Magritte’s & UFO building

J’avais vu plusieurs fois sur Instagram la maison étrange de béton des deux premières photos, sans savoir où elle se trouvait. Je découvre récemment qu’elle se situe au coin d’une petite rue du quartier de Yotsuya Sakamachi. Le quartier est, comme son nom le laisse penser, plein de rues en pente. Il se trouve à proximité du quartier d’Arakichō dont j’avais déjà parlé il y a tout juste un an. Cette maison de béton ressemble à un champignon ou à un objet volant non-identifié. Je ne connais malheureusement pas l’architecte. Je me demande bien à quoi peut ressembler l’intérieur vu le peu d’ouvertures apparentes. Avant de partir à sa recherche à vélo, une petite recherche sur GoogleMap me fait la surprise de me dévoiler une autre maison intéressante que je connaissais pour l’avoir déjà vu dans des magazines d’architecture. Je la montre sur les photographies qui suivent celles de la maison champignon / UFO. Il s’agit de la maison individuelle nommée Magritte’s par Yasuhiro Yamashita de l’Atelier Tekuto. Ce n’est pas la première fois que je découvre par hasard une maison de l’Atelier Tekuto alors je recherchais autre chose (l’autre était Penguin House). En fait, j’ai découvert par hasard la plupart des maisons à l’architecture remarquable de l’Atelier Tekuto. Ce genre de signes m’intriguent forcément vraiment beaucoup. La maison Magritte’s se trouve à quelques mètres dans la même rue que la maison champignon de béton des deux premières photographies, mais on pourrait très facilement passer à côté si on ne fait pas attention.

D’apparence extérieure, la maison Magritte’s se compose de deux blocs de béton brut superposés l’un au dessus de l’autre et séparés par une étroite surface oblique de vitrage. Ces surfaces vitrées, faisant le tour du bâtiment, semblent être les seules ouvertures de la maison, si on exclut bien entendu la porte d’entrée. On a en fait l’impression que le bloc de béton supérieur est détaché du reste, comme s’il flottait légèrement. La rue étant étroite, il était malheureusement très difficile de montrer une vue d’ensemble du bâtiment. D’après le site de l’architecte, cette maison s’inspire d’une peinture du peintre surréaliste belge René Magritte. Cette peinture appelée Le château des Pyrénées (1959) montre un château posé sur un immense rocher s’envolant dans le ciel au dessus de l’océan. On retrouve cette impression de légèreté improbable dans la maison conçue par l’Atelier Tekuto à la demande du jeune couple, futur propriétaire de la maison. Les quelques photos ci-dessus sont empruntées au site web de l’architecte et donnent une bonne idée de l’agencement intérieur fait de béton brut. Magritte’s a été construite en Juin 2005 sur un tout petit espace de 26.15㎡, dans une zone résidentielle dense et une petite rue très étroite, comme je le mentionnais ci-dessus. Les photographies montrent un espace intérieur relativement bien éclairé par la ligne latérale de fenêtres obliques, mais je pense qu’en réalité il doit quand même rester assez sombre, même en pleine journée.

En regardant la peinture du château volant de Magritte qui a inspiré le concept visuel de cette maison, je pense au château dans le ciel de Laputa. Sur un billet de son blog, mahl me rappelle l’excellente série d’émissions radio de la série « Les chemins de la philosophie » sur France Culture, consacrée pour quelques épisodes aux films d’animation d’Hayao Miyazaki. Quelques épisodes avaient été diffusés en 2019 et m’avaient à l’époque donné envie de revoir Nausicaä. Cette série intitulée « Philosopher avec Miyazaki » a repris cette année en Février avec quelques épisodes dont un évoquant justement Laputa. On m’a souvent demandé si je m’étais inspiré de Laputa à l’époque où je montrais mes premières compositions urbano-végétales représentant des maisons ou immeubles avec des bases végétales prenant leur envol au dessus de la ville. Je ne m’étais pourtant pas consciemment inspiré des films de Miyazaki.

