walkingxwatching

Marcher et observer les rues de Shibuya, Yoyogi, Azabu-Jūban, Sendagaya et ailleurs. Je ne les observe en général pas longtemps car je suis à chaque fois emporté par la marche qui me démange avant tout, et par le rythme de la musique que j’écoute en me déplaçant. Je prendrais très certainement des meilleures photographies si je m’attardais un peu plus à observer immobile depuis un endroit précis en attendant l’instant décisif, s’il a la bonne idée de se présenter devant moi. C’est en fait la même chose pour Made in Tokyo, j’avance sans m’arrêter, sans faire de pauses qui me permettraient pourtant de prendre le temps d’observer ce que devient ce blog. Je serais peut-être mieux inspiré d’y mettre une halte pendant quelques temps pour me forcer à réfléchir à la suite. Je réfléchis souvent à arrêter mais je ne m’arrête jamais. Il faut se faire une raison. Il m’arrive de temps de temps de partir à la recherche d’autres blogs francophones sur Tokyo et le Japon, mais ils sont presque tous arrêtés. Le fait qu’il n’y ait pratiquement plus de blogs actifs me pousse en quelque sorte à continuer. Je me demande comment toutes ces personnes qui écrivaient régulièrement sur des blogs se contentent maintenant de petites lignes sur Twitter, en essayant parfois de déjouer les limites de l’outil en écrivant des ‘threads’ qui au final ressemblent beaucoup à des billets de blog. Mais ne désespérons pas, les blogs reviendront peut être un jour à la mode.

Je ne découvre pas ici de nouveaux artistes ou groupes mais des nouveaux morceaux de compositrices, interprètes ou groupes que je connais déjà et que je suis avec attention depuis quelques années, voire depuis leurs débuts. C’est d’ailleurs intéressant de voir les évolutions et constater que certains artistes sont désormais entrés dans le mainstream ou sont en passe de l’être. AiNA The End (アイナ・ジ・エンド) continue sa carrière solo à un rythme on ne peut plus soutenu. Je me souviens de cette interview croisée avec Ikkyu Nakajima (中嶋イッキュウ) où AiNA lui posait la question de comment elle arrivait à écrire autant de nouveaux morceaux pour Tricot en si peu de temps, mais AiNA ne chôme pas non plus, même si elle n’écrit pas tous ses morceaux. Elle a d’ailleurs le vent en poupe en ce moment car elle jouera le rôle principal, celui de Janis Joplin, dans la comédie musicale de Broadway A night with Janis Joplin au mois d’Août aux côtés d’autres chanteuses comme UA et Haruko Nagaya du groupe Ryokuōshoku Shakai. La fin de BiSH cette année va certainement la libérer un peu plus encore d’un poids, dirais-je, car BiSH tourne en rond depuis quelques temps et joue les prolongations. Le nouveau single d’AiNA The End s’intitule Watashi no Magokoro (私の真心). Il est sorti le 6 Juin 2022 et il est écrit et composé par Yasuyuki Okamura (岡村靖幸). C’est un morceau pop rock dont l’ambiance et la construction aux premiers abords plutôt classique n’étaient à priori pas destinées à me plaire, mais la voix pleine de passion d’AiNA m’a comme d’habitude rapidement accrochée. Le refrain à plusieurs voix est également très accrocheur et le final à rallonge me plait vraiment beaucoup. Le morceau fait 7 minutes et prend le temps de divaguer dans sa deuxième partie plus symphonique. C’est vraiment un beau morceau. J’écoute ensuite le nouveau single intitulé Jealousy (ジェラシー) de a子. Je suis cette compositrice et interprète depuis son premier EP et elle m’impressionne de plus en plus par sa capacité à créer à chaque fois des nouveaux morceaux qui surpassent les précédents. Elle évolue depuis quelques temps vers un terrain un peu plus pop mais garde tout de même cet esprit indies qui caractérise sa musique. J’aime beaucoup le rythme marqué du morceau et les éclats de lumières qui s’en dégagent. Le morceau Jealousy est même classé au top de la radio J-Wave, Tokio Hot 100, en 80ème position. Je pense que c’est la première que a子 est présente dans ce genre de classement, ce qui est une bonne chose car elle mérite vraiment d’être plus reconnue. Le morceau suivant de ma petite sélection est très différent car on part vers du hip-hop à base de pop électronique. J’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog de la rappeuse Valknee. Ce nouveau morceau intitulé Bet Me! est assez différent de ses précédents, car la composition musicale par un musicien appelé Piano Otoko (ピアノ男) est extrêmement rapide et hachée. Le morceau est assez court mais extrêmement addictif si on veut bien se laisser entraîner vers ces sons certes très accidentés. Valknee va peut être connaître une célébrité prochaine car ce morceau a été sélectionné sur la playlist de Pitchfork. Pour terminer, j’écoute aussi beaucoup le nouveau single du groupe rock Ms.Machine. Ceux qui suivent attentivement ce blog doivent connaître le nom de ce groupe car j’en parle souvent. Le single se compose en fait de deux morceaux intitulés Vinter et Cloud gap. L’ambiance sombre ne diffère pas du premier album du groupe, avec toujours la voix parlée de SAI mélangée aux guitares et aux sons électroniques froids, flirtant avec l’industriel. Les mélodies sont très belles et un brin inquiétantes. Quelle ambiance sur ces deux morceaux! Les trois filles de Ms.Machine tiennent leur ligne stylistique mais arrivent tout de même à faire évoluer progressivement leur son, ce qui est de bonne augure pour la suite. Ms.Machine avait participé au festival Fuji Rock l’année dernière et j’espère bien qu’elles pourront continuer à se développer sur cette lancée, car c’est à mon avis un son assez atypique sur la scène musicale actuelle. Et petit détail à noter, Ms.Machine a eu l’amabilité de me répondre en français sur Twitter suite à mon message d’appréciation. J’ai l’impression que, de manière générale, ce genre d’attentions se font plus rares en ce moment sur Twitter.

