Sumida Lifetime Learning Center par Itsuko Hasegawa

Mon passage près de la tour Tokyo Sky Tree il y a quelques semaines avait pour objectif d’aller voir le Sumida Lifetime Learning Center conçu par l’architecte Itsuko Hasegawa (長谷川逸子). Ce centre également appelé Yūtoriya a été construit en 1994, mais sa conception aurait démarré dès 1990. On remarque bien, dans ce building ressemblant à une station orbitale ayant atterri sur terre, toute l’exubérance architecturale caractéristique de la bulle économique prête à éclater. Ce genre de constructions atypiques est extrêmement intéressant car cette architecture ressemble plus à une œuvre d’art qu’à un bâtiment fonctionnel. J’avais déjà quelques autres photos de ce bâtiment sur mon compte Instagram.

because friends don’t waste wine when there’s words to sell

Je ne suis pas passé à Monzen-Nakachō (門前仲町) depuis Mai 2014, si j’en crois les archives de mon blog. Made in Tokyo me permet de me rappeler où je suis allé et quand (à peu près) sur les 20 dernières années (à peu près). Je précise “à peu près”, car j’omets bien sûr volontairement beaucoup de choses. Mais une chose est sûre, je continue à amener systématiquement avec moi mon appareil photo, peu importe l’endroit où nous allons, et j’ai donc au moins une photo de chaque endroit où je ou nous sommes allés. Dans le billet de Mai 2014, je montrais déjà l’étrange hall Hondō (本堂) recouvert de textes en caractères sanskrits construit quelques années avant en 2011. Je voulais en fait le revoir et c’était une des raisons premières de ce passage à Monzen-Nakachō. Ce grand temple s’appelle Fukagawa Fudōdō (深川不動堂) ou Fukagawa Fudōson (深川不動尊). C’est un temple bouddhiste de la secte Shingon et il fait partie du temple Naritasan (成田山) dans la ville de Narita à Chiba. Je remarque que, par rapport à 2014, le hall Hondō a été étendu. On accède à Fukagawa Fudōson par une petite rue assez animée. Il n’y a pas foule dans l’enceinte du temple mais un flot ininterrompu de visiteurs, parmi lesquels quelques étrangers (dont je fais partie). Je remarque d’ailleurs un retour sensible des touristes étrangers, ce qui est une bonne nouvelle car le retour à une situation normale semble proche. Enfin, je n’ai aucune idée précise s’il s’agit vraiment de touristes ou de personnes comme moi vivant au Japon depuis 10 ou 20 ans. Les deux premières photographies du billet montre le grand sanctuaire Tomioka Hachimangu (冨岡八幡宮) qui est en comparaison beaucoup plus calme. On y préparait pourtant une estrade à l’occasion du festival Tsukimi (月見) honorant la lune d’automne le 10 Septembre. Je continue ensuite ma marche vers un petit quartier préservé de l’ère Showa (1926-1989) appelé Tatsumi Shindō (辰巳新通). Ce petit quartier comprend deux ruelles piétonnes dont la plus longue doit faire une cinquantaine de mètres. Tatsumi Shindō est rempli d’une trentaine de petits bars et restaurants. Je m’attarde, en photos seulement, sur le restaurant appelé Izumi (いずみ), préparant une cuisine fait maison, car un vélo rouge a eu la bonne idée de se stationner devant l’unique arbre de la ruelle principale. Et cette rue paisible est dans l’ensemble très photogénique lorsque le soleil fort du milieu de journée nous laisse présager l’obscurité à l’intérieur de ces bars et restaurants avant l’activité du soir. Je continue ensuite à marcher dans le quartier de Fukagawa en direction de la station de Kiyosumi Shirakawa. On dit qu’on y trouve de nombreux cafés. Je m’arrête quelques instants dans celui appelé B2 faisant également boulangerie (souvenez-vous que je le déplace souvent en fonction des boulangeries). J’hésite entre écrire sur mon smartphone ou rêvasser. Je privilégie la deuxième solution pour observer le va-et-vient des clients.

