comme un archange de lumière à Shinjuku

Passage à Shinjuku un samedi soir pour en saisir les lumières. Je décide d’opter pour le mouvement plutôt que pour la précision. Le rythme de ce quartier la nuit aux bords de Kabukichō nous fait de toute façon tomber à la renverse. Je n’ai pas l’habitude de prendre la ville en photo la nuit et je me pose souvent la question de la meilleure approche à adopter. En marchant dans les couloirs extérieurs étroits de Omoide Yokochō, une allée desservant plusieurs mini-restaurants ouverts sur la rue et composés le plus souvent d’un unique comptoir, je me rends vite compte que l’endroit est désormais envahi de touristes tous munis d’appareils photos. A quoi bon essayer de prendre des photos à cet endroit pour essayer d’une manière réaliste de rendre l’ambiance qui y règne, quand une multitude de photographes amateurs a déjà saisi les lieux maintes fois. L’envie de « casser » l’image standard que l’on voit de Tokyo sur les flux de photos Instagram me revient souvent en tête. Sur la série ci-dessus, on pourrait croire que les photographies sont prises à la va-vite, mais certaines m’ont demandé plusieurs prises. J’ai par exemple fait une dizaine de prises de l’immeuble désormais emblématique sur la dernière photographie, avant d’obtenir une version qui me satisfasse. Lorsque je vais à Shinjuku la nuit, les photographies initiales que j’avais pris an août 2003 me reviennent toujours en tête comme une sorte de modèle, pas spécialement pour la technique, mais pour la sensation que ce paysage électrique m’avait procuré, posé sur ces images. Shinjuku, Yasukuni Dori – Thousands of moving artificial lights and screaming neons.

Pendant que je traverse ce paysage de Shinjuku, j’écoute un autre album de YAPOOS, dans la continuation de mon écoute méthodique de la musique de Jun Togawa. Comme elle est originaire de Shinjuku, mais plutôt du côté de Shin Okubo, au delà de Kabukichō depuis la gare, je ne pouvais m’empêcher de continuer l’écoute de sa musique pendant cette marche solitaire de nuit. J’écoute maintenant Daitenshi no you ni 大天使のように qu’on peut traduire par « comme un archange » (les titres de mes billets sont souvent inspirés de paroles des morceaux que j’écoute à ce moment là). Cet album est sorti en 1988, un an après YAPOOS Keikaku. L’album commence par un morceau pop rock Watashi wa Koko de Goka 私は孤高で豪華 aux apparences classiques mais très vite trituré par la voix de Togawa mélangeant comme toujours les styles de chant sur un même morceau, passant d’une voix d’idole à une voix d’opéra, avec une pointe d’hystérie. Il y a quelques morceaux pop rock sur cet album, comme le premier, mais ce ne sont en général pas mes préférés. Je préfère le rythme un peu plus lent, et répétitif d’ailleurs, du deuxième morceau Funnu no Kawa 憤怒の河 et surtout la voix tremblotante de Togawa et ses chuchotements de rire. C’est un des très beaux morceaux de l’album, tout comme le sixième Inori no Machi 祈りの街. Sur celui-ci, sa voix est superbe, pleine d’une émotion triste. La répétition musicale là encore convient très bien, je trouve, aux ondulations de voix de Jun Togawa. La musique est belle, mais cette voix est une sorte d’addiction, qui tournerait presqu’à l’obsession si on y criait gare. Ce qu’elle peut faire avec cette voix est remarquable et parfois extrêmement bizarre comme sur le troisième morceau Haitoku Nante Kowakunai 背徳なんて怖くない où elle prend même une voix d’enfant mais qu’elle superpose vite à une autre voix beaucoup plus mûre. Cela devient pratiquement de la schizophrénie. J’adore le quatrième morceau Bojo no Tsumi 棒状の罪 à la limite du parler et de la plainte. La musique y est très accrocheuse, mais j’ai le sentiment que par rapport aux autres albums, il faut plusieurs écoutes pour saisir cet album. Il y a moins de morceaux immédiatement impactants par rapport à YAPOOS Keikaku, mais ce quatrième morceau, comme le dernier morceau de l’album Daitenshi no You ni 大天使のように, prend petit à petit une sorte d’évidence dans toute sa complexité. La beauté non conventionnelle du sixième morceau Inori no Machi 祈りの街 par exemple se révèle également progressivement pour devenir imparable. La beauté vient de l’imperfection du chant qu’on sent volontaire, une transcendance du décalage que j’aime tant en musique. Il y a plusieurs morceaux assez fous sur cet album, le huitième My God par exemple, ce qui fait que ce n’est pas spécialement un album accessible, mais ce n’est de toute façon pas ce que je recherche dans la musique de Jun Togawa. Il y a un équilibre instable dans ces constructions musicales qui me convient très bien.

