コンクリートも詩

Après une première visite en Décembre 2024 avant son ouverture officielle, je reviens déjà voir le Sony Ginza Park car on y montre une autre exposition intéressante que j’ai pourtant failli manquer pensant avoir tout le temps devant moi pour y aller. L’exposition Sony Park Exhibition 2025 (Sony Park展 2025) explore six domaines dans lesquels Sony est engagé dont la Musique, les Semi-conducteurs, la Finance, les Jeux Vidéo, les Technologies de l’Entertainment et le Cinéma, en les associant à six groupes d’artistes. L’exposition se décompose en deux parties distinctes. La première partie que j’ai été voir se déroulait du 26 Janvier au 30 Mars 2025 et la deuxième partie démarrera le 20 Avril pour se terminer le 22 Juin 2025. L’exposition de la première partie se déroulait sur les troisième et quatrième étages et au deuxième sous-sol. L’entrée était gratuite mais il fallait réserver à l’avance, ce qui n’était pas chose aisée, car les disponibilités ne semblaient apparaître qu’au compte-gouttes sur le site web de réservation. Je me suis donc connecté quelques fois et j’ai dû avoir un peu de chance. La première partie faisait participer Vaundy, Yoasobi et Hitsuji Bungaku (羊文学) tandis que la deuxième partie invitera les rappeurs de Creepy Nuts, le groupe de filles coréen Babymonster et le musicien Kensuke Ushio (牛尾憲輔). Il est clair que j’avais un intérêt très prononcé pour la première partie de cette exposition. Même sans billet, on peut se promener à l’intérieur du chef d’oeuvre brutaliste qu’est le Sony Ginza Park. Des affiches colorées des artistes invités sont montrées à différents endroits du building, ainsi que des étranges rubans adhésifs décoratifs reprenant les noms des artistes et des sections de l’exposition les concernant. Les couleurs vives de ces rubans sur le béton apportent un contraste intéressant pour le photographe, et j’accumule les photographies que j’aurais un peu de mal à sélectionner ensuite. Sur certains murs intérieurs, on peut également voir écrit en couleur blanche quelques lignes de poésie du groupe Hitsuji Bungaku s’ondulant comme un cours d’eau.

Je voulais commencer ma visite par l’espace d’exposition dédié à Hitsuji Bungaku au quatrième étage mais le programme était déjà en cours et on me conseille plutôt de descendre d’un étage pour aller voir celui de Yoasobi. Ce programme s’intitule Semiconductors create new realities (半導体は、SFだ。). Les programmes que l’on peut voir ne sont que très vaguement inspirés par les titres qui semblent seulement être là pour rappeler les diverses activités du groupe Sony. Avant d’entrer dans l’espace d’exposition, chacun doit rentrer un prénom ou surnom sur une borne en indiquant son état d’humeur actuel. La borne crée un petit logo animé avec le prénom en inscription qui voyagera sur les écrans immersifs de l’exposition. On entre ensuite dans un espace fermé dans lequel est diffusé le morceau Heart Beat de Yoasobi. Les murs et le sol sur lequel on marche sont recouverts de logos colorés bougeant au rythme de la musique du morceau. Le sol est tactile, utilisant une technologie haptique de Sony R&D, et les petits logos que chaque visiteur a créé réagit à nos mouvements. L’experience musicale est englobante et amusante, mais je reste quand même sur ma faim car le tout reste d’apparence assez simple, connaissant ce que Team Lab peut par exemple créer en comparaison.

Je monte ensuite au quatrième étage pour aller voir l’exposition dédiée à Hitsuji Bungaku, intitulée Finance details life (ファイナンスは、詩だ。). Là encore, le titre n’a strictement rien à voir avec ce que l’on va voir. La salle du quatrième se compose d’un large écran placé devant un bassin d’eau. Le programme intitulé Floating Words se concentre sur les paroles et la musique de deux morceaux du groupe: more than Words et Hikaru Toki (光るとき). Nous sommes assis sur deux rangées dans l’obscurité devant le long écran et le bassin. La voix de Moeka Shiotsuka se fait d’abord entendre dans une courte narration abordant la force des mots. On verra ensuite ces mots tourbillonner au rythme des deux morceaux sur l’écran géant se reflétant sur le bassin. Il s’agit là encore d’une expérience immersive, que j’ai trouvé très réussie car la musique me plaisait beaucoup plus et les motifs de mots se créant sur l’écran nous accaparaient le regard comme un torrent mouvementé dont on essaie de suivre des yeux les moindres virages. Une deuxième partie de cette exposition nous fait marcher sur un sol utilisant encore une fois la technologie haptique pour simuler une fine épaisseur d’eau.

