a day with s (2)

Nous déjeunons au 38ème étage de la tour de Yebisu Garden Place, depuis laquelle nous avons une très belle vue sur une partie de Tokyo, du côté de la Tour de Tokyo et de Roppongi Hills. Il nous faut ensuite réfléchir à l’itinéraire de l’après midi, et nous nous mettons assez vite d’accord pour aller à Nakano Broadway, un des royaumes du monde Otaku avec Akihabara. En fait, je ne suis jamais allé à Nakano Broadway et bien que connaissant le nom de cet endroit, je ne savais pas trop ce qu’on y montrait et vendait. En fait, je savais seulement que Takashi Murakami y avait installé une boutique et un café, que j’avais envie d’aller voir. Voilà une bonne occasion de s’y rendre. Nakano est seulement à quelques stations de la gare de Shinjuku. Il faut marcher quelques centaines de mètres dans une galerie marchande couverte depuis la gare pour finalement arriver à Nakano Broadway. Il s’agit d’un grand immeuble de plusieurs étages avec de multiples boutiques. L’affiche futuriste de ce centre commercial indique tout de suite que le monde du manga et du cinéma d’animation est couvert ici. Il y a en fait beaucoup de magasins de figurines manga, qui doivent être vendues d’occasion. En fait, dans chacune des boutiques, on entre dans un monde de collectionneurs. Ici, des vieux jouets, là, des affiches de vieux films japonais, un peu plus loin, des jeux vidéos vintage. On s’amuse en regardant les prix, par exemple des cartouches de jeux Neo Géo à 420,000¥. Les jeux Neo Géo étaient inabordables à l’époque, mais ce sont maintenant des pièces de collection. Dans une boutique de vieux jouets plutôt axés Ultraman et ses divers monstres, je trouve par hasard un dinosaure mécanique Zoids que j’avais étant petit, et qui se vend 20,000¥ avec la boîte d’origine (10,000¥ sans). C’est incroyable comme certains vieux jouets peuvent prendre de la valeur. Le problème est que l’on ne sait bien sûr pas à l’avance lesquels prendront de la valeur. Certaines figurines et jouets nous rappellent des souvenirs d’enfance. Ces boutiques sont comme des mini-plongeons dans le temps. En se perdant un peu dans les couloirs du centre commercial, on finit par tomber sur le café de Murakami juste à côté d’une petite galerie d’art montrant un étrange samouraï mort-vivant. La galerie appelée Hidari Zingaro fait partie de l’espace de Takashi Murakami. Ce samouraï à tête de mort est une des pièces de l’exposition intitulée Ronin de l’artiste tatoueur Jun Cha, basé à Los Angeles. Mais il est temps de prendre un café au Bar Zingaro de Murakami. Il est bien entendu décoré d’un grand nombre de soleils colorés, dessins emblématiques de Murakami. L’endroit est assez petit mais nous avons la chance de trouver tout de suite une place. Depuis que j’ai vu la grande exposition qui lui était consacré à Roppongi Hills il y a quelques années, j’ai pris un certain intérêt à suivre le travail artistique de Murakami. J’aime notamment quand il modifie l’image de ces figures bon-enfants pour les transformer en petits créatures monstrueuses. L’univers du café Zingaro reste bon-enfant, mais attention, un grand monstre poilu guette dans un coin sombre du café.

La suite de notre après-midi s’accélère. En revenant de Nakano, nous nous arrêtons à Shinjuku pour traverser la minuscule allée de restaurants en comptoir de Omoide Yokocho. Avant cela, il nous aura fallu attendre, coincés dans la marée humaine du samedi soir entre la gare de Shinjuku et le Studio Alta. Je n’avais jamais vu autant de monde à Shinjuku, même un samedi soir. Après Omoide Yokocho, nous longeons Kabukichō, toujours dans la foule, pour accéder un peu plus loin aux rues étroites d’un autre temps de Golden Gai. Nous n’avons pas le temps de nous y arrêter, et je serais de toute façon bien en mal de choisir un de ces bars aux portes fermées sur l’extérieur. Certains bars affichent pourtant un écriteau en anglais pour souhaiter la bienvenue. Mais j’imagine que ceux qui viennent dans ces endroits veulent y trouver une ambiance à part et ne viennent pas pour se retrouver entre touristes étrangers. Je suis allé dans un de ces bars il y a très longtemps une ou deux fois, mais je ne souviens plus duquel et à quelle occasion. Pour des raisons indépendantes de ma volonté, les souvenirs de fin de soirée dans les rues de Shinjuku se font parfois flous. Depuis Shinjuku, nous décidons de marcher vers le nouveau stade olympique avant de regagner Shibuya. Mais la fatigue se fait sentir dans les jambes et le pluie fine incessante finit par avoir raison de notre volonté initiale. Nous prenons donc plutôt la ligne de métro Fukutoshin qui nous amène en quelques minutes seulement jusqu’au centre de Shibuya. Nous voulions revoir le grand carrefour de Shibuya envahi par les flots humains. Je me souviens d’un point de vue en haut d’un des buildings du croisement. J’y suis déjà allé il y a plusieurs mois. Alors que c’était auparavant gratuit, il faut maintenant s’acquitter de 300¥ par personne pour accéder au point de vue sur le carrefour. C’est vraiment abusé, d’autant plus que les vitres de protection mouillées par la pluie ne donnent qu’une vue floue du carrefour. En redescendant du building, on se console en quelque sorte en admirant les fresques dessinées sur les murs de l’escalier nous faisant redescendre au rez-de-chaussée. J’aime beaucoup la fresque représentant deux boxeurs avec des pieuvres sur la tête ou ces autres pieuvres aux allures extra-terrestres qui me rappellent les personnages ennemis d’un des jeux de la série Metal Slug sur Neo Geo. Pour conclure cette longue tournée dans les rues de Tokyo, nous mangerons des sushis à Shibuya, avant de souhaiter bon voyage à Samy qui partira pour Hong Kong, la prochaine étape de son long voyage.

