à pieds jusqu’à Yanaka

Je marche cette fois-ci jusqu’à Yanaka ce qui me prend environ deux heures et demi. C’est une longue marche qui me laisse le temps de réfléchir au sens de la vie mais je n’utilise en général pas beaucoup ce temps qui m’est donné pour réfléchir à quoique ce soit. Je pense que ça gâcherait la marche et je préfère faire en quelque sorte le vide et me concentrer sur l’observation de la rue. Sur mon passage, je traverse le cimetière d’Aoyama, passe devant le grand palace d’Akasaka Geihinkan et la station de Yotsuya. Alors que j’approche d’Ichigaya, je me décide à faire un tour rapide à l’Institut français du Japon. Je pensais que la rénovation du bâtiment historique conçu par Junzo Sakakura était déjà terminé mais elle continue apparemment jusqu’à la fin de l’année. Je voulais également voir les nouveaux bâtiments conçus par Sou Fujimoto appelés Un Village pour Institut. Cet ensemble éclaté, installé dans le jardin de l’Institut, comprend plusieurs salles de classe, une salle de conférence et un restaurant. Cet ensemble a été ouvert le 5 Juillet 2021. J’ai un vague souvenir d’une brasserie installée dans ce jardin mais je pense qu’elle a été remplacée par ce nouvel ensemble. Ma marche m’amène ensuite dans des quartiers que je ne connais pas ou peu, au delà de Iidabashi et derrière le Tokyo Dome que je reprends avec plaisir en photo. J’ai à chaque fois l’impression d’y voir un nuage crémeux posé délicatement sur une couronne de béton. Et je retrouve finalement Yanaka et la boulangerie Ueno Sakuragi Atari dont je parlais la dernière fois. J’ai donc marché deux heures et demi pour aller acheter du pain. Mais quel pain et quelle boulangerie! Je la montre sur la dernière photographie.

comme tenue au sol par un fil

En marchant depuis Monzen-Nakachō en direction du sanctuaire de Suitengu, je ne pensais pas arriver aussi vite sur la jonction d’autoroutes d’Hakozaki. Après avoir traversé la rivière Sumida, l’autoroute à étages devient soudainement plus dense. On a même du mal à appréhender le nombre de niveaux qui la compose. Cet ensemble à quelque chose de monstrueux. Certains y verront même une ambiance cyberpunk et voudront y appliquer un filtre bleuté pour donner une atmosphère proche de celle de Blade Runner. Je ne suis pas contre le fait de mystifier la ville de Tokyo mais cette comparaison avec l’univers de Blade Runner a été trop fait. J’ai déjà pris en photo l’année dernière la jonction d’Hakozaki que j’avais choisi de montrer en noir et blanc. Conserver les couleurs sur la série ci-dessus donne une certaine chaleur, comme si la bête mécanique était bien vivante. C’est l’impression que me donne la troisième photographie. En la regardant, j’ai l’impression que les courbes des voies sont sur le point d’onduler. Tout cet ouvrage ne tient que sur quelques piliers, comme s’il ne s’agissait que d’un fil qui maintenait tout l’ensemble au sol.

hey, must be a devil between us

Lorsque je n’ai pas d’idée particulière sur un endroit où aller, je marche de Shibuya à Shinjuku le long de la longue avenue Meiji. Je me perds volontairement en chemin en bifurquant soudainement vers d’autres rues plus étroites lorsque l’envie se fait sentir. Shinjuku est un centre qui m’attire, sans que je sache vraiment pourquoi. En chemin, j’y trouve à chaque fois des choses qui viennent intéresser mon regard: un sac qui interpelle les passants et me donne l’idée du titre du billet tiré de paroles d’un morceau des Pixies, des plantes qui envahissent tranquillement un building de béton, un motocycliste qui attend qu’on le regarde et qu’on le prenne en photo, ce que je fais bien sûr car je suis bon public (il me semble d’ailleurs avoir déjà vu cette moto il y a quelques mois à Yoyogi), une figure de manga posée sur le mur d’une galerie, un avion survolant la ville après 3h de l’après-midi et disparaissant rapidement derrière les nuages du typhon qui approche, un recoin près de la gare de Yoyogi voulant ressembler au métro new-yorkais. Je me demande si je regarde mieux depuis que je prends des photographies. Est ce que tous ces détails urbains passeraient inaperçus à mon regard si je n’étais pas continuellement à l’affut? Une chose est sûr, je ne m’ennuis jamais lorsque je parcours ces rues, même la longue avenue Meiji entre Shibuya et Shinjuku que je connais pourtant très bien.

