overshadowedscapes (1)

Retour aux univers sombres avec une mini série en deux épisodes d’un total de dix photographies toutes empreintes d’une même ambiance d’ombres envahissantes. Sur les deux premières photographies, j’aime définitivement beaucoup les cassures de la nouvelle tour de Kengo Kuma en plein centre de Shibuya, au dessus de la gare. C’est comme si le métal avait plié sous une pression externe, une pression invisible, peut être une pression sonore tellement forte qu’elle en devient inaudible. Je recherche toujours dans les rues des manifestations d’art urbain, des graffitis, des autocollants ou parfois même des dessins sur papier collés sur les murs. Le personnage féminin aux cheveux rouges et au masque et à la robe blanche apparaît à plusieurs endroits du quartier d’Ebisu. Cette version près de la gare de bus de Higashi est par contre la plus sophistiquée.

M83 sort un nouvel album (la musique du film Un couteau dans le cœur) mais je préfère écouter les plus anciens. Parcourir rapidement la critique, assez moyenne d’ailleurs, du dernier album sur Pitchfork me rappelle que Dead Cities, Red Seas & Lost Ghosts avait eu une excellente critique au moment de sa ressortie en 2014. Je me tourne donc plutôt vers cet album initialement sorti en 2003. C’est le deuxième album du duo d’Antibes M83. En fait, je me surprends moi-même de ne l’avoir jamais écouté en entier. Je connais quelques très beaux morceaux comme America ou Run into Flowers, découverts à l’époque où j’écoutais la musique par morceaux plutôt que par album entier. J’aurais dû écouter cet album en entier plus tôt, surtout que j’avais été assez marqué par l’album suivant Before the Dawn Heals Us, sorti deux ans après, en 2005. Before the Dawn Heals Us m’a marqué pour une raison particulière. Je l’ai écouté pour la première fois en mars 2011 après avoir vu le film L’autre Monde de Gilles Marchand seul dans l’appartement. La musique du film utilisait deux morceaux de cet album Farewell / Goodbye et « * ». C’était la période juste après le tremblement de terre du Tohoku à l’apogée des craintes post-explosion nucléaire de Fukushima. Mari et Zoa étaient partis pour quelques semaines à Fukuoka par mesure préventive et j’étais seul dans l’appartement à Tokyo à regarder des films sous une couverture chaude, le soir après les heures de bureau. Écouter Farewell / Goodbye ou « * » me rappelle à chaque fois cette période angoissante.

Sur Dead cities, le premier morceau Birds marqué par une voix robotisée répétitive comme sortie de OK Computer me rappelle par sa mélodie mystérieuse l’univers musical de Board of Canada. Mais, dès le deuxième morceau Unrecorded, on reconnaît tout de suite la pâte de M83. Le morceau part tout de suite sur de l’électronique qui flirte avec le shoegazing. Les textures soniques font monter un sentiment de nostalgie qui pose son empreinte sur tout l’album. Cette musique se rapproche le plus du courant dream pop, style que j’affectionne particulièrement pour sa richesse émotionnelle. Plutôt que d’écrire une critique complète d’un album, je parle beaucoup d’émotions ressentis quand je parle de musique sur ces pages. C’est quand la musique parvient à traverser ses entrailles et en vient à provoquer des frissons, que je me rends compte que c’est une musique d’exception. La deuxième partie du quatrième morceau In Church en est un bon exemple et la continuité avec les cris et paroles effacées du morceau suivant America fonctionnent excellemment bien. Et que dire du morceau qui suit, On a white lake, near a green mountain, à pleurer, littéralement. Ces morceaux ont une ambiance très cinématographique, on comprend que la musique de M83 soit souvent utilisée dans des films. L’avant dernier morceau Gone est également dans cette veine. La tension musicale monte petit à petit jusqu’à un cri sourd final se fondant dans un bruit indescriptible, le genre de cri dont la pression sonore pourrait faire plier le métal d’une tour en construction.

common spaces

A part cette échappée au village de Hinomura, cela fait plusieurs semaines que mes photographies se concentrent sur un espace urbain réduit autour de Shibuya. Comme je traverse plusieurs fois les mêmes endroits et vois les mêmes choses, je me pose régulièrement la question de ce que je pourrais prendre de nouveau en jouant sur les angles ou en me concentrant sur les détails. C’est un exercice intéressant mais pas toujours très productif. Cela me force à regarder les couleurs plutôt que les objets eux mêmes, à faire attention aux ombres projetées, à chercher des dispositions intéressantes ou des contrastes accentuées. De ce fait, même en passant exactement aux mêmes endroits, mon œil est attiré par des nouvelles choses qui étaient pourtant déjà présentes les premières fois. Tout objet ou tout lieu est matière à photographie, tout dépend de l’état d’esprit du moment qui nous fera juger des choses différentes comme étant digne d’intérêt alors qu’on les avait purement et simplement ignorées auparavant. Dans cette série, je regarde les couleurs, celles vives des deux chaises en équilibre, le marron luisant d’un mur de résidence, les inscriptions fluorescentes sur des blousons dans la pénombre d’une boutique pas encore ouverte, le rouge perçant des pneus d’un vélo tous terrains, les couleurs multiples sur des autocollants de chaussures de sport.

