春休み#3〜Fujinomiya 2ème partie

À Fujinomiya, si le temps le permet, on peut cadrer une photographie du Mont Fuji à travers une gigantesque porte torii rouge. Je ne résiste bien entendu pas à l’envie de prendre cette photographie, somme toute évidente mais qui fait son effet tout de même. En plus de se trouver à l’entrée du Mt. Fuji World Heritage Centre de Shigeru Ban, le grand torii rouge démarque également l’entrée du sanctuaire Fujisan Hongu Sengen Taisha.

Depuis les temps anciens, le Mont Fuji fait l’objet d’un culte au Japon, notamment en raison de ses éruptions, il y a de très nombreuses années. Au 8ème et 9ème siècle, les croyances des villageois installés au pied du Mont Fuji disaient que ces éruptions répétées étaient la manifestation de la colère de la divinité du feu, Asama no Okami. On dit que le culte du Mont Fuji et la création de plusieurs sanctuaires, dont le Fujisan Hongu Sengen Taisha, datent de cette époque à partir des années 800, alors que de nombreuses éruptions avaient lieu. Les sanctuaires ont été construits au pied de la montagne et tout autour dans une tentative de pacifier la montagne sacrée, le principal sanctuaire étant le Fujisan Hongu Sengen Taisha. La dernière éruption du Mont Fuji date du 16 Décembre 1707. On l’appelle l’éruption Hōei, car elle a eu lieu pendant cette ère. Elle faisait suite à un grand tremblement de terre de niveau 8.7 sur l’échelle de Richter quelques semaines auparavant le 11 Novembre 1707. Le tremblement de terre faisant subir une pression sur la poche de magma située dans les profondeurs du Mont Fuji, l’a alors réveillé alors qu’il était inactif. Le Mont Fuji est actuellement dans un état actif, bien qu’il n’ait pas présenté d’éruptions depuis plus de 300 ans. On sait que le tremblement de terre du Tōhoku en Mars 2011 a pareillement augmenté la pression du magma sans heureusement produire de réaction volcanique.

J’ai en tête tout cela alors que je regarde cette montagne sacrée à la fois superbe et effrayante. C’est un paradoxe tout japonais. On se sent comme réconforté et protégé quand on aperçoit le Mont Fuji. On le guette dans le paysage pour essayer de le détecter derrière les nuages et on s’exclame à l’unisson lorsqu’on l’aperçoit soudainement. En même temps, cette montagne volcanique sous pression est capable de ravages à peine imaginable, si elle partait en éruption. Les prédictions disent que la propagation des cendres issues d’une éventuelle éruption pourrait atteindre Tokyo et recouvrir la ville de 2 à 10 cm de cendres. C’est certainement cette dualité qui pousse à l’admiration, ajoutée au fait que cette montagne, étant détachée et isolée de toute les autres, apparaît comme symbolique. Elle a la taille gigantesque d’un monstre qui effraie mais qu’on ne peut s’empêcher de voir.

Le sanctuaire Fujisan Hongu Sengen Taisha donne un excellent point de vue sur le Mont Fuji. On l’approche en longeant une rivière. C’est un endroit charmant, d’autant plus qu’il y a peu de monde. Il a peu de touristes, ce qui m’étonne un peu, mais c’est une bonne chose. Je reste un peu traumatisé par la visite du Tōdai-ji à Nara, il y a exactement un an de cela. A l’intérieur de l’enceinte du sanctuaire, le rouge vif du bâtiment principal en face de nous rivalise d’intérêt avec le cerisier en fleurs juste à côté. Les photographies des quelques visiteurs se tournent plutôt vers le cerisier, même s’il n’est pas encore en pleine floraison. Alors que la journée du sanctuaire se termine bientôt à 16h, je saisis ces instants paisibles en photographies par peur de ne plus m’en souvenir dans quelques années. En regardant les photographies maintenant, je me remémore la sensation des lieux.