l7été(10)

Dernière série de photographies à propos de cette journée chaude du mois d’août à marcher entre Shinjuku et Aoyama. Les deux premières photographies sont prises dans les allées étroites de Golden Gai à Kabukichō, dont je parlais dans le billet précédent. Les étroites baraques à deux étages en plus du rez-de-chaussée ne semblent pas avoir changé depuis des dizaines d’années. Les façades sont la plupart du temps encombrés d’objets et d’affiches montrant leur particularité. Nagune montrait une photographie d’artiste, le bar en photo ci-dessus montre tout de suite son appartenance punk. En marchant plus de 3 heures depuis Shinjuku en direction de Shibuya, le paysage urbain change lorsque l’on traverse le quartier d’Omotesando. Il offre une toute autre ambiance que les rues poisseuses de Kabukichō. J’ai volontairement regroupé ces photographies dans un même billet pour marquer le contraste. J’ai déjà pris maintes fois en photo la devanture courbe de la boutique chic de Comme des Garçons, mais elle était cette fois-ci recouverte d’un dessin de dinosaure enfantin qui me paraissait assez éloigné de l’image que je me fait de la marque. Un peu plus bas dans la rue, je ne prends en général plus en photo le bâtiment Prada de Herzog et De Meuron. Il est tellement devenu une évidence de beauté architecturale qu’il a été pris beaucoup trop de fois en photo aux quatre coins de l’Internet. Mais comme cela fait bien 3 ans que je ne l’ai pas montré ici, je me permets cet écart de principe. Après cette longue sortie à pieds du week-end, la chaleur insupportable reprend sur Tokyo et on atteint les 37 degrés. Comment sortir, marcher et prendre des photos dans ces conditions là… Vivement l’automne.

En attendant que la chaleur tombe, je me refroidis au moins les oreilles avec la musique électronique de l’artiste japonaise Sapphire Slows, le nom de scène de Kinuko Hiramatsu. J’écoute le mini-album de 7 titres intitulé Time sorti sur le label londonien Kaleidoscope en Septembre 2017. La musique de Sapphire Slows joue de nappes brumeuses plutôt sombres sur lesquelles viennent se poser des sonorités électroniques pointilleuses ainsi que la voix vaporeuse de Hiramatsu. Cette voix s’entremêlent en plusieurs couches marquées de reverberation. Le morceau My Garden a quelque chose d’envoûtant quand on s’autorise à se laisser engloutir par les flots en répétition de cet océan électronique. Certains morceaux comme Piece of you ou The edge of my land, certainement le morceau le plus accrocheur de l’album, prennent des accents plus pop lorsque les sonorités se font plus lumineuses. Sur ce morceau, j’aime quand ces sonorités pointilleuses se désynchronisent légèrement ou quand une ligne de sons électroniques dissidente part de son côté pendant le morceau. Ce mini-album fonctionne comme un bloc homogène qu’on écoute sans s’interrompre. Il est disponible sur Bandcamp sur la page du label Kaleidoscope, mais par sur la page de Sapphire Slows étonnement, ce qui m’a induit en erreur en pensant qu’il n’était disponible que sur iTunes. Il y a quelques autres EPs que j’aimerais découvrir un peu plus tard, comme celui intitulé The role of purity qui m’a l’air plus ambiant, ou encore celui intitulé Yubiwa en association avec Hotel Mexico, que je ne connais pas, et surtout Jesse Ruins, dont l’album Dream Analysis, que j’avais découvert en 2011, avait été pour moi une véritable révélation. Du coup, je me mets à réécouter cet album de Jesse Ruins à la suite du mini-album Time de Sapphire Slows.