Je descends ensuite au deuxième sous-sol pour la partie de l’exposition consacrée à Vaundy, intitulée Music comes after a long journey (音楽は、旅だ。). Ce titre correspondait plutôt bien à ce que l’exposition nous proposait. L’espace, de couleur orangée correspondant bien au code couleur de Vaundy, proposait des bornes d’écoute. On nous donne d’abord un casque Sony (ceux qu’on peut voir lors des émissions The First Take sur YouTube) et on se connecte de borne en borne pour écouter des morceaux sélectionnés par l’artiste. Vaundy a sélectionné environ 200 morceaux dont on ne voit que le titre affiché. Il faut se connecter pour découvrir les morceaux, ce qui peut donner d’heureuses découvertes. Certains objets en référence aux morceaux sont tout de même posés sur des étagères faites de grands volumes en carton. Un QR code nous permet de découvrir le nom de l’artiste accompagné du titre du morceau et d’un commentaire succinct de Vaundy. C’est finalement l’endroit où j’ai passé le plus de temps, plus d’une heure, car on se prend au jeu des écoutes. J’y ai fait quelques découvertes mais également volontairement écouté des morceaux que je connaissais déjà, en étant d’ailleurs agréablement surpris de voir deux morceaux de My Bloody Valentine parmi cette immense playlist. Je ne résiste pas à l’envie de garder ci dessous une trace des morceaux que j’ai écouté et que j’ai aimé, pour y revenir plus tard. Je garde aussi en note encadrée le commentaire de Vaundy pour chaque section de l’exposition.

1. betcover!! – Yūrei (幽霊) [なんか、乱舞 – Quelque chose d’une danse sauvage]
2. Joe Hisaishi Ensemble (久石譲 アンサンブル) – Kids Return [なんか、黄昏 – Quelque chose comme le crépuscule]
3. Yura Yura Teikoku (ゆらゆら帝国) – Kūdō Desu (空洞です) [なんか、黄昏 – Quelque chose comme le crépuscule]
4. My Bloody Valentine – only shallow [なんか、哀愁 – Quelque chose de la tristesse]
5. My Bloody Valentine – when you sleep [なんか、哀愁 – Quelque chose de la tristesse]
6. The White Stripes – Seven Nation Army [なんか、乱舞– Quelque chose d’une danse sauvage]
7. David Bowie – Heroes [なんか、希望 – Quelque chose comme l’espoir]
8. Original Love – Seppun (接吻) [なんか、希望 – Quelque chose comme l’espoir]
9. The Flaming Lips – Yoshimi Battles the Pink Robots, Pt.1 [なんか、乱舞 – Quelque chose d’une danse sauvage]
10. Nayutan Seijin (ナユタン星人) – Taiyōkei desuko (太陽系デスコ) [なんか、乱舞 – Quelque chose d’une danse sauvage]
11. Karasu (鴉) – Sudachi (巣立ち) [なんか、情熱 – Quelque chose comme la passion]
12. Blur – Song 2 [なんか、乱舞– Quelque chose d’une danse sauvage]

On écoute chaque morceau et on cherche ensuite rapidement le suivant avec une urgence ressemblant à un manque, comme si on n’avait que dix minutes devant nous pour apprécier une dernière musique avant la fin du monde. Je réutilise là un des messages affichés par Vaundy sur les volumes de cartons (まるで、世界が終わる10分前。). De Vaundy, on ne peut en fait écouter qu’un seul morceau, Odoriko (踊り子) sur une borne spéciale. Sur cette borne là comme sur certaines autres, on peut s’assoir tranquillement en écoutant la musique dans les écouteurs. On entre dans son monde musical tout en regardant les autres visiteurs voyager de borne en borne ou ressentir le rythme de ce qu’ils où elles écoutent. C’est au final l’expérience musicale la plus intéressante de l’exposition.