Après avoir jeté un dernier regard sur le cône inversé posé sur l’eau du Mt. Fuji World Heritage Centre, il nous faudra vite reprendre la route pour rejoindre notre destination finale de la journée avant la nuit noire.

la fin des sakura à Inokashira

Même quand la saison des cerisiers en fleurs est terminée, il en reste encore un peu à montrer. Les photographies ci-dessus sont prises au parc Inokashira à Kichijoji le week-end dernier. Il y avait beaucoup moins de monde que d’habitude au moment du hanami, mais il y avait tout de même la foule typique des week-ends. Ce parc est particulièrement visité à tous moments de l’année. Les pédalos et barques étaient cependant plus nombreux que d’habitude sur l’étang du parc, car on pouvait naviguer sur l’eau en dessous des quelques cerisiers encore en fleurs. Je n’avais pas pris en photo ces pédalos en forme de cygnes depuis très longtemps car le sujet ne présentait pas beaucoup d’intérêt, mais j’y trouve ce jour-là un attrait particulier. Peut-être parce que la fin des cerisiers en fleurs vient prendre écho avec ces objets d’une autre époque. Je revois ici un certain charme de la désuétude, comme j’en parlais dans un billet précédent. Les photographies ci-dessus sont prises vers 4h du soir alors que les lumières se jaunissent et commencent doucement à s’estomper entre les feuilles du parc.

Je garde toujours une oreille attentive sur la musique de Fujimoto Chao 藤本ちゃお lorsqu’elle donne des liens sur Twitter vers ses nouveaux morceaux au fur et mesure qu’elle les construit. Le dernier morceau en date s’intitule Alone in the desert et je l’aime beaucoup, dans le style de l’album Yokoso bokura no homepage he. Comme souvent chez cette artiste, le morceau se compose d’un ou de plusieurs motifs électroniques plutôt sombres se répétant à l’infini, et sur lesquelles vient s’inscrire une voix parlée, parfois brouillée d’interférences. Sur la vidéo YouTube du morceau, Fujimoto Chao a monté sa musique sur des extraits du film Nobody Knows 誰も知らない de Hirokazu Kore-eda, et on comprend alors que les paroles du morceau sont directement inspirées par ce film. Comme j’en parlais dans un article précédent quand j’avais vu ce film, il m’avait beaucoup marqué par son histoire terrible et la force insoupçonnable des enfants (sujet continuel de Kore-eda), protagonistes principaux de cette histoire. J’imagine que Fujimoto Chao a dû également être marqué par ce film. Au bout de trois minutes, le morceau se termine brusquement par une coupure, comme dans un changement de scène du film.

春休み#2〜Fujinomiya 1ère partie

Sur la route menant vers la ville de Hamamatsu et le lac Hamanako, je voulais absolument m’arrêter à Fujinomiya au pied du Mont Fuji. On pouvait bien sûr admirer cette montagne majestueuse tout le long du voyage sur l’autoroute Shin-Tomei, mais je voulais voir la représentation architecturale que l’architecte Shigeru Ban en a fait pour le Mt. Fuji World Heritage Centre. Il s’agit d’un centre d’exposition dédié au Mont Fuji situé à Fujinomiya. Dès qu’on l’aperçoit, on est impressionné par cette forme ressemblant à un Mont Fuji disposé à l’envers, avec un socle comme plafond. Le cône renversé couvert d’un quadrillage de bois se resserrant à la base est lui même posé sur la surface d’eau d’un bassin. On accède au centre en traversant une gigantesque porte torii rouge et en faisant le tour du bassin. A l’intérieur du centre, le parcours de visite se déroule sur une surface hélicoïdale posée sur le cône renversé, pour retranscrire la sensation d’ascension du Mont Fuji. La surface intérieure du cône renversé se voit projetée des images du Mont Fuji prises en différents lieux et saisons. On grimpe ainsi à l’intérieur du cône jusqu’au socle formant le plafond. La surprise de la visite se présente là. Le toit du centre se compose d’un bloc blanc ouvert d’un côté et orienté vers le Mont Fuji. En entrant dans cette pièce, on aperçoit donc directement le Mont Fuji, cadré par les murs du bloc blanc. Nous avions de la chance, car le ciel était dégagé au moment de notre visite. Le ciel est en général très capricieux autour du Mont Fuji, et il n’est pas rare qu’il disparaisse complètement derrière les nuages en l’espace de quelques heures seulement, pour réapparaître un peu plus tard dans la même journée. La vue est magnifique et vaut le déplacement. On peut s’asseoir sur un des quatre bancs posés à l’intérieur du bloc blanc pour regarder la neige dégouliner du sommet du Mont Fuji, point culminant du Japon du haut de ses 3,776.24 m et inscrit depuis Juin 2013 au patrimoine mondial de l’UNESCO.