l7été(9)

Pendant que Yui Aragaki regarde intensément loin vers le ciel bleu, je marche dans Shinjuku vers Kabukichō. Je traverse le sanctuaire de Hanazono pour rejoindre l’entrée de Golden Gai. A chaque fois que je le traverse, le sanctuaire de Hanazono me rappelle toujours le morceau 歌舞伎町の女王 (La reine de Kabukichō) de Sheena Ringo sur son premier album. Comme nous sommes tôt le matin, il n’y a personne dans les ruelles étroites de Golden Gai, même pas un fantôme égaré. Je passe devant le minuscule bar Nagune, un des bars de photographes. Un poster est posé d’une manière très artisanale et précaire au dessus de la porte d’entrée du bar. Il s’agit d’une photographie de Mitsuru Sato 佐藤充, un photographe que je ne connaissais pas jusqu’à maintenant. Il doit exposer quelques photographies à l’intérieur du bar et je les imagine accrochés de la même manière. Ma mémoire me fait défaut maintenant, mais je pense être déjà entré dans ce bar une nuit il y a de nombreuses années avec des amis photographes amateurs. Ceci dit, il s’agissait peut être de Kodoji, un autre bar de photographes à Golden Gai. Je me souviens de l’espace réduit qui nous écrasait contre le comptoir, surtout quand quelqu’un se déplaçait, et de photographies de rues réalistes, sans valeur esthétique de mon point de vue, accrochées près de l’entrée du bar à l’intérieur. Je me souviens que l’endroit ne m’avait pas emballé, pas en raison du manque d’espace mais dans l’ambiance qui nous oblige à sur-montrer notre passion pour la photographie quand on vient dans ce genre d’endroit. Ce genre de passion, je l’intériorise dans mon cas. Certainement trop d’ailleurs. Malgré plus d’une centaine de milliers de photographies prises depuis presque 20 ans à Tokyo, je ne me sens en rien proche d’un photographe. Ma véritable passion est de me perdre dans mes écritures en pensant à mes photographies.

Le visage féminin à l’oeil bleu de cartoon dessiné sur un mur de béton se trouve dans le hall d’entrée du New Sky Building. Alors que je marchais dans la rue du building sans d’abord le remarquer, je découvre ce dessin de grande taille avec une phrase de Woody Allen. Le marquage au sol du hall d’entrée me paraît tout de suite familier. En ressortant dans la rue, je me rends compte que j’avais en fait pénétré à l’intérieur du légendaire New Sky Building. Tout comme la tour Nakagin, ce building est un trésor d’architecture métaboliste qu’il faut absolument conserver malgré sa vétusté. Cette peinture murale n’était pas présente sur le mur de béton lors de ma première visite du New Sky Building il y a 11 ans en Juin 2007. Juste au dessous de la photographie du visage, je redécouvre une maison de béton qui ressemble à un ovni, en lévitation au dessus du sol. Le découpage du mur est vraiment intéressant. Elle se trouve vers Aoyama, quelque part en direction de Small House de Sejima. J’ai tellement tourné viré dans le quartier que je ne serais pas en mesure de la retrouver facilement.

Image extraite du dernier live de Number Girl lors du morceau Omoide in my head, visionable sur YouTube.

Pendant que j’écris ces lignes sur le bloc-note de l’iPad, j’écoute au casque le rock puissant de Number Girl, les deux albums que je possède School Girl Bye Bye (1997) et Num-Heavymetallic (2002). Je les écoute en entier, ce que je ne fais pas très souvent. En général, j’écoute quelques morceaux choisis comme Omoide in my head, Cibicco さん ou Num-Heavymetallic, histoire de dégager toute l’énergie négative que l’on peut parfois emmagasiner en une journée. La semaine qui se termine m’oblige à écouter deux albums d’une traite. Number Girl s’est malheureusement dissout il y a plus de 15 ans. Je regarde d’ailleurs sur YouTube leur dernier concert à Hokkaido où ils interprètent devant une foule en pleurs le morceau Omoide in my head.