La newsletter musicale de Patrick Saint-Michel me fait découvrir la compositrice et interprète Miyuna (みゆな) dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à maintenant. Et c’est une bien belle découverte! Son premier album intitulé Guidance (ガイダンス), sorti le 24 Août 2022, occupe beaucoup mon temps musical ces dernières semaines. En fait, dans la courte présentation de l’album sur sa newsletter, Patrick mentionnait l’influence qu’avait Sheena Ringo sur des jeunes artistes comme Ado et notait que cette influence se ressentait également sur cet album de Miyuna. Il ne m’en a pas fallu beaucoup plus pour jeter une oreille attentive à la musique de Miyuna. A vrai dire, je ne trouve pas de ressemblance directe entre Miyuna et Sheena Ringo, car leurs voix sont différentes, mais j’y ressens une aspiration similaire dans les nuances vocales et dans la densité et la complexité de la partition musicale. Certaines sonorités de voix et quelques accords par-ci par-là me rappellent bien Sheena Ringo, mais ça reste à mon avis plutôt discret. Miyuna a un atout de taille, celui de sa voix qui lui permet de faire varier rapidement les émotions qu’elle transmet, un peu comme Sheena Ringo pourrait le faire. Le premier morceau de l’album, Maisou (埋葬), en est un très bon exemple. J’ai découvert Miyuna par ce morceau, à la vidéo pour le moins particulière (il ne faut pas se laisser distraire par le zombie qui perd sans cesse son œil). Ce morceau alterne les ambiances rock et d’autres plus pop, que je qualifierais de post-vocaloid. Il n’y a pas de ressemblance avec la musique de Yoasobi mais la petite trame musicale pop traversant le morceau me fait penser à cette ambiance là. La composition musicale est très dynamique et changeante, et on s’accroche aux variations et à la passion transmise par sa voix. Maisou compte parmi les meilleurs morceaux que j’ai pu entendre pour l’instant cette année. Et ce morceau se conjugue bien avec le suivant, Giyōshi (凝視). Miyuna n’hésite pas à déstructurer ses morceaux, entrecoupés ici par des phrases parlées, et à mélanger les influences. Bien qu’un peu court, Giyōshi compte aussi dans les meilleurs morceaux de l’album. Sans passer en revue la totalité des titres de l’album, je dirais que même les morceaux apparemment plus classiques, ont ce petit quelque chose dans la composition qui nous donne envie d’y revenir. Le quatrième morceau Chōdai (頂戴) prend une ambiance electro pop très différente du reste de l’album. Miyuna utilise l’autotune pour sa voix sur ce morceau, ce que certains lui reprochent car sa voix n’en a pas besoin, mais cela reste assez léger. A vrai dire, je n’ai pas d’avis à priori négatif sur l’autotune s’il reste mesuré et je trouve que c’est à chaque fois une critique facile qu’on peut faire à un artiste dès qu’il ou elle utilise cet effet. Un morceau comme le neuvième intitulé Kyōai (狂愛) me fait un peu penser à des compositions que Sheena Ringo pourrait écrire, mais j’ai du mal à m’en convaincre complètement. Ce type de morceaux, tout comme le suivant Kanku (甘苦), m’a convaincu de sa capacité à créer des ambiances qui lui sont personnelles même si elles sont basées sur des elements musicaux qu’on a déjà pu entendre ailleurs. Elle arrive superbement à lier ces ambiances disparates pour créer un objet musical accrocheur. Et Miyuna n’a que 20 ans! Ses premiers morceaux sont sortis en 2018 alors qu’elle n’avait que 16 ans. Elle a l’avenir devant elle et je suis certain qu’elle fera parler d’elle. Espérons qu’elle conserve cette tension rock particulière et qu’elle n’adoucisse pas trop sa musique. Elle le fait déjà sur certains des morceaux de son album, mais ces morceaux là dans le style ballade apportent des moments d’apaisement à l’ensemble. La playlist de Guidance m’a tout de suite sauté aux yeux car tous les titres ont la même longueur, composées de deux kanji seulement. Ce petit détail est à mon avis très ringo-esque. Il faut noter également que Miyuna est originaire du Kyushu, comme son aînée, mais elle est par contre née à Miyazaki.

will you watch petals shed from flowers in bloom?