そんな人類みんなに愛は光

La destination était l’île de Tennōzu Isle (天王洲アイル), construite sur des terrains gagnés sur la baie de Tokyo. Je suis venu voir le musée ARCHI-DEPOT, qui se trouve juste à côté et fait partie du complexe WHAT MUSEUM (WHAT = Warehouse of Art TERRADA). ARCHI-DEPOT nous montre un grand nombre de maquettes architecturales d’architectes japonais renommés tels que Kengo Kuma. L’espace où sont montrées ces maquettes ressemble vraiment à un entrepôt. Il s’agit de l’activité principale de l’entreprise Terrada possédant de nombreux entrepôts, ce qui inclut le stockage sécurisé des œuvres d’art de collectionneurs. J’ai apprécié la visite mais ce genre d’exposition ne s’adresse pas aux néophytes. J’ai plutôt le sentiment que ce musée s’adresse en priorité aux étudiants en architecture. C’est intéressant de voir la manière parfois très détaillée par laquelle sont représentées des œuvres architecturales vues en réalité dans les rues de Tokyo. J’ai particulièrement apprécié les modèles de l’architecte Yuko Nagayama, qui je pense n’ont pas tous été construits comme les espaces courbes du complexe Hifumi (2009) et ceux de l’université Kyōai Gakuen Maebashi Kokusai Daigaku (共愛学園前橋国際大学, 2011). Je suis quand même un peu déçu par l’exposition en cours car je pensais y voir une grande maquette en bois de la pagode du temple Hōryūji (法隆寺) de Nara, mais il s’agissait d’une exposition ayant lieu l’année dernière et donc déjà terminée depuis longtemps.

Après être sorti de l’exposition, je marche un peu dans le quartier pour voir ce qui a changé. Depuis l’année 2019, Tennozu Isle organise le festival TENNOZ ART se tenant dans les rues du quartier avec l’installation progressive de nouvelles œuvres d’art. Je découvre cette fois-ci une grande fresque peinte par l’artiste Meguru Yamaguchi (山口歴) sur une des façades du bâtiment Terrada Warehouse T33 le long du canal Tennozu. Cette oeuvre immense mesurant environ 40 mètres de haut et 22 mètres de large reprend très librement un motif de dragon inspiré de Katsushika Hokusai (葛飾北斎). Les deux dernières photographies du billet jouent sur les similitudes de formes mais sur des plans différents. C’est intéressant comme des associations de formes à priori quelconques peuvent parfois attirer notre regard. Sur la dernière photographie, la toiture courbe n’est normalement pas visible depuis la rue, car elle devait auparavant être cachée par un bâtiment démoli depuis, laissant place à un terrain vague. Ça me rappelle la maison individuelle Small House de Kazuyo Sejima dont la façade la plus intéressante, architecturalement parlant, était visible car orientée sur un terrain vague. Le terrain étant depuis plusieurs années occupé par une nouvelle construction, on ne peut plus accéder à cette vue qui sera peut être à jamais cachée. Tout cela pour dire qu’il faut rester curieux avec les yeux grands ouverts, car on ne sait pas toujours ce qui peut apparaître ou disparaître soudainement.

