revenir vers le futur

La timeline de mes billets est un peu discontinue en ce moment car je ne veux pas montrer qu’une continuité de photographies de sakura, alors j’alterne avec un peu d’architecture. Je reviens à Ōokayama sur le campus du Tokyo Institute of Technology. A proximité de la bibliothèque en apesanteur que je montrais dans un billet précédent, se trouve un autre bâtiment assez emblématique, le Centennial Hall of the Tokyo Institute of Technology par l’architecte Kazuo Shinohara. Ce bâtiment futuriste date de 1987. Il a été construit pour célébrer le centenaire de l’institution. C’est un bâtiment iconique très particulier, dont le design est sensé exprimer l’anarchie progressive que l’architecte a pu voir à l’ouvrage dans la manière par laquelle la ville de Tokyo s’est développée. Ce building, situé à l’entrée du campus et facilement visible depuis la gare, est utilisé comme musée de la technologie et comporte également des salles de séminaires et de conférence. La particularité du building est bien sûr cet immense demi-cylindre d’acier de 44 mètres de long, posé au dernier étage. D’un côté, le demi-cylindre pointe sur la station de train de Ōokayama, qui est aussi assez particulière. Cette station est en même temps un hôpital. Ce Tokyu Hospital at the Ōokayama station date de 2007 et est conçu par les mêmes architectes que Tokyo Institute of Technology Library, à savoir Yasuda Koichi Laboratory + Yasuda Atelier. La particularité du bâtiment est qu’il est conçu pour être envahi par la végétation. Je ne suis pas certain que cette idée initiale soit bien mise à l’oeuvre car en regardant cet hôpital après plus de 10 années d’existence, la végétation n’a pas beaucoup progressé sur les façades. J’imagine que l’entretien de ce genre de revêtement de surface vivant n’est pas simple à assurer. Dans les rues de Tokyo, on voit parfois des maisons ou des petits immeubles volontairement ou involontairement recouverts de morceaux de nature donnant l’effet d’un petit bosquet en pleine ville.

La librairie Kinokuniya au rez-de-chaussée du Department Store Seibu de Shibuya, comprend un petit espace d’exposition, souvent dédié à l’univers du manga. Je ne visite pas souvent cet espace, mais je suis attiré cette fois-ci par les images de Neon Genesis Evangelion, série animée que je suivais il y a longtemps en France, sur je ne sais quelle chaine satellite (il me semble, ma mémoire me fait défaut). C’est avec un certain plaisir que je retrouve affiché Ayanami Rei 綾波レイ et quelques autres personnages de Evangelion. De la série Evangelion, j’aimais cette histoire futuriste et mystique, les relations compliquées des personnages, le design élancé des robots Eva, le graphisme des personnages et des lieux et surtout l’urbanisme modulable de la ville réagissant aux menaces extérieures. Alors que j’avais un intérêt pour les manga quand je vivais en France, il a complètement disparu à mon arrivée à Tokyo. A l’époque, avant d’arriver à Tokyo, je pensais que l’imagerie manga serait beaucoup plus présente dans la vie quotidienne japonaise, mais c’était loin d’être le cas. Cela change maintenant avec la volonté du pays de montrer le “Cool Japan”. Après mon arrivée à Tokyo, je me suis assez vite désintéressé de l’univers manga. J’ai tout de même découvert plus tard, par hasard, des séries qui m’ont interpellé comme Knights of Sidonia (シドニアの騎士), reprenant une histoire assez similaire à Evangelion. J’aimais beaucoup l’espace urbain compliqué de la ville montrée dans cette série. J’ai un faible pour les représentations futuristes de ville. J’ai un très vague souvenir d’un film d’animation de la série Macross où on voyait les personnages évoluer dans un espace urbain compact, dans l’espace. Des morceaux d’images imprécises me reviennent en tête. Il faudrait un jour que je trouve le courage d’écrire ici sur la représentation de la ville dans quelques manga emblématiques. Ces derniers temps, je me mets à relire quelques manga. Après la lecture de Dōmu de Katsuhiro Ōtomo, je viens de terminer les 11 volumes de Mother Sarah du même Ōtomo associé à Takumi Nagayasu. Je me mets maintenant à lire le manga cyberpunk Ghost in the Shell 1.5 Human Error Processor de Masamune Shirow. J’adore Ghost in the Shell, mais je n’avais jamais eu la présence d’esprit de lire les volumes 1.5 et 2. J’essaie de corriger ces quelques manquements culturels.