sakura blackout

Ces photographies prises dans la pénombre datent déjà d’il y a deux semaines pendant le pic de floraison des cerisiers. Nous voulions voir les cerisiers le soir dans les allées éclairées du parc de Ueno. Malheureusement, nous sommes arrivés un peu tard et les lumières étaient déjà éteintes, malgré la foule amassée au pied des cerisiers. Dans ces moments là, je laisse volontairement glisser l’appareil photo pour voir ce que le mouvement peut donner comme nouvelles formes vivantes. J’aime découvrir après-coup les nouvelles dynamiques qui se créent sur l’image. Le résultat ne fonctionne pas toujours quand le mouvement est trop brusque ou le flou est trop accentué. Il y a une balance à trouver et qui est extrêmement suggestive. Dans un autre style, la série d’architecture de Hiroshi Sugimoto est un modèle. Elle représente d’une manière volontairement floue un grand nombre d’oeuvres architecturales connues, à un degré qui permet tout juste de les reconnaître tout en gardant à l’image l’intérêt du bâtiment. C’est cette balance idéalement ajustée qui rend les images intéressantes. Je ne prétends que mes photographies ci-dessus soient intéressantes, mais j’ai ces idées en tête quand je sélectionne celles que je vais montrer ici. Pendant que j’écris ces quelques lignes, je ressors le livre Architecture de Hiroshi Sugimoto de l’étagère derrière moi pour le feuilleter quelques instants.

Parfois envie de crier comme Courtney Love sur Violet, premier morceau de l’album Live through this de Hole sorti en Avril 1994, une semaine après la mort de son illustre époux. On ne peut pas dire que j’aime le personnage de Courtney Love, mais j’aime la force de sa voix. Je ne me souvenais que des morceaux les plus connus de l’album comme Violet, Miss World et Doll parts, mais l’album en entier est très bon. J’ai plaisir à l’écouter ce soir dans le métro du retour pour dégager silencieusement tout le stress accumulé de la semaine qui se termine finalement.

春休み#1〜Toraya Kobo

Je reviens en photographies et en plusieurs épisodes intitulées 春休み (Haru Yasumi ou vacances de printemps) sur les quelques jours passés en dehors de Tokyo, lors d’une semaine de congés au mois de mars. Nous sommes partis en voiture depuis Tokyo jusqu’au lac de Hamanako dans la préfecture de Shizuoka. Je n’ai pas fait les 260kms d’une traite car nous avons fait quelques escales en cours de route. Le premier arrêt était à Gotemba, entre Hakone et le Mont Fuji, dans le quartier de Higashiyama. Un atelier faisant salon de thé de la maison Toraya est installé là dans une forêt privée, sur le terrain de la résidence de l’ancien premier ministre japonais Nobusuke Kishi (1896-1987). La résidence construite en 1969 par l’architecte Isoya Yoshida est située dans un coin du domaine et on peut la visiter. L’atelier Toraya Kobo とらや工房 est un élégant bâtiment de bois tout en courbe. Son design est de Hiroshi Naito comme pour beaucoup de boutiques et salons de thé Toraya. Il fait un peu frais dans ces basses montagnes mais on peut tout de même profiter dans la terrasse extérieure pour déguster les spécialités wagashi de la maison avec un peu de thé. Nous nous assiérons tout de même à l’intérieur. L’endroit est extrêmement calme, perdu dans la nature. On accède au domaine par une ancienne porte au toit de chaume qui donne ensuite sur une forêt de bambous. On a du mal à imaginer qu’un salon de thé se trouve ici dans les bois. Nous reprenons ensuite la route vers le Mont Fuji, après cette courte pause fort agréable.