Couverture du EP April Kisses et photographie du groupe Youthmemory, provenant de la page Bandcamp du groupe.

Pour continuer sur les inspirations musicales, j’écoute assez régulièrement un EP de deux titres intitulé April Kisses du groupe japonais de rock indépendant Youthmemory. Le premier morceau April kisses reprend le titre du EP. Il se lance à toute allure dans un mélange de rock aux allures pop et de shoegazing pour cette voix se laissant un peu étouffer par l’enthousiasme des guitares. Le morceau fonctionne très bien et transmet une énergie communicative. Le deuxième morceau Starfall est plus nonchalant dans le rythme et se tourne plus vers le shoegazing. J’ai une attirance naturelle pour ce style de rock brumeux, tant que les groupes qui le pratiquent ne se perdent pas dans des pâles tentatives d’imitation de My Bloody Valentine. Youthmemory ne tombe heureusement pas dans ce travers. Avec le morceau Neo Tokyo dont je parlais il y a plusieurs semaines, ces morceaux de April Kisses sont une musique vers laquelle j’aime revenir. Comme toujours, cette musique se trouve sur Bandcamp.

l7été(8)

Depuis Shinjuku, je passe par Kabukichō au petit matin alors qu’il n’y a presque personne dans les rues à ces heures matinales. Même ceux trop enivrés par la soirée précédente étaient déjà montés dans le premier train du matin. La tour noire Ichiban-Kan par l’architecte Minoru Takeyama se dresse soudainement devant moi à un détour de rue sans que je m’en rende compte. Je ne vois pas celle qui l’accompagne d’habitude, la tour colorée Niban-kan du même architecte. J’ai l’impression qu’elle a été rasée car de nombreux terrains vagues entourent maintenant le quartier. Kabukichō est peut être un plein redéveloppement. Tokyo est de toute façon en éternelle reconstruction. Vous l’aurez peut être remarqué, ce billet fonctionne en symétrie. La tour Ichiban-kan répond à l’immeuble métaboliste New Sky Building de Yōji Watanabe sur la dernière photographie. Je le redécouvre également par hazard, mais cette fois-ci dans son hideuse tenue verte. Quelque drôle d’idée d’avoir recouvert le béton de cette couleur verdâtre. Entre ces deux immeubles, j’insère des stades tout en rondeur, le Tokyo Metropolitan Gymnasium redessiné d’un design futuriste par Fumihiko Maki de 1986 à 1990. Juste à côté, le nouveau grand stade olympique par Kengo Kuma est en bon état d’avancement. Après le projet de Zaha Hadid avorté pour raison de coût, c’est rassurant de voir que cette version plus simple semble en bonne voie pour être prête pour les jeux olympiques de 2020. Au centre de la série, une espèce d’orgue métallique étrange interpelle. Ce sont des tubes attachés à l’arrière du Tokyo Metropolitan Gymnasium, dont j’ignore bien entendu leur fonction mais qui attirent mon regard photographique par leur symétrie parfaite.

Photographies extraites des videos disponibles sur YouTube des morceaux Tonite et Cloud dancer du EP Tonite par ANNA.