les jours avant que tout s’envole

Les cerisiers se battent contre la pluie ces derniers jours et les fleurs auront bientôt complètement disparu jusqu’à l’année prochaine. C’est comme cela que ça se termine tous les ans, par un grand coup de vent et de pluie final qui viendra tout balayer sur son passage. En attendant, je continue à montrer quelques photographies à différents endroits de Tokyo. Je retourne, en famille cette fois-ci, au bord de la rivière Meguro, mais plutôt en direction de la gare de Meguro. Par rapport à Naka-Meguro, la rivière y est plus large et permet aux canoës d’y circuler pour observer les sakura sous un tout autre angle. Il y a moins de foule à cet endroit par rapport à Naka-Meguro, ce qui n’est pas désagréable. Les cerisiers en fleurs sont partout. Il suffit de marcher de la gare de Ebisu depuis Garden Place vers la rivière de Meguro pour en trouver à tous les coins: dans les jardins publics, autour des écoles, le long de certaines rues résidentielles… J’aimerais avoir une vue d’hélicoptère de Tokyo à cette période pour constater les couleurs que la ville peut prendre.

Aperçue au troisième étage niveau J-Pop du gigantesque disquaire de Shibuya Tower Records, cette affiche montrant Sheena Ringo en tenue de chevalier muni d’ailes de griffon est assez inattendue. On avait déjà vu Sheena Ringo avec des ailes dans le clip vidéo du morceau Kōfukuron (幸福論) sur son premier album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム) sorti il y a exactement 20 ans le 24 Février 1999 (quelques jours après mon arrivée au Japon). C’était cependant des petites ailes d’ange, tandis que sur cette nouvelle affiche, on dirait que Sheena Ringo est tout droit sortie d’un univers heroic fantasy. Cette affiche annonce son prochain album qui sortira le 27 mai 2019. Ça fait 5 ans, depuis son album de 2014 Hi Izuru Tokoro (日出処), que Sheena Ringo n’a pas sorti de nouvel album studio. Il y avait bien quelques morceaux sortis au compte goutte pour nous faire patienter et l’album Reimport Vol. 2 – Civil Aviation Bureau (逆輸入〜航空局) sorti en 2017, composé de reprises de ses propres morceaux créés pour d’autres artistes. Mais tout ceci avait du mal à combler un certain vide discographique ces dernières années, dans sa carrière pourtant bien remplie. Un nouvel album est donc le bienvenu, même si je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Les derniers morceaux en single étant à chaque fois destinés à des spots publicitaires ou à des génériques d’émissions de télévision, je me demande bien quelle direction artistique aura ce nouvel album. On sait qu’il s’appellera Sandokushi (三毒史). Ce titre se compose du terme bouddhiste ‘Sandoku’ faisant référence à trois poisons: l’ignorance, l’avidité ou la convoitise, la haine ou la colère, et au terme ‘Shi’ voulant dire Histoire. L’album sera à priori composé de 13 morceaux dont 4 déjà sorti il y a plusieurs années, à savoir deux titres de 2015: Nagaku Mijikai Matsuri (長く短い祭) et Kamisama, Hotokesama (神様、仏様), un de 2017: Menuki Dōri (目抜き通り) et le dernier en date: Kemono yuku Hosomichi (獣ゆく細道) sorti en fin d’année dernière. Sheena Ringo met de côté d’autres titres, sortis sur aucun album à ma connaissance, comme l’excellent Shijō no Jinsei (至上の人生) de 2015. D’autres morceaux de cette période entre deux albums comme Jinsei wa Yume Darake (人生は夢だらけ), morceau de 2017 que j’aime beaucoup, avait par contre été inclu dans Reimport Vol. 2. Attendons de voir d’un peu plus près ce que va donner ce nouvel album. J’avoue une certaine impatience.

i’m tired of seeing things

Le titre du billet ne correspond pas à une lassitude de prendre des photographies de Tokyo, mais plutôt au contraire à un sentiment de trop plein, étant donné que je prends en ce moment plus de photographies que mon rythme de publication ne le permet. Sur les photographies ci-dessus, nous sommes d’abord de retour dans le centre de Shibuya lors d’une journée très ensoleillée faisant apparaître la nouvelle tour de verre de la station de Shibuya comme un mirage au fond du paysage. En abordant la tour 109 depuis le côté gauche, on a l’impression qu’elle a été avalée par le bruit urbain alentour. Lorsqu’on l’approche depuis le grand carrefour de Shibuya, elle apparaît plutôt comme un landmark se détachant clairement des buildings aux alentours par son design lisse et moderne. Le haut de la tour subit quelques travaux car le logo 109 va changer de style. En s’enfonçant un peu dans les rues arrières du centre de Shibuya, on retrouve très rapidement le brouhaha urbain mélangeant les formes et les couleurs. Je me sens obligé de photographier car ce Shibuya là disparaîtra, comme c’est le cas de la zone sud de la gare, à côté de la tour Stream, en redevelopment complet. C’est un peu triste mais c’est le courant des choses. Je montre les deux dernières photographies, prises sur l’avenue Meiji et à Hiroo, pour la lumière plutôt que pour l’objet montré. Cette lumière créant des ombres depuis une vieille moto Indian et éclairant le bout des toitures des temples est tout ce qui importe.