Images extraites des videos des morceaux « Wonderland » et « Only One » par Iri disponible sur Youtube.

Le troisième album Shade de Iri est passionnant. A en croire Wikipedia, le style musical s’apparente à du R&B alternatif. Je ne sais pas vraiment à quoi ça correspond car je ne suis pas très doué pour classifier les artistes dans des catégories musicales particulières. Toujours est-il que Iri construit des morceaux qui sont un habile mélange de hip hop et de musique Soul. Je n’écoute pas beaucoup de hip hop ou de R&B, mais j’ai dû ici être attiré par le côté alternatif du son. Elle a une voix exceptionnelle que j’avais déjà repéré depuis quelques temps sur des morceaux plus anciens sur YouTube. Je me lance dans l’écoute de l’album après avoir découvert les trois premiers morceaux sur YouTube, en version raccourcie parfois, à savoir le morceau titre de l’album Shade, les morceaux Only One et Wonderland. Le deuxième morceau est tourné à Paris et je crois reconnaître le deuxième arrondissement et La Défense. Je suis tout de suite séduit par cette voix puissante et par ces rythmes imparables. Les trois premiers morceaux de l’album sont vraiment accrocheurs et les deux qui suivent, Common et Cake sont tout aussi bons, et même meilleurs dans une sorte d’apogée de l’album. Les deux morceaux suivants dont Flashlight, produit par Tofubeats, sont plus standards à mon avis, faisant comme une pause dans l’album. Les quatre morceaux qui suivent et qui terminent l’album sont par contre plus accrocheurs. Le neuvième morceau Peak, arrangé par Hidefumi Kenmochi ケンモチヒデフミ de Suiyoubi no Campanella (水曜日のカンパネラ) prend des sonorités plus latinos, par rapport au reste de l’album. Ces petits arrangements particuliers sont certainement ce qui fait que les morceaux de Iri se catégorisent en R&B alternatif. Iri fait intervenir plusieurs arrangeurs et producteurs différents sur chacun des morceaux. Je mentionnais Tofubeats et Hidefumi Kenmochi à l’instant, ou encore Yaffle de Tokyo Recordings sur Only One, mais il y en a d’autres dont je ne connais pas forcément le nom. J’ai acheté l’album sur iTunes vendredi soir dernier et on l’a beaucoup écouté ce week-end, notamment dans la voiture lors des déplacements du week-end. Mari n’a pas vraiment les mêmes goûts musicaux que moi, donc je choisis les morceaux que je vais passer dans la voiture avec une certaine appréhension. Disons plutôt qu’on a des goûts similaires sur certaines choses mais parfois à des périodes différentes. Mari me dit qu’elle écoutait Jun Togawa il y a plus de vingt ans, quand elle était étudiante en art, alors que moi je n’écoute cette musique que depuis l’année dernière. Ceci étant dit, ça ne me viendrait jamais à l’idée d’écouter des morceaux de Jun Togawa en famille dans la voiture, le style étant beaucoup trop décalé. En lançant les quelques morceaux de l’album de Iri, Mari reconnaît cette voix. Elle l’avait vu en concert avec une amie il y a 3 ans dans une salle de Daikanyama. Elle allait en fait voir chanter une amie d’enfance et Iri se produisait également sur scène ce soir là. C’est une coïncidence intéressante. C’était au tout début de sa carrière musicale. Après avoir écouté l’album deux fois en boucle avec interruptions, on passe à la radio et par un hasard amusant, Iri est invitée dans une émission musicale de la chaîne de radio J-Wave. Dans l’interview, elle nous parle de ses influences, de la conception de l’album, de ses origines. Elle vient de Zushi, petite ville côtière de la préfecture de Kanagawa. Nous y sommes allés quelques fois, mais lorsque l’on se déplace à Ofuna certains week-ends et qu’on se promène, on s’arrête en général un peu avant, à Hayama. C’est un coin que j’aime beaucoup. Iri nous explique aussi qu’elle a joué dans un festival en France. Je n’ai pas retenu le nom du festival, mais ça explique la vidéo du morceau Only One tournée à Paris. Je pense qu’elle a de belles années devant elle, alors qu’elle commence maintenant à se faire connaître.