a day with s (1)

Quand on reçoit un visiteur de France, en l’occurence mon cousin Samy, c’est à chaque fois l’occasion de faire une journée marathon dans Tokyo, pour essayer de voir le maximum de choses tout en discutant non-stop. La petite différence par rapport à l’habitude est que mon cousin avait déjà passé quelques jours à Tokyo (et quelques mois à Kyoto) auparavant, donc il a fallu orienter les visites de cette journée de samedi vers les lieux qu’il n’avait pas encore visité, tout en improvisant en cours de route. C’est également l’occasion pour moi de revoir les classiques, car pour quelqu’un qui vient à Tokyo pour la première fois, il faut d’abord voir les classiques. Mais, c’est même souvent l’occasion d’aller à des endroits que je ne connaissais que par réputation. En tout cas, il nous faut à chaque fois beaucoup marcher dans les rues de Tokyo, environ 20kms cette fois-ci. Notre journée de visite ressemblait donc à un demi-marathon dans Tokyo. Et par dessus tout, je me réjouissais à l’idée de marcher toute la journée avec mon cousin que je ne vois pas très souvent, car l’effort de la marche permet en quelque sorte de libérer la parole. Tout cela en prenant des photos bien sûr.

Nous nous sommes convenus de nous rejoindre à la gare de Shibuya devant Hachiko. Mari me dit que c’est un peu ringard de se donner rendez-vous à Hachiko, ce que je conçois bien. Mais cela faisait très longtemps que je n’avais pas donné rendez-vous à quelqu’un à cet endroit et ça m’a rappelé mes vingt ans. Il est 9h du matin et il n’y a pas grand monde dans le centre de Shibuya. On reviendra dans la soirée pour faire l’experience de la traversée du carrefour en pleine affluence. Nous avions de toute façon l’intention d’aller à Meiji Jingu tôt le matin pour éviter la foule des touristes. C’était bien calculé car il n’y avait pas foule à cette heure. Il faut dire également que la météo n’était pas des plus propices à la promenade car il a plu pratiquement toute la journée. C’était heureusement une pluie assez fine pour éviter le parapluie et garder un peu de fraîcheur. Nous passons devant le gymnase olympique de Kenzo Tange qui est actuellement en pleine rénovation avant les Jeux Olympiques de 2020, pour ensuite s’enfoncer dans la forêt qui nous mène vers Meiji Jingu. Les grandes portes torii font toujours leur effet sur le visiteur au fur et à mesure qu’on approche du grand sanctuaire. Nous nous dirigeons ensuite vers la rue Takeshita à Harajuku qui restait assez peu encombré à cette heure. La multitude des boutiques de la rue commençait tout juste à ouvrir, petit à petit. La curiosité nous a poussé à aller boire une de ces boissons taïwanaises au thé et tapioca dont on parle tant ces derniers mois. Je n’avais jamais essayé mais c’était très bon. La clientèle était plutôt féminine et jeune, comme je l’imaginais, mais la curiosité a été plus forte que tous les à priori. Alors que nous marchons dans les rues de Ura-Harajuku pour ensuite rejoindre Cat Street, la pluie devient plus forte et nous nous précipitons vers l’immeuble en colimaçon Omotesando Hills de Tadao Ando. Il a quelques semaines de cela, Mari y avait aperçu par hasard Kylian Mbappé qui était de passage au Japon pour la promotion d’une marque de cosmétique. En ressortant de là, alors que la pluie se fait insistante, l’option visite de musée ou de galerie, à l’intérieur donc, se fait des plus évidentes. Ça tombe bien car le musée Nezu n’est pas très loin d’ici et l’exposition du moment, une introduction aux arts traditionnels avec pour sujet la peinture japonaise, tombait à point pour faire un tour d’horizon de l’art graphique japonais. D’autant plus que je n’étais pas retourné au musée Nezu depuis sa reconstruction complète sous la direction de l’architecte Kengo Kuma. Le bâtiment est superbe, tout autant que le jardin à l’arrière qui ressemble parfois à une jungle tant il est dense. Quelques dépendances, maison de thé et café, ainsi que de nombreuses statues viennent agrémenter les chemins en pente du jardin. Alors que nous sortons dans le jardin sous une pluie fine, une dame d’un certain âge insiste pour qu’on emprunte son parapluie alors qu’elle entre à l’intérieur du musée. Nous refusons gentiment mais l’insistence de la dame me surprend un peu. Nous devons ressembler tous les deux à des pauvres touristes perdus dans un pays mystérieux, sans repères et livrés à nous-mêmes. Mais j’exagère certainement. C’était une aimable intention, mais qui peut prendre parfois des proportions étranges. La matinée se termine déjà et nous marchons ensuite vers Yebisu Garden Place pour le déjeuner. Suite de cette journée au prochain épisode.

