De retour d’une petite semaine à Hong Kong, je pensais que les fleurs de cerisiers ne m’auraient pas attendus, mais elles n’étaient pas encore complètement tombées. De Hong Kong, je n’ai même pas eu le temps et l’occasion de prendre des photos de la ville. Je n’y étais pas pour du tourisme et je n’avais de tout façon pas amené mon appareil photo reflex. Le Samedi au lendemain de mon retour, je me précipite presque vers la rivière de Meguro pour voir à quel point en est la floraison. En chemin et en faisant des détours, je découvre d’autres cerisiers sur la rue Meiji et près de la gare de Meguro, mais je vois également autres chose. Voici donc une petite série de quatre épisodes qui se passera presque de commentaires, mais je ne peux que difficilement m’empêcher d’en écrire.
Étiquette : 渋谷
all night impermanence
Traverser la nuit, marcher vite dans la foule, ne pas s’arrêter, surtout pas, sous peine de se faire emporter, mesurer ses mouvements avec justesse pour ne pas avoir à s’arrêter, effleurer les autres sans les toucher ou si peu qu’ils ne s’en rendront pas compte, foncer comme une ombre dans les interstices qui se créent entre les corps mouvants d’un magma chaotique de flux multi-directionnels, fixer du regard loin devant soi pour prédire sa route comme des mouvements d’un jeu d’échecs, prévoir les prochains passages qui s’ouvriront et ceux qui se refermeront, ralentir au moment opportun et accélérer lorsque ça devient nécessaire, regarder le sens des regards des autres pour deviner leurs intentions, passer de justesse d’un sursaut quand la perfection des prédictions de trajectoire est mise soudainement en défaut, regarder furtivement les autres qui m’observent également pour prédire mes actions, activer son rythme lorsque la lumière verte clignotante installe une pression palpable pour tous ceux qui jaugent le temps qu’il leur reste pour franchir les grandes voies avant que les machines mécaniques viennent les faucher impitoyablement. Et tout cela, en prenant quelques photographies avant que le feu du grand carrefour zébré de Shibuya ne passe au rouge. Le carrefour se vide ensuite comme une mer qui s’est retirée, laissant place au silence avant la prochaine vague qui redoublera de vitalité, d’ardeur et de bruits mécaniques assourdissants, de tourbillons incessants et sans cesse renouvelés.
De retour d’une petite semaine à Hong Kong, j’écoute presque exclusivement quelques albums de Faye Wong (王菲), chanteuse et actrice Chinoise née à Pekin et vivant à Hong Kong. Je connais Faye Wong pour son rôle dans le film Chungking Express (重慶森林) de Wong Kar-wai, que j’avais découvert en même temps que Fallen Angels (墮落天使) du même réalisateur. C’était une période, au milieu des années 1990 où j’étais fasciné par les films de Hong Kong, que ce soient les comédies dramatiques comme ces films de Wong Kar-wai ou les films d’actions ultra-violents de John Woo, A Better Tomorrow (英雄本色), The Killer (喋血双雄), Bullet in the Head (喋血街头), Hard-Boiled (辣手神探), entre autres. J’adorais voir à l’écran l’acteur Chow Yun-fat mais j’ai toujours été fasciné par Tony Leung Chiu-wai, notamment par sa capacité à traverser les genres entre drame et action. Et il y avait Faye Wong, fille excentrique aux cheveux courts dans Chungking Express, travaillant dans un petit restaurant ouvert sur la rue nommé Midnight Express au pied des appartements Chungking. Dans Chungking Express, une histoire d’amour non-conventionnelle se crée entre Faye et un policier interprété par Tony Leung. Dans l’aéroport de retour de Hong Kong, l’idée me vient d’écouter l’album Sing and Play (唱遊, Chàng Yóu) de Faye Wong sorti en Octobre 1998, après avoir vu sa photographie de couverture au hazard de mon fil X Twitter. Le premier morceau Emotional Life (感情生活) me passionne immédiatement pour son ambiance et pour son chant enlevé en Mandarin. L’émotion que dégage sa voix est palpable. L’album ne maintient malheureusement pas cette intensité et part parfois sur certains morceaux vers des balades plus inoffensives. En fait de cet album de dix morceaux, tous chantés en Mandarin, j’en retiens six que je trouve excellents, comme le troisième morceau Sex Commandments (色誡). Je remarque rapidement une similitude certaine avec le style musical du groupe écossais Cocteau Twins. J’apprendrais assez vite qu’il y a des liens étroits entre Faye Wong et Cocteau Twins, car elle les cite comme influence. Faye a repris certains de leurs morceaux et Cocteau Twins a même composé pour elle. Les effets de voix sur le septième morceau Whimsical (小聰明) sont particulièrement marqués par l’influence de Cocteau Twins. C’est également un des grands morceaux de cet album. J’aime aussi beaucoup le morceau Child (童) qui conclut l’album, ayant un rythme plus marqué et électronique avec en accompagnant quelques extraits de voix de sa fille, alors très jeune. De cet album, je trouve les morceaux d’inspiration alternative extrêmement intéressants mais je suis un peu réticent aux morceaux pop un peu sentimentaux plus convenus. Sing and Play est le deuxième album sorti sur la major EMI. Ça m’a amusé de penser que Faye Wong aurait pu également faire partie des EMI girls (EMIガールズ) au même titre qu’Utada Hikaru et Sheena Ringo. Faye Wong est une grande pop star dans le monde sinophone, mais a également du succès au Japon, ayant même chanté en japonais.
