ヒカリに

Je dépose Mari dans une rue près de Nishi-Shinjuku et profite d’une petite heure et demi pour explorer les alentours de la Mairie de Tokyo. Je connais bien sûr déjà ces endroits mais assez peu le parc central de Shinjuku (新宿中央公園). Je n’avais pas l’image d’un parc agréable pour la promenade, le sachant coincé à l’ombre des hautes tours de Nishi-Shinjuku, mais je m’étais trompé. En fait, je ne suis pas venu dans ce quartier depuis la construction de la grande tour d’habitation de verre au nom à rallonge Central Park Tower La Tour Shinjuku (セントラルパークタワー・ラ・トゥール新宿). On peut bien sûr crier d’effroi devant la multiplication des tours à Tokyo, mais celle-ci est presque transparente malgré sa taille imposante. Le verre des façades reflète les nuages et le bleu du ciel. Avec un peu d’inattention, on pourrait croire qu’elle a la faculté de se fondre dans le ciel. Les couples et les familles sont assez nombreux dans le parc qui est plus ensoleillé que je ne l’imaginais. Sur une place près de l’entrée, un marché aux puces est installé ce jour là. Je passe devant les stands posés à même le sol, au cas où il y aurait un trésor inattendu, mais je ne regarde que très distraitement étant persuadé de ne rien y trouver qui m’intéresserait. Les deux premières photographies du billet montrent la grande Marie de Tokyo conçue par Kenzo Tange. Lorsque je viens à Nishi-Shinjuku devant ces tours, je pense pratiquement à chaque fois au roman de Ryu Murakami (村上龍), Les Bébés de la consigne automatique (コインロッカー・ベイビーズ) publié en 1980, car c’est un des lieux clés de l’histoire sombre des deux demi-frêres Hashi et Riku. J’en avais parlé dans un billet de 2006 avec une photographie bleutée (à la Blade Runner diront certains) qui reste encore maintenant marquée dans mon esprit. Le temple ombragé de la sixième photographie s’appellant Jōfuji (淨風寺) est situé juste à côté de la grande tour de verre. Je ne lui trouve pas de qualités remarquables à part cette entrée recouverte d’arcs successifs. Les deux dernières photographies sont prises à Shibuya pendant une autre journée moins ensoleillée. Shibuya est en pleine reconstruction et les tours que je montre se trouvent au niveau de la nouvelle entrée Sud de la gare, derrière la tour Shibuya Stream placée au niveau de la rivière bétonnée de Shibuya. Et la dernière photo est particulière. Je recherchais depuis longtemps cet immeuble de métal gris d’apparence argentée avec une inscription SR. Je l’avais vu sur Instagram mais le lieu qui y était indiqué n’étais pas correct. Je ne le recherchais pas activement mais trouver ce petit building tout à fait par hasard au détour d’une rue m’a procuré une satisfaction certaine. Je ne me donnerais pas la peine d’expliquer pourquoi trouver un immeuble nommé SR m’intéressait tant.

