the streets #15

Je reviens sur ma longue série photographique intitulée the streets qui n’a pas de cadre très précis à part celui de montrer des photographies de rues au sens large du terme, incluant architecture et street art lorsqu’ils se présentent à moi au détour des rues. Les fidèles de Made in Tokyo qui ont une excellente mémoire reconnaîtront certains lieux que j’ai déjà montré sur ces pages, à commencer par le premier bâtiment nommé Sky Cave, conçu par Ikawaya Architects. Cet élégant bâtiment à la toiture courbée créant une ouverture est situé près de la station de Yūtenji. Alors que je marchais dans le quartier, j’ai fait un détour exprès pour le revoir. Je n’avais pas noté l’adresse, ce que je fais rarement de toute façon, mais je le retrouve assez facilement en me remémorant les rues par lesquelles j’étais déjà passé. Au fond du quartier de Naka Meguro, je découvre par hasard un musée de sculptures contemporaines présentant la collection Watanabe composée de plus de 200 pièces d’une cinquantaine de sculpteurs. Je ne rentre pas à l’intérieur mais des espaces extérieurs accessibles autour du musée montrent plusieurs sculptures, dont un étrange arche d’une grande élégance difforme. Dans les quartiers résidentiels de Yūtenji, je retrouve également une résidence d’appartements nommée House of Quartz, construite en 2019 par Archisan. Cette résidence contenant à la fois des commerces au rez-de-chaussée et des appartements d’habitation ressemble à un ensemble de boîtes de béton posées les unes au dessus des autres sans alignement. Une autre particularité du bâtiment est d’avoir des ouvertures composées de grandes baies vitrées pivotante à 360 degrés, ce qui renforce l’ouverture de la résidence sur la rue.

En revenant vers Daikanyama, je passe une nouvelle vers la grande fresque murale montrant deux visages stylisés de femmes dessinés par l’artiste de rue berlinois El Bocho. Il s’agissait apparemment d’une commande du magasin Share Spirit (シェアースピリット) qui était situé en face au moment de la création de la fresque en 2016. Cette création s’était faite au même moment qu’une exposition de l’artiste à Tokyo dans le quartier proche d’Aobadai. Les couleurs de la fresque restent très vives et j’aime beaucoup la manière par laquelle la végétation au dessus vient progressivement recouvrir l’oeuvre sans la cacher. L’avant-dernière photographie est celle du building The Wall à Nishi Azabu conçu par l’architecte anglais Nigel Coates. Il s’agit de l’arrière du building que j’ai déjà pris en photo mais pas sous cet angle là, me semble t’il. Je ne sais pas trop ce qui m’attire dans l’arrière de ce building, mais l’envie de le prendre en photo me prend à chaque fois que j’y passe.

La dernière photographie prise près de Nogizaka est un mystère. Le bloc de béton que je vois devant moi de l’autre côté de la rue est très intriguant. Il est petit avec une forme d’escalier à une seule marche et est sans ouverture à part une petite trappe à air. Il y a tout de même une porte. Il est situé sur un terrain vague délimité par un muret. Ce muret est assez bas pour laisser entrevoir que le terrain est laissé à l’abandon, gagné par les hautes herbes. Les bâtiments tout autour sont par contre récents. On note parmi ces bâtiments une grande tour de béton sans fenêtres apparentes. Ce grand bâtiment de béton de l’autre côté du terrain vague et le petit donnant sur la rue ne sont apparemment pas connectés. J’imagine qu’il s’agit d’un terrain en attente d’une construction, mais cette attente semble être interminable vue la hauteur des herbes sauvages. La petite porte métallique donnant sur le terrain est cassée et est même sortie en partie de ses gonds. Je passe devant une première fois puis me retourne car l’idée saugrenue me vient en tête d’essayer d’ouvrir cette porte. La rue est déserte donc il ne coûte rien d’essayer de l’ouvrir. Je tourne la poignée ronde, mais elle ne s’ouvre pas. Elle doit être cassée. J’abandonne et reprends ma route le long de la grande rue qui se termine sur un tunnel routier menant jusqu’au grand cimetière d’Aoyama. Une intuition soudaine me pousse à regarder une dernière fois derrière moi en direction du bloc de béton si mystérieux, avant de m’engager le long du tunnel. J’aperçois tout d’un coup une personne vêtue de noir marchant le long du muret. Je la distingue plus précisément alors qu’elle s’approche petit à petit de la porte métallique donnant sur le terrain vague. C’est une jeune femme aux cheveux blonds presque couleur d’or avec quelques mèches noires lui cachant une partie de l’oeil gauche. Je devine que ses cheveux sont longs. Elle est habillée d’une longue robe noire un peu bouffante au niveau des manches et avec certains motifs blancs que je ne parviens pas à bien distinguer en raison de la distance. Elle marche d’un pas vif malgré ses boots surélevées. Elle s’arrête devant la porte, fait une pause, regarde derrière elle et sur le côté. Elle doit constater qu’elle est seule dans cette rue car elle ne semble pas m’avoir vu. Elle saisit la poignée des deux mains et l’ouvre d’un geste brusque qui l’a fait légèrement perdre l’équilibre. La porte se referme et elle disparaît de ma vision. Mon regard reste fixé sur la porte refermée derrière elle. Elle me fait penser à un ange noir aux cheveux de lumière apparaissant soudainement comme une vision imaginaire puis disparaissant ensuite aussitôt dans la profondeur des rêves. Mais ma vision était ici bien réelle, il n’y a pas de doutes. Je suis en fait presque sûr d’avoir déjà vu cette jeune femme habillée de noir quelque part mais je n’en ai pas de souvenir exact, seulement une intuition forte ou une impression de déjà-vu.