le corbusier à Tokyo

Ce billet était dans mes brouillons depuis plusieurs mois. Les photographies prises à Ueno datent de la fin mars de cette année, il me semble, si j’en juge aux cerisiers encore en fleurs sur une des photographies. Je pense que j’avais l’intention d’écrire un long article détaillé sur l’exposition que nous avions vu à ce moment là, un billet se voulant complet comme celui que j’avais écrit au moment de la visite de l’exposition de Tadao Ando au NACT de Nogizaka. Mais le courage d’écrire un tel article me manque. De toute façon, à quoi bon écrire autant si on est à peine lu, ce qui est d’autant plus vrai pendant la période estivale.

Ce jour-là de la fin mars, nous allions donc voir l’exposition Le Corbusier and the Age of Purism au National Museum of Western Art, Tokyo. Ce musée est également conçu par Le Corbusier et est la seule œuvre architecturale qu’il a construit au Japon. Il est d’ailleurs inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2016 et accompagne une sélection d’autres bâtiments de Le Corbusier dans le monde. Mais, cette exposition ne se concentrait pas sur les créations architecturales de Le Corbusier mais sur ses peintures inscrites dans le mouvement appelé Purisme qu’il promût à cette époque après son installation à Paris. Il fonda ce mouvement artistique avec le peintre Amédée Ozenfant et l’exposition montre également beaucoup de peinture de Ozenfant. Il s’agit d’un art de la construction et de la synthèse, correspondant aux développements technologiques de la société moderne. Cette ligne artistique est en ligne avec la vision de Le Corbusier de construire son architecture comme des machines à vivre. L’exposition est également accompagnée de quelques maquettes détaillées de certains bâtiments de l’architecte. Il faut dire que j’étais plus intéressé par ces maquettes assez nombreuses d’ailleurs que par les peintures qui ont du mal à provoquer en moi une émotion. C’était aussi la première fois que je rentrais à l’intérieur du musée, ce qui peut paraître étonnant après toutes ces années mais l’occasion ne s’était jamais vraiment présentée jusqu’à maintenant. Le plus impressionnant pour moi lors de cette visite, restait ce geste architectural de Le Corbusier sur la grande ouverture triangulaire du hall à l’entrée, portée par un long pilier fin. On peut l’observer de plusieurs endroits sur des balcons au deuxième étage et on ne s’en lasse pas.