J’écoute aussi son premier album chez EMI, tout simplement intitulé Faye Wong, sorti en Septembre 1997. Là encore, je passe certains morceaux mais j’en adore d’autres comme le deuxième intitulé You Are Happy So I Am Happy (你快樂 所以我快樂), qui prend son temps et est tout simplement sublime. Le morceau qui suit, Bored (悶) prend une ambiance rock indé très fraîche et enjouée, tout comme celui intitulé Fussy (小題大做). Cet album est entièrement chanté en Mandarin, sa langue natale, et ça ajoute énormément au charme de ces morceaux. La mélancolie du quatrième morceau Hangout (娛樂場) saisit tout de suite mais la musique nous amène ensuite vers d’autres horizons et ça nous transporte. Le morceau Nostalgia (懷念) écrit et composé par Elizabeth Fraser, Robin Guthrie et Simon Raymond de Cocteau Twins est un autre morceau particulièrement remarquable de l’album, concrétisant en quelques sortes l’influence mutuelle du groupe et de l’artiste. Ce morceau m’est en fait familier mais je ne suis pas certain de savoir où j’ai pu l’entendre. L’album Sing and Play contient quelques morceaux en Cantonais, en fait des auto-reprises de ses propres morceaux en Mandarin, mais ce n’est pas le cas sur cet album éponyme. La sélection de morceaux tirés des deux premiers albums sortis chez EMI constitue pour moi un album idéal que j’écoute sans cesse ces derniers jours.
Et il y a l’album Restless ou Fuzao (浮躁) sorti en 1996 sur le label hong-kongais Cinepoly Records. Cet album clairement alternatif avec certaines tendances expérimentales a été entièrement écrit et composé par Faye Wong et a eu un succès commercial plus mitigé. Il s’agit cependant de l’album préféré des fans véritables de l’artiste. L’album n’atteint peut-être pas les sommets de certains morceaux des albums mentionnés ci-dessus, mais il est artistiquement très cohérent, ce qui fait que j’aime la totalité de l’album. Là encore, Cocteau Twins a contribué des morceaux pour cet album, Fracture (分裂) et Spoilsport (掃興). Dès le premier morceau Impermanence (无常), qui inspire le titre de mon billet, on est épris de la beauté musicale qui s’en dégage. Le morceau suivant Fúzào (浮躁), donnant son titre à l’album, adopte un chant assez particulier qui est caractéristique de l’aspect un peu expérimental de l’album, tout comme le fantastique sixième morceau Where (哪兒). On reste tout de même souvent proche de la pop et ce morceau est immédiatement très accrocheur. Cet album se révèle en fait après plusieurs écoutes. Les nappes musicales ont ce petit quelque chose de mystérieux et de mélancolique qui me ramène à la cinéphile hong-kongaise de la fin de mon adolescence. Les guitares du court et inattendu morceau instrumental Uneasy ont ce côté très cinématographique. En avançant dans l’album, arrive ensuite le morceau Decadence (堕落) qui est pour moi le sommet de Fuzao. Quelle beauté presque irréelle! Dans son ensemble, cet album est très certainement mon préféré, mais j’ai en fait beaucoup de mal à m’échapper de ces trois albums car on y trouve beaucoup de moments magnifiques. Et s’il y a certains connaisseurs avisés de la musique de Faye Wong dans la salle (de cinéma), je suis preneur de recommandations tirées de sa vaste discographie. Je continuerais sinon par moi-même la découverte progressive de cette artiste.
