terrasse verte. Le terrain sur les toits est aménagé en jardin en pente avec des chemins pour se promener. Ce jardin dans les airs est très agréable, surtout à cette heure-ci alors qu’une brise commence à se faire légèrement sentir. Cet endroit est une fois de plus ce qui fait la beauté et l’intérêt de cette ville. On ne soupçonnerait pas qu’un tel jardin soit aménagé ici, au dessus d’un bloc de béton renfermant des lignes d’autoroutes. Je pense qu’il s’agit d’une norme urbaine, les toits des immeubles sont souvent recouverts de verdure. C’est aussi le cas de la résidence où nous habitons, où les toits sont recouverts de végétation bien qu’on ne puisse pas y accéder. A Ikejiri Ohashi, le jardin en hauteur est accessible jusqu’à 9h du soir. Il y a deux tours à proximité de la boucle qui sont reliées au jardin par des passerelles, mais malgré cela l’endroit était très calme. Je reviendrais certainement dans ce jardin secret.

Je passe le reste de ma promenade à zigzaguer dans les rues résidentielles entre le bunker de béton de Ikejiri Ohashi et la station de Naka-Meguro, en prenant des photographies quand un bâtiment me semble sortir du lot du commun résidentiel. On me dit parfois que mes photographies montrent un Tokyo vide, car il y a la plupart du temps personne sur les photographies que je prends. En fait, mes promenades photographiques m’amènent très régulièrement dans les rues résidentielles qui sont vides. C’est d’ailleurs assez étrange et ce n’est pas spécialement dû à la chaleur. Ces rues sont la plupart du temps vide de population.

Pour accompagner mon parcours, j’écoute Rashomon de Suiyōbi no Campanella 水曜日のカンパネラ. Ce n’est pas un album récent (2013), j’écoute petit à petit la discographie complète de ce groupe japonais mélangeant pop électronique et paroles à l’originalité débordante et d’un décalage certain. On trouve ce mélange sur tous les albums que je connais du groupe. Même si le chant de KOM I est parfois à la limite de la justesse, il y une alchimie qui fonctionne bien. La fantaisie dans l’enchainement des mots me fait revenir sans cesse vers cette musique unique. J’écoute ensuite AMOK de Atoms for Peace, sorti également en 2013. J’étais passé à côté de ce disque à l’époque de sa sortie, à part peut être un ou deux morceaux. Après avoir écouté le OKNOTOK de Radiohead, j’ai ressenti le besoin d’écouter des musiques similaires, d’où l’idée de se tourner vers ce projet de Thom Yorke. La musique y est assez sombre, et pas fondamentalement différente de ce que pourrait créer Radiohead à mon humble avis. Je trouve cet album d’une grande qualité bien que Pitchfork avait à l’époque un avis plus mitigé.

Alors que 7h approche bientôt, je gagne le café près de la gare en longeant la rivière Meguro. Le quartier change petit à petit et des boutiques ou autres salons de coiffure font leur apparition, remplaçant les vieux hangars. Les deux photographies ci-dessus montrent ces deux aspects du quartier: un vieil hangar qui résiste et la nouvelle librairie Tsutaya coincée sous la voie de chemin de fer.

une semaine en mars (1ère)

Je n’ai pas pris de congés depuis plusieurs mois donc ceux de cette fin mars sont les bienvenus. Zoa commence aussi ses vacances du printemps avant la rentrée des classes au tout début du mois d’avril. Ces petites vacances commencent par un long week-end car le lundi 21 mars est férié au Japon. Nous partons pour Ofuna chez la mère de Mari. Ofuna se trouve juste à côté de Kamakura. Depuis Tokyo, la ville s’étend sans interruptions notables jusqu’à Yokohama, puis Totsuka, Ofuna, Fujisawa… jusqu’au bord de l’océan pacifique. Nous nous y rendons en voiture comme d’habitude en empruntant l’autoroute Daisan Keihin depuis la route Kanpachi puis l’autoroute Yokohama Shindō. Week-end de trois jours oblige, il y a pas mal de traffic sur ces autoroutes.

Nous écoutons Suiyōbi no Campanella 水曜日のカンパネラ (anglicisé en Wednesday Campanella) pour prendre notre mal en patience. Depuis leur concert au Nippon Budokan, on voit assez régulièrement ces derniers jours la chanteuse KOM_I コムアイ sur les plateaux de télévision japonaise. J’étais d’abord assez intrigué par la musique de ce groupe par les bribes de morceaux entendus à la télévision, et je me suis soudainement décidé à explorer cette musique à travers les vidéos Youtube du groupe (et elles sont nombreuses). Le groupe se compose de KOM_I au chant et à la performance artistique, de Hidefumi Kenmochi pour la composition musicale, et de Dir.F pour la production, la video, etc. En réalité, KOM_I est la seule membre visible du groupe. Le style musical de Suiyōbi no Campanella (abréviation en Suikan スイカン) est électronique avec beaucoup de rythmes, mais l’intérêt et la nouveauté, ce sont les paroles rappées, souvent pleine de non-sens et d’humour. Il s’agit souvent d’une accumulation de phrases sans liens directs entre elles mais en rapport avec un thème décrit dans le titre du morceau. Par exemple, le morceau intitulé Jeanne D’Arc ジャンヌダルク reprend des messages d’information que pourrait donné un accompagnateur de bus lors d’un voyage organisé. Mais dans le cas de cette chanson, la compagnie de bus s’appelle D’Arc Inc, le guide s’appelle Jeanne et le voyage semble avoir Orléans pour destination (bien qu’il parte du terminal de bus de Shinjuku). Il y a certaines allusions à l’histoire de Jeanne d’Arc dans le morceau mais tout ça est mélangé avec des références à Tokyo, ce qui donne un ensemble irréel, qui est vraiment intéressant à écouter (en plus d’apprécier la musique). Cela peut paraître bizarre, expliqué comme ça, mais la mise en musique et le rythme donné par KOM_I à ces phrases chantées donnent quelque chose de très frais et nouveau, avec l’approche décalée d’ artistes expérimentaux. Beaucoup de morceaux prennent comme thèmes et titres des noms de personnages illustres comme Marie Antoinette マリー・アントワネット, avec une accumulation de mots et expressions françaises prononcées à la japonaise, dans un environnement très japonais, celui de Asakusa dans la vidéo du morceau. Pour donner d’autres exemples, citons Rah ラー dans un décor doré de pyramides, Ikkyū San 一休さん pour une évocation du moine bouddhiste mais dans un décor de boîte de nuit, Aladin アラジン sur une piste de bowling… Le morceau le plus amusant que j’ai pu écouter est certainement l’histoire de Momotaro 桃太郎, inspiré d’un ancien conte populaire. Il vit chez ses grands parents et passe son temps à jouer à la PC Engine en ignorant ses devoirs. Momotaro (le garçon pêche) finit par se faire renvoyer de la maison avec seulement un kibi dango en poche, en se demandant s’il va pouvoir exterminer les démons de l’île aux démons 鬼ヶ島. La mise en chanson très contemporaine d’une vieille légende du folklore japonais est vraiment excellente. Certains morceaux du groupe peuvent être plus expériemtaux dans la musique et la vidéo, comme le très beau Baku バク, dont la vidéo avec ces formes organiques colorées en continuelles mutations est un chef d’oeuvre d’art visuel.

Je pioche différents morceaux par ci par là, dans la discographie déjà assez étendue de Suiyōbi no Campanella (malgré la jeunesse de la formation), entre les mini-albums et le dernier opus intitulé Superman, pour former une compilation que l’on écoute dans la voiture, en route pour Ofuna.