On peut dire que je ne chôme pas au niveau des découvertes musicales ces derniers temps. Le week-end dernier, je découvre le EP intitulé Tonite par ANNA sur le label indépendant Big Love Records, sur lequel on trouve également Aya Gloomy dont je parlais il y a quelques temps. ANNA s’appelle en fait Nana Yamato et cet EP sorti le 13 Juillet 2018 est son deuxième. Il s’agit d’un rock indépendant assez minimaliste composé et interprété par elle-seule, à en croire les crédits des vidéos YouTube nous faisant découvrir les 3 morceaux du EP. La voix monocorde de ANNA posé sur un fil de guitare parvient à créer une ambiance sombre et profonde. Les vidéos accompagnant les morceaux sont dans un format VHS plein de dérochages mais représentant une image actuelle de la ville. Cela donne un sentiment de distorsion du temps, tout spécialement intéressant car la chanteuse est jeune mais chante d’une voix très mature, froide et blasée comme si elle en avait déjà trop vu de cette ville. Dans ces vidéos, on la voit marcher vers Shinjuku dans certains endroits que je reconnais, et même jusqu’au stade olympique en construction. Sans le faire exprès, mes photographies de ce billet reprennent certains lieux empruntés par ANNA dans ces vidéos. Le morceau central du EP, Cloud Dancer, est mon préféré, mais avec les deux autres morceaux Tonite et She is the sun, ce EP forment un ensemble qui s’écoute d’une traite comme une petite pépite rock qui ne demande qu’à grandir. Comme d’habitude, on peut se procurer cette musique sur la page Bandcamp de l’artiste.

JR新宿駅の東口を出たら

Une promenade photographique à Shinjuku avec Eddie un jeudi soir, ce n’est pas fréquent car il habite depuis quelques années à Hong Kong mais revient par ici de temps en temps. Le prétexte de cette sortie photo était pour lui de tester son nouveau bijou Leica, et pour moi d’essayer de voir ce que je peux faire avec mon modeste EOS50D en pleine nuit sous les néons de Shinjuku. Je ne prends pas souvent de photographies de nuit à vrai dire. Je sers donc de guide bien que je ne connaisse pas très bien le quartier de Kabukichō 歌舞伎町 où nous entrons d’abord. On laisse de côté le quartier de Golden Gai pour s’enfoncer plutôt dans le dédale des rues du centre de Kabukichō. Plus on rentre à l’intérieur de Kabukichō, plus les rabatteurs se font présents et pressant en essayant de nous attirer dans des établissements de petite vertu. Nous sommes de toute façon ici pour la photographie, donc les discussions forcées avec ces rabatteurs tournent court. J’aurais voulu retrouver au hasard des rues de Kabukichō, les deux immeubles Ichiban-Kan et du Niban-Kan de l’architecte Minoru Takeyama, pris en photos de jour au tout début 2010, mais je ne les ai pas retrouvé.

Depuis la sortie Est de la gare JR de Shinjuku (JR新宿駅の東口を出たら), en descendant la rue piétonne après le Studio ALTA, on arrive assez rapidement à l’entrée de Kabukichō, délimité par l’avenue Yasukuni. Kabukichō tient son nom d’un projet passé d’y construire un théâtre Kabuki. Ce projet n’aura jamais lieu mais le quartier garde ce nom. Je ne pense pas avoir traversé en entier ce quartier qui a mauvaise réputation, bien que certaines actions ont été prises ces dix dernières années pour l’assainir de la présence de yakusa et des établissements affiliés. On pouvait deviner leur présence dans les rues, il y a une quinzaine d’années. J’allais de temps en temps à Kabukichō avec Pierre pour aller voir et écouter des concerts rock dans la salle exiguë et en sous-sol du Loft Shinjuku (à ne pas confondre avec la chaine de magasins). La salle existe toujours, mais je ne sais pas si la programmation générale a changé. Ca pouvait être assez underground à l’époque. Je me souviens d’un groupe dont le batteur jouait fort sur sa batterie avec un masque à gaz sur le visage (depuis le feu mouvement Visual Kei des années 90, le déguisement n’est pas surprenant pour les groupes de rock au Japon). Nous allions également dans un petit bar de 5 ou 6 places maximum appelé MOTHER en souterrain dans le noir. On pouvait y choisir la musique rock que l’on souhaitait écouter parmi une multitude de CDs classés derrière le bar et listés sur un catalogue. On commençait souvent par Scentless Apprentice de Nirvana, sur In Utero (le morceau que je préfère sur cet album). Parfois, nous essayions le karaoké du coin en revenant invariablement sur le morceau Kabukichō no Joō (歌舞伎町の女王 Queen of Kabukicho) de Sheena Ringo (en version catastrophique cependant).