rouge et toxique

Un ciel et des nuages rouges envahissent les rues de Shinjuku, rouges comme les yeux des insectes géants Omus dans Nausicaä lorsqu’ils sont pris d’une fureur inarrêtable. J’aime cette couleur rouge car elle donne beaucoup de force aux images mais je me limite volontairement à l’employer. De temps en temps, l’envie me prend de teinter mes photographies. La dernière fois que j’ai utilisé et mis en avant volontairement le rouge, c’était sur une série intitulée sometimes en février de cette année. J’avais beaucoup hésité avant de montrer cette série, et c’est très souvent le cas quand je tente des expérimentations d’images. Mes expérimentations sont très souvent basées sur la destruction d’images et qui dit destruction dit intervention d’une certaine forme de violence visuelle. L’emploi de la couleur rouge va dans ce sens, mais je porte également attention à ne pas forcer le trait inutilement, d’où mes restrictions naturelles. Un autre dilemme se pose à moi régulièrement, c’est la perte d’homogénéité engendrée par le mélange de photographies ‘classiques’ de lieux visités et d’architecture avec ces photographies plus expérimentales. Parfois, j’aurais envie de les séparer plus clairement mais je me dis aussi que ce mélange fait aussi l’intérêt de ces pages basées uniquement sur l’émotion que veut transmettre son auteur sans soucis de s’harmoniser avec des standards établis par d’autres. Cette liberté n’est en fait que très limitée car l’empêchement que je m’impose à moi-même me maintient dans des limites bien définies.

En ce moment, j’écoute beaucoup l’album électronique Feed Forward du collectif Sandwell District, sorti en 2010. Je connais quelques morceaux depuis longtemps comme le superbe Falling the same way, morceau de 9:40 minutes grandiose pour sa spatialité. Lorsqu’on écoute ce morceau, on est tout de suite absorbé par l’ambiance créée par ces nappes musicales jusqu’à ce que démarre ensuite un rythme inarrêtable formant la colonne vertébrale du morceau. J’ai écouté ce morceau pour la première fois il y a sept ans et j’y reviens très régulièrement, comme une référence électronique, lorsque je suis à court d’idées sur les prochains morceaux a découvrir. Sur cet album, je m’étais inconsciemment limité à ce morceau sans écouter le reste de l’album parce que j’avais l’impression que le reste de l’album ne pourrait de toute façon pas atteindre ce sommet. C’est d’une manière assez vrai car Falling the same way fait de l’ombre à tout le reste de l’album. En écoutant l’album Feed Forward maintenant, je découvre cependant beaucoup de beaux morceaux comme le triptyque Immolare qui nous fait entrer dans un monde sombre, dans une ambiance post-industrielle qui semble avoir été noyée dans une mer toxique. L’ambiance est à la limite angoissante, avec des sons qu’on croirait venir d’insectes, comme ceux peuplant la fukaï, la forêt toxique en pleine extension de Nausicaä. La pochette grise de l’album avec cet être portant un scaphandre correspond bien à cette idée d’un univers hostile non habitable. Les morceaux suivants Grey cut out et Hunting lodge maintiennent cette ambiance post apocalyptique, mais Haunting lodge va un peu plus loin dans la puissance martelante du son électronique, jusqu’à développer une addiction. Ce morceau nous entraine dans des bas-fonds tandis que Falling the same way, qui suit juste après, nous ramène vers la lumière, celle qui perce à travers l’obscurité et envahit soudainement tout l’espace de sa clarté. Dans cette ambiance aux vents tourmentés, on attend que la machine se révèle petit à petit. Elle martèle d’un son clair jusqu’à l’infini, du moins on aimerait que ce son ne s’arrête jamais. Les quelques morceaux beaucoup plus minimalistes qui suivent ont un peu de mal à rivaliser en intensité avec Falling the same way. N’oublions pas que cet album est construit par un collectif, et que les ambiances résultantes varient suivant les influences de chaque membre.