i was a window

Je ne me souviens pas avoir déjà vu l’école Aoyama Technical College par l’architecte Makoto Sei Watanabe sous cet angle là, sur la première photographie de ce billet. J’ai déjà pris maintes fois en photo la façade principale ou celle arrière, mais on peut en fait entrevoir la face latérale à travers un espace ouvert entre deux buildings d’habitation. Depuis la face avant du building, on ne devine pas cette forme d’œuf et les implantations de tiges métalliques rouges pointant vers le ciel. Les photographies suivantes sont pleines de fenêtres et de reflections. On y distingue, à peine parfois, des formes humaines derrière ces vitrages. J’aime beaucoup l’agencement assez hétéroclite d’ouvertures sur le nouveau bâtiment montré sur la deuxième photographie. Je prends assez souvent en photo des mannequins placés à nu à l’intérieur des vitrines. Nous sommes à Shibuya et il y a un grand nombre de boutiques de mode vestimentaire. Ces mannequins forcément immobiles ont toujours un côté inquiétant, mais en même temps photogénique. Sur la quatrième photographie, il s’agit du grand magasin Seibu en plein centre de Shibuya. Je me suis souvent amusé en composition photographique avec ces répétitions de baies vitrées pseudo futuristes, mais je me retiens cette fois-ci. A vrai dire, j’avais commencé à triturer cette image en la superposant avec d’autres paysages de ville, mais il faut parfois savoir maîtriser ses pulsions créatrices. La dernière photographie est une autre représentation d’ouvertures mais dessinées cette fois-ci sur les devantures de protection d’un des nouveaux immeubles en construction à Shibuya. Quand au titre de ce billet en relation avec ces images, il s’agit du titre du premier morceau de l’album qui va suivre.

Images extraites des videos des morceaux « Free (feat. Devendra Banhart) » et « Not the time » de Sasami Ashworth disponible sur Youtube. Il y a une amusante allusion au groupe rock japonais The Blue Hearts sur la vidéo de Not the time où un groupe d’enfants appellent leur groupe The Linda Lindas.

Et qu’est ce qu’il est beau et délicat cet album que j’écoute en boucle depuis quelques jours. Il s’agit du premier album de SASAMI. Sasami Ashworth, de son nom complet, est compositrice et interprète américaine basée à Los Angeles, mais également musicienne touche-à-tout. Je la mettrais à côté de Deerhunter mais en version féminine au chant. J’attendais l’album discrètement depuis la sortie du premier morceau Callous, il y a plusieurs mois (en Avril 2018) et qui présageait du meilleur. Mitski fait part sur Twitter de la sortie de cet album. Il faut dire que Sasami Ashworth a déjà fait la première partie de quelques concerts de Mitski aux US. A la première écoute de l’album, le cinquième morceau Pacify My Heart me marque tout de suite. C’est ce style musical rock emprunt de mélancolie qui me parle le plus, musicalement, surtout quand le morceau se conclut par une partie instrumentale profonde en émotion (un peu comme Deerhunter sur des morceaux de Microcastle). Le morceau suivant At Hollywood, qui suit immédiatement après, est dans la même lignée émotionnelle. Je me dis à ce moment de la première écoute qu’il s’agit là d’un excellent album qui se révèle. Le shoegazing de My Bloody Valentine, plutôt période Isn’t Anything, me vient aussi en tête en écoutant certains morceaux comme le deuxième Not the Time. Il y a plusieurs invités sur l’album comme Devendra Banhart ou la française Soko sur l’avant dernier morceau Adult Contemporary. Elle chante en anglais et sa voix se mélange avec celle de Sasami au point où on n’arrive pas vraiment à les distinguer l’une de l’autre. L’album se termine avec le morceau Turned out I was everyone, sur une boucle où quelques paroles se répètent sans cesse jusqu’à l’obsession. Pour ne rien gâcher, j’aime beaucoup la pochette de l’album sur un morceau de banquise. Un album réussi est un tout, dommage que Pitchfork n’ait pas un peu plus boosté la note qu’ils lui donnent en revue.