Le dernier album Double Negative du groupe rock slowcore Low est un chef d’oeuvre conceptuel. C’est un monument musical fait de matières abrasives, construit sur un terrain rugueux composé de bruits et de multiples sonorités particulières. C’est sur cet espace inhospitalier que les voix d’Alan Sparhawk et de Mimi Parker viennent se poser en essayant de forcer la voie. L’ensemble donne le sentiment d’un univers musical instable. Le premier morceau Quorum donne une bonne introduction à cet univers. On retrouve cet atmosphère où la voix peine à émerger du son dans les morceaux de shoegazing, mais la musique de Low est plus expérimentale. Des moments plus calme aux sonorités industrielles alternent les passages musicaux altérées. Les morceaux sont en général au tempo lent, ce qui est constitutif du style slowcore. Le deuxième morceau Dancing and Blood me fait penser à l’univers de Burial pour le côté brumeux d’une ville industrielle où se dégagent des voix écorchées. Ce qui fonctionne très bien dans cet album, ce sont les passages très mélodiques alternant avec la dureté des lieux. Les morceaux s’enchaînent sans interruption, ce qui donne l’impression d’un vaste ensemble musical vivant. Les morceaux de Double Negative jouent avant tout sur les émotions, et j’y suis très sensible. Il y a une grande tristesse dans certains morceaux comme le troisième Fly, qui donne la chair de poule. Parfois, la voix est soumise à des obstacles bruitistes semblant insurmontables comme sur le morceau Tempest. Le morceau est difficile à la première écoute, comme le serait un combat et se révèle être, au fur et à mesure des écoutes, d’une beauté indescriptible. J’adore particulièrement la toute fin du morceau, comme une mécanique qui se bloque en boucle infinie. On a même l’impression qu’une présence extra-humaine se dégage de ce bruit en mode drone. Il y a parfois de belle éclaircies franches aux allures pop comme le sixième morceau Always trying to work it out, mais la voix claire en duo est tout de même soumise aux basses lourdes comme des bombardements au fond du paysage et se fait finalement avalée par un torrent magnétique final. Double Negative fait surgir les images. Les nappes musicales de The Son, The sun par exemple m’évoque un vent en terrain désertique, presque lunaire, puis des ambiances de temple oriental dans la pénombre. A ce moment, je pense à nouveau à Burial sur le EP Subtemple. Leurs univers sombres ont certaines ressemblances par moments. On peut écouter et se procurer cet album sur Bandcamp. On peut y lire une description en anglais qui me parle beaucoup. J’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog du sentiment de dualité, ici vue comme un combat, entre la beauté de la voix humaine et la rugosité destructrice du bruit environnemental.

Double Negative is, indeed, a record perfectly and painfully suited for our time. Loud and contentious and commanding, Low fights for the world by fighting against it. It begins in pure bedlam, with a beat built from a loop of ruptured noise waging war against the paired voices of Sparhawk and Parker the moment they begin to sing during the massive “Quorum.” For forty minutes, they indulge the battle, trying to be heard amid the noisy grain, sometimes winning and sometimes being tossed toward oblivion. In spite of the mounting noise, Sparhawk and Parker still sing. Or maybe they sing because of the noise. For Low, has there ever really been a difference?

Cette musique est pour sûr prenante et il faut se trouver dans de bonnes conditions pour l’écouter. En ce qui me concerne, j’aurais du mal à l’écouter à la légère. Je ne connaissais pas du tout le groupe Low, bien qu’ils soient actifs depuis 1993. Double Negative me donne envie de creuser un peu plus cet univers.

Écouter la musique de Low m’inspire une dernière image évoquant un certain minimalisme et les formes non évidentes d’une présence humaine derrière le bruit urbain.