Je parle un peu soudainement de Nausicaä dans le texte ci-dessus car je viens de le revoir pour la première fois depuis plus de 15 ans. L’émission radio « Les chemins de la philosophie » animée par Adèle Van Reeth sur France Culture diffusait à la fin avril et début mai quatre épisodes intitulés « Philosopher avec Miyazaki ». Les émissions faisaient intervenir des spécialistes et abordaient quatre films d’animation de Hayao Miyazaki et du studio Ghibli à savoir Ponyo sur la falaise, Porco Rosso, Princesse Mononoke et Nausicaä de la vallée du vent. Les émissions étaient toutes très intéressantes pour les amateurs de l’univers de Miyazaki. Elles s’efforçaient à déchiffrer les principaux thèmes de son œuvre. La cohabitation entre la nature, l’humain et la technologie est un des thèmes récurrents, tout comme le parcours initiatique du Héros. Ces éléments composent d’ailleurs le cœur du film d’animation Nausicaä de la vallée du vent, sorti en 1984. J’ai eu très envie de le revoir après avoir écouté les émissions et j’essaierais très certainement de lire le manga du même Hayao Miyazaki dont le film est tiré. Je ne reviendrais pas sur l’histoire du film car d’autres l’expliquent très bien, notamment cette analyse très intéressante de Guillaume Lasvigne sur le site Courte-Focale. Après l’avoir regardé, je ne soupçonnais pas être touché à ce point, par l’atmosphère du film, par la qualité de ce monde et de ses protagonistes dont on sait peu de choses (Miyazaki nous suggère plutôt que nous explique), par la volonté intouchable du personnage de Nausicaä, par l’émotion qui se dégage dans son désir de voir cohabiter des êtres bien différents et a priori hostiles les uns envers les autres. La musique toujours très juste de Joe Hisaishi contribue beaucoup à l’émotion qui se dégage de ces images. Je pense que Ghibli doit beaucoup à Hisaishi pour transporter le spectateur. Juste après voir vu le film, je télécharge sur iTunes quelques morceaux de la bande sonore du film, notamment le thème d’ouverture et un autre morceau très sensible Fukaï nite composé de notes de musique légères comme des gouttes de lumières, ou des petits flocons de pollen envahissant le ciel, comme ceux sur l’image ci-dessus qui retombent sur le corps de Nausicaä, alors qu’elle s’allonge sur le dos bombé d’un Omu dans la forêt toxique fukaï, protégée par un masque à oxygène. L’émotion qui se dégage de cette musique, en se remémorant certains passages du film, est magnifique. Une musique d’exception lorsqu’elle se marie bien avec les images transforme pour moi un bon film en un moment d’émotion pure qui nous dégage de toute notion temporelle, pendant le temps où on est plongé profondément dans ces images et ces sons. Dans un style complètement différent, les images de la route défilant dans la nuit sous le morceau « I’m deranged » de David Bowie dans le film Lost Highway de David Lynch est aussi un moment d’exception. Je me souviens encore très clairement du moment où j’ai vu le film pour la première fois au cinéma lorsque j’étais étudiant. Dès les toutes premières images sous la voix de Bowie, j’étais convaincu de la qualité du film. David Lynch a très bien compris que ce rapport émotionnel est indispensable.

avant les fantômes (2)

Il y a quelques semaines de cela, nous avions découvert par hasard la rue Yūrei-zaka, autrement dit la rue des fantômes, quelque part près de la station de Ochanomizu. Les hasards de mes courses à pied du week-end me font découvrir une autre rue en pente avec ce même nom Yūrei-zaka, mais cette fois-ci à Mita. Les rues n’ont pas de noms au Japon sauf ces rues particulières en pente. Etant une ville très vallonnée, Tokyo possède un grand nombre de rues en pente comme celle-ci. Il y a même des passionnés obsessionnels du sujet qui répertorient toutes les rues en pente sur une carte, avec diverses informations indispensables (nom, longueur, description…). Dans la ville, ces rues en pente sont indiquées d’un pôle en bois avec leur nom et une courte explication. Il y a 8 rues appelées Yūrei-zaka dans Tokyo, mais celle du quatrième bloc de Mita est certainement la plus connue. Ce quartier possède un grand nombre de temples que l’on dit avoir été déplacé du château de Edo-jō par le shogunat à l’époque Edo. Cette zone de temples bouddhistes accompagnées de cimetières était autrefois très boisée et donc grandement assombrie par les arbres et la végétation dense. On imagine donc une ruelle peu accueillante pour les passants qui s’y aventuraient. Mais les fantômes qui semblaient hanter cette rue n’étaient peut être que les effets de lumière des lanternes des passants sur la végétation dense bordant la rue.