à l’intérieur du temple noir

Comme je l’avais indiqué précédemment, j’avais l’intention d’aller voir d’un peu plus près le temple noir à la forme pyramidale et aux allures de vaisseau de science fiction, se trouvant à Higashi Azabu près de la Tour de Tokyo. Je profite de quelques heures de libre dans l’agenda du week-end pour m’en approcher. L’extérieur n’a pas une apparence très hospitalière et laisse libre cours à toute sorte de divagations sur ce qui peut se passer à l’intérieur. Je choisis de faire d’abord le tour de l’édifice dans les rues résidentielles qui le bordent, pour voir comment cet étrange et massif bâtiment se positionne dans l’environnement urbain alentour. Les longues parois rectilignes noires en escaliers sont impressionnantes et contrastent énormément avec le reste du quartier. Tout en haut de ces parois construisant une forme de pyramide, sont placés deux cercles qui semblent être le symbole des lieux, car on le revoit à un autre endroit du site. Les façades et le toit sont couverts de granite noir. L’entrée est inspirée des formes traditionnelles d’un temple bouddhiste, mais le gigantisme du bâtiment donne l’impression que cet édifice est inébranlable et qu’il peut faire face à toutes sortes d’intempéries. Ça doit être le choix du noir pour la quasi-totalité du bâtiment qui remplit ces lieux de mystères. Ces formes bizarres et les tons sombres font d’ailleurs penser à l’architecture de Seiichi Shirai, d’autant plus que l’immeuble NOA de cet architecte se trouve juste à côté. Le bâtiment a été construit par Takenaka Corporation et il date de 1975, une année après la construction du NOA building. Et quand on sait que Seiichi Shirai a été présenté au propriétaire du futur building NOA par Takenaka Corporation, on imagine qu’il y a du y avoir une influence même indirecte de Shirai sur le temple de Higashi Azabu.

J’hésite d’abord à entrer à l’intérieur bien qu’il n’y ait pas de barrière ni de signe d’interdiction. Le grand escalier, qui semble donner accès à l’intérieur du hall intérieur à la pyramide, est par contre fermé d’une chaîne. Depuis le rez-de-chaussée, on peut accéder à une place intérieure ouverte située juste en dessous du grand hall du temple. Une plaque explicative à l’intérieur indique que nous sommes ici au Reiyūkai Shakaden. Il s’agit du temple principal de la nouvelle religion bouddhiste Reiyūkai fondée en 1925, une secte inspirée du courant bouddhiste Nichiren. Elle fut créée quelques années après le grand tremblement de terre du Kantō en 1923 et la dépression économique qui en suivit. L’organisation possède 5 millions de membres dans le monde avec des ramifications dans plusieurs pays (même en France), et insiste beaucoup sur son objectif de contribuer au développement de la paix dans le monde. Je ne doute pas de la sincérité de cette organisation, mais je suis en général assez sceptique sur ces grands messages généralisants. Toujours est il qu’en lisant cela, j’hésite un peu moins à m’aventurer à l’intérieur. Il y a quand même un fort contraste entre la noirceur générale des lieux et les messages à priori hospitaliers que l’on peut lire.

La photographie de gauche montrant l’intérieur du hall du Shakaden provient du site guide Tokyo.com. La vue d’ensemble en haut à droite a été prise par moi-même depuis la tour de Tokyo. Le schéma en bas à droite montrant l’agencement des étages dans le batiment provient du blog ArchitectureTokyo.

Je décide de prendre un des ascenseurs au hasard pour voir à quoi ressemble l’intérieur. Après un vestibule, on rentre dans un espace gigantesque faisant la quasi totalité de l’intérieur de la pyramide. Je suis comme pris au cœur par la grandeur du lieu. Dans un style très différent, je pense à l’espace intérieur de la Cathédrale Sainte-Marie de Tokyo de Kenzo Tange. De la même manière, on a envie de retenir son souffle quand on rentre dans ces lieux sombres et vastes, mais en béton brut pour la cathédrale. Dans le grand hall du shakaden, quelques adeptes sont assis par-ci par-là sur les rangées de bancs destinés aux disciples. Tous ont un bandeau sur la poitrine et certains récitent des soutras seuls dans un coin du hall. Je marche doucement sans faire un bruit, bien que le plastique des semelles de mes chaussures trahissent ma présence. Je ne voudrais pas interrompre la prière de ces personnes et je ne voudrais surtout pas qu’on vienne me parler même amicalement. J’admire l’espace du hall et les parois en pente pendant plusieurs minutes dans la pénombre, depuis l’arrière du hall derrière les rangées de bancs. On ne voit pas le grand Bouddha en bois sculpté de 8 mètres, caché derrière une des parois. Dans une église ou une cathédrale catholique, je me serais permis de m’asseoir sur un des bancs pendant quelques instants pour m’imprégner de la grandeur du lieu, mais ici, je ne me sens pas autorisé à le faire. Des écriteaux indiquent pourtant qu’il est seulement interdit de faire du bruit et de prendre des photos, pas d’interdiction de s’asseoir sur les bancs pour les non adeptes. Disons plutôt que la noirceur générale de ce hall impressionne mais ne donne pas spécialement envie de s’y installer. Après ces quelques minutes de contemplation dans le silence, je ressors du hall par la porte opposée et me perds un peu en descendant au sous-sol et en tombant sur des portes fermées. Je n’ai croisé personne dans les couloirs du temple jusqu’à la sortie. En me renseignant un peu, j’apprends que ce temple dispose même d’un immense réservoir de 400 tonnes d’eau potable qui serait utilisée en cas d’urgence de type tremblement de terre.