J’ai également les oreilles grandes ouvertes pour écouter le remix du morceau Electricity d’Utada Hikaru (宇多田ヒカル) par la musicienne Arca, de son vrai nom Alejandra Ghersi Rodríguez, originaire du Venezuela et basée à Barcelone. Il est rare qu’un remix soit pour moi meilleur qu’un morceau original, mais c’est bien l’impression que me donne ce remix par Arca. On ne perd pas la voix d’Utada Hikaru mais l’ambiance électronique est très différente. L’atmosphère y est très dense et sophistiquée, avec une belle profondeur sonore sans cesse attaquée par des glitches électroniques. J’aime beaucoup la manière par laquelle Arca joue avec les répétitions de paroles, sans que celles-ci s’entrechoquent avec une grande maîtrise des agencements. Dans la musique d’Arca, j’aime revenir vers le morceau Alive de son album Mutant sorti en 2015. Par sa complexité et sa violence, ce morceau illustre pour moi toutes les batailles intérieures qui signifient d’être vivant. J’imagine très bien que la musicienne a dû en faire des batailles intérieures. C’est en tout cas assez étonnant de voir Utada Hikaru et Arca travailler ensemble. Le fait qu’elles soient toutes les deux basées en Europe a peut-être facilité un rapprochement, mais on voit de toute façon de plus en plus de coopérations internationales entre artistes japonais et étrangers. Une des dernières collaborations en date est entre l’artiste norvégienne Aurora et Atarashii Gakko! (新しい学校のリーダーズ) avec un morceau intitulé Some Type of Skin. Je n’accroche pas complètement au morceau mais il a eu le mérite de me faire écouter d’autres morceaux d’Aurora qui sont vraiment excellents comme All is Soft Inside et Queendom de l’album Infections Of A Different Kind – Step 1 (2018), puis The River, Apple Tree et The Seed de l’album A Different Kind Of Human – Step 2 (2019). Aurora est passée récemment en concert à Tokyo et j’ai vu plusieurs artistes que je suis, comme AiNA The End ou Haru Nemuri, montrer des photos de ce concert sur Instagram. Cela m’a également incité à jeter une oreille à sa musique.

コンクリートもスウイング

Le nouveau building Ginza Sony Park, conçu par Takenaka Corporation, est officiellement toujours en construction et ouvrira ses portes en Janvier 2025. Un programme artistique de pré-ouverture intitulé ART IN THE PARK (Under Construction) s’y déroule pourtant depuis le 19 Novembre 2024 et on peut visiter le building pour voir les œuvres présentées en réservant sa place à l’avance. On y montre les créations de trois artistes: Shun Sudo, Koji Yamaguchi (山口幸士) et Takuro Tamayama (玉山拓郎). J’avais réservé ma place pour le Samedi 23 Novembre car j’étais vraiment très intrigué de voir l’intérieur de cet étrange bloc de béton ressemblant à bunker brutaliste, pourtant grandement ouvert sur le grand carrefour de Sukiyabashi à Ginza. J’étais également assez curieux de voir les graffitis floraux de Shun Sudo mis en situation dans cette architecture. Shun Sudo est familier du Ginza Sony Park, car il avait déjà agrémenté de ses illustrations les longs murs blancs entourant pendant plusieurs mois les travaux du site. Les objets lumineux conçus par l’artiste Takuro Tamayama, originaire de Gifu mais actuellement basé à Tokyo, sont particulièrement bien adaptés à l’architecture de béton du building. Les lumières rouges et vertes des tubes de ses installations viennent éclairer des pans entiers de murs du building avec un subtil dégradé de luminosité. Certains de ses objets lumineux courbes sont installés dans les sous-sols du building et apportent une ambiance tout à fait particulière, assez irréelle. Je commence la découverte du building par ses sous-sols pour ensuite remonter le grand escalier de béton qui nous amène à l’étage. Le building est tellement brut de décoffrage qu’on a du mal à vraiment comprendre s’il est terminé ou si des revêtements de surface viendront agrémenter les parois du building. On trouve toujours des échafaudages sur certaines zones en construction et on se demanderait presque s’ils sont destinés à rester là en permanence comme un élément à part entière de l’architecture. Le quadrillage métallique couvrant une grande partie des façades pouvait d’abord surprendre mais on comprend maintenant qu’il sert de support pour des grandes affiches comme celles qu’on peut voir en ce moment. Aux étages où sont montrées les fleurs boutonnées de Shun Sudo et les fleurs floues pastel de Koji Yamaguchi, les plafonds laissent apparente toute la tuyauterie des appareils d’air conditionné. Là encore, je ne sais pas si cette non-couverture est volontaire et sera permanente car il n’est pas rare de voir apparent ce genre de tubes et équipements électriques dans des bâtiments commerciaux. J’espère en fait que ce building si particulier et unique restera tel qu’on peut le voit actuellement. Le béton est plein d’aspérités et n’est pas parfaitement uniforme ou lisse comme on pourrait le voir sur les constructions de Tadao Ando. C’est un autre genre de brutalisme qu’on peut voir là et on en savoure chaque centimètre. Pour continuer la visite, je montre également quelques autres photos sur mon compte Instagram.

