the day in question

Ce jour là, je me souviens très bien m’être perdu dans les nuages. C’était Samedi dernier en début d’après-midi. Partir au hasard des rues tokyoïtes m’amène souvent vers le quartier de Jingumae. C’est comme si un mystérieux fil rouge d’un centième de millimètres de diamètre, pratiquement invisible, me guidait sans que je m’en rende compte à travers les rues du centre de Tokyo. J’ai bien entendu le sentiment de guider mes propres pas sans influence externe mais le destin est pourtant à chaque fois scellé, peut importe la direction initiale que j’emprunte. Il y a un intérêt visuel certain à ce quartier de Jingumae, que ça soit pour l’immense comme l’impressionnant immeuble verdâtre en forme d’iceberg sur l’avenue Meiji, ou le beaucoup plus petit comme la multitude d’autocollants de toutes formes et messages fleurissant sur de nombreux boîtiers électriques métalliques, entre autres parois murales apparemment autorisées à être décorées. Ces autocollants colorés, ou délavés suivant leur ancienneté, sont après réflexion les éléments de décor urbain qui me dirigent et qui me font avancer sans cesse dans ces rues. Cette marche automatique me fait passer par la rue des chats, Cat Street. Ils sont bien cachés, ces chats, attendant certainement que la pénombre envahisse la ville pour sortir et l’envahir pendant que les travailleurs harassés dorment. Il est certain qu’en pleine nuit, la rue appartient à ces chats. En marchant au milieu de l’étroite rue piétonne, je scrute les endroits cachés entre deux immeubles, les escaliers qui gravissent les rues en pente, les toits enchevêtrés des maisons basses, mais il n’y a pas un chat. En fait, ma recherche est gênée par la foule marchant dans le sens opposé au mien, formant un rideau protecteur cachant l’arrière de la scène urbaine. Les chats doivent s’abriter dans les coulisses du spectacle de la rue. Ils doivent d’ailleurs bien s’amuser à regarder la foule déambuler sans arrêt, à travers la discrète ouverture que l’on peut se créer entre deux pans de rideaux. Parfois, je m’imagine être comme un chat derrière ces rideaux à observer la foule et à attendre le bon moment pour saisir en photographie une conversation volée, au croisement de deux rues, devant une grande affiche publicitaire déchirée. Je suis debout au milieu de la rue mais également invisible derrière cette couverture protectrice. Mon existence en ce lieu en devient même incertaine, comme si elle s’était fondue dans l’air ou plutôt dans des nappes épaisses de nuages. Ma matérialité semble se dissoudre et se détacher petit à petit du sol. Je suis tellement bien caché derrière ces nappes brumeuses qu’on ne peut me voir depuis la rue. Je ne peux d’ailleurs plus me voir moi-même. La conscience de mon existence est pourtant bien présente mais elle devenue légère comme les nuages au dessus de ma tête. Naturellement, je lève les yeux pour constater la présence de ces nuages qui m’attirent tant. Le bleu du ciel est très marquant mais c’est la tourmente des nuages qui accapare toute mon attention. Les nuances subtiles de gris et de blanc sont fascinantes. On n’en devine que difficilement les limites. Quand on commence à les observer, on ne peut plus tourner le regard. On regarde au contraire plus profondément pour tenter de les traverser afin de voyager à l’intérieur. Je ne peux m’en détacher car ils m’envahissent doucement de toute part, comme un drap moelleux qui m’enveloppe, sans pourtant me serrer ou me faire suffoquer. On s’y sent libre de tout mouvement et de tout regard, flottant au dessus de la foule urbaine. Pendant quelques instants, je regarde le spectacle de la vie urbaine à travers la discrète ouverture que l’on peut se créer entre deux pans de rideaux nuageux. Les réseaux de draperies nuageuses peuvent ressembler à des labyrinthes si on s’y égare un peu trop, mais je connais ces endroits pour les avoir maintes fois emprunté. Les dernières notes du morceau alife de Slowdive que j’écoute sous écouteurs me font plonger doucement depuis les surfaces nuageuses jusqu’à la surface ferme du sol de Cat Street. La musique de Slowdive a cette qualité de rendre les êtres vaporeux pendant quelques minutes, le temps d’un morceau, et de nous transporter pour s’échapper loin de toutes choses.

Le nouvel album de Slowdive intitulé everything is alive sorti le 1er Septembre 2023 est beau de bout en bout, sans fausse note ni fausse distorsion. Slowdive est certes un groupe légendaire du shoegazing anglais quasiment au même titre que My Bloody Valentine, mais je suis vraiment surpris par la qualité de leur production, d’un niveau comparable à leurs tous premiers albums sortis il y a plus de trente ans au tout début des années 90. On y trouve la même émotion noyée dans des flux de musiques vaporeuses qui nous amènent à rêver et à plonger dans les nuages, comme je peux le faire parfois de manière tout à fait imagée. L’album ne contient que 8 morceaux mais dure tout de même 42 minutes. Certains morceaux donnent la part belle à l’instrumental. De cet album, j’avais déjà évoqué le premier single Kisses qui est un des meilleurs morceaux de l’album, avec le troisième intitulé Alife où on a le plaisir d’écouter les voix de Rachel Goswell et Neil Halstead en duo. Halstead a écrit tous les morceaux de cet album. Il disait qu’il a hésité un moment à inclure le morceau Kisses sur l’album pensant qu’il serait trop pop. Cette réaction m’amuse car elle démontre l’orientation volontaire du groupe vers les sons du rock indé, craignant de s’éloigner d’un certain purisme rock attendu par leur public. Slowdive n’a plus rien à prouver mais on sent vraiment qu’ils ne veulent pas tomber dans la catégorie des groupes cultes faisant un retour en demi-teinte. Ceci étant dit, Kisses reste le morceau ressemblant le plus à un single, car la plupart des autres morceaux de l’album se jouent dans une continuité aux bords flous. Les moments marquants sont pourtant nombreux comme le morceau The Slab, concluant brillamment l’album. On se dit à ce moment précis, que l’album est un peu trop court, car on a le sentiment de s’être tout juste imprégné de cette atmosphère rêveuse. Le quatrième morceau Andalucia plays est également marquant car certaines notes de guitare me rappellent beaucoup un morceau de The Cure. Je pense qu’il s’agit de Pictures of You sur l’album Desintegration de 1989, mais je n’en suis pas complètement certain.

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