Je décide de revenir sur mes pas en direction de la porte. Peut-être que l’ange noir l’a laissé ouverte derrière elle. Je vais passé discrètement le long du muret pour voir si elle se trouve sur le terrain vague parmi les hautes herbes. Je pourrais peut-être entrevoir son visage et la reconnaître, ou du moins me souvenir de l’endroit où je l’ai déjà vu. Je m’approche avec une précaution qui n’a pas lieu d’être car la rue est toujours vide de monde. Je longe maintenant le muret mais ne voit personne sur le terrain vague. Elle est peut-être entrée à l’intérieur du bloc de béton. Je reviens sur mes pas vers la porte donnant sur la rue. Si cette frêle jeune fille a réussi à ouvrir cette porte, je devrais être en mesure d’en faire de même. Je saisis la poignée ronde des deux mains, la tourne légèrement puis tire la porte d’un geste vif. Elle s’ouvre en fait plus facilement que je ne le pensais. Je la referme aussitôt derrière moi. Il me reste maintenant à trouver une bonne excuse de me trouver à cet endroit si on venait à m’y surprendre soudainement. Je pourrais dire que je pensais que ce bâtiment était des toilettes publiques. Après tout, Tokyo est rempli de ces toilettes au design particulier et pourquoi pas brutaliste comme celle-ci. Je peux donc ouvrir tranquillement la porte de ces toilettes nouvellement inaugurées par moi-même. La porte n’est pas fermée. Je l’ouvre doucement avec un peu d’hésitation. L’espace intérieur est exiguë et sombre. Une petite lampe est placée sur une table ronde dans un coin du bloc de béton. Sur le mur, une grande carte de Tokyo est épinglée. Elle est écornée sur les bords et je constate malgré l’obscurité ambiante que cette carte est usée à certains endroits, comme si on avait trop souvent touché du doigt certains lieux de la carte. Il n’y a pas d’annotation. Cette carte reste vierge mais elle est assez ancienne. Je n’y retrouve pas des complexes qui ont pourtant plus de vingt ans comme Roppongi Hills ou Tokyo Mid-Town. Le sol est carrelé de grandes dalles grisâtres. Sur la gauche de la table, un escalier descend vers un sous-sol. On devine une faible lumière au bout de cet escalier mais il m’est difficile d’entrevoir combien de marches le composent. « お先にどうぞ » me dit soudainement une faible voix derrière moi, m’invitant à prendre les devants et à descendre ces escaliers. Elle me surprend et me fait sursauter. Je me retourne aussitôt. Devant moi, se tient l’ange noir de tout à l’heure. Son visage est pâle et ses traits de visage très fins et doux, malgré un maquillage rougis autour des yeux. Ses cheveux d’or illuminent la petite pièce sombre d’un étrange halo de lumière. Sa mèche noire cache une partie de son visage. Elle me regarde mais son regard est vide. Son sourire est figé. Il est apaisant et repousse toute crainte. Elle me tend une main. Elle est blanche et fine avec des ongles vernis de couleur noire. Je ne sais pas si je dois lui saisir la main, mais je le fais sans réfléchir en la regardant dans les yeux. Sa main est glacée comme si aucune vie ne la traversait. Aucun mot ne sort de ma bouche car je suis comme hypnotisé. Je ne ressens en fait pas le besoin de briser le silence intense de la pièce. Mais les pensées se bousculent dans mon cerveau. Est ce possible qu’elle m’attendait ici? Peut-être m’avait elle vu au moment où elle a ouvert la porte donnant sur la rue. Ceci importe peu maintenant et l’idée ne me vient même pas de lui poser la question. Ce qui m’intrigue maintenant beaucoup, c’est cet escalier devant moi.

Sentant peut-être mon hésitation à descendre le premier, elle prend les devants. Sa main m’échappe alors qu’elle descend la première marche. Elle descend l’escalier doucement et avec beaucoup de précaution. Je la suis deux marches derrière elle en fixant le haut de sa chevelure d’or comme point d’accroche. Il n’a pas de rambarde pour se retenir mais l’escalier n’est heureusement pas très pentu. Je me dis tout d’un coup qu’elle ressemble à la chanteuse Nyamura qui elle-même semble être tirée d’un personnage irréel de manga pour filles. L’escalier est plus long que je ne le pensais. J’ai l’impression qu’on a déjà descendu plus de cinq étages et la fin n’est pas proche. L’ange noir aux cheveux d’or s’arrête soudainement et se retourne pour me regarder dans les yeux. Elle ne dit pas un mot mais me regarde avec le même sourire un peu figé qui semble pourtant sincère. Cette sincérité me rassure et me fait continuer à la suivre dans ce monde inconnu. Elle semble convaincue que je la suis et reprend donc la descente lente des escaliers. On arrive finalement à la première marche de cet escalier, au niveau d’une petite pièce entourée de murs en béton brut. La lumière y est tamisée. Je remarque tout de suite la présence d’un vieil homme en costume noir assis sur un long fauteuil de cuir noir capitonné d’un style rétro. Il ne me regrade pas et semble perdu dans ses pensées. Il n’a peut-être pas remarqué mon arrivée dans la pièce. La jeune fille vêtue de noir qui m’a accompagné jusqu’à maintenant me fait signe de m’asseoir sur une chaise en bois mat avec accoudoirs. Au centre de la pièce, une table basse de verre est posée sur un tapis persan de couleur rougeâtre. Sur le mur derrière le sofa de cuir, je reconnais une représentation approximative des grandes falaises d’Etretat. Le dessin est réussi mais je ne parviens pas à reconnaître Etretat, du moins l’image que j’en ai car je n’y suis jamais allé. On pourrait penser qu’il s’agit d’une peinture effectuée à partir d’un souvenir vague de ces fameuses falaises. Le vieil homme aux cheveux blancs dégarnis ne bouge pas, les mains posées sur les genoux. Il est en attente de quelque chose ou de quelqu’un.