escape in the rain (don’t escape anymore)

Je mentionnais dans le billet précédent être parti marcher sous la pluie en écoutant l’album Windswept Adan d’Aoba Ichiko. Les photographies ci-dessus sont quelques unes de celles que j’ai pris ce matin-là. En fait, je ne suis pas volontairement parti marcher sous la pluie ce matin-là. Je suis sorti profitant d’une accalmie, mais comme c’est assez souvent le cas en ce qui me concerne, il s’est mis à re-pleuvoir intensément dès que j’ai mis les pieds dehors. Je n’ai pas fait demi-tour en pensant que cette pluie revivifiante me remettrait les idées en place. Et écouter la voix d’Aoba Ichiko sous la pluie vaut de toute façon le détour. C’est d’ailleurs inconsciemment une des raisons pour lesquelles je n’ai pas rebroussé chemin. Pendant les accalmies alors que je marche vers le cimetière d’Aoyama, je sors mon appareil photo. Autant les photographies sous la pluie sont difficiles à prendre, autant celles juste après la pluie rendent à mon avis assez bien, car l’humidité vient renforcer les couleurs végétales. Les murs de béton ou ceux des vieilles baraques viennent prendre des motifs différents de l’habitude. Je me dirigeais vers le cimetière d’Aoyama pour vérifier si les cerisiers avaient commencé leur floraison mais c’était encore trop tôt. Un peu plus loin, sur la dernière photographie, je découvre une étrange machine infernale. Les deux tuyaux d’aération derrière un building ont été clairement ajoutés après le bloc d’air conditionné. J’aime beaucoup cette stratégie du contournement optimisé. Il aurait peut être été plus simple et moins coûteux de déplacer le bloc d’air conditionné sur la gauche, mais l’intention ici ne pouvait être qu’artistique. Je ne vois pas d’autres explications logiques. Lorsque je prends ces photos, je remercie à chaque fois intérieurement les concepteurs de ce type de machines à l’arrière des immeubles. Et en parlant de machines, parlons maintenant de Ms.Machine.