Relire le texte de ce billet de Mai 2014 montrant Monzen-Nakachō me rappelle que ça fait de nombreuses années que je me préoccupe du peu de commentaires que je peux recevoir sur les billets de ce blog. J’en étais même venu à couper la possibilité d’écrire des commentaires mais c’était heureusement de courte durée. Ce billet est également le seul n’ayant pas de titre, car j’avais eu l’idée de créer un flot ininterrompu de photographies. Mais ça aurait très vite été ingérable dans WordPress. Bref, ce sont deux mauvaises idées que je n’ai heureusement pas conservé, mais j’avais quand même à cette époque une volonté de faire évoluer ce blog vers quelque chose d’autre. Ce type de réflexions se fait malheureusement de plus en plus rare. Et au sujet du titre de ce billet, il est tiré des paroles du morceau Obstacle 2 d’Interpol sur Turn on the Bright Lights (dont je parlais hier). J’aime beaucoup cette phrase même si je n’ai jamais vraiment réussi à comprendre sa signification exacte.

because it’s easy to come by, much harder to let it go

Je prends souvent l’excuse d’aller acheter du pain pour aller au quatre coins de Tokyo. Sauf que la plupart du temps, c’est Mari qui me donne l’adresse de la boulangerie où je vais aller. Cette fois-ci, je pars vers Nippori, traverse le grand cimetière de Yanaka pour trouver une boulangerie appelée Atari à Ueno Sakuragi (上野桜木あたり). Elle est logée dans un ensemble de petites maisons de bois préservées. Le pain rustique y est excellent. Le temps était pluvieux lors de ma visite mais j’ai heureusement échappé aux averses soudaines qui frappaient assez souvent le pays à ce moment. Avant d’arriver à cette boulangerie, je me perds bien sûr volontairement en route car il faut bien se perdre pour trouver des endroits que l’on ne connaît pas. En l’occurence, je n’arrive pas vraiment à me perdre cette fois-ci car je tombe sur des lieux que j’avais déjà pris en photo en Juillet 2020 pour une petite série intitulée Obake ga Mienai kedo (お化けが見えないけど) (épisode 1, 2 et 3). Il faut dire que j’avais beaucoup marché dans ce quartier en Juillet 2020.

Je suis clairement reparti dans une période rock indé mais cette fois-ci loin du Japon et en partance pour New York, avec un groupe que je ne connaissais pas appelé Been Stellar (et non pas Ben Stiller comme je l’avais d’abord lu rapidement). J’ai découvert ce groupe avec le dernier morceau intitulé Ohm de leur EP éponyme alors qu’il passait dans l’émission Tokyo Moon de Toshio Matsuura sur la radio InterFM. L’émission passe le dimanche soir de 17h à 18h et on est très souvent en déplacement en voiture à cette heure là ce qui fait que je l’écoute régulièrement mais rarement en intégralité. Tokyo Moon se présente comme un programme musical pour adultes curieux. Cette définition est en fait assez fidèle au ton de l’émission qui ne plaisante pas mais nous fait découvrir plein de nouvelles musiques aux styles divers et variés, mais avec une tendance jazz et ambient quand même assez présente. La musique qu’on y passe ne me laisse presque jamais indifférent même si je ne me retrouve que rarement à acheter la musique que j’y entends. A part cet EP de Been Stellar qui me plait tout de suite et que j’achète très rapidement sur iTunes. Il est également disponible sur Bandcamp et je me demande maintenant pourquoi je ne me le suis pas procuré sur Bandcamp. Il s’agit de rock alternatif sur cinq morceaux tous aussi bons les uns que les autres. Le son rock n’est pas vraiment novateur mais les guitares patfois plaintives sont très attirantes et la passion vocale très convaincante. Je n’arrive pas à vraiment pointer du doigt quels groupes cette musique me rappelle. En fait, je n’ai trouvé que peu d’information sur le groupe en lui-même à part une interview, nous rappelant notamment que le rock a été longtemps absent de la scène new-yorkaise depuis The Strokes et leur fameux album Is This It?, que j’avais personnellement beaucoup aimé et écouté à l’époque au début des années 2000 et qui me rappelle l’époque insouciante de ma jeunesse où on faisait souvent des Homeparty avec plein de monde chez les uns et les autres. S’il y a quelque chose que j’apprécie beaucoup au Japon musicalement, c’est le fait que le rock indé y est loin d’être mort ou moribond. Been Stellar est un groupe de Brooklyn composé de cinq membres: Sam Slocum au chant, Skyler St. Marx et Nando Dale aux guitares, Nico Brunstein à la basse et Laila Wayans (la seule fille du groupe) à la batterie. Ils définissent leur son comme étant quelque part entre Sonic Youth et Oasis, ce qui est vraiment très large comme spectre musical rock. Le son des guitares, notamment les courtes parties solo, et cette passion vocale dont je parlais plus haut me rappelle parfois un autre groupe new-yorkais, Interpol, même si rien n’égale la voix toute en complainte de Paul Banks (Turn On The Bright Lights sorti en 2002 est un chef-d’oeuvre). Enfin bref, écouter cet EP me rappelle que le rock new-yorkais me manque beaucoup et j’aimerais découvrir d’autres EPs et albums de ce style, surtout quand ils sont aussi bons que cet EP de Been Stellar.