Mais revenons sur ce jeudi soir. Après quelques photos dans Kabukichō, nous traversons la voie ferrée au niveau de l’avenue Yasukuni pour rejoindre l’allée étroite de Shinjuku Omoide Yokocho 思い出横丁, bordée de restaurants minuscules. Dans ces mini-restaurants ouverts sur l’allée centrale, il faut se serrer au comptoir. On y mange principalement des yakitori, grillés par le maitre des lieux sous le regard des clients. Nous remontons l’allée tranquillement en prenant quelques photos. En revenant vers la gare, nos chemins se séparent, car je retourne vers la sortie Est de la gare JR de Shinjuku (JR新宿駅の東口に入ったら).

L’album Heisei Fūzoku (平成風俗) de Sheena Ringo 椎名裕美子 en collaboration avec le meneur d’orchestre et violoniste Neko Saito 斎藤ネコ est un album studio particulier dans sa discographie. Sorti en 2007, il fait office de bande sonore pour le film Sakuran de Mika Ninagawa, connue pour son univers photographique aux couleurs ultra-saturées. Il y a beaucoup de reprises de morceaux déjà sortis sur les trois albums studio précédents ou sur les EPs des singles, mais également quelques morceaux inédits dont une collaboration avec son frère ainé Junpei Shiina 椎名純平. La particularité de l’album est que tous les morceaux reçoivent une nouvelle orchestration par Neko Saito. Certains morceaux voient leurs paroles traduites et chantées en anglais. Dès la première écoute, le premier morceau du disque, ギャンブル Gamble, que l’on connaissait déjà sur le premier disque de l’EP SR/ZCS (絶頂集 Zetchōshū), fonctionne extrêmement bien avec cette orchestration étendue et avec les accents de voix de Sheena Ringo qui s’étirent jusqu’à la cassure. L’orchestre est également accompagné des guitares. Le morceau suivant est Kuki (茎 Stem) que l’on connait déjà du troisième album de Sheena Ringo, Karuki Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花). Il était déjà très orchestré mais il est plus fourni sur cette version et traduit en anglais. Il faut une certaine période d’adaptation pour s’habituer à cette nouvelle orchestration et aux versions anglaises de certains morceaux, et beaucoup de morceaux semblent au premier abord plus efficaces dans leur version originale. Mais après plusieurs écoutes, cette impression évolue petit à petit et on apprécie cette ambiance différente. Hatsukoi Shōjo (ハツコイ娼女) est peut être le morceau que je préfère avec cette voix de Sheena Ringo qui s’évapore et semble flotter au dessus de la ville. Je ne connaissais pas ce morceau, tout comme le suivant sur l’album, Papaiya Mangō (パパイヤマンゴー) qui est une reprise mais que, par contre, je n’aime pas beaucoup. Sheena Ringo s’essaie à quelques phrases en français, ce qui est assez amusant à l’écoute, mais je persiste à penser qu’elle n’excelle pas dans les reprises. Dans la discographie de Sheena Ringo, le double album composé uniquement de reprises Utaite Myouri (唄ひ手冥利) me laisse insensible à part quelques exceptions de qualité comme Momen no Handkerchief (木綿のハンカチーフ). Mais au final, Heisei Fūzoku est un album que j’écoute souvent. J’aime y revenir pour son approche différente.

Changeons un peu de sujet pour terminer ce billet. Des blogs Japon que je suivais dès début 2003, il n’en reste pratiquement aucun. Soit leurs auteurs ont arrêté d’écrire ou de montrer leurs photographies, soit ils sont passés sur les plateformes des réseaux sociaux, soit ils ne sont plus au Japon. Malgré quelques interruptions, je continue à suivre assez régulièrement le site web de Karl Dubost et un de ses derniers billets sur une mise en parallèle entre les sollicitations de la rue et celle de réseaux sociaux m’interpèle. Les sollicitations trop grandes des réseaux sociaux, notamment Instagram, sans y trouver une forme d’épanouissement, m’en éloignent. J’en parlais dans un billet précédent.