don’t you forget me not
Il s’agit du 2,500ème billet de Made in Tokyo. Pendant plus de vingt-deux ans, j’y ai écrit plus d’un million de mots et je ne compte pas le nombre de photographies. Malgré cela, ce blog est resté relativement confidentiel, malgré quelques éclats au milieu des années 2000. Une raison est que je n’ai jamais voulu faire de compromis sur son contenu et ce que je montre correspond à ce que je ressens sans aucune intention d’essayer de conquérir un public. Au final, ceux qui se retrouvent dans ces billets, ces images et ces sons doivent se limiter aux gens qui me ressemblent ou auxquels je ressemble, dans la même recherche d’une émotion parfois enfouie au fond de nous.
Pour accompagner cette série de photographies, je mentionnerais volontiers les morceaux Lushlife (2000) du groupe new-yorkais Bowery Electric, puis oblique butterfly (2023) du groupe de Los Angeles untitled (halo). Je découvre ces deux excellents morceaux, évoluant entre le trip-hop pour le premier et la Dream pop pour le deuxième, dans l’émission Liquid Mirror du mois de Février 2024 sur NTS Radio. Je mentionne décidément cette émission sur pratiquement tous mes billets récents car elle agit comme une porte d’entrée vers des mondes musicaux auxquels je suis très réceptif, mais que j’aurais un peu de mal à trouver par moi-même, du moins par rapport aux musiques alternatives japonaises qui ont parfois tendance à arriver vers moi de manière quasi-automatique grâce aux algorithmes d’Internet. Ces algorithmes sont une concrétisation de la non-coïncidence car les morceaux qu’on me propose ne sont pas liés à des heureux hasards mais correspondent à l’accumulation de mes écoutes précédentes.
Les petits rayons de lumière qu’on peut parfois apercevoir sur certaines photographies proviennent du morceau Point Nemo (ポイント・ネモ) du groupe japonais Yureru ha Yūrei (揺れるは幽霊) sur leur EP Mnemeoid sorti le 4 Mars 2025. Le nom du groupe qui signifie « Le fantôme qui vacille » est très beau tout comme ce morceau. Je sais peu de chose du groupe sauf qu’il se compose des quatre membres suivants: Sako (佐古) au chant, Hidaka (日高) à la guitare, Juggler (ジャグラー) à la batterie et Kōryō (功凌) à la guitare basse. Je sais par contre beaucoup de choses sur le Point Nemo qui sert de titre au morceau car j’en avais fait une longue étude avec mon fils il y a plusieurs années pour un de ses rapports d’été. Le Point Nemo se trouve quelque part dans l’Océan Pacifique Sud et est le point le plus éloigné de toutes terres émergées. C’est ce qu’on appelle le pôle maritime d’inaccessibilité et c’est forcément fascinant. Le nom provient bien sûr du héros de Jules Verne et signifie « personne » en latin. La créature monstrueuse Cthulhu inventée par l’écrivain Lovecraft y est endormie dans une cité engloutie appelée R’lyeh.
Dans mes nouvelles découvertes musicales, je reviens vers le groupe de rock indé japonais Laura Day Romance avec un nouveau morceau intitulé Platform (プラットフォーム) présent sur leur dernier album Nemuru – Walls (合歓る – walls) sorti le 5 Février 2025. J’avais déjà mentionné ce groupe pour un morceau intitulé on the beach (渚で会いましょう). Le chant sur Platform est particulièrement intéressant car on distingue assez difficilement s’il est chanté seulement par Kazuki Inoue (井上花月) ou s’il est chanté à deux voix. Il y a une certaine duplicité dans ce chant qui est vraiment très beau. Je trouve que ce morceau se révèle même un peu plus à choque écoute, qui je l’aime beaucoup plus après une dizaine d’écoute que lors de ma première écoute. Il y a quelque chose dans les changements discrets de tons qui rendent ce morceau émotionnellement prenant.