Mokuzai Kaikan

J’ai déjà montré dans un billet précédent des photographies du parc de Yumenoshima (l‘île des rêves) mais j’allais presque oublier de montrer des photos du building que j’étais avant tout venu voir lors de ce passage à Shin-Kiba, il y a quelques semaines. Il s’agit du Mokuzai Kaikan par Tomohiko Yamanashi et Takeyuki Katsuya de Nikken Sekkei. Il s’agit des bureaux de l’association des grossistes en bois. Le concept du building est de montrer l’attrait de l’utilisation du bois en architecture, comme Kengo Kuma le fait également très bien. L’alliance du béton brut avec l’agencement apparemment aléatoire des éléments de bois rend l’ensemble très élégant. J’aurais aimé voir ici un building de plusieurs étages entièrement construit en bois, comme celui novateur installé à Oiso dans la préfecture de Kanagawa, mais celui-ci a tout de même un design de façade très intéressant. Je ne suis pas sûr qu’on puisse se déplacer librement à l’intérieur, mais j’y suis allé un dimanche et le hall d’entrée était de toute façon fermé. Comme le nom le suggère, les zones de Kiba et Shin-Kiba sont historiquement liées à l’industrie du bois de construction. Kiba était devenu le centre principal pour cette industrie dès 1657 suite à une décision du shogunat Tokugawa. Shin-Kiba est une zone gagnée sur la baie qui a ensuite été utilisée par cette industrie du bois de construction à partir des années 1970, en remplacement de Kiba. Et pour en savoir un peu plus sur ce building, je laisse un lien vers un article de The Architectural Review.

Hitachi Station par Kazuyo Sejima

L’idée nous est soudainement venue d’aller à Hitachi, petite ville côtière située dans la partie Nord de la préfecture d’Ibaraki. Comme son nom le laisse fortement penser, le groupe industriel Hitachi connu mondialement pour ses produits électriques, a vu le jour ici en 1910. La maison mère du groupe ne se trouve plus actuellement à Hitachi, mais de nombreuses usines y sont implantées faisant de cette ville un grand centre industriel. L’objectif de notre visite à Hitachi n’était pas de faire le tour des usines mais d’aller voir la station de trains JR et accessoirement l’océan placé juste en face. J’avais en tête depuis longtemps d’aller voir la gare d’Hitachi, mais l’occasion d’aller aussi loin dans la préfecture d’Ibaraki ne s’était pas présentée jusqu’à maintenant. Il fallait en fait provoquer cette occasion car on n’avait a priori pas d’autres raisons d’aller dans cette ville aussi loin de Tokyo. La gare a été conçue par Kazuyo Sejima (妹島和世) qui est en fait originaire de cette ville et a ouvert ses portes en 2011, l’année du grand tremblement de terre du Tohoku. J’imagine que les effets du tsunami qui s’en suivit ont été visible jusqu’à Hitachi.