J’avais déjà parlé ici de Ms.Machine à l’occasion de la sortie des morceaux Lapin Kulta et Nordlig Ängel, qui sont tous les deux présents sur le premier album éponyme du groupe sorti à la fin du mois de Janvier 2021. Par rapport à la musique que j’écoutais juste avant et que je mentionnais dans le billet précédent, la musique sombre de Ms.Machine est diamétralement opposée mais n’est pas exempte d’une poésie certaine à laquelle je ne suis pas insensible. On retrouve la voix monocorde de SAI accompagnée par la guitare électrique de Mako et la basse de Risako. Le son des guitares y est abrasif mais les morceaux sont souvent accompagnés de nappes ou incursions électroniques qui donnent parfois aux morceaux une dimension cryptique. Je suis épaté par la puissance de cette musique, qui est sans compromis mais reste profondément élégante même dans son agressivité lente. Le premier morceau 2020 est un des meilleurs de l’album et donne tout de suite le ton. La voix semble mécanique et désabusée, peut être pour donner un ressenti de l’année 2020 évoquée dans le titre et la difficulté pour les groupes indépendants de se produire dans les salles de Tokyo. C’est le sujet du morceau Smirnoff sur le EP solo de SAI que j’évoquais auparavant, et je ne peux donc m’empêcher d’y faire un lien. Plusieurs morceaux mettent en avant une atmosphère qui devient hypnotique au fur et à mesure qu’on avance dans l’album, comme Sea of Oblivion (忘却の海), Pale Snow ou Black Sun. Je pense que c’est dû au fait que certains mots et phrases sont souvent répétés et finissent par s’imprégner dans notre cerveau. Il faut clairement écouter l’album dans son intégralité pour se laisser porter par cette atmosphère. Pale Snow est peut-être l’apogée pour l’emotion qui s’en dégage. SAI chante principalement en anglais et en suédois (j’imagine) mais très peu en japonais. Sa voix n’est pas toujours complètement audible mélangée volontairement dans le flot des guitares, souvent très lourdes et incisives comme sur Nordlig Ängel. Ms Machine construit un univers extrêmement sombre mais pas pour autant rebutant. Les voix dans Black Sun ressemblent à des esprits qui nous entourent, nous enveloppent et nous attirent doucement par la main. Je ne sais pour quelle raison mais ce morceau me fait à chaque fois penser à Orphée tentant sans succès de sortir Eurydice des enfers. Je pense aussi à ce mythe grec en écoutant le sublime et long morceau de 18 minutes Requiem For Hell du groupe post-rock Mono. Le premier album de Ms.Machine se termine comme un coup de poing avec le morceau Girls Don’t Cry, Too, titre qui évoque plus clairement l’approche féministe de la musique de Ms.Machine. C’est le morceau le plus rapide, un des plus agressifs et le plus court. La fin abrupte est bien vue car elle donne un sentiment soudain de manque qui nous faire reprendre l’album depuis le début. La vidéo de Girls Don’t Cry, Too nous montre le groupe habillé en robes de mariées. Avec un pistolet à la main (vous me voyez venir), je ne peux m’empêcher d’y voir une allusion à Sheena Ringo. Je ne sais pas si c’est volontaire mais du moins SAI publiait un message sur Instagram à l’occasion de l’anniversaire de Sheena donc je resterais sur cette impression, qui me convient bien de toute façon. Je ne me rends compte que maintenant que l’ambiance musicale de Ms.Machine était une des sources d’inspiration du chapitre 6 de mon histoire en cours Du songe à la lumière.

sous une pluie imaginaire

Une pluie imaginaire se superpose aux premières photographies jusqu’aux éclaircis le long de la rue murée à Shirogane. Les nuages sont encore insistants mais se désagrègent petit à petit alors que je rejoins la rivière bétonnée de Shibuya. La pluie superposée sur l’immeuble de béton de la première photographie lui donne une étrange apparence argentée que j’aime beaucoup. Cette composition photographique me ramène avec une certaine nostalgie des années en arrière, lorsque j’avais créé une série sur les éléments naturels. Cette série, créée d’Août à Octobre 2010, était composée de 5 éléments: 雪へ (À la neige), 雲へ (Aux nuages), 風へ (Au vent), 海へ (À la mer) et 雨へ (À la pluie). Elle voyait différents buildings dans Tokyo confrontés à ces éléments naturels comme à des épreuves. J’avais ensuite regroupé cette série dans le photobook « In Shadows » publié en Février 2011. Cette série dans son intégralité et le dernier épisode sur la pluie étaient un peu particuliers car ils avaient suscité une attente de la part de certains visiteurs, concrétisés dans les commentaires, à laquelle j’avais essayé de répondre. C’est peut être l’unique fois où ce genre de demande s’est produite. La première photographie de ce billet, elle, pourrait bien faire partie de 雨へ (À la pluie). Il faut absolument que je reprenne ce genre de séries métaphoriques.