Sur la première photographie du billet qui montre une grande affiche publicitaire pour le magasin de snickers Atmos situé juste au dessous, on peut apercevoir la compositrice et interprète franco-japonaise MANON dont j’avais déjà parlé très récemment. On l’a voit également dans la vidéo du nouveau single Peerless Flowers (花無双) d’AiNA The End qui vient de sortir le 14 Mars 2025. Le morceau est très orchestral et je dirais assez classique du style d’AiNA dans son interprétation vocale. Ça fait en tout cas plaisir d’entendre la voix d’AiNA aussi bien entourée musicalement dans une approche qui me fait dire qu’elle se rapproche un peu de Sheena Ringo. La photographie de la couverture du single a été prise par Mika Ninagawa (蜷川実花). On reconnaît immédiatement le style de la photographe pour les couleurs vives et fortes proches de la saturation. Mika Ninagawa montre la série complète de photographies sur Instagram. Ce sont de très belles photos, tout comme ce nouveau single très poignant comme souvent dans la musique d’AiNA The End.
J’avais déjà parlé de la chanteuse et rappeuse KAMIYA dont mon billet évoquant le single GALFY4 produit par Masayoshi Iimori (マサヨシイイモリ). Airi Kamiya fait désormais partie d’un duo nommé XAMIYA avec le producteur et rappeur Xansei. Je découvre leur dernier single intitulé Monster sorti le 26 Février 2025. Kamiya chante principalement en anglais en mélangeant quelques paroles en japonais. « All my friends are Monsters » nous répète elle dans le refrain. Elle utilise ce symbolisme du monstre qu’elle se force à considérer comme ses amis, pour évoquer l’acceptation de ses peurs et de son anxiété. Airi Kamiya nous fait part qu’elle souffre de bipolarité et peut être soudainement prise de fortes crises d’anxiété, qu’elle assimile à une force monstrueuse avec laquelle elle a dû apprendre à vivre pour éviter que cette force ne la consume entièrement. Cette approche positive des choses a quelque chose de très encourageant. Le morceau est très accrocheur et riche de multiples sonorités électroniques ne parvenant pas à submerger la voix de Kamiya qui garde toujours le dessus. XAMIYA était présent au SXSW 2025, se tenant à Austin au Texas, ce mois-ci.
Et en parlant de monstre, il faut également évoquer le nouveau single Kaiju (怪獣) de Sakanaction (サカナクション). Je ne suis pas spécialiste du groupe même si j’ai écouté et apprécié plusieurs de leurs albums et morceaux piochés par-ci par-là, mais ce dernier single rentre très facilement dans leurs meilleurs morceaux. On y retrouve toute la profondeur, l’ampleur et la versatilité musicale, le chant d’Ichiro Yamaguchi tout en ondulations, les chœurs typiques introduisant une pause dans le flot et un sens aiguë de l’accroche qui fait qu’on aura du mal à se séparer du morceau en cours de route. Bref, c’est un single quasiment parfait de bout en bout, et ça sera peut-être son unique défaut, car on n’a rien à y redire. Même mon fils est d’accord avec moi car il l’écoute aussi beaucoup, ce qui me donne l’occasion de lui conseiller l’écoute du très bel album éponyme du groupe sorti en 2013, que j’ai acheté il y a quelques semaines dans un Disk Union tokyoïte. En écoutant Kaiju, je me suis tout de suite dit qu’on approche de très près la perfection du morceau Aoi qui est un de mes préférés de cet album et du groupe.
le Zazen de la Crevette
La destination était le nouveau building Toda situé à Kyobashi dans l’arrondissement de Chūō. Je voulais voir une structure en escaliers métalliques noirs nommée Steps par l’artiste Atsuko Mochida (持田敦子), installée à l’intérieur d’un espace public dans le hall du bâtiment. Ces escaliers de taille fine montent vers le ciel et s’arrêtent soudainement. L’imagination doit faire le reste. J’en ai pris plusieurs photos mais je me suis rendu compte un peu plus tard que toutes mes photos étaient floues. J’avais réglé mon appareil photo sur manuel par erreur, sans faire les mises au point nécessaires. Je n’ai pas peur des photos floues, que j’aime publier de temps en temps dans certains billets, mais celles-ci m’ont rassuré sur le fait que le flou involontaire n’est pas intéressant. Ça peut paraître un peu contradictoire, mais le niveau de flou doit être réglé précisément pour rendre une photo intéressante. Le building Toda contient plusieurs galeries d’art aux étages. Je m’attarde un peu dans la galerie Tomio Koyama (小山登美夫) qui montre des sculptures de bois assez réalistes de Stephan Balkenhol dans une petite exposition nommée good day. En sortant un peu plus tard du building, je remarque une autre structure en escaliers d’Atsuko Mochida. La photographie n’est cette fois-ci pas floue. Dans la station de Toranomon, près de la plateforme de la ligne de métro Ginza en direction de Shibuya, on peut voir une sculpture très intéressante de Michiko Nakatani (中谷ミチコ) intitulée The white tigers are watching (白い虎が見ている), créée en 2020. Il ne s’agit pas d’une peinture mais plutôt d’une sculpture avec un relief concave. L’oeuvre montre un groupe de jeunes filles pourtant des masques de tigres blancs mais l’image change en fonction de notre point de vue, suivant notre position par rapport à l’oeuvre. La dernière photographie du billet montre une autre sculpture animale, placée sur une rambarde piétonne, ayant la particularité d’avoir une texture moelleuse. A moins qu’il ne s’agisse plutôt d’un gant zébré qu’un enfant aurait égaré dans cette rue. On pourrait voir de l’art à tous les coins de rue si on se laisse emporter pour son enthousiasme.