Voir 1797071, aka Mako de Ms Machine, porter un t-shirt de l’album III de Crystal Castles me fait dire que je ne m’étais pas vraiment trompé en parlant d’une influence du son de Crystal Castles sur le EP D1$4PP34R1NG de 1797071, dont je parlais dans un billet précédent. L’album III de Crystal Castles est celui qui est souvent apparenté au style witch-house, donc tout parait très logique. Du coup, je me suis mis à réécouter les albums du groupe en commençant par III puis en écoutant les albums précédents. Je me souviens avoir développer une sorte d’obsession pour le morceau Magic Spells du premier album. Je ne suis apparemment pas le seul car je découvre qu’un compte YouTube a créé une boucle d’1h de ce seul morceau. Le morceau principalement instrumental s’y prête bien. Mais la fascination pour ce morceau provient également des courtes et énigmatiques paroles « Don’t worry, dear Pamela, I’ll do my scientific best to command your fleet » extraites de la série de science-fiction V qui certains se souviendront peut-être. Je pense préférer l’album III à l’album II même si un morceau comme Celestica est particulièrement mémorable. Crystal Castles n’est plus actif depuis quelques années suite aux problèmes de type judiciaire entre les deux membres du groupe. Alice Glass trace son chemin de son côté, en essayant de se reconstruire, et j’ai toujours en tête d’écouter un jour ou l’autre son album PREY//IV. J’avais beaucoup aimé le morceau Without Love de son premier EP éponyme. Crystal Castles avait pourtant fait un retour en 2016 avec l’album Amnesty (I), Edith Frances remplaçant Alice Glass au chant, qui était très bon, notamment un morceau particulièrement marquant comme Concrete. Je me suis demandé si je devais arrêter d’écouter Crystal Castles, mais je parviens en général à séparer l’œuvre des comportements de son/sa/ses artistes. Une fois qu’une œuvre musicale est ouverte au public, son destin dépend des auditeurs qui lui donne une vie indépendante.

passage au temple Sojiji

J’ai en ce moment un peu de mal à tenir mon rythme de publication car j’ai beaucoup plus de photos en attente que de textes écrits pour former des billets. Mon appétit pour l’écriture était relativement en berne ces derniers jours. Malgré l’envie d’écrire, la fatigue accumulée m’a éloigné de la plume.

Ces quelques photographies ont été prises le mois dernier près de Kawasaki dans le grand temple bouddhiste de Sojiji. Ce n’est pas un endroit particulièrement touristique mais il vaut le détour pour la grandeur de ses temples. L’enceinte de Sojiji est vaste, comptabilisant en tout 500,000 m2. Un cimetière occupe une partie de l’enceinte, derrière le vaste parc dans lequel sont disposés plusieurs halls. On y trouve aussi une école avec université, lycée, collège et maternelle. Il devait y avoir une journée portes-ouvertes car les jeunes étudiants accompagnés de leurs parents étaient nombreux à attendre sagement devant l’entrée. Les origines du temple Sojiji remontent à l’an 1321, il y a donc environ 700 ans. Le temple fondé par Keizan Zenji se trouvait initialement sur la péninsule de Noto dans la préfecture d’Ichikawa. En 1898, un incendie entraîna le déménagement du temple. Il s’installa à Tsurumi près de Kawasaki en 1911. On y pratique et enseigne le Sōtō Zen, qui est la plus importante des écoles zen du Japon avec plus de 14,000 temples. Sojiji, qui veut dire temple dans lequel sont préservés les enseignement de Bouddha, en est le temple principal au Japon.