Comme souvent lorsque je rencontre ce genre de bâtiments bruts de béton, je me demande quelle pourrait être la musique qui correspondrait à l’ambiance qu’il dégage. La réponse semble avoir déjà été trouvée car se déroulera au Ginza Sony Plaza à partir du 16 Décembre un événement appelé sakamotocommon en lien avec le compositeur Ryuchi Sakamoto. On sait que Ryuchi Sakamoto était capable de créations expérimentales qui à mon avis s’accorderaient très bien avec cet ensemble de béton. Mais, je pense à quelque chose de plus radical en écoutant l’album Happy Trigger de MO’SOME TONEBENDER (モーサム・トーンベンダー). Cet album m’entraine vers un rock à tendance punk et expérimentale par moments très inspiré. Il m’arrive de temps en temps de choisir un album au hasard lorsque je parcours les rayons CDs d’un disquaire Disk Union. Ici, à Shinjuku, je tombe sur cet album de MO’SOME TONEBENDER dont je ne connaissais que le nom. Le groupe a été fondé en 1997 à Fukuoka par Kazuhiro Momo (百々和宏) au chant et à la guitare, et par Isamu Fujita (藤田勇) à la batterie, accompagné par Yasunori Takei à la guitare basse et à la trompette sur cet album. Le nom du groupe est en fait une contraction des noms/prénoms de deux des membres (Momo pour MO’ et Isamu pour SOME). L’album Trigger Happy est sorti en 2003. Il se compose en tout de dix morceaux, dont deux, reprenant le titre de l’album, viennent encadrer l’ensemble dans des ambiances tres différentes, relativement apaisée pour le premier et exagérément bruitistes pour le second. Plus qu’un album, il s’agit d’un objet musical difficilement identifiable car il part parfois vers des expérimentations sonores inattendues. La base reste tout de même rock, mais les manipulations sonores éloignent chaque morceau du format classique refrain et couplets. On y trouve une grande liberté de composition et le deuxième morceau hang song en est peut-être le meilleur exemple. Ce morceau est particulièrement inspiré tout comme les suivants BIG-S et go around my head. Ce dernier morceau go around my head est pour moi le sommet de l’album. Il y a une sorte d’hystérie subtile dans la voix de Kazuhiro Momo qui me fascine vraiment et les guitares puissantes ajoutent à la tension de l’ensemble. Je trouve un certain brutalisme dans ce morceau qui est fantastique, surtout le final qui déclenche un son lourd et répétitif de guitare rythmé par une batterie ressemblant à des battements de cœur. On trouve une émotion forte dans cette forme brute à priori hostile, un peu comme dans les structures de béton du building ci-dessus. L’album s’adoucit ensuite un peu avec quelques morceaux en grande partie instrumentale comme VIEW VIEW, qui est excellent notamment pour les cuivres qui l’accompagnent.

De MO’SOME TONEBENDER, je connaissais en fait un morceau depuis longtemps, Rockin’ Ruler (ロッキンルーラ), car il était présent sur l’album compilation Ukina (浮き名) de Sheena Ringo, sorti en Novembre 2013. Ringo jouait du piano et chantait dans les chœurs de ce morceau. Rockin’ Ruler était initialement sorti en 2005 sur l’album du même nom de MO’SOME TONEBENDER. Son style rock plutôt classique est complètement différent de l’approche expérimentale de l’album Trigger Happy. La voix de Kazuhiro Momo y reste très typée, dans un style un peu similaire à la voix de Kenichi Asai de Blankey Jet City. Sur Rockin’ Ruler, il faut quand même dire que sa voix puissante effaçait complètement celle de Ringo au point où on a un peu de mal à l’entendre dans les chœurs. Comme je l’évoquais déjà précédemment, Kazuhiro Momo jouait de la guitare sur les morceaux Shūkyō (宗教) et Sōretsu (葬列) de l’album Kalk Samen Kuri-no-Hana (KSK) et accompagnait Ringo sur quelques photographies du magazine Gb d’Avril 2003, intitulé Shūgen (祝言). Le fait que l’album Trigger Happy soit sorti la même année (2003) que KSK et que cette série de photographies avait en très grande partie attiré ma curiosité. Dans les sorties musicales rock, il y a quelques années qui pour moi sont importantes et attirent mon attention: 1991 (the year punk broke), 1999 (la tension pre-millenium et mon arrivée à Tokyo) et 2003 (la sortie de KSK qui cassait tous les codes et les attentes). Je suis en fait assez curieux d’écouter les sorties rock de 2003 et des années autour, pour essayer de mieux me remémorer ou même appréhender l’environnement musical dans lequel KSK est sorti, voire comprendre l’influence que cet album a pu avoir sur d’autres groupes et artistes dans les années qui suivent.