Je suis enfin aller voir Kyrie no Uta (キリエのうた) de Shunji Iwai (岩井俊二) ce samedi matin à la première séance de 9h15 au cinéma Toho de Shibuya. C’est un film qu’il faut aller voir à Shibuya ou à Shinjuku, car certaines scènes du film à Tokyo se déroulent dans ces quartiers. J’étais d’ailleurs très surpris de voir que certains moments importants du film ont été tournés dans le parc de Nishi Shinjuku que je mentionne ci-dessus et que j’avais été visiter la semaine auparavant sans savoir qu’il était utilisé comme décor dans le film. Il m’arrive très souvent d’aller à un endroit puis inconsciemment me trouver à y retourner peu de temps après. Mari me fait souvent cette remarque et j’étais amusé de me rendre comprendre que ce phénomène s’appliquait également aux films, comme si la force de certains lieux me poussait à y revenir. J’allais voir Kyrie no Uta avec l’idée pré-établie que j’allais aimer le film, et je n’ai pas été déçu. J’ai en fait adorer l’atmosphère du film et les trois heures ont passé à toute vitesse. Il y a certainement quelques longueurs mais j’ai aimé partager ces moments avec les personnages du film. Le réalisateur Shinji Iwai sait être proche des émotions de ces personnages et arrive parfaitement à les montrer à l’écran. Il a une façon de filmer assez caractéristique à la fois proche des actrices et acteurs qu’il filme mais en même temps soucieux de les montrer dans leur environnement. Le film commence dans les terrains enneigés d’Hokkaido du côté de Shikaoi, et je repense tout de suite aux premières scènes dans les herbes folles d’Ashikaga dans All About Lily Chou-Chou (リリイ・シュシュのすべて). Il y a quelque chose de contemplatif dans le cinéma de Shunji Iwai qui me plait beaucoup. Je ne vais pas raconter l’histoire du film car il faut mieux en savoir peu, ce qui était mon cas, avant de voir le film. On suit l’histoire de Ruka interprétée par AiNA The End (アイナ・ジ・エンド), dont c’est le premier rôle, à différentes périodes de sa vie. Elle a perdu en grande partie sa voix suite à un choc dans son enfance, mais arrive tout de même à chanter, ce qui devient son principal moyen de communication et sa raison d’être. La vie de Ruka, qui se renomme elle-même Kyrie (une référence à Kyrie eleison), est pleine de souffrances qu’elle intériorise depuis son enfance. Le film nous explique beaucoup de choses avec de très nombreux flashbacks et flashforwards passant de la petite enfance de Ruka à Ishinomaki (石巻市) à Miyagi en 2010 puis à Osaka en 2011, puis son adolescence à Hokkaido en 2018 jusqu’à la période actuelle en 2023 à Tokyo. Le lieu et le moment de la petite enfance de Ruka nous laisse deviner la nature du choc qui lui fera perdre la voix. Elle croisera la route de plusieurs personnes, interprétés par Hokuto Matsumura (松村北斗), Suzu Hirose (広瀬すず) et Haru Kuroki (黒木華), qui l’aideront dont son parcours. Le film durant trois heures, il prend le temps de couvrir l’histoire de celui et celles qui accompagneront Kyrie mais laisse aussi volontairement beaucoup de flou. Il y a de nombreuses scènes mémorables, notamment celles réunissant AiNA et Suzu avec cette dernière changeant de couleur de cheveux à chaque scène. Je repense notamment à une scène sur les plages de Sanmu (山武) à Chiba, où AiNA se lance dans une chorégraphie improvisée et imprévisible. Je comprends que c’est ce genre de choses qui a poussé Shunji Iwai à construire son film avec elle. La caméra nous donne l’impression d’y être, tout proche des mouvements, les pieds dans le sable. Comme sur All About Lily Chou-Chou, la musique, composée par Takeshi Kobayashi (小林武史), joue un rôle primordial. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je voulais absolument voir ce film, sachant que Shunji Iwai accorde une grande importance à la musique comme personnage à part entière de ses films. La perspective d’entendre chanter AiNA m’enchantait, et elle trouve tout à fait ses marques dans le film, par son jeu et son chant. On peut entendre plusieurs fois Kyrie et son groupe de rue, interpréter Awaremi no Sanka (憐れみの讃歌) que j’appréciais déjà beaucoup avant d’avoir vu le film, mais qui prend une nouvelle dimension après visionnage. L’histoire de Ruka/Kyrie m’a saisit dès les premières scènes, et je me suis laissé surprendre à nombreuses reprises pendant le film par l’émotion qu’il m’a procuré. Je me souviens qu’AiNA avait perdu il y a quelques années sa voix et le groupe BiSH était par conséquent mis en hiatus. Je ne peux m’empêcher de penser que Shunji Iwai s’est appuyé sur cette expérience pour construire son film. La voix actuelle d’AINA qui est toujours proche de la fracture, à la fois fragile et forte, correspond à la perfection au rôle du film, ce qui me fait également penser que Shunji Iwai a construit son film pour elle. J’aime les films de Shunji Iwai car il me parle d’émotions proches de celles que j’éprouve dans les musiques que j’écoute. Il met la musique au centre de ses films plutôt que de la concevoir comme un accessoire à la narration. J’écoute maintenant quelques morceaux de la bande originale du film, sur l’album intitulé DEBUT de Kyrie, le morceau clé mentionné ci-dessus bien sûr mais également quelques autres comme Hikari ni (ヒカリに) et Genei (幻影) qui me plaisent énormément. Alors que j’écris ces lignes, des images du film me reviennent en tête avec une rémanence similaire à la période de quelques jours suivant un concert lorsque j’en écris le rapport. Les émotions sont très similaires et j’ai déjà envie de les revivre en retournant voir le film. Il me fait maintenant penser à mon histoire de Kei, du songe à la lumière. Kei pourrait très bien être AiNA The End et Hikari, Suzu Hirose. On peut toujours rêver en attendant que je termine mon histoire.