du tunnel de sakura au bain de lumière

Les cerisiers en fleurs étaient à leur pic de floraison pendant presque deux semaines, ce qui est assez rare pour le noter. Entre les deux week-ends où les cerisiers étaient en pleine floraison, la température s’est refroidie et a donc permis de conserver la floraison un peu plus longtemps que d’habitude. La température se réchauffant a cependant précipité la fin de la floraison. Cette période est intéressante car on voit les pétales s’envoler au gré du vent. Une des règles non écrites lorsque l’on vient regarder les cerisiers est que l’on ne touche pas aux cerisiers. On ne coupe pas de branches ou on ne secoue pas les branches. Hier, alors que l’on naviguait en voiture autour de Roppongi Hills, j’ai quand même vu des touristes étrangers (je suppose) secouer franchement une grande branche de cerisier, pour faire voler les pétales. Juste en dessous, se trouvait une jeune fille prenant la pose pour une photo au smartphone prise par une autre personne. Je pense qu’ils essayaient de prendre la photo « parfaite » pour les réseaux sociaux, au détriment des règles de bonne convenance. Parfois les réseaux sociaux, notamment Instagram ou YouTube, nous poussent au pire. Sur la série de photographies ci-dessus, nous sommes à Akasaka, le long de la rue étroite entourant le complexe Ark Hills. Cette rue est bordée de cerisiers des deux côtés ce qui donne un tunnel couvert de fleurs à certains moments du parcours. Les cerisiers sont assez âgés sur cette rue. Certains ont été malheureusement coupés. Bien que l’endroit vaut grandement le détour, j’ai l’impression que le tunnel de sakura était plus impressionnant il y a plus de dix ans. Des cerisiers ont par contre été plantés, il y a plusieurs années de cela, le long de la rue derrière le building de verre Izumi Garden. Cette partie de la rue en particulier commence à prendre beaucoup de volume. Situé au pied de la grande et majestueuse tour Ark Hills Sengokuyama de Mori Building, et sur une zone élevée par rapport au tunnel de sakura, un petit parc baigne dans la lumière. Cet endroit est particulièrement agréable. J’y essaie des vues en contre-plongée de la tour Sengokuyama, bordée par quelques cerisiers.

autour de la forteresse de Shōtō

C’est un fait assez rare à vrai dire, mais j’ai une grande quantité de photographies à montrer sans avoir pour l’instant de textes écrits pour les accompagner. Il est possible que je les montre sans légendes dans les billets qui vont suivre, mais pour le moment j’essaie d’y ajouter quelques mots, pour me souvenir du contexte des photographies et parce que j’aime parfois me relire après plusieurs années. De temps en temps, je prends un mois au hasard de ma page d’archives et je relis les textes et revois les photographies de quelques billets. J’aime me remémorer ces instants passés et le fait d’y mentionner l’inspiration musicale du moment me replonge un peu plus dans l’ambiance des lieux. Les photographies ci-dessus sont prises dans le quartier de Shōtō 松濤 à deux pas du centre de Shibuya. J’étais parti à la recherche de M House du groupe d’architectes SANAA qui a été malheureusement détruite et temporairement remplacée par un terrain vague, comme je l’indiquais dans un billet précédent. Les photographies ci-dessus sont donc prises pendant cette période « intermédiaire » où je recherche dans les rues, tel un chasseur, l’objet d’architecture qui m’intéresse, avant d’atteindre le but de mon déplacement. Cette chasse à l’architecture se passe la plupart du temps dans un quartier que je ne connais pas ou peu, mais je connais relativement bien Shōtō, pour m’y être promené plusieurs fois. Du moins, j’ai le sentiment de connaître ce quartier. J’y retrouve bien entendu la galerie TOM, faite de béton brut, par l’architecte Hiroshi Naito, et le musée d’art de Shōtō par l’architecte Seiichi Shirai. Ce sont tous les deux des bâtiments très particuliers que j’aime beaucoup revoir quand je passe dans le coin. Mais lors de ma marche à Shōtō, deux autres bâtiments m’ont impressionné ou plutôt intrigué, celui des deux premières photographies et celui de la troisième. Sur la troisième photographie d’abord, cette maison individuelle est particulière car elle mélange les styles: une structure occidentale faite de briques et une toiture et certaines structures de tradition japonaise. Le résultat est assez étonnant et fonctionne bien, je trouve. L’ajout des fenêtres, ronde ou placée sur une arête de la façade, ajoute un côté moderne inattendu. Mais le choc visuel vient du bâtiment des deux premières photographies. Il est difficile à prendre dans sa totalité en raison de sa taille et de la faible largeur de la rue. Cette maison particulière ressemble à une forteresse moyenâgeuse par la présence d’une énorme porte d’entrée qui fait penser à un pont-levis, par les immenses façades pratiquement exemptes d’ouvertures et par sa ressemblance à une tour de garde. Pour sa couleur, on dirait le château d’un royaume des sables. Je serais très curieux d’en connaître l’architecte et de comprendre comment est arrangé l’intérieur de cette forteresse. Une chose est sûr, les propriétaires de ce domaine fortifié veulent se protéger de l’extérieur. Bien que je n’ai pas pu voir M House, mon passage à Shōtō m’a fait découvrir d’autres architectures qui valent à elles seules le détour.