Mon ange noir se dirige vers le vieil homme et lui chuchote quelques mots à l’oreille que je ne parviens pas à comprendre et lui donne une enveloppe blanche de format B5. Le vieil homme hoche la tête pour indiquer sa compréhension. Je le regarde et pendant ce laps de temps, la jeune fille quitte la pièce sans que je m’en rende compte. Elle a dû s’éclipser par l’unique porte de la pièce. Le vieil homme tourne finalement son regard vers moi. Il ouvre délicatement dans un mouvement lent l’enveloppe et en retire un papier imprimé de quelques phrases. Il dépose le papier sur la table basse et le dirige dans ma direction. Je comprends qu’il faut que je lise ce texte. Il est écrit en japonais et en anglais. Il s’agit d’un avis du Comité d’observation du Tokyo parallèle 「パラレル東京観測委員会」. Je le lis très attentivement pour être sûr de ne rien manquer. En résumé, le papier me fait part du fait que le Comité a bien pris acte des découvertes que j’ai pu faire ces dernières années de différents lieux du Tokyo Parallèle et que j’ai écrit des articles à leur propos sur mon site internet personnel. Le Comité me demande de ne plus partir à leur recherche, de ne plus écrire à leur sujet et de nier leur existence. En regardant le vieil homme qui me fixe maintenant dans les yeux d’un air sévère, je ne peux m’empêcher d’essayer de me justifier. Les lieux du Tokyo Parallèle ne se découvrent que par hasard et les découvertes ne sont pas intentionnelles. Je dirais même que plus on les cherche, moins on les trouve et que les quatre ou cinq lieux découverts dans Tokyo jusqu’à maintenant l’ont été par un pur hasard. Disons que je m’y sentais attiré, comme ça pouvait être le cas cette fois-ci pour ce mystérieux bloc de béton. Tout le problème, lui dis-je, sans aucune réaction de sa part, est que ces lieux intrigants apparaissent sur mon chemin sans que je les recherche. Son absence totale de réaction m’oblige à abdiquer. Je lui déclare finalement que je mentionnerais désormais sur mes potentiels nouveaux articles au sujet de ce Tokyo Parallèle, qu’il ne s’agit que de pure fiction et l’existence même d’un éventuel Tokyo Parallèle ne serait que pure affabulation de ma part. Ces quelques mots semble satisfaire le vieil homme. Il me fait signe de la main de me diriger vers la petite porte. Je me lève aussitôt en le remerciant avec un sourire forcé. La petite porte s’ouvre avant que je ne l’atteigne. L’ange noir aux cheveux d’or m’attendait à la porte. « 一緒に帰りましょう » me dit elle d’une voix douce, que je devine souriante, pour m’indiquer qu’il est temps de rentrer. La pièce donne sur un long couloir étroit couvert de vitrages de chaque côté. Je comprends que ce passage se trouve entre les deux voies de la ligne de métro de Chiyoda au niveau de la gare de Nogizaka. On aperçoit les quais du métro des deux côtés mais les usagers attendant leur train sur les quais ne nous voient pas. L’ange noir se retourne vers moi et me confirme que cet endroit fait partie du Tokyo Parallèle et que notre présence entre les voies est transparente pour les usagers. L’impression du temps qui passe est ici très différente. Je le constate très vite au passage d’un train qui est extrêmement ralenti par rapport à la normale. Les vitrages du couloir décrivent en sur-impression les sentiments non exprimés des usagers des trains dans un défilement semblable aux vidéos du site Nico Nico Dōga. Les bonheurs cachés et les malheurs enfouis sont représentés par écrit par des textes défilant sur les longs vitrages de chaque côté du couloir. Elle m’indique que ce couloir permet de connaître les sentiments les plus profonds des habitants de Tokyo, pour entrevoir leurs peurs et leurs aspirations. J’essaie de ne pas trop y faire attention pour ne pas me laisser emporter dans ce tourbillon de sentiments. Elle m’explique également que le couloir contient 46 grands vitrages interconnectés, 23 de chaque côtés, donnant sur la station de Nogizaka. Nous les traversons rapidement jusqu’à une dernière porte métallique. Avant de l’ouvrir, mon ange noir se tourne à nouveau vers moi. « 雨宮夢子です!またよろしくね ». Elle s’appelle Amemiya Yumeko. Peut-être qu’un jour prochain, je pourrais rejoindre le Comité me dit-elle. Je ne sais pas si je le souhaite vraiment mais je suis en tout cas heureux d’avoir fait connaissance d’une alliée dans mes découvertes involontaires du Tokyo Parallèle. Elle me laisse maintenant ouvrir la porte métallique et se retire doucement. J’ouvre la porte sans me retourner. Un autre escalier monte dans le noir. Il est long mais je maintiens mon rythme d’ascension. J’aperçois finalement un signe lumineux indiquant une porte de sortie. « 8番出口 », pour Sortie numéro 8, est indiqué sur la porte. Elle donne sur un des couloirs de la station de Nogizaka. La sortie n’est bien sûr indiquée sur aucun plan de la station car elle n’existe pas officiellement. Je referme la porte donnant sur le couloir du métro. Rien n’est inscrit sur ce côté de la porte et aucune poignée permet de l’ouvrir depuis le couloir. Il ne s’agit que d’une sortie. Je viens de refermer derrière moi un monde de mystère et je ne sais pas si l’occasion de revoir l’ange noir Amemiya Yumeko se représentera de si tôt. En attendant une prochaine rencontre hypothétique, je reprends ma marche dans les couloirs de la station de Nogizaka jusqu’à la sortie la plus proche. Je sors de mon sac mon iPod et mes écouteurs. Dans ma playlist, quelques morceaux de Nyamura sur son premier album Another Seraph.

L’étonnant album Flesh de cyber milkchan (Cyber Milk ちゃん) m’a donné envie d’écrire le texte ci-dessus, qui je le rappelle n’est que pure fiction et affabulation de ma part. L’album Flesh est sorti le 12 Mars 2025 et contient 10 morceaux électroniques laissant une grande part à l’instrumental à tendance expérimental, mais sur lesquels cyber milkchan vient y ajouter sa voix éthérée et rêveuse. L’ambiance de chaque morceau nous transporte dans un autre monde, que j’imagine loin de toute réalité. La voix de cyber milkchan y est toujours modifiée, ce qui renforce ce sentiment d’irréel. L’excellent premier morceau intitulé Supernal Form nous plonge tout de suite dans cette ambiance à la fois futuriste et vaporeuse. Les morceaux s’enchainent dans une grande unité stylistique même si chaque morceau a été composé par des musiciens différents. Le chant de cyber milkchan parvient à créer ce trait d’union entre chaque morceau qu’on pourrait croire avoir été composé par la même personne. Le quatrième morceau Ecstatic Heart Beat est très certainement mon préféré. Il est même assez fabuleux dans sa composition. J’aime particulièrement la manière par laquelle le beat électronique se désynchronise et se synchronise et la voix étrange de cyber milkchan répétant des phrases similaires de manière répétitive dans la deuxième partie du morceau, un peu comme sur le morceau Sunkisssed dont je parlais dans un billet précédent et par lequel j’ai découvert cette artiste. Cette ambiance est vraiment tres particulière et les morceaux n’ont en général pas une composition classique, à part peut-être le neuvième morceau puffy thoughts qui prend des accents plus pop. L’album est en fait assez différent de ce que j’avais initialement imaginé avant la première écoute, mais j’aurais pu tout de suite deviner une approche expérimentale en voyant l’étrange photographie de couverture où on la voit porter un morceau de viande à la main. Cette photographie a été prise par Isotec81.

Comme mentionné ci-dessus, je commence également l’écoute du premier album de Nyamura intitulé Another Seraph, sorti le 3 Mai 2025. Les quelques morceaux que j’ai découvert sont assez fidèles à ce que j’imaginais de Nyamura. On retrouve par exemple sur le très beau cat reincarnation une atmosphère mélancolique un peu similaire au morceau you are my curse, dont j’avais parlé dans un précédent billet. En fait, l’album part également vers d’autres directions avec l’excellent Chō Digital Chõ Detox (超デジタル超デトックス) composé par Sasuke Haraguchi. Il y a quelque chose de très ludique et sautillant dans le rythme de ce morceau, mais il est en même temps dense et complexe. Le phrasé rapide de Nyamura et l’aparté local sur les complaintes du digital rendent ce morceau particulièrement attrayant. Sasuke Haraguchi est un des compositeurs dont on voit souvent le nom évoqué, tout comme KOTONOHOUSE sur le morceau S.O.S.G.A.L que Nyamura interprète avec Rinahamu (苺りなはむ). Le morceau se tourne plutôt vers l’hyper pop, qui apporte un contraste que j’aime beaucoup avec les voix éthérées de Rinahamu et dans une moindre mesure de Nyamura. La vitesse des passages rappées m’impressionne sur ce morceau en particulier et garde le dessus sur l’hyperactivité pop de la composition musicale. Je vois assez souvent Rinahamu intervenir sur des morceaux d’artistes que j’aime comme 4s4ki, ce qui m’a poussé à découvrir l’excellent morceau RAD RAD, sorti en 2024, du groupe BPM15Q. BPM15Q se compose en fait de Rinahamu et de nicamoq (にかもきゅ) au chant, et elles ont des voix au kawaiisme assez similaire. Plusieurs morceaux sont composés par Teddyloid, dont celui que je mentionne. Je ne forcerais personne à l’écouter car il faut accrocher à ce type de voix, mais les apparences initiales évoluent très vite lorsque le beat de Teddy Loid se fait plus puissant et disruptif. Au passage, je n’avais pas remarqué que Rinahamu avait participé à la première formation de BiS de l’agence Wack, à la même période que First Summer Uika (ファーストサマーウイカ), mais elle prenait le nom de Rina Yokoyama (ヨコヤマリナ). Et en parlant de Teddyloid, je ne pouvais pas passer à côté de l’excellent single Act (アクト) qu’il a composé avec Giga pour DAOKO. Le chant de DAOKO tantôt rappé, tantôt chanté, est habilement volatile et versatile. Quelle dextérité vocale et quelle aisance! On sent une synchronisation au centième de millimètres entre la composition électronique super dense et le chant de DAOKO qui ne l’est pas moins. En parlant de Nyamura et cyber milkchan que j’avais découvert grâce au single GALFY4, je ne peux pas louper un détour vers la musique de KAMIYA qui menait ce morceau. KAMIYA évolue désormais dans une formation nommée XAMIYA avec Xansei. J’écoute le single Ron sorti en Octobre 2024, qui adopte des sons plus rocks mais mélangés d’une electro un peu French touch. Le « Ready or Not, I don’t care » que scande à répétition Airi Kamiya pendant le refrain de ce morceau est particulièrement convainquant et a du très certainement convaincre le public américain du festival SXSW où le groupe se produisait avec le délégation japonaise. Bref, musicalement, je ne sais plus où donner des oreilles tant je découvre de bonnes choses.