Pour continuer un peu avec Sheena Ringo, je pensais avoir fait le tour de sa discographie depuis longtemps, mais je ne découvre que récemment un morceau que je ne connaissais pas. Il ne s’agit pas d’une composition originale mais d’une reprise du single Georgy Porgy du groupe américain TOTO, inclus sur le premier album éponyme du groupe sorti en 1978, l’année de naissance de Ringo. La reprise du morceau Georgy Porgy sorti en 2002 n’est pas créditée sous le nom de Sheena Ringo mais du groupe Yokoshima (邪) composé entre autres du frère de Ringo, Junpei Shiina (椎名純平), de Ringo bien sûr et d’un certain Ryōsuke Nagaoka (長岡亮介) qui n’a pas encore pris le surnom d’Ukigumo. Ryōsuke Nagaoka et Sheena Ringo chantent en duo sur ce morceau avec Junpei Shiina dans les chœurs. Ryōsuke Nagaoka connaissait en fait déjà Junpei Shiina, car un concours de circonstances l’avait amené à devenir guitariste d’appoint de son groupe de l’époque, The Evil Vibrations, lors d’un concert en 2000. L’idée de la reprise du morceau de TOTO a germé lors des enregistrements de l’album de reprises de Sheena Ringo, Utaite Myōri: Sono Ichi (唄ひ手冥利 ~其ノ壱~) sorti cette même année 2002. Nao Numazawa (沼澤尚), le batteur de la formation pour cet album de reprise, était apparemment un disciple du père du batteur de TOTO, Jeff Porcaro, et, pendant ses années de lycée, Sheena Ringo avait repris ce morceau à la batterie avec son groupe du club de musique. Ceci a déclenché l’idée d’enregistrer une reprise du morceau, mais Ringo ne se voyait pas chanter seule toute la partie vocale masculine interprétée par Steve Lukather, le chanteur de TOTO. L’idée de faire intervenir Ryōsuke Nagaoka au chant sur ce morceau est né lors d’un trajet en voiture. Le morceau Georgy Porgy passait sur l’autoradio et Ryōsuke Nagaoka se serait mis à le chanter ce qui aurait fait comprendre à Ringo, également présente dans cette voiture, qu’il serait un très bon interprète pour un duo. Sheena Ringo dit souvent que Ryōsuke Nagaoka a une belle voix, mais je ne savais pas que ce morceau Georgy Porgy était le premier qu’il ait chanté officiellement, sous l’impulsion de Ringo. Cette petite anecdote est très intéressante car elle permet de mieux connaître les liens entre Ringo et Ukigumo, et la genèse musicale de ce dernier. Ukigumo participera ensuite à l’album KSK. Georgy Porgy ne sera finalement pas inclus sur la compilation de reprises Utaite Myōri: Sono Ichi car Ringo a estimé qu’il s’agissait d’une copie plutôt que d’une reprise. C’est vrai que la composition est identique à l’originale mais l’interprétation à deux voix par Ukigumo et Ringo n’en reste pas moins très réussi. La tension vocale de Ringo y est même fabuleuse, dans un anglais excellent. Le morceau était sorti en ligne sur le site de Toshiba EMI pour une durée très limitée en 2002 mais n’est actuellement disponible nulle part à la vente. Il faut vraiment que Sheena Ringo pense à l’épisode 2 de Utaite Myōri pour y intégrer ce genre de pépites. Ça paraît même assez incroyable qu’un aussi bon morceau, même s’il ne s’agit que d’une reprise, ne soit écoutable que sur une page YouTube non officielle.