vers la cascade

Ce n’est pas la première fois que nous allons au village de Hinohara, la seule et unique bourgade à l’appellation de village dans la préfecture de Tokyo. Nous sommes bien sûr bien loin du centre ville de Tokyo, à 1h20 environ en voiture. L’autoroute Chuo nous y amène. Il faut sortir un peu après Hachioji au niveau de la petite ville de Akiruno. Le père de Mari est enterré dans un grand cimetière près de la ville de Fussa, donc nous nous y rendons régulièrement, au moins une fois tous les trois mois. Nous en profitons souvent pour faire un petit détour vers Hinohara, se trouvant un peu plus dans les montagnes découpées par quelques petites rivières. Autant les villes de Akiruno et de Fussa n’ont pas beaucoup d’interêt, autant j’aime beaucoup aller à Hinohara. Hinohara est réputé pour ses cascades se déversant dans la rivière de Akigawa. Il y a une douzaine de cascades réputées, mais nous ne connaissons que celle de Hossawa, certainement la plus connue de toutes. Quand on entre à l’intérieur du village par la route unique qui le désert, on tombe sur un vendeur de Tofu appelé Chitoseya. Ils préparent et vendent également des donuts qui sont à se rouler par terre. En fait, on prétexte d’aller à Hinohara pour aller voir les cascades, mais en fait, on fait le déplacement pour les donuts de Chitoseya. J’exagère à peine.

L’entrée du chemin pédestre menant à la cascade de Hossawa se trouve à quelques mètres seulement du magasin Chitoseya. Le chemin longe en hauteur la mince rivière. Il est assez étroit mais très bien aménagé. On arrive au pied de la cascade en une petite vingtaine de minutes, en escaladant gentiment quelques rochers sur les derniers mètres. L’endroit est très reposant, d’autant plus qu’il n’y a pas grand monde en cette saison. La dernière fois que nous sommes venus ici, c’était en Novembre 2017. C’était à la fin de la saison des feuilles rouges d’automne, donc un nombre de visiteurs plus important qu’aujourd’hui. On apprécie le silence, le bruit de la rivière. Je pense soudainement au nouveau roman de Haruki Murakami, le Meurtre du Commandeur, dont je viens seulement de commencer la lecture des toutes premières pages. Une partie de l’histoire semble se passer en montagne et inconsciemment, je me mets à réfléchir à cet endroit dans l’ambiance « murakamienne ». La solitude des personnages de Murakami trouve écho dans ces lieux vides de monde, dans ces lieux propices aux réflexions intérieures. Ma réflexion intérieure, à moi, ne durera que quelques minutes. Parfois, j’aimerais avoir un peu plus de temps pour être dans la lune, rêvasser dans le vide ou presque, réfléchir dans le but unique de réfléchir, mais ce n’est pas le bon moment.

En redescendant de la cascade, nous repassons devant la maison verdâtre. C’est une petite boutique de souvenirs, se faisant appeler bureau de poste. Je ne suis pas certain qu’un véritable bureau de poste se trouvait ici autrefois. Un vieil homme est au guichet mais les clients étant peu nombreux, il a préféré aller à l’extérieur sur le chemin pour couper du bois à la hache. Je ne sais pour quelle raison nous engageons la conversation et par quel chemin nous en arrivons à parler d’activité sportive. Zoa lui dit qu’il aime courir et qu’il fait partie du club de course à l’école. Le vieil homme lui dit d’une manière assez catégorique qu’il faut qu’il s’efforce à courir plus vite que son père, que c’est le sens de l’évolution, que sinon l’homme redeviendrait singe. Ces considérations darwiniennes m’étonnent sur le moment. Je me dis que Zoa n’a pas grand mal à dépasser son père à la course. Le soir, de retour à Tokyo, nous allons nager tous les deux à la piscine du quartier comme tous les week-ends. On fait en général plusieurs séries d’allers et retours à la brasse dans la piscine de 25 mètres de long pour un total d’environ 1200 mètres. Zoa nage toujours devant et je le suis sans trop de difficultés. Ce soir là, j’ai pour la première fois un peu de mal à le suivre. Ça doit être la fatigue de la route qui me ralentit, mais je repense également aux paroles du vieil homme de la cabane de bois. Je me dis que Zoa a également dû y penser alors que nous nagions. Je ne lui poserais pas la question sur le chemin du retour de la piscine dans la nuit noire.

one imaginary form about to explode in the tormented sky of a station building while no one pays attention

Nous nous téléportons à l’intérieur de la gare de Shibuya, dans le centre névralgique du quartier où tout bouge sans arrêt. La population en mouvement ne fait plus attention à la grande fresque murale de Taro Okamoto intitulée Asu no Shinwa, le Mythe de Demain, et créée initialement en 1968-69 à Mexico. Elle a été installée à cet endroit dans la gare de Shibuya en 2008, et nous avions pu la voir pour la première fois en 2006 au pied de la tour de Nippon TV après sa restoration. Nous passions souvent par ici il y a plus de dix ans lorsque nous prenions le train depuis la gare de Shibuya pour Kichijoji, mais nous y allons désormais en voiture. J’avais un peu oublié cette fresque et je décide donc de m’arrêter un peu devant.