J’étais en fait venu à Nogizaka pour aller voir une exposition d’architecture consacrée à Kazuo Shinohara (篠原一男) se déroulant à la Gallery MA (TOTOギャラリー・間). L’exposition s’intitule Inscribe Eternity in Space (空間に永遠を刻む) et se déroule du 17 Avril au 22 Juin 2025. Le titre de l’exposition fait référence au fait que l’architecte, dans le Japon des années 1960, a affirmé une vision architecturale centrée sur la pérennité de l’espace, en opposition au courant métaboliste de l’époque qui prônait plutôt une architecture en constante évolution. L’exposition nous présente quelques unes de ses oeuvres architecturales emblématiques comme House in White (白の家) et House of Earth (地の家), qui expriment ces archétypes spatiaux durables, ces maisons étant encore préservées actuellement. Dans le monde actuel de l’éternelle reconstruction, cette pensée à long terme est très inspirante. Le jour de ma visite, les organisateurs de l’exposition proposaient une visite guidée de l’exposition, ce qui permettait de comprendre un peu mieux la pensée de Kazuo Shinohara et les concepts ci-dessus appliqués à son architecture. L’assistant curateur Koshiro Ogura (小倉宏志郎) nous guidait en japonais pendant une quarantaine de minutes pour nous présenter les oeuvres mises en avant sur les deux étages de la galerie MA. Parmi les architectures présentées, il y avait bien sûr House in Uehara que j’avais découvert dans les rues de Yoyogi-Uehara il y a plus de dix ans lors d’une longue quête d’une autre maison emblématique de Kazuo Shinohara, House in a Curved Road. J’avais été fasciné par les poutres intérieures de béton de House in a Curved Road vues seulement en photo, ce qui m’avait poussé à partir à sa recherche, bien que de l’extérieur, rien ne laisse présager de la beauté artistique de l’espace intérieur. J’en avais tiré une série de billets intitulée À la recherche de la maison sur une rue incurvée, que je garde précieusement en mémoire comme des bons moments alors que j’avais à l’époque deux heures de libre tous les samedi (二時間だけのバカンス) pour marcher dans ce quartier. House in Uehara, habitée par le photographe Kiyoji Otsuji (大辻清司), possède également des poutres de béton brut un peu similaires et devenant obliques au deuxième étage. Il y a clairement une dimension artistique, et non purement fonctionnelle, aux espaces créés par Kazuo Shinohara, et je pense que c’est ce qui m’attire le plus dans son architecture. La galerie MA n’est pas très grande mais possède une terrasse sur laquelle une chronologique de ses oeuvres est affichée. On pouvait également lire un grand nombre de pensées de l’architecte, écrites comme des slogans en graffiti sur les murs. J’en note quelques uns comme Symmetry as strength (シンメトリーというのは力) qui me parle beaucoup, A house is a work of art (住宅は芸術である) qui correspond bien à l’approche artistique de l’architecte, ou encore Progressive anarchy (プログレッシヴ・アナーキー) dont la signification me laisse un peu plus interrogatif. On peut accéder au quatrième étage du building pour la deuxième partie de l’exposition depuis un escalier de la terrasse donnant sur une passerelle métallique suspendue. La deuxième partie se concentre sur la maison personnelle de Kazuo Shinohara à Yokohama avec maquette, reconstitution de quelques éléments mobiliers qu’il a conçu et de nombreux croquis, notamment de son dernier projet avant sa mort en 2006. Kazuo Shinohara a conçu principalement des maisons individuelles mais j’avais également photographié le futuriste Centennial Hall de l’Université Tokyo Institute of Technology (東京工業大学) à Ōokayama. Shinohara y a fait ses études et y est devenu professeur pendant de nombreuses années depuis 1970. De l’exposition, j’aurais bien ramené le gros bouquin commémoratif des cent ans de sa naissance (416 pages en japonais et un booklet de 60 pages en anglais) mais le prix et l’encombrement ont été dissuasif. D’autant plus que j’ai acheté plusieurs livres ces derniers mois, dont je n’ai d’ailleurs pas encore parlé sur Made in Tokyo.