être l’histoire de soi-même

L’actrice Suzu Hirose (広瀬すず) nous montre le nouvel appareil photo instantané Instax Mini Evo sur une grande affiche posée sur une des baies vitrées des bureaux de Fujifilm. L’objet au look classique rétro permet de prendre et d’imprimer des photos similaires aux Polaroïd mais sur un format un peu plus petit appelé Checki (チェキ). Le Checki fait une taille de 8.5×5.4cm par rapport au Polaroïd de 10.8×8.8cm. Ce genre d’objet est très tentant mais je me raisonne rapidement en me disant que j’en aurais que très peu d’utilité. Ce genre d’appareil est plutôt destiné aux portraits, ce qui n’est pas vraiment mon domaine de prédilection. Je me vois déjà, fidèle à moi-même, essayer de prendre des photos de rues et de buildings avec cet appareil. Le SIA Aoyama building sur la deuxième photographie garde intacte sa couleur blanche initiale comme s’il venait juste d’être construit alors pourquoi pas le défigurer avec des fils et poteau électriques. En photographies, j’hésite souvent entre deux formes de beauté urbaine, celle aux formes lisses et aux couleurs inaltérées et celle qui se développe à l’arrière des buildings, dans les interstices qui sont censés n’être vus de personne. Lorsqu’un building est abattu et laisse place à un terrain vague ou à un parking, la complexité des tubes et tuyauteries apparaît au grand jour. Les trois photographies suivantes recherchent plutôt des couleurs, le rouge marquant la nuit d’une enseigne Vivienne Westwood à Aoyama, l’étrange couleur violette d’une porte de temple près de Nishi-Azabu et les couleurs des formes géométriques dessinées sur le mur d’un parking de la banlieue de Shinjuku. Cette dernière photo me rappelle la manière dont je décorais virtuellement les bâtiments il y a plusieurs années de cela, en leurs apportant de nouvelles textures qui changeaient complètement leur apparence. Je me rends compte en écrivant ces lignes que j’évoque souvent mon histoire passée dans les rues de Tokyo, tout autant presque que mon histoire présente. La densité de l’histoire présente paraît toujours moins importante que celle du passé. Ce blog est censé être celui de l’histoire de moi-même, mais je m’interdis de dire et de montrer beaucoup de choses personnelles, au point où je me demande s’il s’agit vraiment de mon histoire. J’y pense souvent, mais cette histoire se transformera peut-être un jour en fiction, ce qui m’apporterait peut-être une nouvelle liberté.

De haut en bas: Images extraites des concerts sur la chaîne YouTube Ginza Sony Park de D.A.N. le 19 Mars 2022 et de Tamanaramen (玉名ラメン) le 26 Février 2022.

Le Samedi 19 Mars 2022 à partir de 21h, on pouvait voir en live sur YouTube un mini concert de D.A.N. sur la chaîne de Ginza Sony Park. Je m’en suis rendu compte trop tard pour le voir en live, mais la chaîne YouTube maintient heureusement ce concert dans ses archives. Le concert se passe sans public dans les sous-sols de l’ancien immeuble Sony dans le centre de Ginza. Je ne suis pas encore complètement revenu de leur dernier album NO MOON, et je réécoute assez souvent certains morceaux comme le morceau titre ou The encounters. Ce dernier n’était, sans surprise, pas interprété pendant ce live car il fait intervenir des voix extérieures, celles d’un rapper appelé Takumi et de Tamanaramen (玉名ラメン). Tamanaramen s’est d’ailleurs récemment produit sur cette même scène du Ginza Sony Park, il y a peu de temps, le 26 Février 2022. Ce concert là était plutôt expérimental à mi-chemin entre installation artistique et véritable concert. Hana et Hikam Watanabe se faisaient constamment face, et les trois murs de l’espace de la scène étaient recouverts d’images vidéos abstraites. Tamanaramen avait tout de même interprété leurs deux derniers morceaux, Glowing Arcade et The light behind my eyelids. L’approche de mise en scène de D.A.N. au Ginza Sony Park était en comparaison plus classique, jouant sur la pénombre. Derrière leurs machines pleines de câbles, le groupe interpréta plusieurs morceaux de leur dernier album comme le morceau titre de l’album, NO MOON, et Anthem. Ce dernier morceau fait intervenir des sonorités de steel pan joué sur cet album par Utena Kobayashi, mais elle n’était malheureusement pas présente sur scène avec les trois membres de D.A.N. Ce petit concert d’une trentaine de minutes m’a fait réécouter une nouvelle fois l’album du groupe.