On retrouve dans la conception de la gare d’Hitachi les éléments caractéristiques de l’architecture de Kazuyo Sejima, à savoir les immenses baies vitrées qui composent la totalité des murs de l’édifice. Cela donne un grand espace (3,568㎡) ouvert sur l’extérieur. L’activité à l’intérieur de la gare est donc visible depuis l’extérieur. Je suis toujours assez sceptique quant à cette transparence pour des résidences privées car les propriétaires finissent toujours par laisser les rideaux fermés en permanence, mais la transparence fonctionne très bien pour un bâtiment ouvert au public. Elle en devient même fonctionnelle. De la ville jusqu’à l’océan, le terrain forme plusieurs strates. L’entrée de la station est située au niveau de la ville et est accessible directement sans escaliers ou escalators depuis la rue et les parkings à voitures, bus ou taxis. La station est posée sur des piliers une strate plus bas, ce qui fait qu’elle est surélevée dans sa totalité pour rester au niveau de la ville. L’entrée de la station donne accès un long couloir de verre desservant deux principaux embranchements de la station, un premier donnant accès à la billetterie et aux quais de la ligne de train Joban et un deuxième embranchement plus petit contenant un café. Le long couloir est perpendiculaire à l’océan. L’océan au loin se révèle alors qu’on avance petit à petit à l’intérieur. Je montre ce couloir sur la deuxième photographie et la vue finale sur l’océan sur la troisième photographie. Plusieurs bancs appelés Flower sont placés devant cette grande baie vitrée donnant une vue imprenable sur l’océan. On trouve ces bancs en forme de trèfles à trois feuilles à plusieurs endroits dans la station et à l’extérieur. Ils ont été dessinés en 2001 par SANAA (Kazuyo Sejima et son collègue Ryūe Nishizawa), initialement pour la bibliothèque pour enfants de la médiathèque de Sendai conçue par l’architecte Toyo Ito. Il faut savoir que Kazuyo Sejima a fait ses débuts d’architecte dans l’agence de Toyo Ito en 1981 avant de fonder sa propre agence quelques années plus tard en 1987, puis SANAA avec Ryūe Nishizawa en 1995. Ces bancs Flower sont utilisés dans d’autres créations architecturales de SANAA comme le Rolex Learning Center en Suisse ouvert en 2010. La marque Vitra développa d’ailleurs un modèle produit en petites quantités pour les besoins de divers projets mais je ne suis pas certain que ce banc soit actuellement disponible à la vente. Je montre également un modèle placé à l’extérieur sur la septième photographie du billet.

L’architecture de Kazuyo Sejima devient impressionnante et, je dirais même sublime, au niveau du café situé dans le deuxième embranchement de la gare d’Hitachi. L’emplacement des piliers blancs fait qu’une partie du bloc de verre et d’acier portant le café vient se détacher dans le vide. L’ensemble donne une impression de légèreté et est d’une grande élégance. L’espace dessous la station est complètement ouvert et accessible depuis la station par des escalators et ascenseur. On peut s’y asseoir et regarder l’océan. Cet espace donne également accès à un deuxième petit parking automobile. Un large escalier de métal permet de descendre de la strate où se trouve la station jusqu’à l’océan. L’escalier permet les vues d’ensemble que je montre de la station sur les sixième et huitième photographies. L’impression de légèreté de l’ensemble se fait particulièrement sentir depuis ce point de vue, renforcé par son emplacement au bord d’une élévation naturelle du terrain au dessus du niveau de la mer. Le grand escalier que nous empruntons permet de connecter la station avec les quelques habitations placées au niveau de la mer, mais sert également de chemin d’évacuation pour ces habitants là en cas de tsunami. Je me demande si les habitations étaient beaucoup plus nombreuses au niveau de l’océan avant le tremblement de terre et le tsunami de Mars 2011.

Nous avons déjeuné dans le café, appelé Sea Birds Café, placé en face de l’océan. Il faut arriver un peu en avance car l’endroit est assez prisé. La météo était changeante mais nous avons échappé à la pluie lors de notre passage. C’est agréable de manger et de boire un café tout en regardant l’océan. Il faut juste faire abstraction de l’autoroute de béton placée les pieds dans l’eau au bord de l’océan. Cette voie rapide ne suit pas toute la côte mais passe juste devant la station avant de rentrer un peu plus tard dans les terres. On l’empruntera quand même volontairement sur le chemin du retour vers Tokyo pour admirer l’océan d’un côté et la station de l’autre. L’intérieur du café est vraiment très agréable car très lumineux. J’imagine qu’il peut être par contre difficile de rester longtemps à l’intérieur lors d’une journée fortement ensoleillée. On pourrait facilement s’endormir à l’intérieur si les fauteuils étaient plus confortables et le permettaient. J’étais d’ailleurs surpris de ne pas voir à l’intérieur du café les fameuses chaises de SANAA en forme d’oreilles de lapin. Nous reprendrons ensuite la route en essayant de passer au plus près de l’océan pour éviter les nombreuses usines Hitachi. Le bord de mer est en grande partie protégé par des murs de béton. On distingue difficilement les plages en roulant depuis la route longeant la côte. La pluie commence de toute façon à tomber et il faut donc penser au retour. Quelques autres photos de la gare d’Hitachi sont visibles sur mon compte Instagram.