les fluctuations du vide qui nous entoure

L’exposition Interface of Being – Shinkū no yuragi (真空のゆらぎ, Fluctuations du vide) de l’artiste japonais Shinji Ohmaki (大巻伸嗣) se déroule du 1er Novembre au 25 Décembre 2023 au National Art Center Tokyo (NACT), près de Nogizaka. Je suis très surpris de voir que l’entrée à l’exposition est entièrement gratuite, ce qui est plutôt rare surtout pour des œuvres artistiques de cette envergure. On peut y voir deux installations de très grande taille: Jūryoku to Onchō (重力と恩寵, Gravité et Grâce) qui a déjà été présentée à la Triennale d’Aichi (あいちトリエンナーレ) en 2016 et Sonzai no Zawameki (存在のざわめき, Liminal Air Space-Time) déjà montrée en 2020. Ces deux installations très différentes ont une très grande force d’évocation. La première grande salle de la galerie est longue et relativement étroite. Un énorme objet en forme de vase de métal couvert de motifs divers est posé au milieu de cette salle. Il s’agit de l’installation nommée Jūryoku to Onchō (Gravité et Grâce). Un robot placé à l’intérieur du vase fait circuler dans un mouvement vertical un bloc composé de plusieurs lampes et miroirs produisant une lumière dont l’intensité varie. Les lampes descendent pratiquement jusqu’à la base du vase puis remontent dans un mouvement régulier lent. La longue pièce est relativement sombre mais son éclairage varie en fonction des mouvements du robot portant les lampes. Les motifs s’impriment sur les murs aux alentours comme des formes mouvantes. Des textes sont écrits sur le sol peint en noir. Ils sont écrits d’une même couleur noire et apparaissent puis disparaissent à nos pieds selon l’intensité des lumières. Une ambiance sonore accompagne notre admiration devant ce spectacle fascinant. Nos yeux sont d’abord attirés par la lumière puis on s’attache à observer les moindres détails du dispositif. Cette installation en forme de vase ressemble en fait à un haut fourneau et entend évoquer le grand tremblement de terre de 2011 et la catastrophe nucléaire des centrales de Fukushima qui en suivit. Les motifs éclairés depuis l’intérieur du haut fourneau représentent toutes sortes de signes de vie sur terre. Leurs projections sur les murs de la salle sont fragiles comme peuvent l’être les vies face à ce genre de cataclysme. Cette lumière nous attire, mais en même temps nous effraie. L’art de Shinji Ohmaki joue avec les sens du visiteur, tantôt immergé dans des espaces très sombres où il est difficile de se déplacer, tantôt envahi par des lumières fortes et pénétrantes. La deuxième salle contenant une longue installation nommée Liminal Air Space-Time joue avec cet univers sombre. Une grande surface de tissu pratiquement transparent flotte doucement dans la salle, poussée par un vent régulier et légèrement éclairée par quatre lampes placées au plafond. Le mouvement imprévisible des vagues dans la pénombre est hypnotisant. On oublierait presque la densité urbaine de notre quotidien en regardant ce paysage abstrait nous poussant inconsciemment à une forme de méditation. On peut s’asseoir dans le noir sur des bancs placés le long du mur ou se tenir début, droit devant ses vagues pour en saisir les embruns. Je préfère me tenir débout devant ces vagues, immobile pendant de longues minutes à regarder devant moi. Mon regard tente de capter les moindres irrégularités des mouvements du voile, pour ensuite suivre leur évolution et les voir disparaître d’une manière naturelle. Plus on regarde ces vagues, plus on a l’impression que tout notre corps fait partie intégrante de ce décor. Cet environnement crée en quelque sorte les conditions d’une intégration organique.

