歌って、泣くな!

Je suis repassé récemment près du nouvel immeuble Shibuya Stream qui se trouve à l’entrée Sud de la gare de Shibuya. Je suis monté cette fois-ci à l’étage en empruntant les escalators couverts par une cage de verre au niveau du croisement de la rue Meiji et la route 246. Le plafond de la cage de verre est recouvert de miroirs qui reflètent la totalité des escalators et des passants qui grimpent jusqu’à l’étage. Entre la tour Shibuya Stream et la tour Tokyu Cerulean un peu plus haut en remontant la route 246, un ensemble d’immeubles est voué à une destruction imminente. J’avais vu, une fois précédente, certains de ces bâtiments décorés d’illustrations temporaires. Elles ont disparu et en marchant entre les buildings de ce quartier, je me rends vite compte que les entrées sont barricadées et que les bâtiments sont vidés de toute vie et de toute occupation. Au détour d’une rue, une grande fresque peinte en noir et blanc au dos d’un immeuble de plusieurs étages attire mon regard. On l’aperçoit à peine depuis la rue bien qu’elle soit gigantesque. J’essaie de faire le tour du bâtiment où elle est dessinée pour trouver un bon point de vue pour la prendre en photo. Le meilleur endroit pour la voir en entier est un parking désaffecté fermé aux visiteurs par quelques plots. Je rentre tout de même quelques instants sur le parking pour prendre la photographie en tête de cette article. C’est assez dommage que cet espace devant le dessin de rue ne soit pas ouvert à la vue de tous. Le dessin étant exécuté sur un immeuble qui disparaîtra bientôt, il ne reste que peut de temps pour l’apprécier. Je continue ensuite ma marche dans la partie Sud de la gare de Shibuya le long de la voie ferrée. Il y a beaucoup de vieux bâtiments et de graffiti dans ce quartier là, un peu comme à Udagawacho. Une bonne partie de ces bâtiments vont disparaître. Shibuya Stream a été construit sur l’espace laissé par la ligne de trains Toyoko, désormais enterrée dans les sous-sols de la ville. L’espace le long de la rivière de Shibuya est réaménagé en promenade piétonne, mais l’endroit peine à être agréable, tout simplement parce qu’en marchant le long de la rivière bétonnée, on a une vue sur l’arrière de la barre d’immeubles donnant sur la rue Meiji. Il n’y a rien d’agréable dans le béton écrasant la rivière et dans les façades noircies de l’arrière des buildings. Un peu plus loin toujours sur l’ancienne ligne Toyoko, un nouveau bâtiment appelé Shibuya Bridge s’est installé dans un espace courbe. Un hôtel, le Mustard Hotel y est également installé. Sous une allée couverte du Shibuya Bridge, des élégantes illustrations de scènes de rue aux couleurs rouges sont posées sur chaque pilier du passage couvert. Un peu plus loin sur l’immeuble où se trouve l’hôtel, une grande illustration est affichée au niveau du deuxième étage, montrant une ligne de train. L’intention est sans aucun doute de rappeler qu’ici passait autrefois une voie suspendue de chemin de fer.

Je m’écarte quelques instants de la musique de Jun Togawa avec YAPOOS pour revenir au tout début des années 1980. En 1981 pour être précis, le groupe d’Osaka INU mené par Kō Machida 町田康 sort un disque essentiel de punk japonais. Je ne suis pas particulièrement amateur de musique punk, sauf quand elle est suffisamment créative dans ses envolées de fureur. C’est le cas de cet album Meshi Kuuna! メシ喰うな!(qu’on peut traduire en anglais en « Don’t eat food »). Les guitares sont rapides et le rythme condensé de chacun des morceaux fuse dans l’urgence. L’album a presque 40 ans mais il reste extrêmement actuel dans sa facture, c’est même assez surprenant. C’est certainement dû au fait que le punk suit des codes bien particuliers qui n’ont pas beaucoup évolué avec les années. Là encore, je n’y connais pas grand chose en punk, à fortiori japonais, mais je pense que j’aime cet album de INU car il déborde d’une tension émotive, exprimée par le chanteur. Kō Machida, sous le nom de scène Machizō Machida, 19 ans à la sortie de cet album, chante ces paroles comme une complainte. On a même l’impression qu’il s’agit de pleurs de douleur par moments sur certains morceaux. C’est une manière de chanter tellement particulière et imprégnante! Côté guitares, on n’atteint pas la densité et la rapidité électrique de groupes comme Boris, mais la musique est pareillement pleine de distorsions et de triturages sonores. Les morceaux s’enchainent avec la rapidité de l’éclair, mais s’entrecoupent parfois de passages parlés, comme le morceau Damu Damu Dan ダムダム弾. Ce morceau a un style très différent du reste de l’album. Dans sa répétition entêtante, il me fait penser à un chant bouddhiste que l’on peut entendre pendant une cérémonie dans un temple. Le morceau qui suit Yume no naka he 夢の中へ continue l’apaisement musical avec une partition très mélodique. Ce n’est qu’une accalmie avant la reprise des hostilités avec le morceau titre et emblématique Meshi Kuuna! メシ喰うな! dont l’atmosphère et la puissance m’impressionnent à chaque écoute. INU ne sortira qu’un seul album pendant sa courte carrière de 1979 à 1981, mais Kō Machida formera d’autres groupes après INU. Mais, plus surprenant, Kō Machida est également écrivain, récompensé du prestigieux prix littéraire Akutagawa en 2000, pour son histoire courte intitulée Kiregire. Il s’agit de sa troisième œuvre littéraire après un recueil de poèmes sorti en 1992 et un premier roman publié en 1996. Il connait plus de succès comme écrivain que comme musicien punk. C’est en tout cas un changement de trajectoire intéressant, et je serais bien curieux de lire certains de ses ouvrages.

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