J’ai failli manquer de peu l’exposition Ebizazen (海老坐禅) qui se déroulait du 7 au 24 Février 2025 au PARCO Museum, situé au quatrième étage du grand magasin de mode PARCO dans le centre de Shibuya. J’y suis allé le lundi 24 Février, en réalisant au dernier moment que c’était le dernier jour. Ceux qui suivent attentivement Made in Tokyo auront remarqué que je parle assez régulièrement de Aoi Yamada (アオイヤマダ) sur ces pages. Je me rends compte qu’il faut être assez concentré pour suivre mes billets car ils ont la plupart du temps des liens avec ceux écrits précédemment. Je la suis sur Instagram depuis plusieurs années pour ses danses étranges toujours très inspirées et amusantes, car elle ne se prend pas trop au sérieux, ce qui est d’ailleurs une des forces de ses représentations. Elle jouait un second rôle dans la série First Love (初恋) de NetFlix avec Hikari Mitsushima (満島ひかり) et Takeru Satoh (佐藤健), puis plus récemment dans le film Perfect Days de Wim Wenders. On l’avait également vu aux côtés de Hikari Mitsushima dans le long film publicitaire Kaguya pour Gucci. Elle apparaît dans certaines vidéos d’AiNA The End et fait souvent partie de la troupe de danseuses pour ses concerts. Elle avait également fait une performance lors de la cérémonie de fermeture des Jeux Olympiques de Tokyo 2020. Aoi Yamada fait partie d’un collectif nommé Tokyo QQQ, mais le collectif qui a conçu cette exposition prend le nom étrange de Ebizazen (le Zazen de la crevette). Outre Aoi Yamada, ce collectif créatif regroupe d’autres artistes: la directrice artistique Midori Kawano, la styliste Chie Ninomiya, la photographe Akiko Isobe, le coiffeur et maquilleur Noboru Tomizawa et Oi-chan, la manager d’Aoi Yamada. Cette dernière est également la manager du danseur Takamura Tsuki (高村月) qui forme avec Aoi, l’unité de danse-poésie Aoi Tsuki, et produit le groupe Tokyo QQQ. La présence d’un personnage d’écolier dans cette troupe, sous les traits de Takamura Tsuki, me rappelle tout de suite le film Cache-cache pastoral (田園に死す) de Shūji Terayama (寺山修司), dont j’avais parlé dans un billet précédent. Je me souviens maintenant que Stéphane Dumesnildot parlait et montrait en photos une partie de ce collectif sur un billet de son blog Jours étranges à Tokyo (qui semble malheureusement en pause depuis Juin 2024). Pendant qu’on visite l’exposition photographique, on est accompagné par une musique étrange répétant par moment les mots Ebi et Zazen. Je ne suis pas certain du sens profond du nom de ce collectif mais il communique pour sûr une notion de liberté loin des stéréotypes, que l’on retrouve dans l’esprit des photographies montrées. Aoi Yamada est la muse du groupe et c’elle elle que l’on voit photographiée dans des tenues excentriques et extravagantes. La collection contient plus de 150 photographies qui sont réunies dans un livre et dont on peut en voir un grand nombre dans cette exposition. Ces photographies sont prises à Tokyo mais également à Atami et à Matsumoto, devant le splendide château noir, entre autres. Le collectif Ebizazen existe depuis 2019, et des photographies ont donc été prises pendant ces six dernières années. Il y a une grande fraîcheur dans cette œuvre photographique qui n’est pas lié à une quelconque marque de mode.