J’ai beaucoup de mal à détacher mon regard de ces vagues. Il faudra bien partir bientôt mais je préfère en profiter un peu plus en m’asseyant sur un des bancs alignés dans les zones les plus sombres de la pièce. On oublierait presque sa propre présence dans un espace aussi sombre. Regarder le voile mouvant depuis le fond de la pièce donne une impression différente car les perspectives sont modifiées. D’autres personnes sont également présentes dans la salle mais elles sont peu nombreuses. Il doit être à peu près 17h et la galerie fermera ses portes dans environ une heure, si je ne me trompe pas. Encore quelques minutes supplémentaires, une ou deux minutes, voire trois minutes à se perdre le regard dans ces marées sombres. Ce mouvement perpétuel a dû me bercer sans que je m’en rende compte, car le sommeil a eu raison de moi. Je me suis déjà endormi plusieurs fois dans des salles de cinéma mais c’est bien la première fois que je m’endors dans un musée. Je me réveille en sursaut en me demandant d’abord où je suis et quelle heure il est. Mon iPhone n’a malheureusement plus de batterie donc je ne peux même pas confirmer quelle heure il est. Je savais bien que les dix pour cents de batterie restante ne tiendraient pas toute une après-midi et j’ai comme très souvent oublié ma batterie portable. Je suis désormais seul dans la grande salle qui me semble beaucoup plus sombre qu’avant. Le mouvement des vagues de l’installation continue devant moi, mais sans aucune surveillante dans la salle. Dans le noir profond de cette salle, il est fort probable que personne n’ait remarqué ma présence. Il me semble que la sortie est au bout de la salle. J’avance timidement car cette sortie n’est pas éclairée et il n’y a aucun signe lumineux pour l’indiquer. Tout ceci est bien étrange. Mais quelle heure peut il bien être? En marchant lentement en direction d’une hypothétique porte de sortie, je finis par distinguer une faible lueur qui me laisse deviner qu’une des salles voisines est éclairée et, je l’espère, occupée par d’autres visiteurs de l’exposition. Mais il n’y a personne dans cette autre salle. Il s’agit d’ailleurs plutôt d’un couloir. Les murs de ce couloir affichent quelques œuvres de Shinji Ohmaki représentant des êtres de lumière entourés d’une noirceur profonde. J’ai perdu l’envie de les regarder en détails, étant plutôt préoccupé par ma sortie au plus vite de cette galerie, mais je me fais tout de même la réflexion que ces images accrochées au mur me ressemblent. A cet instant précis, je suis comme ces êtres dessinés, perdu au milieu d’une noirceur profonde. Plus que de l’angoisse, j’ai plutôt la crainte qu’on me cherche des ennuis pour être resté dans cette galerie après l’heure de fermeture. Le problème est que je ne trouve personne sur mon chemin pour me confondre en excuses. La sortie de la galerie 2E que j’atteins maintenant me donne finalement accès au grand hall du NACT. Ses longues et ondulantes parois vitrées me font vite comprendre qu’il doit déjà être tard car il fait très sombre dehors. Il n’y a aucune lumière à l’intérieur du musée sauf des veilleuses de sécurité placées au sol qui me permettent quand même de me déplacer sans avoir peur de trébucher. Le musée est entièrement désert. Quelle histoire, me voilà bel et bien enfermé dans ce musée. J’espère quand même pouvoir sortir par la porte principale au rez-de-chaussée. Je cours presque dans les escalators arrêtés. Il n’y a bien sûr personne au comptoir de réception et je ne devine aucun garde de nuit. Le silence omniprésent est pesant. J’ai l’impression de naviguer dans du vide. Pour me redonner un peu le moral, je me dis que j’aurais au moins eu l’occasion de voir ce chef-d’œuvre de l’architecte Kisho Kurokawa dans des conditions tout à fait atypiques. Mais là n’était bien sûr pas mon intention. Je voulais quitter les lieux à 17h mais mon intégration organique dans l’oeuvre de Shinji Ohmaki semble avoir trop bien fonctionné. La porte d’entrée en verre est malheureusement fermée à clé. Je m’y attendais fortement. Que faire maintenant? M’allonger sur un des bancs du grand hall du musée et attendre qu’un garde de sécurité vienne me réveiller? Je n’ai plus du tout sommeil et assez peu envie de passer de longues heures à attendre dans le noir. A l’intérieur du grand hall, il n’y a aucune lumière qui pourrait me donner une piste sur une possible sortie de secours. Seuls les deux immenses cônes reversés sont devant moi, immuables. Enfin, j’ai maintenant l’étrange impression qu’ils tournent doucement sur eux-mêmes. Je n’arrive pas à clairement distinguer si ces cônes tournent ou si c’est moi qui perd l’équilibre, désorienté par cette situation étrange. Je m’approche de l’un des cônes et une stupeur soudaine me saisit. Une personne est là debout. Je ne l’avais pas vu jusqu’à maintenant, certainement à cause de la pénombre. C’est une femme à laquelle je donnerais une trentaine d’années. Elle a les cheveux longs très noirs mais un teint de visage excessivement pâle. On croirait un fantôme ou un esprit. Elle est filiforme dans un costume noir près du corps et une chemise à la blancheur lumineuse. Elle n’ouvre pas la bouche, ne sourit pas mais me regarde fixement. J’hésite à partir en courant mais où m’enfuir. Ce regard me glace et je me rends compte maintenant qu’il fait froid à l’intérieur du NACT. Est-ce cette présence fantomatique qui refroidit les lieux? Cette situation me semble maintenant irréelle. Suis-je une nouvelle fois embarqué dans un monde parallèle? Mais cette femme est peut-être tout simplement la surveillante de nuit du musée. Son teint pâle s’explique peut-être par le fait qu’elle ne voit pas beaucoup la lumière du jour en travaillant de nuit. J’essaie tant bien que mal de trouver des explications rationnelles, mais ces réflexions fusant dans mon cerveau sont vite interrompues par un mouvement brusque et silencieux de cette femme. Elle pointe la main vers le haut du cône de béton tournant désormais à une vitesse accrue. J’ai l’impression que la vitesse des deux cônes s’emballe. Il faut que je trouve un moyen rapide de quitter cet endroit. Ce sentiment de danger qui approche m’envahit. Le sol commence à trembler à un rythme irrégulier et un bruit d’acier broyé se fait entendre. Il reste lointain mais je sens qu’il s’approche inexorablement. Un nuage tournoyant entoure désormais les deux cônes qui me font maintenant penser à des hauts fourneaux de réacteurs nucléaires prêts à exploser. Les vitrages ondulés du musée se teintent d’une obscurité profonde. Ils tremblent à leur tour, intensément dans un bruit sourd, comme si des vagues puissantes emportant tout sur leur passage venaient s’y jeter. Le bruit de ces vagues noires et celui du tournoiement des réacteurs deviennent de plus en plus puissants et irréguliers, proches du point de rupture. Conscient du danger imminent, mon regard suppliant se tourne de nouveau vers celui de la femme pour essayer d’y trouver une réponse. Elle pointe toujours sa main vers le haut du cône de béton. Elle ne semble pas être affectée par les tremblements qui secouent le building. Je n’avais pas remarqué jusqu’à maintenant que le haut du cône qu’elle me montre de la main est éclairé d’une lumière qui jaillit des nuages tournoyant. C’est un faisceau lumineux qui éblouit mais qui attire. Elle me crie soudainement des mots que je ne peux entendre en raison du bruit assourdissant, mais que je devine: « 早く逃げて » (Vite, Sauves toi!). Je n’ai plus le temps de la réflexion et je suis maintenant persuadé que c’est le seul endroit où je dois aller. Je cours vers les escalators et grimpent les deux étages péniblement en me tenant aux rambardes car les tremblements répétés rendent tout équilibre difficile. Le faisceau de lumière est proche, il sort du centre du cône. Les passerelles lui donnant accès sont en partie endommagées par son mouvement accéléré mais on peut toujours atteindre la surface supérieure du cône en prenant son élan et en sautant. Les bruits qui s’intensifient deviennent insupportables. J’entends des poutres d’acier craquer mais la structure du musée ne semble pourtant pas être endommagée. Le faisceau de lumière est devant moi, émanant d’une porte en acier blanc ouverte placée au centre du cône. Je m’y engouffre. Un escalier en colimaçon descend dans le noir. Je n’en vois pas le bout mais commence rapidement ma descente. Au fur et à mesure que je m’enfonce descendant marche après marche, le bruit et les tremblements s’amenuisent. Mes mouvements sont rapides mais il ne faut pas faire de mauvais pas. Cet escalier semble sans fin. Le silence règne désormais et je n’entends plus que les bruits de mes pas sur les marches en acier et celui de mon souffle qui trahit ma fatigue. Après quelques minutes, je semble enfin être arrivé au bout de l’escalier débouchant sur un étroit couloir. Une petite lampe éclaire une autre porte d’acier. Du côté intérieur, une inscription noire indique:「パラレル東京観測委員会」, le Comité d’observation du Tokyo parallèle, suivi du mot en anglais EXIT. La porte de sortie n’est pas fermée à clé. Je l’ouvre doucement par crainte de découvrir ce qu’il y a de l’autre côté. Cette porte donne sur un couloir. Des passants y marchent d’un pas rapide, vers les portes automatiques d’une gare. Je suis dans un couloir de métro, celui de la ligne Chiyoda dans la station de Nogizaka près de la sortie 6. Un profond soulagement se mélange à mon étonnement. Pourquoi un tel accès au musée existe il dans la gare de Nogizaka. Est ce un accès spécial pour le personnel. J’en doute mais peu importe maintenant, je suis sorti avec plus de peur que de mal, même si mes jambes sont encore tremblotantes. Je ne suis pas vraiment surpris de découvrir un nouveau lieu d’observation du Tokyo parallèle, mais les effets que procurent sur moi ces découvertes sont à chaque fois inattendus et profondément éprouvants. En marchant d’un pas lent vers l’intérieur de la station, je me rends compte que mon expérience était peut-être une sorte d’extension des émotions que j’ai pu ressentir en voyant les installations artistiques de Shinji Ohmaki. Mais je reprendrais ces réflexions à tête reposée. Les horloges numériques sur les quais de la gare indique 23:35. Il est grand temps de rentrer chez soi en évitant bien sûr de s’endormir dans le wagon du métro.