Je n’ai bien sûr aperçu aucun fantôme dans cette rue, même si j’ai pourtant bien regardé. La rue est maintenant beaucoup plus dégagée qu’à l’époque et il n’y a plus de grands arbres. Mes photographies des temples tout autour de la rue n’ont pas non plus capturé de silhouette de fantômes. Les temples sont vraiment nombreux autour de cette rue. Je me suis promené dans le quartier pour les découvrir un à un. Les quelques photographies ci-dessus sont une sélection de cette série de temples ainsi que des photographies de cette fameuse rue Yūrei-zaka. Apparemment, il y a une autre rue au même nom dans le quartier juste à côté, à Takanawa. Je ne manquerais pas d’aller y jeter un coup d’oeil.

Changeons un peu de sujet. Je me dis souvent que Twitter ne me sert pas à grand chose et que je devrais peut être désactiver mon compte, mais je n’ai pas réussi à m’auto-convaincre jusqu’à maintenant. Il faut dire que je trouve parfois des choses très intéressantes dans le fil des gens que je suis sur Twitter. Par exemple, je découvre récemment sur le fil Twitter de Patrick Rebollar un lien vers une série d’émissions en podcast intitulée La Fabrique de l’Histoire sur France Culture consacrée au Japon. Le premier épisode nous parle de la représentation de la contestation des années 1960 dans les arts et plus particulièrement dans la photographie avec le mythique magazine Provoke. Le deuxième épisode nous donne un aperçu de la vie du peintre japonais Foujita installé à Paris pendant les années folles. Et tandis que l’épisode 3 aborde comme thème la place de la femme et du féminisme dans la société japonaise, le quatrième et dernier épisode évoque lui les figures des guerriers samouraïs et la manière dont leur statut a évolué vers celui d’hommes de lettres et d’arts, alors que les innombrables conflits entre clans adverses prenaient fin et que la paix s’installait dans le pays. Ce dernier épisode est tout spécialement intéressant quand il aborde l’esprit du bushido, le code moral des samouraïs, et sa résurgence avant et pendant la seconde guerre mondiale. Ces épisodes étaient vraiment intéressants et j’ai appris pas mal de choses. J’essaierais certainement d’approfondir plus en avant ces sujets, peut être en me procurant le livre d’un des intervenants Pierre-François Souyri appelé Les guerriers dans la rizière.

En attendant, je pars à la recherche d’autres épisodes sur le Japon dans les podcasts de France Culture. Je tombe sur une émission fort passionnante de Laure Adler proposant quelques émissions enregistrées au Japon, 7 épisodes de son émission Hors-champs. J’écoute avec beaucoup d’intérêt l’interview du cinéaste Hirokazu Kore-eda dont j’ai beaucoup apprécié les films que j’ai pu voir récemment, l’interview du photographe Hiroshi Sugimoto que j’apprécie beaucoup également. Plusieurs écrivains sont également interviewés dont Kenzaburô Oe en deux épisodes passionnants. Dans ces interviews, des thèmes récurrents sont abordés comme la présence américaine dur les îles d’Okinawa ou l’après Fukushima. L’épisode avec Kenzaburô Oe nous parlant de son fils autiste Hikari et son amour obsessionnel de la musique classique est touchant. Pour ne rien gâcher à cette série d’épisodes, la musique d’introduction et de conclusion au piano de Chilly Gonzales est très belle, bien qu’un peu entêtante.