Je poursuis progressivement mon écoute des épisodes mensuels de Liquid Mirror d’Olive Kimoto sur la Radio NTS, car ils sont tous passionnants. L’épisode de Décembre 2023 intitulé An Asia Travel Diary est comme son nom l’indique consacré à l’Asie. Il a été enregistré à Tokyo et nous fait passer par le Japon, la Corée, la Chine et Taiwan. J’ai à chaque fois la sensation d’une exploration auditive m’amenant sur des terrains nouveaux, auxquels je suis pourtant assez familier car évoluant souvent vers une certaine forme d’éthéréité. On est très souvent proche de la musique expérimentale et bien loin de toute notion de mainstream. Les sélections musicales sont à chaque fois un sans faute, ce qui est tout à fait le cas avec cet épisode consacré à l’Asie. J’y retrouve avec plaisir le musicien Meitei (冥丁), dont j’avais déjà parlé ici, avec le très beau morceau Nami que je ne connaissais pas. On retrouve sur ce morceau toute la délicatesse et les subtilités sonores qui rendent une ambiance d’écoute tout à fait unique. Ce morceau intègre des bruits de vagues qu’on imagine provenir de la mer intérieure de Seto du côté d’Onomochi où Meitei réside. Ce morceau est inclus sur son album Komachi de 2019 et sur le EP Yabun de 2018. J’y découvre l’artiste japonaise basée à Londres Hinako Omori (大森日向子) avec le morceau Yearning d’une profonde mélancolie. Ce morceau me semble être inspiré par les musiques new-age avec des synthétiseurs aux contours flous. Ce morceau est tiré de son album a journey… sorti en 2022, qu’il faudrait que j’écoute bientôt. Une pointe d’émotion me saisit ensuite lorsque j’entends le début du morceau A Pure Person (單純的人), sur le EP du même nom, de Lim Giong (林強). Il s’agit de la musique accompagnant la scène d’ouverture du film Millenium Mambo du taïwanais Hou Hsiao-Hsien. Ce morceau est tout simplement sublime. J’avais l’habitude d’entendre la voix de l’actrice Shu Qi car j’avais sur mon iPod une version sonore extraite de cette scène d’ouverture. Une voix nous narrait en chinois la relation amoureuse compliquée de Vicky (interprétée par Shu Qi):
She broke up with Hao-hao, but he always tracked her down. Called her… begged her to come back…
Again and again. As if under a spell or hypnotized… She couldn’t escape. She always came back.
She told herself that she had NT$ 500,000 in the bank. When she’d used it up, she would leave him for good.
This happened ten years ago… In the year 2001 the world was greeting the 21st century and celebrating the new millennium.
Il y a beaucoup d’autres très beaux morceaux sur cette compilation. J’en retiens quelques autres comme Sun Tickles du duo électronique coréen Salamanda, composé d’Uman (Sala) et de Yetsuby (Manda). Ce morceau aux sons intriqués est présent sur leur album In Parallel sorti en 2023. Il y a aussi la Dream Pop du groupe chinois originaire de Hangzhou, City Flanker, avec un morceau intitulé Purple Haze (紫霧), extrait du EP Sound Without Time. L’épisode se conclut avec le morceau Spica de Chihei Hatakeyama (畠山地平) qui apporte les derniers soupons de rêve avant que la machine ne se détraque et nous ramène à la réalité.