乃木坂0510

A chaque fois que je prends une journée de congé en semaine, la dite journée est pluvieuse. Je ne vérifie jamais la météo avant de me décider à prendre mes journée de congé mais je soupçonne très fortement que la météo soit influencée par mes choix. Enfin, c’est le sentiment que j’ai depuis quelques temps. Il ne pleuvait pas encore le matin et j’en ai donc profité pour me lancer dans une promenade dans les rues de Roppongi, Akasaka et Nogizaka. En fait mon objectif était d’aller voir la structure d’acier Hineri Utsuri Nagare (ひねり うつり ながれ) située à l’entrée du parc Nogi (乃木公園). Je la montre sur la première photographie du billet. Prise en contre-plongée, elle semble rivaliser en hauteur avec les buildings aux alentours. Il s’agit d’une oeuvre de Toshiaki Tsukui (津久井利彰) datant de 1996. Le parc se trouve à proximité immédiate de l’élégant sanctuaire de Nogizaka que je visite pour la première fois. Ce mercredi matin avant 10h, le personnel du sanctuaire s’active à nettoyer au balais les allées et places devant chacune des dépendances du sanctuaire. Juste en face du sanctuaire de Nogizaka, on ne peut pas manquer la très haute tour résidentielle de 44 étages, Park Court Akasaka Hinokichō The Tower, que je montre en partie sur la troisième photographie. Je ne savais pas que cette luxueuse tour construite en 2018 était conçue par Kengo Kuma, mais les lamelles latérales auraient dû tout de suite m’y faire penser. J’aime en fait beaucoup le petit jardin quasiment laissé à l’état sauvage au pied de la tour. Enfin, j’imagine que ce jardin est en fait très bien entretenu pour justement conserver cette apparence sauvage. Derrière la tour, sur la quatrième photographie du billet, on ne peut pas non plus manquer les impressionnants volumes de béton de la résidence Parkside 6 conçue par Sakakura Associates. Je me souviens avoir été impressionné par les arbres d’une vingtaine de mètres de haut placés à l’entrée de cette résidence. L’architecte Junzo Sakakura implanta apparemment à cet endroit ses bureaux en 1940 et les arbres ont été conservés de cette époque. C’est une bonne chose car béton et végétation s’accordent si bien. Lorsque je marche dans les rues de Nogizaka, j’ai à chaque fois l’idée presqu’inconsciente d’y trouver des posters et autres références au groupe d’idoles Nogizaka46 (乃木坂46), mais je trouverais seulement à la sortie de la station de métro une série d’autocollants posés sur un coin de mur montrant un groupe sœur de Nogizaka46, Keyakizaka46 (欅坂46). Cette série d’autocollants répétés à l’identique fait référence au premier single du groupe intitulé Silent Majority (サイレントマジョリティー) sorti en 2016. Les images montrent la figure principale du groupe, Yurina Hirate(平手友梨奈). Ce groupe n’existe plus maintenant, ayant changé de nom pour devenir Sakurazaka46 (桜坂46), bien qu’il avait à cette époque une popularité certaine. Je ne sais par contre pas qui est la personne sur l’autocollant de l’avant-dernière photographie, mais ce n’est de toute façon pas très grave. J’ai fait le curieux en écoutant sur YouTube ce morceau Silent Majority, mais je n’y accroche malheureusement pas.

J’accroche beaucoup plus au dernier single du groupe ExWHYZ (ex-EMPiRE) intitulé Obsession qui vient juste de sortir, il y a quelques jours. Tout comme pour Wanna Dance, le premier morceau du groupe (sous ce nouveau nom), composé par Shinichi Osawa (大沢伸一) de Mondo Grosso, ce nouveau morceau est également composé par des artistes électroniques extérieurs au groupe. Cette fois-ci, on doit la composition et la production à Maika Loubté et 80KIDZ. J’ai souvent vu le nom de 80KIDZ associé à des artistes que j’aime beaucoup, comme ce morceau intitulé Magic écrit et chanté par AAAMYYY sur l’album Angle de 80KIDZ mais je n’ai jamais vraiment creusé plus en avant la découverte. J’avais par contre déjà parlé de la compositrice et interprète franco-japonaise Maika Loubté (マイカ・ルブテ) pour le sublime morceau Hakumei (薄明) sur l’album Crepuscular de Kirinji (un point commun entre Hakumei et Obsession est que les vidéos sont toutes les deux tournées à Yokohama). J’aime beaucoup l’univers électronique du morceau Obsession, les basses notamment et le son distordant qui accompagne l’ensemble du morceau. C’est en tout cas une excellente idée de faire intervenir des musiciens électroniques talentueux, qui viennent ajouter une personnalité supplémentaire au naturel pop du groupe. Le chant en alternance entre les membres du groupe n’est jamais complètement parfait, mais c’est ce qui permet de conserver une certaine fraîcheur et une dose d’imprévu dans les compositions musicales parfaitement exécutées. Le premier album de ExWHYZ, xYZ qui sortira le 2 Novembre 2022, fera intervenir d’autres artistes comme Shin Sakiura, qu’on voit présent un peu partout ces dernières années: à la composition sur certains morceaux du premier album d’AiNA The End, par exemple, ou en collaboration avec AAAMYYY (décidément) sur le morceau Kono Mama Yume de (このまま夢で). Dans les crédits de ce futur album, je vois également d’autres noms comme Shingo Sekiguchi, Kento Yamada ou Miru Shinoda, que je ne connais pas du tout, mais que je devrais certainement explorer un peu plus: un morceau comme Tender Rose de Shingo Sekiguchi par exemple, ou la production disruptive de Miru Shinoda sur le morceau 突破/T.P.A. de RinSaga. Si le changement de nom de EMPiRE en ExWHYZ tout en gardant exactement les mêmes membres reste pour moi assez mystérieux, j’imagine que c’est lié au changement de major de Avex à EMI Universal. J’imagine aussi que ça doit faciliter certaines collaborations.

J’attendais une tournée ou un nouvel album de compositions originales, mais c’est un nouvel album de remixes de morceaux de Sheena Ringo qu’on aura cette année. L’album intitulé Hyakuyakunochō (百薬の長) sortira le 30 Novembre 2022 et sera composé de 12 morceaux tirés des albums solo de Sheena Ringo. Il n’y aura malheureusement pas de morceaux inédits. Je pense que cet album de remixes est de l’initiative d’Universal car on ne l’avait pas du tout vu venir. Ma première réaction était plutôt mitigé mais voir la liste des musiciens invités a grandement attisé mon intérêt. Voyons un peu la liste des morceaux et des musiciens invités ci-dessous.

1. Ito wo Kashi (いとをかし| toogood), Ajino Namero (鯵野滑郎) Bon Voyage Remix
2. Chichinpuipui (ちちんぷいぷい l Manipulate the time), Gilles Peterson’s Dark Jazz Remix
3. Yokushitsu (浴室 | la salle de bain), Takkyu Ishino (石野卓球) Remix
4. Niwatori to hebi to buta (鶏と蛇と豚 | Gate of Living, Kid Fresino Remix
5. Marunouchi Sadistic (丸ノ内サディスティック), Miso Remix)
6. Otona no Okite (おとなの掟 | Adult Code), object blue Pleasure Principle Remix
7. Nagaku Mijikai Matsuri (長く短い祭 | In Summer, Night, Yasuyuki Okamura (岡村靖幸)一寸 Remix
8. Carnation (カーネーション | L’œillet), Ovall Remix
9. Ishiki (意識 | Consciously), Shinichi Osawa (大沢伸一) Remix feat. Daoko
10. Onnanoko ha Daredemo (女の子は誰でも| Fly Me To Heaven), STUTS Remix
11. JL005 Bin de (JL005便で | Flight JL005), B747-246 Mix by Yoshinori Sunahara (砂原良徳)
12. Anoyo no Mon (あの世の門 | Gate of Hades), Telefon Tel Aviv Version