un automne à Nagano (2)

Alors que nous redescendons en direction de la maison de thé Flying Mud Boat (空飛ぶ泥舟), nous apercevons un petit groupe s’apprêtant à la visiter. Ce groupe de deux personnes est accompagné d’un guide et d’une assistante, car il faut bien un peu d’aide pour grimper en haut de la maison de thé. L’échelle est montée et le guide passe en premier pour aérer la petite cabine suspendue dans les airs. La porte qui permet l’accès est étroite mais il ne semble pas avoir de mal à entrer. On le voit ensuite ouvrir les petites fenêtres et accueillir les deux visiteurs qui montent lentement l’échelle. Nous avons eu de la chance d’avoir pu assister à cette petite scène, même si nous ne sommes pas montés nous-mêmes. Nous redescendons ensuite la petite route pour atteindre le petit musée historique Jinchokan Moriya (神長官守矢史料館) également conçu par Terunobu Fujimori. On se rend compte que la visite du site aurait en fait dû commencer par le musée. On peut le visiter mais les accès à l’intérieur sont assez limités. On ne peut par exemple pas monter à l’étage. Une partie de l’escalier montant à l’étage se compose d’une sorte de pont-levis qui était en fait remonté, comme pour éviter toute attaque extérieure imaginaire. Après avoir fait le tour du musée, on peut remonter à travers les champs en direction des trois maisons de thé. La route qui nous y amène n’est pas très bien définie et on a un peu peur de traverser des endroits non autorisés. Il n’y avait heureusement aucun piège tendu sur notre chemin, à part peut être une poignée de châtaignes posées sur un rondin de bois sur lequel il fallait bien évidemment éviter de s’asseoir. En remontant vers la voiture pour reprendre la route en direction du lac de Suwa, je jette un dernier coup d’oeil vers Flying Mud Boat et Takasugi-an en me disant que j’ai enfin accompli une mission, celle de voir de mes propres yeux les fameuses maisons de thé volantes de Terunobu Fujimori. J’en avais parlé pour la première fois sur Made in Tokyo en Juillet 2013. Je me rends d’ailleurs compte en parcourant ce billet, qu’il y a plusieurs autres tea houses créées par l’architecte. Je connaissais celle nommée Go-an (五庵) qui avait été installée de manière temporaire devant le stade olympique de Tokyo pendant l’été 2021 à la période des Jeux Olympiques. Il y a une autre très belle maison de thé conçue par Terunobu Fujimori s’appelant Ichiya-Tei, mais on ne peut malheureusement pas la visiter car elle est située à l’intérieur de la résidence secondaire de l’ancien premier ministre japonais Morihiro Hosokawa (細川護煕) à Yugawara-machi dans la préfecture de Kanagawa. C’est un grand amateur des arts et, coincidence intéressante, j’avais justement vu au printemps dans le temple Ryōan-ji (竜安寺) à Kyoto des superbes fresques de dragons peintes par le même Morihiro Hosokawa. Et de l’architecte Terunobu Fujimori, on ne peut pas oublié la formidable Collina Omihachiman dans la préfecture de Shiga. C’est un endroit tout simplement inoubliable.

un automne à Nagano (1)