it feels like becoming a part of the city in all its mesmerizing details and crushing massiveness
La pluie ne m’empêche pas toujours de partir marcher, ici jusqu’au sanctuaire Meiji Jingū. Lorsque j’entre dans la forêt qui entoure le sanctuaire après avoir traversé la première grande porte, je me demande à chaque fois si c’est correct d’écouter de la musique aux écouteurs tout en parcourant la grande allée de ce lieu sacré. Je me ravise rapidement en me disant que rien ne l’interdit, mais j’y repense à chaque fois. Je devrais peut-être poser les écouteurs un peu plus souvent afin de tout simplement apprécier les musiques de la rue, ce que je fais tout de même la plupart du temps en dehors de mes marches solitaires du week-end. La fresque bleue et jaune de la première photographie est de l’artiste de rue italien RAUL, à l’occasion d’une exposition qui a lieu en ce moment sur l’histoire du street art au Shibuya Stream Hall. L’exposition intitulée Stream of Banksy Effect – Street Art (R)Evolution (ストリートアートの進化と革命 展) se déroule du 22 Janvier au 23 Mars 2025, mais je ne suis pas encore allé la voir. En street art, une des plus belles expositions que j’ai pu voir est dans le musée dédié à Keith Haring à Kobuchizawa dans la préfecture de Yamanashi. En marchant du centre de Shibuya jusqu’au sanctuaire de Meiji Jingū, je passe volontairement devant le gymnase olympique de Kenzo Tange, qui est très beau sous la pluie quand ses parois courbes viennent réfléchir la lumière. En chemin également, j’aperçois régulièrement des images intéressantes sur l’écran géant Neo Shibuya TV du grand magasin MODI dans le centre de Shibuya. Du 27 Janvier au 2 Février 2025, on y montrait des mini-vidéos des œuvres de six artistes regroupés sous le nom Nostalgia Group Show. L’illustration ci-dessus est d’une artiste multimédia polonaise nommée Dead Seagull, mélangeant beauté et thèmes macabres. J’ai noté également une illustration de Dr.Capsoul s’inspirant librement des décors de Katsuhiro Otomo sur Akira.

Je parle assez régulièrement du groupe Brandy Senki (ブランデー戦記) car ils sortent des nouveaux singles de manière assez régulière, en prévision de leur premier album prévu un peu plus tard cette année. Pour leur dernier single Last Live, on retrouve avec bonheur ce mélange d’inspiration rock alternatif américain des années 90 et cette fraîcheur de la jeunesse japonaise actuelle. Écouter cette musique me ramène un peu vers mes vingt ans et cette nostalgie me donne un sentiment étrange car j’ai passé la plus grande partie de mes vingt ans au Japon mais j’ai écouté la grande majorité du rock alternatif américain que j’aime en France. Les morceaux de Brandy Senki viennent mélanger en moi ces deux types de nostalgie. Le morceau n’est pas aussi fort que Coming-of-age Story, mais j’adore la manière par laquelle il vient s’accélérer en deuxième partie. Dans un style Hip-hop, j’écoute ensuite le premier single intitulé Drop du groupe HANA composé de sept filles (Chika, Naoko, Jisoo, Yuri, Momoka, Koharu et Mahina). Il s’agit d’un groupe monté de toute pièce sur audition, mais qui a la particularité d’avoir été créé par Chanmina (ちゃんみなみ). Une émission télévisée montrait même les différents étapes dès la création du groupe, avec les étapes de sélection. Tout ceci peut paraître très artificiel mais il n’empêche que le résultat sur ce premier morceau est très bon. Je ne suis pas un amateur inconditionnel de Chanmina mais je garde une oreille ouverte à sa musique, depuis son single Biscuit dont je parlais il y a un peu plus d’un an. Dans un style totalement différent et pour revenir vers des sonorités plutôt orientées rock, je découvre deux très beaux morceaux d’acidclank, projet musical de Yota Mori. Ils s’intitulent Hide your Navel et Out of View sur son dernier album In Dissolve sorti le 5 Février 2025. Je ne connaissais pas cet artiste basé à Kamakura que je découvre grâce à la newsletter hebdomadaire du journaliste musical et culturel Patrick St Michel. Mes nouvelles découvertes musicales ne se font pas souvent à travers cette newsletter car ses recommandations sont souvent assez éloignées des styles que j’apprécie, mais j’y trouve tout de même de temps en temps quelques très belles choses comme cet album d’acidclank. Il faudra que je le découvre un peu plus en profondeur car j’aime beaucoup la voix apaisée du compositeur et interprète. Pour terminer cette petite sélection, je reviens encore une fois vers le duo REIRIE car elles viennent de sortir un EP intitulé Twinning Fate sur lequel on retrouve les morceaux Faint Light et RulerxRuler dont j’ai déjà parlé précédemment. J’y trouve un autre morceau intéressant, le deuxième du EP intitulé Marionnette. On revient ici vers la pop mais pas aussi dense que le morceau RulerxRuler qui jouait dans la démesure. Tout le EP ne me plait pas mais ce morceau ainsi que les deux autres déjà mentionnés et un autre intitulé Cherry me plaisent beaucoup.