Je parlais juste avant de Shinichi Osawa de Mondo Grosso, et c’est une bonne surprise de le voir une fois encore ici, surtout que le morceau Ishiki qu’il remixera fait intervenir Daoko. Tous les artistes que j’aime finissent pas se rejoindre un jour où l’autre, c’est assez fascinant. On sait que Daoko est fan de Sheena Ringo, mais c’est la première fois que je vois Shinichi Osawa associé à Sheena Ringo. L’autre bonne surprise est de voir Kid Fresino dans cette liste pour le morceau Niwatori to hebi to buta. J’ai déjà évoqué le nom de ce rappeur japonais sur ce blog car j’avais beaucoup aimé son album de 2018, ai qing (qui faisait intervenir au Steel Pan sur un morceau, Utena Kobayashi, que j’aime aussi beaucoup). On y trouve quelques noms très renommés comme Takkyu Ishino (石野卓球) et d’autres émergeants comme STUTS. Yoshinori Sunahara (砂原良徳) avait déjà remixé deux morceaux de Tokyo Jihen, Karada (体) et Zettaizetsumei (絶体絶命), sur une mixtape sortie avec le coffret Prime Time à la fin de l’année dernière. Les remixers sont principalement japonais, mais il y a quelques étrangers comme l’anglais Gilles Peterson ou l’américain Telefon Tel Aviv. Je ne connaissais pas la compositrice et interprète sud-coréenne Miso que je découvre soudainement. J’aime déjà beaucoup ses morceaux, par exemple son single Slow Running. J’y reviendrais très vite. Bref, cet album s’annonce beaucoup plus intéressant que ce que j’imaginais initialement, ce qui fera peut être oublier les polémiques qui émergent subitement sur l’utilisation d’une croix rouge sur les ‘goods‘ fournis par Universal sur la version deluxe de l’album. Et si c’était simplement une marque de reconnaissance envers une profession particulièrement sollicitée ces deux dernières années? Il semble que l’utilisation de cette croix que l’on trouvait déjà sur le live Gekokujō Xstasy (下剋上エクスタシー) soit maintenant problématique, car à usage réservé. Ça sera interessant de voir si Universal va faire marche arrière sur ce sujet.

Et en attendant de pouvoir écouter le nouveau morceau d’Ado, AiNA The End nous faisait la surprise d’interpréter Marunouchi Sadistic dans l’édition spéciale de l’émission Music Station, le Vendredi 7 Octobre 2022. Ce n’est pas la première fois qu’AiNA reprend des morceaux solo de Sheena Ringo et elle avait déjà chanté avec le groupe eLopers créé par Sheena Ringo, le morceau Gunjō Biyori (群青日和) de Tokyo Jihen. Elle s’en est bien sortie, accompagnée par Tokyo Ska Paradise Orchestra. Le groupe avait déjà participé il y a très longtemps au single Mayonaka wa Junketsu (真夜中は純潔) de Sheena Ringo. Bref, je le répète mais tout finit par se rejoindre. J’adore voir ces liens se créer car ils permettent d’imaginer les directions ou collaborations futures d’un ou d’une artiste. Ça me parait maintenant évident que Sheena écrira ou composera un jour ou l’autre un morceau pour AiNA. Elle fait du moins un très fort appel du pied, dans ses chaussons jaunes sur Music Station qui me rappellent un peu les chaussons bleus de Fuji Kaze à Kōhaku l’année dernière. Fuji Kaze est un autre exemple de musicien faisant de nombreux appels à Sheena Ringo en reprenant au piano nombre de ses morceaux. 愛が溢れるんですね。

shift nogizaka

La façade de ce building à Nogizaka a un design intéressant que l’on voit de loin. Il fait partie d’une série de buildings appelée +SHIFT dont Sun Frontier est le promoteur. On nous explique que le concept derrière ce design est une représentation de racines d’une plante. Ce building est en fait destiné aux petites entreprises naissantes, amenées à grandir et à évoluer. L’image de la racine végétale entend en fait représenter cette croissance future. Les formes du building en particulier cette façade sont à la fois élégantes et futuristes. Je ne saurais dire exactement pour quelle raison mais ce design me semble inhabituel pour Tokyo. Je ne connais pas d’autres buildings qui lui ressemblent. C’est un design qui me rappelle plus les immeubles longilignes de résidences qu’on pourrait trouver à Singapore par exemple. Il s’agit juste d’une impression. Le bâtiment se situe à l’entrée du sanctuaire de Nogizaka, que je n’ai pas eu le temps de visiter cette fois-ci. Du sanctuaire, je me contenterais pour l’instant de prendre en photo une affiche faisant l’éloge du mariage en kimono blanc dans l’enceinte du sanctuaire. La mariée y est belle même sous la pluie.

Je viens d’écouter un podcast spécial du trio Gaijin-san qui a pour invité Michaël Ferrier, écrivain et professeur à l’Université Chuo de Tokyo. J’ai déjà lu et aimé plusieurs de ses livres comme “Tokyo, petits portraits de l’aube”, “Le goût de Tokyo” qui est une anthologie de textes sur Tokyo qu’il a sélectionné et commenté et “Fukushima, récit d’un désastre” qu’il m’avait d’ailleurs envoyé en version dédicacée à l’époque. J’avais également assisté à la projection du film “Le Monde après Fukushima” de Kenichi Watanabe et à une lecture d’extraits de “Fukushima, récit d’un désastre” à l’Institut Français de Tokyo en 2013. Pour ce podcast qui dure environ 2h, Michaël Ferrier revient sur la catastrophe de Fukushima à travers un nouvel ouvrage qu’il dirige intitulé “Fukushima – Dans l’oeil du désastre”. Je ne connais pas encore ce nouveau livre et j’irais très certainement voir à quoi il ressemble au Kinokuniya de Shinjuku si je peux le trouver là bas. Michaël Ferrier y regroupe les visions et travaux d’artistes japonais ou étrangers évoquant la catastrophe de Fukushima sur les dix dernières années. Il nous donne quelques exemples dans le podcast, notamment ceux du collectif Chim↑Pom. Je me souviens être parti à la recherche de leur galerie à Koenji en Mai 2018. J’avais bien trouvé cet endroit des plus atypiques mais la galerie était malheureusement fermée lors de mon passage. Je ne savais par contre pas que Chim↑Pom avait conçu des d’installations artistiques en lien avec les événements de Fukushima. Ils s’étaient notamment rendus sur les lieux de la catastrophe un mois après en tenues protectrices, en portant un drapeau japonais dont le soleil rouge était transformé en symbole radioactif. Ils avaient également ´hacké’ la grande fresque Myth of Tomorrow de Taro Okamoto dans la gare de Shibuya (je la prends régulièrement en photo même avant son arrivée à Shibuya) en y ajoutant une partie en bas à droite représentant les centrales nucléaires de Fukushima. Le site web de Chim↑Pom montre d’ailleurs une petite vidéo dont est extraite l’image ci-dessus. Ce type de manifestation artistique provocatrice n’est pas particulièrement fréquente au Japon et donc forcément intéressante. Michaël Ferrier nous explique tout cela avec beaucoup de détails. Il maîtrise bien son sujet et c’est agréable de l’entendre longuement parler des artistes présents dans son ouvrage. Il évoque aussi l’artiste Shinji Ohmaki, que je ne connaissais pas, dont l’installation Liminal Air – Black Weight illustre la couverture du livre. Cette installation faite d’une multitude de fils noirs accrochés au plafond évoque la pluie noire radioactive suite à la bombe d’Hiroshima. A vrai dire, je n’écoute pas souvent les podcasts traitant du Japon, car les sujets qui y sont traités s’adressent plutôt aux personnes en cours de découverte du pays. Mais ce podcast en particulier était particulièrement instructif.