Une fois n’est pas coutume, nous sommes partis quelques jours au début du mois de Novembre dans les montagnes de la préfecture de Nagano. Je n’ai pas l’habitude de prendre des congés à cette période de l’année, et je ne suis pas sûr qu’on pourra renouveler cette expérience automnale l’année prochaine. Toujours est-il que cette période est idéale pour observer les changements de couleurs des feuillages dès qu’on monte un peu en altitude. Les feuilles rouges, jaunes et oranges se montrent en général au mois d’Octobre mais cette année a été particulièrement chaude au delà de la période estivale. Notre séjour de trois journées seulement nous fait passer en voiture par le grand lac de Suwa, puis vers Tateshina pour remonter ensuite vers le centre de Nagano et redescendre finalement vers Karuizawa. Notre première étape est la petite ville de Chino (茅野) au bord du lac Suwa. Avant de nous approcher du lac, j’insiste pour passer voir les fameuses et excentriques maisons de thé construites par l’architecte et professeur historien de l’architecture Terunobu Fujimori (藤森照信). Il est né dans cette petite ville de Chino et on peut y voir naturellement plusieurs de ses créations architecturales particulièrement originales ayant la particularité de s’intégrer pleinement dans l’environnement naturel. Dans un espace naturel perdu entouré de jardins potagers, on découvre trois maisons de thé et un musée appelé Jinchokan Moriya Historical Museum (神長官守矢史料館). Ce musée construit en 1991 est la premier bâtiment du site et la première construction architecturale de Terunobu Fujimori. Les trois maisons de thé du site sont: la maison de thé trop haute appelée Takasugi-an (高過庵) construite en 2004, le bateau de boue volant appelé Soratobu Dorofune (空飛ぶ泥舟) ou Flying Mud Boat construit en 2010 et la maison de thé trop basse appelée Hikusugi-an (低過庵) construite en 2017. La petite route qui monte vers ces édifices très particuliers est étroite et n’est pas facile à trouver, mais on devine rapidement qu’on approche du but en trouvant sur le chemin une autre création architecturale de Terunobu Fujimori, le Centre communautaire de Takabe (高部公民館). La petite route monte entre quelques maisons pour finalement donner accès aux jardins où se trouvent les maisons de thé. Il n’y a pas de parking alors on s’arrête le long d’une rivière près d’un petit cimetière en bord de forêt. Nous apercevons d’abord avec émerveillement la maison de thé Flying Mud Boat. Elle ressemble en effet à une petite barque couverte d’un toit accrochée par quatre câbles tenus par des piquets. On y monte grâce à une échelle posée sur le côté près de l’entrée du jardin où elle se trouve. On ne peut pas la visiter à moins de s’enregistrer pour une visite guidée de trois heures pour environ 19,800 yens pour deux personnes. On s’est contenté de les admirer de l’extérieur. Les trois premières photographies montrent Flying Mud Boat. Elle bouge un peu avec le vent et on sent une certaine précarité liée à sa légèreté. On se demande vraiment comment plusieurs personnes peuvent tenir à l’intérieur. En remontant un peu le jardin, on découvre rapidement l’autre maison de thé nommée Takasugi-an, posée elle en haut d’un arbre. On ne peut également seulement y accéder par une échelle. Cette petite maison a l’air très fragile et à la merci du premier coup de vent ou typhon venu, mais elle a quand même été construite il y environ vingt ans et a tenu tout ce temps là. Au pied de Takasugi-an, la maison ce thé trop haute, se trouve Hikusugi-an, la maison de thé trop basse. Je la montre sur la dernière photographie du billet. Elle ressemble à un toit sans murs posé à même le sol, mais elle est se trouve au bord d’une zone de terre surélevée. Une porte d’entrée se situe dans le dénivelé mais on devine également une trappe d’entrée cachée dans le toit. Ce toit se compose en fait de deux parties. La partie haute peut coulisser en arrière sur un rail pour ouvrir le toit, d’une manière similaire à un toit ouvrant sur une voiture. On peut donc imaginer prendre le thé dans cette petite maison à ciel ouvert. Elle était cependant fermée à notre passage et on ne pouvait pas entrer à l’intérieur. L’ambiance bucolique tranquille des lieux est particulièrement agréable. Nous ne sommes pas les seuls curieux à venir voir ces maisons de thé, mais seulement trois ou quatre autres personnes étaient présentes sur le site. C’est particulièrement intéressant de voir ces petits bâtiments flottant dans les airs et se détacher des potagers alentours. On trouve un petit quelque chose de merveilleux et de magique, comme si ces maisons étaient sorties d’un manga ou d’un film d’animation. J’apprécie tellement ce moment que le prochain billet continuera à montrer cette architecture unique, élégante et particulièrement inspirante. Je montre également quelques autres photos sur mon compte Instagram, pour continuer la visite avant le prochain billet.