une calamité

Nous sommes ici, sur la première photographie, à proximité de la station de Ebisu, derrière les immeubles donnant sur la rue principale, la rue Komazawa passant devant la station. Derrière la barrière d’immeubles, se cache un espace urbain à l’écart: un petit jardin public où se sont regroupés quelques adolescents pour s’entrainer à la danse ou pour jouer à voix haute une scène dans l’espoir d’une célébrité future. A côté du parc, un large parking ressemble à un terrain laissé en jachère. Le vaste espace creusé derrière la barrière blanche d’immeubles, les plantes vertes sauvages qui investissent le terrain du parking, mais surtout cette lumière forte attirent mon regard photographique. Un peu plus loin, au croisement de Yarigasaki près de Daikanyama, j’aperçois une succession d’affiches publicitaires qui attirent le regard. C’est fait exprès. Il s’agit d’une publicité pour la marque de vêtements Franco-japonaise Maison Kitsune, qui s’est, à n’en pas douter, inspirée des campagnes d’affichage de la marque New Yorkaise Supreme. On en voit moins en ce moment, mais Supreme avait pris l’habitude d’aligner les affiches publicitaires identiques sur deux ou trois rangées. On voyait sur ces affiches, des personnalités américaines, de Kate Moss à Neil Young. La caractéristique des affiches Supreme est qu’elles étaient toujours un peu déchirées. J’ai d’ailleurs toujours pensé que c’était fait exprès pour représenter une certaine forme d’art urbain. Allez, Maison Kitsune, déchirez un peu vos affiches! La dernière photographie est prise à la station de Shibuya, toujours remplie elle aussi d’affiches publicitaires. Cette fois-ci, c’est l’actrice Suzu Hirose, assise en tenue de collégienne au milieu du croisement de Shibuya, qui occupe l’espace d’affichage stratégique de la station. J’avais vu cette actrice pour la première fois au cinéma dans le très beau film Notre Petite Sœur de Hirokazu Kore-Eda. Le dernier film de Kore-Eda, Manbiki Kazoku, qui a reçu la palme d’or à Cannes cette année, n’est pas encore sorti au cinéma, mais j’ai très envie de le voir. D’ailleurs un peu avant le début du festival de Cannes, j’avais regardé un autre film de Kore-Eda, Nobody Knows. Je voulais le voir depuis longtemps mais l’occasion ne s’était jamais vraiment présentée. Je ne le découvre qu’il y a quelques semaines et c’est un sacré choc. Les jeunes acteurs sont excellents tout comme la mère jouée par YOU. On croit tellement à cette histoire d’abandon que ça nous prend au cœur. C’est tiré d’un fait divers, me semble t’il. J’ai beaucoup pensé à ce film et à cette histoire après l’avoir vu. Le fait d’être parent joue certainement beaucoup sur l’émotion qui se dégage quand on regarde ces images. Derrière l’affiche de Suzu monopolisant tout l’espace du croisement de Shibuya, l’immeuble de Kengo Kuma grandit de plus en plus. Il doit avoir atteint sa taille finale et on s’occupe maintenant des vitrages. Je suis venu exprès devant la station pour voir l’avancement des travaux et surtout pour constater de mes yeux le travail de « deconstruction » d’une des façades, que j’avais pu constater avec beaucoup de surprise sur une maquette à l’exposition de Kengo Kuma à la galerie de la gare de Tokyo, le mois dernier.

Photographies extraites de la video du morceau 災難だわ (Sainan dawa) de Megumi Wata 綿めぐみ disponible sur Youtube.

Je continue mes recherches et découvertes musicales japonaises avec Megumi Wata 綿めぐみ, sur le label indépendant Tokyo Recordings, fondé en 2015 par un certain Nariaki Obukuro 小袋成彬, dont je parlais précédent pour son album Bunriha no Natsu. En fait, de Megumi Wata, je n’ai écouté que ce morceau, sorti en Janvier 2015, intitulé 災難だわ (Sainan dawa) qu’on traduirait par C’est une calamité, qui est génial. Le rythme un peu mécanique de la voix et des mouvements de Megumi Wata sur la vidéo en noir et blanc, et le phrasé rapide qui se construit de répétition de quelques phrases sont vraiment addictifs. Les voix féminines sont souvent trop aiguës pour mon goût mais ça passe bien sur ce morceau (pas sûr pour le reste de ses morceaux par contre). Toujours est il que cette calamité-là est la bienvenue dans mes oreilles. Je l’écoute en boucle avec quelques autres morceaux dont je parlerais certainement plus tard dans un prochain billet.