Un peu plus d’une semaine après la sortie du morceau Lapin Kulta, dont je parlais dans un précédent billet, le groupe post-punk Ms.Machine sort un nouveau morceau le 1er Mai intitulé Nordlig Ängel (ange du Nord) sur YouTube. En fait, il ne s’agit apparemment pas d’un nouveau morceau, car il est déjà disponible sur un mystérieux troisième EP qui n’est malheureusement pas encore disponible sur iTunes ou Bandcamp (les deux seules plateformes que j’utilise pour acheter de la musique). Je me contente donc d’écouter ce nouveau morceau sur YouTube. J’aime beaucoup l’ambiance du morceau dès les premières notes formant une nappe de synthétiseur sombre et inquiétante. On retrouve bien sûr la voix grave et monocorde de SAI et un déchaînement de guitares bruyantes accompagnées d’un martèlement de batterie. Il se dégage une émotion poignante de cette association de sons puissants et de cette voix qui semble à la fois inattaquable et fragile. Suite à l’écoute de ce morceau, je me suis remis à écouter l’album Turn on the bright lights d’Interpol, pour les paroles et la voix au bord de craquage de Paul Banks, surtout les morceaux Obstacle 1, PDA, Obstacle 2 et Stella was a driver and she was always down. Il n’y a pas de ressemblance particulière entre la musique d’Interpol et celle de ce morceau de Ms.Machine, mais mon envie musicale me fait faire cette association inconsciemment. Il y a certainement quelque chose dans le ton de la voix et l’émotion qui s’en dégage. Pour continuer avec les évocations, la vidéo de Nordlig Ängel dans son esthétique générale me fait penser à un univers Lynchien. Les forêts de Nagano où ont été tournées les scènes de la vidéo doivent certainement me rappeler les forêts pleines de mystères qu’on voyait dans la série Twin Peaks. Pour continuer avec le son du groupe, j’écoute aussi dans la foulée le morceau Vår dont il n’existe, à ma connaissance du moins, qu’une version en concert.

雪が甘いように感じる

Les paysages de Karuizawa dans la préfecture de Nagano me paraissent déjà bien lointain alors que ces photographies ne datent que de quelques mois. Le fait d’être désormais presqu’en permanence à la maison depuis plus de trois semaines distord le temps. Chaque journée passe très vite mais toutes les journées se ressemblent et on a de ce fait l’impression qu’il s’agit d’une journée unique qui s’étire à l’infini, le week-end ne jouant plus vraiment le rôle de coupure dans la semaine. Regarder maintenant ces photographies des cascades de Shiraito (白糸の滝) a la vertu d’apaiser l’esprit. Cette cascade est particulière car elle jaillit de la pierre sur une longueur de 70 mètres pour une assez faible hauteur de 3 mètres. L’eau ne provient pas d’une rivière en amont mais de réservoirs d’eau souterrains. Mais ce paysage calme et reposant cache les violences naturelles qui frappent régulièrement le pays. L’arbre arraché de la deuxième photographie doit être tombé suite à une tempête, certainement suite à un des puissants typhons de l’année dernière.

On trouve également une certaine violence dans le morceau que j’écoute en ce moment, Lapin Kulta par le groupe japonais post-punk 𝔐𝔰.𝔐𝔞𝔠𝔥𝔦𝔫𝔢. Je prends un malin plaisir à faire contraster la violence sonore du morceau avec le calme souverain régnant sur les photographies de ce billet. On peut être tout d’abord surpris par les sonorités stridentes qui démarrent le morceau et qui l’accompagneront tout du long en s’apaisant un peu en court de route. Le contraste avec la voix basse et monocorde de SAI, l’interprète vocale du trio féminin, fonctionne très bien. Du groupe, je connaissais déjà le EP intitulé S.L.D.R sorti en Février 2018, que je trouvais imparfait, ayant un peu de mal avec la sirène incessante du dernier morceau de ce premier EP intitulé 3.11, en référence, j’imagine, à la date du tremblement de terre de Tohoku. Ce nouveau morceau Lapin Kulta garde le même style post-punk que j’aime énormément. Il vient juste de sortir, le 22 Avril 2020, et fera certainement partie du deuxième EP du groupe Nordlig Ängel. Le groupe aime beaucoup utiliser les termes nordiques. Le lapin du titre du morceau n’est pas une référence à l’animal inoffensif de nos prairies ni le chat sympathique ressemblant à un fennec de la photographie de couverture montrée ci-dessus. Il s’agit en fait d’une marque de bière finlandaise. Le titre de ce billet 雪が甘いように感じる est emprunté aux paroles du morceau faisant référence à la douceur de la neige, celle que l’on a pu voir parsemée à Karuizawa. A la fin du morceau, les paroles viennent interroger l’auditeur d’une manière étrange et amusante en demandant si on a déjà écouté leur deuxième EP, ce qui n’est pas possible car il n’est pas encore disponible à la vente (peut être pouvait t’on l’acheter lors de concerts). Mais j’écouterais très certainement ce nouvel EP quand il sortira.