escape in the rain (don’t escape anymore)

Je mentionnais dans le billet précédent être parti marcher sous la pluie en écoutant l’album Windswept Adan d’Aoba Ichiko. Les photographies ci-dessus sont quelques unes de celles que j’ai pris ce matin-là. En fait, je ne suis pas volontairement parti marcher sous la pluie ce matin-là. Je suis sorti profitant d’une accalmie, mais comme c’est assez souvent le cas en ce qui me concerne, il s’est mis à re-pleuvoir intensément dès que j’ai mis les pieds dehors. Je n’ai pas fait demi-tour en pensant que cette pluie revivifiante me remettrait les idées en place. Et écouter la voix d’Aoba Ichiko sous la pluie vaut de toute façon le détour. C’est d’ailleurs inconsciemment une des raisons pour lesquelles je n’ai pas rebroussé chemin. Pendant les accalmies alors que je marche vers le cimetière d’Aoyama, je sors mon appareil photo. Autant les photographies sous la pluie sont difficiles à prendre, autant celles juste après la pluie rendent à mon avis assez bien, car l’humidité vient renforcer les couleurs végétales. Les murs de béton ou ceux des vieilles baraques viennent prendre des motifs différents de l’habitude. Je me dirigeais vers le cimetière d’Aoyama pour vérifier si les cerisiers avaient commencé leur floraison mais c’était encore trop tôt. Un peu plus loin, sur la dernière photographie, je découvre une étrange machine infernale. Les deux tuyaux d’aération derrière un building ont été clairement ajoutés après le bloc d’air conditionné. J’aime beaucoup cette stratégie du contournement optimisé. Il aurait peut être été plus simple et moins coûteux de déplacer le bloc d’air conditionné sur la gauche, mais l’intention ici ne pouvait être qu’artistique. Je ne vois pas d’autres explications logiques. Lorsque je prends ces photos, je remercie à chaque fois intérieurement les concepteurs de ce type de machines à l’arrière des immeubles. Et en parlant de machines, parlons maintenant de Ms.Machine.

J’avais déjà parlé ici de Ms.Machine à l’occasion de la sortie des morceaux Lapin Kulta et Nordlig Ängel, qui sont tous les deux présents sur le premier album éponyme du groupe sorti à la fin du mois de Janvier 2021. Par rapport à la musique que j’écoutais juste avant et que je mentionnais dans le billet précédent, la musique sombre de Ms.Machine est diamétralement opposée mais n’est pas exempte d’une poésie certaine à laquelle je ne suis pas insensible. On retrouve la voix monocorde de SAI accompagnée par la guitare électrique de Mako et la basse de Risako. Le son des guitares y est abrasif mais les morceaux sont souvent accompagnés de nappes ou incursions électroniques qui donnent parfois aux morceaux une dimension cryptique. Je suis épaté par la puissance de cette musique, qui est sans compromis mais reste profondément élégante même dans son agressivité lente. Le premier morceau 2020 est un des meilleurs de l’album et donne tout de suite le ton. La voix semble mécanique et désabusée, peut être pour donner un ressenti de l’année 2020 évoquée dans le titre et la difficulté pour les groupes indépendants de se produire dans les salles de Tokyo. C’est le sujet du morceau Smirnoff sur le EP solo de SAI que j’évoquais auparavant, et je ne peux donc m’empêcher d’y faire un lien. Plusieurs morceaux mettent en avant une atmosphère qui devient hypnotique au fur et à mesure qu’on avance dans l’album, comme Sea of Oblivion (忘却の海), Pale Snow ou Black Sun. Je pense que c’est dû au fait que certains mots et phrases sont souvent répétés et finissent par s’imprégner dans notre cerveau. Il faut clairement écouter l’album dans son intégralité pour se laisser porter par cette atmosphère. Pale Snow est peut-être l’apogée pour l’emotion qui s’en dégage. SAI chante principalement en anglais et en suédois (j’imagine) mais très peu en japonais. Sa voix n’est pas toujours complètement audible mélangée volontairement dans le flot des guitares, souvent très lourdes et incisives comme sur Nordlig Ängel. Ms Machine construit un univers extrêmement sombre mais pas pour autant rebutant. Les voix dans Black Sun ressemblent à des esprits qui nous entourent, nous enveloppent et nous attirent doucement par la main. Je ne sais pour quelle raison mais ce morceau me fait à chaque fois penser à Orphée tentant sans succès de sortir Eurydice des enfers. Je pense aussi à ce mythe grec en écoutant le sublime et long morceau de 18 minutes Requiem For Hell du groupe post-rock Mono. Le premier album de Ms.Machine se termine comme un coup de poing avec le morceau Girls Don’t Cry, Too, titre qui évoque plus clairement l’approche féministe de la musique de Ms.Machine. C’est le morceau le plus rapide, un des plus agressifs et le plus court. La fin abrupte est bien vue car elle donne un sentiment soudain de manque qui nous faire reprendre l’album depuis le début. La vidéo de Girls Don’t Cry, Too nous montre le groupe habillé en robes de mariées. Avec un pistolet à la main (vous me voyez venir), je ne peux m’empêcher d’y voir une allusion à Sheena Ringo. Je ne sais pas si c’est volontaire mais du moins SAI publiait un message sur Instagram à l’occasion de l’anniversaire de Sheena donc je resterais sur cette impression, qui me convient bien de toute façon. Je ne me rends compte que maintenant que l’ambiance musicale de Ms.Machine était une des sources d’inspiration du chapitre 6 de mon histoire en cours Du songe à la lumière.

Un commentaire

Laisser un commentaire